CHAPITRE IV

LA FERVEUR DE CATHERINE DIMINUE, DIEU LE PERMETTANT AINSI POUR AUGMENTER ENSUITE SES GRACES. COURAGEUSE PATIENCE AVEC LAQUELLE LA SAINTE SUPPORTE, DANS SA FAMILLE, DE NOMBREUSES INJURES POUR L’AMOUR DU CHRIST.

Après le cours admirable de ces premières années si remplies de vertu, le Dieu tout-puissant voulut élever plus haut la vigne qu’il venait de planter dans les vignobles d’Engaddi; il voulut qu’elle s’élançât comme les cèdres du Liban, et embellît les hauteurs par la merveilleuse production de ses grappes, pareilles aux grappes de Chypre. Pour cela, il permit tout d’abord qu’elle s’ensevelît quelque temps dans la terre, afin qu’y. poussant de plus solides racines, elle pût lancer plus haut ses rameaux et aller porter ses propres fruits là où est le sommet de la perfection. C’est ainsi que l’eau doit descendre aux bas-fonds, avant de remonter en jets vers le ciel; c’est ainsi que toute plante enfonce d’autant plus ses racines qu’elle doit élever davantage sa tête. Rien donc d’étonnant, si l’universel Artisan, qu’est la Sagesse incréée, permet que ses saints tombent en quelques défauts, pour se relever ensuite plus forts, vivre plus prudents, s’efforcer d’atteindre avec une ardeur plus passionnée aux sommets de la perfection et triompher ainsi plus glorieusement des ennemis du genre humain. La suite du récit vous donnera la raison de ces réflexions.

Catherine, vouée à Dieu, avait atteint l’âge nubile, c’est-à-dire douze ans ou à peu près. Elle ne sortait plus de la maison paternelle selon la coutume du pays, qui ne permet plus de sortir à des jeunes filles de cet âge, avant qu’elles ne soient mariées. Ses parents et frères, ignoraient son vœu de virginité, commencèrent à penser à son mariage et à s’inquiéter de l’époux, auquel ils pourraient l’unir, pour leur plus grand avantage. Sa mère, en particulier, se réjouissait du gendre distingué que la sagesse de sa fille allait lui procurer; mais ce gendre devait encore être bien plus grand qu’elle ne pouvait l’imaginer. Lapa commença donc à s’inquiéter des soins à donner au corps de sa fille ; elle l’engagea et lui apprit à se laver plus souvent le visage, à tresser et à orner ses cheveux, à éviter tout ce qui pourrait ternir la fraîcheur de sa figure et de son cou, à s’occuper enfin de tout ce qui regarde le soin d’une beauté féminine, afin que cette beauté séduisît davantage ceux qui viendraient la demander en mariage. Mais Catherine avait d’autres desseins consacrés par un voeu. Bien que, par respect pour ses parents, elle ne manifestât pas son vœu, elle se refusait à toutes ces recherches et mettait tous ses efforts à plaire non pas aux hommes, mais à Dieu.

Sa mère le vit avec déplaisir et appela à son secours Bonaventura, sa fille mariée, dont nous avons déjà plusieurs fois parlé. Bonaventura devait décider sa sœur à cultiver sa beauté selon les usages du pays et à être plus docile aux avis de sa mère. Lapa savait que Catherine aimait tendrement Bonaventura, et elle pensait par ce moyen la faire consentir plus facilement à ses desseins ; c’est ce qui arriva. Dieu le permettant, ainsi que nous l’avons dit, Catherine céda devant les sollicitations répétées des paroles et des exemples de Bonaventura, sa soeur; elle consentit à s’occuper de la beauté de son corps, tout en gardant fermement son voeu de ne jamais accepter de mari. Elle confessait plus tard ce péché avec tant de sanglots et tant de larmes que vous auriez cru vraiment qu’elle avait commis une faute des plus graves. Maintenant qu’elle a pris son vol vers les cieux, je sais qu’il m’est permis de révéler les choses qui sont à sa louange, bien qu’elles fussent alors secrètes, et j’ai résolu d’insérer ici la discussion que nous avons eue ensemble à ce sujet. Dans les confessions générales qu’elle m’a faites à plusieurs reprises, chaque fois qu’elle arrivait à ce point, elle s’accusait très durement, avec des sanglots et des pleurs. Je savais bien que les bonnes âmes trouvent des péchés là où il n’y en a pas et grossissent beaucoup leurs fautes légères. Néanmoins, voyant que notre sainte se jugeait digne pour cette défaillance d’une peine éternelle, je fus obligé de lui demander si, dans ce fait, elle avait eu l’intention ou la volonté d’aller contre son vœu de virginité. " Non, me répondit-elle, jamais cette pensée ne m’est venue à l’esprit. " Je lui demandai de nouveau si, tout en sauvegardant son vœu de virginité, elle avait voulu plaire à quelque homme en particulier, ou aux hommes en général. Elle me répondit que sa peine la plus grande était de regarder les hommes, d’en être vue, de se trouver où ils étaient. En effet, quand les apprentis teinturiers de son père, habitant la même maison, arrivaient près d’elle, elle s’enfuyait de suite, aussi rapidement que s’il fût survenu des serpents, ce qui faisait l’étonnement de tous. Jamais elle ne se mettait à la fenêtre ou à la porte de la maison pour voir les passants. Je lui dis alors : " A quel titre ces actes de coquetterie méritaient-ils une peine éternelle, puisque dans cette parure, il n’y avait rien d’excessif? " Elle me répondit qu’elle avait trop aimé sa sœur, qu’il lui semblait l’avoir aimée plus que Dieu; de là ses larmes inconsolables et sa dure pénitence. Et comme je voulus lui répliquer que cet excès de tendresse, toute intention mauvaise ou vaniteuse écartée, n’était pas contre le précepte divin, elle éleva vers Dieu et ses yeux et sa voix en disant: " Ah ! Seigneur mon Dieu, quel Père spirituel ai-je donc maintenant, qui excuse mes péchés. " Puis, se révoltant contre elle-même, elle disait en se tournant vers moi: " Comment donc, ô Père, cette misérable et vile créature, qui, sans travail et sans mérites, avait reçu tant de grâces de son Créateur, pouvait-elle occuper son temps à orner sa chair de pourriture pour tenter les mortels?" " Non disait-elle, je ne pense pas que l’enfer eût suffi à me punir si la pitié de Dieu n’avait pas agi si miséricordieusement avec moi. "

Je fus alors bien obligé de me taire. Mais cette discussion avait pour but de me permettre de chercher si cette âme était restée toujours indemne de tout péché mortel ; je voulais savoir si elle avait gardé la virginité de l’esprit et du corps avec une telle intégrité qu’elle eût évité non seulement un péché mortel d’impureté, mais tout autre péché consommé. Or, je puis en rendre témoignage devant Dieu et devant la sainte l’Eglise, j’ai entendu plusieurs fois et même très souvent les confessions de Catherine, quelquefois ses confessions générales, jamais je n’ai trouvé qu’elle ait commis contre (Par faute centre les préceptes de Dieu, le bienheureux Raymond entend le péché mortel, conformément à la distinction établie par saint Thomas entre les actes qui sont contre la lin voulue par Dieu et les lois données pour conduire l’homme à celle fin, péché mortel, et les actions qui sont en dehors de l’ordre voulu par Dieu, mais non en opposition directe avec la fin de l’homme, péché véniel. ) les préceptes de Dieu d’autre faute que celle qui est ici racontée et qui, à mon avis, n’en est pas une; tout confesseur discret, je pense, en jugera de même. Bien plus, je l’ai trouvée si pure de fautes vénielles que, la plupart du temps, je ne pouvais découvrir aucune offense dans ses confessions quotidiennes. Il est manifeste, non seulement pour ses confesseurs, mais pour tous ceux qui vivaient avec elle, que jamais ou très rarement elle n’avait de paroles répréhensibles. Elle occupait tout son temps à la prière, à la contemplation ou au secours du prochain. Dans un jour de vingt-quatre heures, elle s’accordait à peine un quart d’heure de sommeil. Quand elle prenait. à sa façon de la nourriture, si toutefois ce qu’elle prenait peut s’appeler nourriture, elle priait et méditait continuellement, se répétant à elle-même tout ce que son âme avait appris du Seigneur. Je sais, et je sais avec une entière certitude, et j’atteste devant toute l’Eglise du Christ, qu’au temps où je l’ai connue, elle avait plus de peine à prendre de la nourriture qu’un affamé à en être privé. Les aliments apportaient plus de tourment à son corps qu’un accès de fièvre n’en apporte communément au fiévreux. Et, nous le verrons plus loin avec la grâce de Dieu, c’était là une des causes pour lesquelles elle allait aux repas, afin de s’affliger elle-même et de tourmenter son pauvre corps. Comment une offense eût-elle pu trouver place dans une âme si continuellement occupée de Dieu? Malgré cela, elle s’accusait si durement, elle était si ingénieuse à se trouver des péchés qu’un confesseur, peu au courant des habitudes de la sainte, l’eût crue en faute là où elle ne péchait pas, là même où souvent elle méritait. Si je me suis permis cette digression, cher lecteur, c’est pour qu’apprenant cette seule faute de Catherine, vous appreniez en même temps quelle grande perfection la grâce divine en a fait sortir.

Je reviens donc à ce point de notre histoire où je racontais comment les fréquentes sollicitations de Bonaventura avaient décidé notre sainte à l’imiter dans le soin de sa parure, sans que, pour autant, le cœur de notre vierge eût pu céder en cela à quelqu’inclination générale ou particulière pour les hommes. Jamais elle ne consentit volontairement à faire parade de sa beauté. Cependant la ferveur de sa prière et de ses méditations s’attiédit quelque peu.

Mais le Seigneur tout-puissant ne pouvait tolérer longtemps un éloignement quelconque de son épouse de choix, et il enleva l’obstacle qui s’était interposé entre Catherine et l’union divine. Bonaventura, sœur de notre sainte et sa tentatrice en cette question de vanité, devint gravement malade en des couches qui survinrent peu de temps après. Elle en mourut, bien qu’elle fût encore assez jeune. Notez ici, cher lecteur, combien ils déplaisent et sont odieux à Dieu, ceux qui retiennent ou retardent les âmes qui veulent le servir. Cette Bonaventura était personnellement, comme nous l’avons dit, très honnête dans ses mœurs aussi bien que dans ses paroles; mais elle s’efforçait d’entraîner à la mondanité sa sœur, qui désirait servir Dieu. Elle fut frappée par le Seigneur et punie d’une mort bien dure. Dieu la traita cependant miséricordieusement, car, bien qu’envoyée en purgatoire où elle souffrit de graves peines, elle s’envola bientôt vers le ciel, grâce aux prières de sa sœur, qui en eut révélation quelque temps après. C’est de notre sainte elle-même que je l’ai appris, dans le secret de la confession.

Sa soeur morte, Catherine, comprenant mieux la vanité du siècle, commença à revenir avec plus d’avidité et d’ardeur aux embrassements de l’éternel Époux. Elle criait sa faute, se proclamait coupable, se prosternait avec Marie-Madeleine aux pieds du Seigneur, y répandait d’abondantes larmes, et implorait sa miséricorde, priant continuellement pour son pécha, l’ayant sans cesse devant les yeux. afin de mériter d’entendre la même parole que Marie-Madeleine : " tes péchés te sont remis. " De là son affection particulière pour Madeleine; elle faisait alors tous ses efforts pour l’imiter, afin d’obtenir le pardon de ses fautes. Sa dévotion pour cette sainte allant toujours croissant, l’Époux des saintes âmes et sa glorieuse Mère lui donnèrent dans la suite Madeleine comme maîtresse et comme mère, ainsi que nous le verrons plus au long, avec la permission de Dieu, au cours de cette histoire.

En ces conjonctures, l’antique ennemi ne put voir sans dépit la proie qu’il s’était efforcé d’attirer peu à peu à lui s’échapper et lui être arrachée totalement des mains. Voyant cette vierge chercher un sûr refuge dans sa course rapide vers le tabernacle de la miséricorde de son Époux, il essaya de l’arrêter en lui suscitant comme obstacle sa famille elle-même, et il s’efforça de l’entraîner complètement aux vanités du monde par l’adversité et les persécutions. Il mit dans l’esprit des parents et des frères de Catherine l’idée absolument arrêtée de la marier pour étendre leur parenté Ils tenaient d’autant plus à ce projet, qu’ayant perdu une fille, ils voulaient que sa sœur vivante réparât le dommage causé à la famille par cette mort. Aussi faisaient-ils tous leurs efforts, surtout après la mort de Bonaventura, pour trouver un époux à noire sainte vierge. Dès que celle-ci s’en fut aperçue, et aussitôt que, sous l’inspiration du Seigneur, elle eut découvert les embûches de l’ennemi, elle se mit immédiatement avec plus de soin et de courage à prolonger ses oraisons, à s’appliquer à la méditation et aux œuvres de pénitence, à fuir tout rapport avec les hommes et à montrer aux siens par des signes manifestes qu’elle n’entendait nullement se laisser livrer à un époux corruptible et mortel, alors qu’une grâce si précieuse avait commencé de lui donner dès son enfance, comme immortel Époux, le Roi des siècles.

La tenue, les gestes et les paroles de notre sainte les cheveux, manifestaient clairement ses intentions, et sa persévérance ne se lassait point. Ses parents cherchèrent alors quelque moyen de fléchir son esprit et de la faire consentir à leurs désirs. Ayant fait venir un Frère Prêcheur qui vit encore et était très ami de la famille, ils lui demandèrent avec instance de vouloir bien persuader à Catherine d’acquiescer à leurs volontés. Le religieux promit d’y employer tout son pouvoir. Mais, étant venu trouver la vierge et la voyant inébranlable dans sa résolution, il écouta la voix de sa propre conscience et donna sur ce point à notre sainte un excellent conseil en lui disant: " Puisque vous êtes disposée à vous mettre complètement au service du Seigneur, et que vos parents vous molestent pour obtenir de vous le contraire, montrez-leur la fermeté de votre volonté. Coupez complètement votre chevelure; peut-être alors vous laisseront-ils tranquille? " Elle reçut ce conseil comme venant du ciel, prit aussitôt des ciseaux et coupa joyeusement, au ras de la tête, ces cheveux qu’elle haïssait grandement parce qu’ils lui semblaient avoir été l’instrument de son grave péché. Cela fait, elle couvrit sa tête d’un voile, et commença de marcher ainsi la tête voilée, contrairement à l’usage des jeunes filles, mais conformément à l’enseignement de l’Apôtre (1 Co 11,5). " Dès que Lapa sa mère la vit, elle lui demanda la raison de ce voile inaccoutumé. Notre vierge ne voulant pas mentir et n’osant pas avouer la vérité, murmurait plus qu’elle ne répondait. Lapa, s’approchant alors de sa fille, de ses propres mains enleva le voile, découvrit la tête, et la trouva complètement rasée. A cette vue, blessée au cœur, car ces cheveux étaient très beaux, elle se récria, se lamentant et disant : " Ah! ma fille! qu’as-tu fait? " Mais la vierge remit son voile, et s’en alla. Aux cris de la mère, Jacques et ses fils accoururent, et ayant appris la cause de ces cris ils entrèrent dans une violente colère contre Catherine.

De cette colère sortit une nouvelle guerre plus pénible que la première; mais la victoire accordée par le Ciel à la vierge fut si complète que ce qui paraissait obstacle devint, par une transformation merveilleuse, le secours dont Catherine se servit pour s’unir plus fortement au Seigneur. Ses parents commencèrent donc à l’accabler de dures paroles et de mauvais traitements, l’injuriant, la menaçant et lui disant: " Mauvaise femme! tu crois t’être soustraite à notre volonté en te coupant les cheveux; ils repousseront malgré toi, tes cheveux, et, dût ton cœur en éclater, il faudra bien que tu prennes un mari. Tu n’auras pas de repos que tu n’aies consenti à nos exigences. " Ils décrétèrent, dans la mesure de leur pouvoir, que Catherine n’aurait plus aucune chambre particulière pour s’y retirer, et qu’elle serait occupée tout le jour aux différents services de la maison. Ils pensaient ne lui laisser ainsi aucun lieu et aucun moment pour prier et s’unir à son Époux. Afin qu’elle parût davantage vouée au mépris, ils congédièrent une fille de service et employèrent notre vierge aux lavages de la cuisine. Chaque jour voyait se multiplier contre elle les avanies, les injures et tous les mépris qui sont habituellement le plus sensibles à un coeur de femme. En ce temps-là, ainsi que je l’ai appris, ses parents et ses frères avaient en vue un jeune homme, qu’ils eussent été très heureux d’allier à leur famille. Aussi rendaient-ils de toute façon la lutte plus dure, afin d’arracher à Catherine son consentement.

Mais l’antique ennemi, dont toutes ces méchantes machinations étaient l’œuvre, rendit, avec l’aide de Dieu, notre vierge plus forte, par ces mêmes moyens dont il croyait se servir pour la briser. Rien de tout cela ne l’ébranla. Elle se fit dans son cœur, sous l’inspiration de Esprit-Saint, une cellule bien secrète, d’où elle résolut de ne jamais sortir pour quelque affaire extérieure que ce fût. De la sorte, au lieu d’avoir comme auparavant une cellule extérieure où elle pouvait s’enfermer quelquefois, mais d’où elle devait aussi sortir de temps en temps, il arriva que, s’étant fait une cellule intérieure qu’on ne pouvait lui enlever, elle n’en sortait jamais. Ce sont là de ces victoires du Ciel, dont le fruit ne saurait être ravi, et qui ferment sûrement une âme à Satan. Car Celui qui est la Vérité même nous l’atteste : " Le royaume de Dieu est au dedans de nous. (Lc 12,21) ", et l’enseignement du Prophète nous apprend que toute la gloire de la fille du Roi éternel, lui vient de l’intérieur (Ps 94,14). Au dedans de nous se trouvent sans aucun doute, et notre intelligence avec ses lumières, et notre volonté avec sa liberté, et notre mémoire avec la ténacité de son souvenir. Au dedans de nous, se répand l’onction de l’Esprit-Saint, qui, perfectionnant toutes ces facultés, surmonte et abat tous les obstacles extérieurs. Au dedans de nous, si nous sommes des passionnés du bien, habite l’Hôte divin qui a dit: "Ayez confiance, j’ai vaincu le monde . (Jn 16,33) ".

Confiante en cet Hôte tout-puissant, et avec son secours, notre sainte s’était constitué à l’intérieur une cellule qui n’était pas faite de main d’homme ( 2 Co 5,1) et, et qui la dispensait d’avoir souci de perdre cette cellule extérieure, œuvre de nos mains. Je me rappelle, et il me revient maintenant en mémoire, qu’aux jours où j’étais surchargé d’occupations extérieures, ou bien quand je devais voyager, cette sainte vierge me répétait souvent cet avertissement: "Faites-vous dans l’âme une cellule intérieure, d’où vous ne sortiez jamais. " Je n’avais d’abord qu’une intelligence superficielle de ces paroles; mais maintenant que je les considère plus attentivement, je suis obligé de m’écrier avec l’Evangéliste Jean : " Tout d’abord les disciples ne comprirent pas; mais, quand Jésus fut glorifié, alors ils se souvinrent (Jn 12,16) ". Car c’est merveille de voir, comment nous avons aujourd’hui, moi et tous les autres qui ont vécu avec elle, une intelligence plus nette de ses actes et de ses paroles, qu’aux jours où nous étions à ses côtés.

Mais revenons au point où nous avions laissé notre récit. L’inspiration de l’Esprit-Saint fit imaginer à Catherine un autre moyen de vaincre toutes les injures et tous les mépris. Elle me l’a révélé, alors que je lui demandais comment elle avait pu rester allègre au milieu de tant d’avanies. Elle s’était imaginé, me disait-elle, que son père lui représentait le Sauveur Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa Mère, la très glorieuse Marie, Mère de Jésus, ses frères et autres familiers, les saints Apôtres et les disciples. Cette imagination lui permettait de les servir avec tant de joie et tant de soin que tous en étaient dans l’admiration. Elle trouvait dans cette pensée un autre avantage, celui d’avoir toujours présent à l’esprit pendant son travail l’Epoux qu’elle se figurait servir. Ainsi, tout en étant à la cuisine, elle habitait au Saint des Saints, tout en servant à table, elle nourrissait son âme de la présence du Sauveur. O profondeur des trésors de l’éternel Conseil! Qu’elles sont variées et merveilleuses, ô mon Dieu, les voies par lesquelles vous délivrez des prises de toute angoisse, ceux qui se confient en Vous, pour les conduire entre des abîmes pareils à ceux de Charybde et Scylla. au port du salut éternel.

Ainsi donc, notre sainte, ayant sans cesse les yeux fixés sur la récompense proposée par l’Esprit-Saint à son âme, supportait les injures non seulement avec patience, mais avec joie, et pour que cette joie de l’esprit fût pleine, elle accélérait continuellement sa course dans les voies du ciel. Il ne lui était plus permis d’avoir une chambre particulière, mais elle devait toujours habiter avec d’autres; pour cette raison sans doute, elle choisit avec une sainte habileté la chambre de son frère Etienne, qui n’avait ni femme ni enfants. Là elle pouvait pendant la journée habiter seule en l’absence d’Etienne, et, pendant la nuit, elle profitait du sommeil de son frère pour prier selon ses désirs. C’est ainsi que poursuivant et cherchant jour et nuit le visage de son Epoux, elle frappait sans cesse à la porte du divin Tabernacle. Elle priait sans repos le Seigneur de vouloir bien lui garder sa virginité et chantait avec la bienheureuse Cécile ce verset de David :   " Faites, Seigneur, que mon cœur et mon corps soient immaculés ( Ps 118,80). De la sorte, merveilleusement fortifiée dans le silence et l’espérance, plus elle était accablée de persécutions, plus elle trouvait, dans les grâces et les joies plus abondantes qui la remplissaient à l’intérieur, la dilatation de son âme. Ses frères, voyant sa constance, se disaient entre eux : "Nous sommes vaincus. " Son père, d’un sens plus droit que les autres, considérait en silence les actes de sa fille, et comprenait chaque jour davantage, qu’il y avait dans cette conduite le souffle de Dieu, et non pas un caprice de jeunesse.

Je tiens ce que j’ai raconté dans ce chapitre, de Lapa, de Lysa, belle-soeur de la sainte, et des autres personnes qui habitaient alors la maison, et j’ai appris de la bouche même de Catherine, ainsi que je l’ai dit, ce qu’elle seule pouvait savoir.

   

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