Après le cours admirable de
ces premières années si remplies de vertu, le Dieu tout-puissant voulut
élever plus haut la vigne qu’il venait de planter dans les vignobles
d’Engaddi; il voulut qu’elle s’élançât comme les cèdres du Liban, et
embellît les hauteurs par la merveilleuse production de ses grappes,
pareilles aux grappes de Chypre. Pour cela, il permit tout d’abord
qu’elle s’ensevelît quelque temps dans la terre, afin qu’y. poussant de
plus solides racines, elle pût lancer plus haut ses rameaux et aller
porter ses propres fruits là où est le sommet de la perfection. C’est
ainsi que l’eau doit descendre aux bas-fonds, avant de remonter en jets
vers le ciel; c’est ainsi que toute plante enfonce d’autant plus ses
racines qu’elle doit élever davantage sa tête. Rien donc d’étonnant, si
l’universel Artisan, qu’est la Sagesse incréée, permet que ses saints
tombent en quelques défauts, pour se relever ensuite plus forts, vivre
plus prudents, s’efforcer d’atteindre avec une ardeur plus passionnée
aux sommets de la perfection et triompher ainsi plus glorieusement des
ennemis du genre humain. La suite du récit vous donnera la raison de ces
réflexions.
Catherine, vouée à Dieu,
avait atteint l’âge nubile, c’est-à-dire douze ans ou à peu près. Elle
ne sortait plus de la maison paternelle selon la coutume du pays, qui ne
permet plus de sortir à des jeunes filles de cet âge, avant qu’elles ne
soient mariées. Ses parents et frères, ignoraient son vœu de virginité,
commencèrent à penser à son mariage et à s’inquiéter de l’époux, auquel
ils pourraient l’unir, pour leur plus grand avantage. Sa mère, en
particulier, se réjouissait du gendre distingué que la sagesse de sa
fille allait lui procurer; mais ce gendre devait encore être bien plus
grand qu’elle ne pouvait l’imaginer. Lapa commença donc à s’inquiéter
des soins à donner au corps de sa fille ; elle l’engagea et lui apprit à
se laver plus souvent le visage, à tresser et à orner ses cheveux, à
éviter tout ce qui pourrait ternir la fraîcheur de sa figure et de son
cou, à s’occuper enfin de tout ce qui regarde le soin d’une beauté
féminine, afin que cette beauté séduisît davantage ceux qui viendraient
la demander en mariage. Mais Catherine avait d’autres desseins consacrés
par un voeu. Bien que, par respect pour ses parents, elle ne manifestât
pas son vœu, elle se refusait à toutes ces recherches et mettait tous
ses efforts à plaire non pas aux hommes, mais à Dieu.
Sa mère le vit avec
déplaisir et appela à son secours Bonaventura, sa fille mariée, dont
nous avons déjà plusieurs fois parlé. Bonaventura devait décider sa sœur
à cultiver sa beauté selon les usages du pays et à être plus docile aux
avis de sa mère. Lapa savait que Catherine aimait tendrement Bonaventura,
et elle pensait par ce moyen la faire consentir plus facilement à ses
desseins ; c’est ce qui arriva. Dieu le permettant, ainsi que nous
l’avons dit, Catherine céda devant les sollicitations répétées des
paroles et des exemples de Bonaventura, sa soeur; elle consentit à
s’occuper de la beauté de son corps, tout en gardant fermement son voeu
de ne jamais accepter de mari. Elle confessait plus tard ce péché avec
tant de sanglots et tant de larmes que vous auriez cru vraiment qu’elle
avait commis une faute des plus graves. Maintenant qu’elle a pris son
vol vers les cieux, je sais qu’il m’est permis de révéler les choses qui
sont à sa louange, bien qu’elles fussent alors secrètes, et j’ai
résolu d’insérer ici la discussion que nous avons eue ensemble à ce
sujet. Dans les confessions générales qu’elle m’a faites à plusieurs
reprises, chaque fois qu’elle arrivait à ce point, elle s’accusait très
durement, avec des sanglots et des pleurs. Je savais bien que les bonnes
âmes trouvent des péchés là où il n’y en a pas et grossissent beaucoup
leurs fautes légères. Néanmoins, voyant que notre sainte se jugeait
digne pour cette défaillance d’une peine éternelle, je fus obligé de lui
demander si, dans ce fait, elle avait eu l’intention ou la volonté
d’aller contre son vœu de virginité. " Non, me répondit-elle, jamais
cette pensée ne m’est venue à l’esprit. " Je lui demandai de nouveau si,
tout en sauvegardant son vœu de virginité, elle avait voulu plaire à
quelque homme en particulier, ou aux hommes en général. Elle me répondit
que sa peine la plus grande était de regarder les hommes, d’en être vue,
de se trouver où ils étaient. En effet, quand les apprentis teinturiers
de son père, habitant la même maison, arrivaient près d’elle, elle
s’enfuyait de suite, aussi rapidement que s’il fût survenu des serpents,
ce qui faisait l’étonnement de tous. Jamais elle ne se mettait à la
fenêtre ou à la porte de la maison pour voir les passants. Je lui dis
alors : " A quel titre ces actes de coquetterie méritaient-ils une peine
éternelle, puisque dans cette parure, il n’y avait rien d’excessif? "
Elle me répondit qu’elle avait trop aimé sa sœur, qu’il lui semblait
l’avoir aimée plus que Dieu; de là ses larmes inconsolables et sa dure
pénitence. Et comme je voulus lui répliquer que cet excès de tendresse,
toute intention mauvaise ou vaniteuse écartée, n’était pas contre le
précepte divin, elle éleva vers Dieu et ses yeux et sa voix en disant:
" Ah ! Seigneur mon Dieu, quel Père spirituel ai-je donc maintenant, qui
excuse mes péchés. " Puis, se révoltant contre elle-même, elle disait en
se tournant vers moi: " Comment donc, ô Père, cette misérable et vile
créature, qui, sans travail et sans mérites, avait reçu tant de grâces
de son Créateur, pouvait-elle occuper son temps à orner sa chair de
pourriture pour tenter les mortels?" " Non disait-elle, je ne pense pas
que l’enfer eût suffi à me punir si la pitié de Dieu n’avait pas agi si
miséricordieusement avec moi. "
Je fus alors bien obligé de
me taire. Mais cette discussion avait pour but de me permettre de
chercher si cette âme était restée toujours indemne de tout péché mortel
; je voulais savoir si elle avait gardé la virginité de l’esprit et du
corps avec une telle intégrité qu’elle eût évité non seulement un péché
mortel d’impureté, mais tout autre péché consommé. Or, je puis en rendre
témoignage devant Dieu et devant la sainte l’Eglise, j’ai entendu
plusieurs fois et même très souvent les confessions de Catherine,
quelquefois ses confessions générales, jamais je n’ai trouvé qu’elle ait
commis contre (Par faute centre les préceptes de Dieu, le bienheureux
Raymond entend le péché mortel, conformément à la distinction établie
par saint Thomas entre les actes qui sont contre la lin voulue par Dieu
et les lois données pour conduire l’homme à celle fin, péché mortel, et
les actions qui sont en dehors de l’ordre voulu par Dieu, mais non en
opposition directe avec la fin de l’homme, péché véniel. ) les
préceptes de Dieu d’autre faute que celle qui est ici racontée et qui, à
mon avis, n’en est pas une; tout confesseur discret, je pense, en jugera
de même. Bien plus, je l’ai trouvée si pure de fautes vénielles que, la
plupart du temps, je ne pouvais découvrir aucune offense dans ses
confessions quotidiennes. Il est manifeste, non seulement pour ses
confesseurs, mais pour tous ceux qui vivaient avec elle, que jamais ou
très rarement elle n’avait de paroles répréhensibles. Elle occupait tout
son temps à la prière, à la contemplation ou au secours du prochain.
Dans un jour de vingt-quatre heures, elle s’accordait à peine un quart
d’heure de sommeil. Quand elle prenait. à sa façon de la nourriture, si
toutefois ce qu’elle prenait peut s’appeler nourriture, elle priait et
méditait continuellement, se répétant à elle-même tout ce que son âme
avait appris du Seigneur. Je sais, et je sais avec une entière
certitude, et j’atteste devant toute l’Eglise du Christ, qu’au temps où
je l’ai connue, elle avait plus de peine à prendre de la nourriture
qu’un affamé à en être privé. Les aliments apportaient plus de tourment
à son corps qu’un accès de fièvre n’en apporte communément au fiévreux.
Et, nous le verrons plus loin avec la grâce de Dieu, c’était là une des
causes pour lesquelles elle allait aux repas, afin de s’affliger
elle-même et de tourmenter son pauvre corps. Comment une offense
eût-elle pu trouver place dans une âme si continuellement occupée de
Dieu? Malgré cela, elle s’accusait si durement, elle était si ingénieuse
à se trouver des péchés qu’un confesseur, peu au courant des habitudes
de la sainte, l’eût crue en faute là où elle ne péchait pas, là même où
souvent elle méritait. Si je me suis permis cette digression, cher
lecteur, c’est pour qu’apprenant cette seule faute de Catherine, vous
appreniez en même temps quelle grande perfection la grâce divine en a
fait sortir.
Je reviens donc à ce point
de notre histoire où je racontais comment les fréquentes sollicitations
de Bonaventura avaient décidé notre sainte à l’imiter dans le soin de sa
parure, sans que, pour autant, le cœur de notre vierge eût pu céder en
cela à quelqu’inclination générale ou particulière pour les hommes.
Jamais elle ne consentit volontairement à faire parade de sa beauté.
Cependant la ferveur de sa prière et de ses méditations s’attiédit
quelque peu.
Mais le Seigneur
tout-puissant ne pouvait tolérer longtemps un éloignement quelconque de
son épouse de choix, et il enleva l’obstacle qui s’était interposé entre
Catherine et l’union divine. Bonaventura, sœur de notre sainte et sa
tentatrice en cette question de vanité, devint gravement malade en des
couches qui survinrent peu de temps après. Elle en mourut, bien qu’elle
fût encore assez jeune. Notez ici, cher lecteur, combien ils déplaisent
et sont odieux à Dieu, ceux qui retiennent ou retardent les âmes qui
veulent le servir. Cette Bonaventura était personnellement, comme nous
l’avons dit, très honnête dans ses mœurs aussi bien que dans ses
paroles; mais elle s’efforçait d’entraîner à la mondanité sa sœur, qui
désirait servir Dieu. Elle fut frappée par le Seigneur et punie d’une
mort bien dure. Dieu la traita cependant miséricordieusement, car, bien
qu’envoyée en purgatoire où elle souffrit de graves peines, elle
s’envola bientôt vers le ciel, grâce aux prières de sa sœur, qui en eut
révélation quelque temps après. C’est de notre sainte elle-même que je
l’ai appris, dans le secret de la confession.
Sa soeur morte, Catherine,
comprenant mieux la vanité du siècle, commença à revenir avec plus
d’avidité et d’ardeur aux embrassements de l’éternel Époux. Elle criait
sa faute, se proclamait coupable, se prosternait avec Marie-Madeleine
aux pieds du Seigneur, y répandait d’abondantes larmes, et implorait sa
miséricorde, priant continuellement pour son pécha, l’ayant sans cesse
devant les yeux. afin de mériter d’entendre la même parole que
Marie-Madeleine : " tes péchés te sont remis. " De là son affection
particulière pour Madeleine; elle faisait alors tous ses efforts pour
l’imiter, afin d’obtenir le pardon de ses fautes. Sa dévotion pour cette
sainte allant toujours croissant, l’Époux des saintes âmes et sa
glorieuse Mère lui donnèrent dans la suite Madeleine comme maîtresse et
comme mère, ainsi que nous le verrons plus au long, avec la permission
de Dieu, au cours de cette histoire.
En ces conjonctures,
l’antique ennemi ne put voir sans dépit la proie qu’il s’était efforcé
d’attirer peu à peu à lui s’échapper et lui être arrachée totalement des
mains. Voyant cette vierge chercher un sûr refuge dans sa course rapide
vers le tabernacle de la miséricorde de son Époux, il essaya de
l’arrêter en lui suscitant comme obstacle sa famille elle-même, et il
s’efforça de l’entraîner complètement aux vanités du monde par
l’adversité et les persécutions. Il mit dans l’esprit des parents et des
frères de Catherine l’idée absolument arrêtée de la marier pour étendre
leur parenté Ils tenaient d’autant plus à ce projet, qu’ayant perdu une
fille, ils voulaient que sa sœur vivante réparât le dommage causé à la
famille par cette mort. Aussi faisaient-ils tous leurs efforts, surtout
après la mort de Bonaventura, pour trouver un époux à noire sainte
vierge. Dès que celle-ci s’en fut aperçue, et aussitôt que, sous
l’inspiration du Seigneur, elle eut découvert les embûches de l’ennemi,
elle se mit immédiatement avec plus de soin et de courage à prolonger
ses oraisons, à s’appliquer à la méditation et aux œuvres de pénitence,
à fuir tout rapport avec les hommes et à montrer aux siens par des
signes manifestes qu’elle n’entendait nullement se laisser livrer à un
époux corruptible et mortel, alors qu’une grâce si précieuse avait
commencé de lui donner dès son enfance, comme immortel Époux, le Roi des
siècles.
La tenue, les gestes et les
paroles de notre sainte les cheveux, manifestaient clairement ses
intentions, et sa persévérance ne se lassait point. Ses parents
cherchèrent alors quelque moyen de fléchir son esprit et de la faire
consentir à leurs désirs. Ayant fait venir un Frère Prêcheur qui vit
encore et était très ami de la famille, ils lui demandèrent avec
instance de vouloir bien persuader à Catherine d’acquiescer à leurs
volontés. Le religieux promit d’y employer tout son pouvoir. Mais, étant
venu trouver la vierge et la voyant inébranlable dans sa résolution, il
écouta la voix de sa propre conscience et donna sur ce point à notre
sainte un excellent conseil en lui disant: " Puisque vous êtes disposée
à vous mettre complètement au service du Seigneur, et que vos parents
vous molestent pour obtenir de vous le contraire, montrez-leur la
fermeté de votre volonté. Coupez complètement votre chevelure; peut-être
alors vous laisseront-ils tranquille? " Elle reçut ce conseil comme
venant du ciel, prit aussitôt des ciseaux et coupa joyeusement, au ras
de la tête, ces cheveux qu’elle haïssait grandement parce qu’ils lui
semblaient avoir été l’instrument de son grave péché. Cela fait, elle
couvrit sa tête d’un voile, et commença de marcher ainsi la tête voilée,
contrairement à l’usage des jeunes filles, mais conformément à
l’enseignement de l’Apôtre (1 Co 11,5). " Dès que Lapa sa mère la vit,
elle lui demanda la raison de ce voile inaccoutumé. Notre vierge ne
voulant pas mentir et n’osant pas avouer la vérité, murmurait plus
qu’elle ne répondait. Lapa, s’approchant alors de sa fille, de ses
propres mains enleva le voile, découvrit la tête, et la trouva
complètement rasée. A cette vue, blessée au cœur, car ces cheveux
étaient très beaux, elle se récria, se lamentant et disant : " Ah! ma
fille! qu’as-tu fait? " Mais la vierge remit son voile, et s’en alla.
Aux cris de la mère, Jacques et ses fils accoururent, et ayant appris la
cause de ces cris ils entrèrent dans une violente colère contre
Catherine.
De cette colère sortit une
nouvelle guerre plus pénible que la première; mais la victoire accordée
par le Ciel à la vierge fut si complète que ce qui paraissait obstacle
devint, par une transformation merveilleuse, le secours dont Catherine
se servit pour s’unir plus fortement au Seigneur. Ses parents
commencèrent donc à l’accabler de dures paroles et de mauvais
traitements, l’injuriant, la menaçant et lui disant: " Mauvaise femme!
tu crois t’être soustraite à notre volonté en te coupant les cheveux;
ils repousseront malgré toi, tes cheveux, et, dût ton cœur en éclater,
il faudra bien que tu prennes un mari. Tu n’auras pas de repos que tu
n’aies consenti à nos exigences. " Ils décrétèrent, dans la mesure de
leur pouvoir, que Catherine n’aurait plus aucune chambre particulière
pour s’y retirer, et qu’elle serait occupée tout le jour aux différents
services de la maison. Ils pensaient ne lui laisser ainsi aucun lieu et
aucun moment pour prier et s’unir à son Époux. Afin qu’elle parût
davantage vouée au mépris, ils congédièrent une fille de service et
employèrent notre vierge aux lavages de la cuisine. Chaque jour voyait
se multiplier contre elle les avanies, les injures et tous les mépris
qui sont habituellement le plus sensibles à un coeur de femme. En ce
temps-là, ainsi que je l’ai appris, ses parents et ses frères avaient en
vue un jeune homme, qu’ils eussent été très heureux d’allier à leur
famille. Aussi rendaient-ils de toute façon la lutte plus dure, afin
d’arracher à Catherine son consentement.
Mais l’antique ennemi, dont
toutes ces méchantes machinations étaient l’œuvre, rendit, avec l’aide
de Dieu, notre vierge plus forte, par ces mêmes moyens dont il croyait
se servir pour la briser. Rien de tout cela ne l’ébranla. Elle se fit
dans son cœur, sous l’inspiration de Esprit-Saint, une cellule bien
secrète, d’où elle résolut de ne jamais sortir pour quelque affaire
extérieure que ce fût. De la sorte, au lieu d’avoir comme auparavant une
cellule extérieure où elle pouvait s’enfermer quelquefois, mais d’où
elle devait aussi sortir de temps en temps, il arriva que, s’étant fait
une cellule intérieure qu’on ne pouvait lui enlever, elle n’en sortait
jamais. Ce sont là de ces victoires du Ciel, dont le fruit ne saurait
être ravi, et qui ferment sûrement une âme à Satan. Car Celui qui est la
Vérité même nous l’atteste : " Le royaume de Dieu est au dedans de nous.
(Lc 12,21) ", et l’enseignement du Prophète nous apprend
que toute la gloire de la fille du Roi éternel, lui vient de l’intérieur
(Ps 94,14). Au dedans de nous se trouvent sans aucun doute, et
notre intelligence avec ses lumières, et notre volonté avec sa liberté,
et notre mémoire avec la ténacité de son souvenir. Au dedans de nous, se
répand l’onction de l’Esprit-Saint, qui, perfectionnant toutes ces
facultés, surmonte et abat tous les obstacles extérieurs. Au dedans de
nous, si nous sommes des passionnés du bien, habite l’Hôte divin qui a
dit: "Ayez confiance, j’ai vaincu le monde . (Jn 16,33) ".
Confiante en cet Hôte
tout-puissant, et avec son secours, notre sainte s’était constitué à
l’intérieur une cellule qui n’était pas faite de main d’homme ( 2 Co
5,1) et, et qui la dispensait d’avoir souci de perdre cette cellule
extérieure, œuvre de nos mains. Je me rappelle, et il me revient
maintenant en mémoire, qu’aux jours où j’étais surchargé d’occupations
extérieures, ou bien quand je devais voyager, cette sainte vierge me
répétait souvent cet avertissement: "Faites-vous dans l’âme une cellule
intérieure, d’où vous ne sortiez jamais. " Je n’avais d’abord qu’une
intelligence superficielle de ces paroles; mais maintenant que je les
considère plus attentivement, je suis obligé de m’écrier avec
l’Evangéliste Jean : " Tout d’abord les disciples ne comprirent pas;
mais, quand Jésus fut glorifié, alors ils se souvinrent (Jn 12,16) ".
Car c’est merveille de voir, comment nous avons aujourd’hui, moi et tous
les autres qui ont vécu avec elle, une intelligence plus nette de ses
actes et de ses paroles, qu’aux jours où nous étions à ses côtés.
Mais revenons au point où
nous avions laissé notre récit. L’inspiration de l’Esprit-Saint fit
imaginer à Catherine un autre moyen de vaincre toutes les injures et
tous les mépris. Elle me l’a révélé, alors que je lui demandais comment
elle avait pu rester allègre au milieu de tant d’avanies. Elle s’était
imaginé, me disait-elle, que son père lui représentait le Sauveur
Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa Mère, la très glorieuse Marie, Mère de
Jésus, ses frères et autres familiers, les saints Apôtres et les
disciples. Cette imagination lui permettait de les servir avec tant de
joie et tant de soin que tous en étaient dans l’admiration. Elle
trouvait dans cette pensée un autre avantage, celui d’avoir toujours
présent à l’esprit pendant son travail l’Epoux qu’elle se figurait
servir. Ainsi, tout en étant à la cuisine, elle habitait au Saint des
Saints, tout en servant à table, elle nourrissait son âme de la présence
du Sauveur. O profondeur des trésors de l’éternel Conseil! Qu’elles sont
variées et merveilleuses, ô mon Dieu, les voies par lesquelles vous
délivrez des prises de toute angoisse, ceux qui se confient en Vous,
pour les conduire entre des abîmes pareils à ceux de Charybde et Scylla.
au port du salut éternel.
Ainsi donc, notre sainte,
ayant sans cesse les yeux fixés sur la récompense proposée par
l’Esprit-Saint à son âme, supportait les injures non seulement avec
patience, mais avec joie, et pour que cette joie de l’esprit fût pleine,
elle accélérait continuellement sa course dans les voies du ciel. Il ne
lui était plus permis d’avoir une chambre particulière, mais elle devait
toujours habiter avec d’autres; pour cette raison sans doute, elle
choisit avec une sainte habileté la chambre de son frère Etienne, qui
n’avait ni femme ni enfants. Là elle pouvait pendant la journée habiter
seule en l’absence d’Etienne, et, pendant la nuit, elle profitait du
sommeil de son frère pour prier selon ses désirs. C’est ainsi que
poursuivant et cherchant jour et nuit le visage de son Epoux, elle
frappait sans cesse à la porte du divin Tabernacle. Elle priait sans
repos le Seigneur de vouloir bien lui garder sa virginité et chantait
avec la bienheureuse Cécile ce verset de David : " Faites,
Seigneur, que mon cœur et mon corps soient immaculés ( Ps 118,80).
De la sorte, merveilleusement fortifiée dans le silence et l’espérance,
plus elle était accablée de persécutions, plus elle trouvait, dans les
grâces et les joies plus abondantes qui la remplissaient à l’intérieur,
la dilatation de son âme. Ses frères, voyant sa constance, se disaient
entre eux : "Nous sommes vaincus. " Son père, d’un sens plus droit que
les autres, considérait en silence les actes de sa fille, et comprenait
chaque jour davantage, qu’il y avait dans cette conduite le souffle de
Dieu, et non pas un caprice de jeunesse.
Je tiens ce que j’ai raconté
dans ce chapitre, de Lapa, de Lysa, belle-soeur de la sainte, et des
autres personnes qui habitaient alors la maison, et j’ai appris de la
bouche même de Catherine, ainsi que je l’ai dit, ce qu’elle seule
pouvait savoir.