CHAPITRE III

CATHERINE FAIT VŒU DE VIRGINITE. CE QUI LUI ARRIVA JUSQU’À L’AGE DE PUBERTE EXCLUSIVEMENT.

La vertu et l’influence de la vision, racontée au chapitre précédent, furent si grandes, comme je l’ai déjà quelque peu indiqué, que bientôt tout amour du monde fut radicalement, extirpé du coeur de la sainte enfant. Dans son âme s’implanta le saint et unique amour de l’unique fils de Dieu et de la glorieuse Vierge Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est pourquoi tout lui paraissait la plus vile des boues, pourvu qu’elle gagnât seulement le Sauveur lui-même (Phil 3,8). Elle commença à comprendre avec les seules leçons de l’Esprit-Saint qu’elle devait conserver à son Créateur toute sa pureté, pureté du coeur et du corps. Aussi soupirait-elle de tous les désirs de son âme après la pureté des vierges. Elle se prit à considérer, et, Dieu le lui révélant, elle connut avec certitude, que la très sainte Mère de Dieu avait été la première à découvrir ce chemin des vierges, et à vouer à Dieu sa virginité. Elle eut donc recours à Marie pour cette grâce. Dans sa septième année, agissant non pas comme une enfant de sept ans, mais comme une personne de soixante-dix ans, elle délibéra longtemps et avec maturité sur l’émission du vœu de virginité. Elle suppliait continuellement la Reine des vierges et des anges de l’aider miséricordieusement et de daigner lui obtenir du Seigneur cette parfaite direction d’esprit, qui lui permettrait de faire ce qu’il y avait de plus agréable à Dieu et de plus profitable au salut de son âme. Elle présentait continuellement à la Reine des vierges le désir qui lui faisait souhaiter anxieusement de pouvoir mener une vie angélique et virginale. Chaque jour, l’amour de l’éternel l’Epoux devenait plus fervent dans le cœur de cette enfant déjà mûre, il stimulait ardemment son âme, et l’invitait sans cesse à une vie céleste. Tandis que cette très prudente enfant étudiait sagement sa résolution, l’Esprit lui accorda libéralement, par l’accroissement de son désir, ce qu’elle lui avait demandé. Ne voulant point éteindre ce fende l’Esprit, elle choisit, un certain jour, un lieu secret où elle put parler haut sans être entendue; elle prosterna et son corps et son âme, puis, très dévotement et très humblement, elle parla ainsi à la bienheureuse Vierge :  " O bienheureuse et très sainte Vierge, vous avez été la première des femmes à consacrer votre virginité au Seigneur par un voeu perpétuel, et vous avez reçu de lui la grâce insigne d’être la Mère de son Fils unique. Je supplie votre ineffable piété de ne pas regarder mes mérites, de ne pas considérer ma petitesse, mais de m’accorder quand même la grande grâce de recevoir pour époux Celui qu’appellent toutes les fibres de mon cœur, votre Fils, la sainteté même, notre unique Seigneur Jésus-Christ. Je lui promets, ainsi qu’à vous, de n’accepter jamais d’autre époux, et de lui garder, dans la mesure de mes forces, ma virginité perpétuellement intacte. "

Voyez-vous, lecteur, comment la Sagesse, qui dispose tout avec force et suavité, réglait dans notre vierge l’ordre des dons et des œuvres. A l’âge de six ans, la sainte voit des yeux du corps son Epoux qui l’honore de sa bénédiction. A sept ans, elle fait vœu de virginité. Le premier nombre l’emporte on perfection sur le second, mais le second est appelé par tous les théologiens le nombre de la totalité (Sept est un nombre sacré.- Les anciens attachaient une certaine valeur aux significations symboliques des nombres.). Que faut-il entendre par là, si ce n’est que cette vierge devait recevoir du Seigneur la perfection de toutes les vertus, et par conséquent la perfection d’une gloire souveraine. Le premier nombre dit perfection, le second totalité; réunis, ils signifient donc la totalité de la perfection. C’est par conséquent à bon droit, comme nous l’avons vu dans le prologue (Dans le premier prologue que nous donnons à fin du volume.), qu’on a donné à notre sainte le nom de Catherine, symbole d’universalité. Mais voyez aussi, je vous prie, comme son vœu est bien ordonné.

Tout d’abord elle demande pour époux Celui qui aimait son âme ; ensuite elle renonce à tout autre époux promettant au premier une fidélité perpétuelle. Cette prière pouvait-elle être rejetée ? Voyez qui elle invoque, ce qu’elle demande, et comment elle le demande. Elle invoque Celle dont l’acte propre est d’être libérale dans ces bienfaits; Celle qui, ne sachant pas refuser une grâce même aux pécheurs les plus ingrats, n’a jamais repoussé aucun suppliant; Celle qui, ne méprisant personne, s’est constituée la débitrice des insensés comme des sages ; Celle qui ouvre sa main à l’indigent et ne cesse d’offrir ses dons à tous les pauvres ( Pr 21,20 ) 3 ; Celle enfin qui se présente à tous comme une source inépuisable de biens. Comment n’entendrait-elle pas notre innocente et fervente enfant, Celle qui ne refuse pas sa bienveillance aux adultes coupables? Comment n’agréerait-elle pas une promesse de virginité, Celle qui, la première parmi les hommes, trouva cette route de la virginité ? Comment refuserait-elle son Fils à une vierge qui la prie avec tant de cœur, Celle qui a fait descendre (En répondant à l’Ange: " qu’il me soit fait selon votre parole " Lc 1,38 ) ce même Fils du ciel sur la terre pour le donner à tous les croyants?

Vous avez vu à qui notre sainte confiait sa prière, voyez maintenant, s’il vous plaît, ce qu’elle demande. Elle demande précisément ce que Celui qu’elle prie lui a appris à demander. Elle cherche ce que nous devons tous chercher sur l’invitation de Celui-là même qui est l’objet de nos recherches. Une telle prière ne peut être repoussée, à moins que le mensonge ne soit dans la Vérité. Non! elle ne peut être vaine, la demande d’une chose promise avec tant de solennité, " Demandez et Vous recevrez, nous a dit la Vérité incarnée, cherchez et vous trouverez (Mt 7,7) ", et ailleurs : " Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice (Lc 12,31). " Cette enfant demande donc et cherche avec anxiété, en des années si précoces, le Fils de Dieu, qui est aussi lui-même le royaume de Dieu . Comment eût-il été possible qu’elle ne trouvât point ce qu’elle cherchait, et ne reçût pas ce qu’elle demandait !

Et si vous considérez attentivement le mode de sa prière, vous verrez clairement qu’en aucune façon cette prière ne pouvait redescendre sans résultat. Catherine en effet se dispose à recevoir ce qu’elle demande, elle éloigne tous les obstacles, non seulement pour le présent, mais encore pour l’avenir, et revêt pour toujours cette robe de pureté, si agréable à Celui qu’elle prie. Elle s’oblige et se lie devant Dieu par un voeu solennel, afin que ni le monde, ni Satan ne puissent plus mettre obstacle à cette disposition. Que manque-t-il alors aux conditions requises pour que la prière soit nécessairement exaucée (D’après saint Thomas on est toujours exaucé, quand on demande : 1° pour soi; 2° pieusement ; 3° avec persévérance; 4° des choses nécessaires au salut (II ae II ae Quaest. 83, art. 15 ad 2um). ) ? Elle demande pour elle-même, elle demande une grâce de salut, bien plus, elle demande humblement ce salut lui-même et, pour offrir en un seul acte toute la persévérance de sa prière, elle émet un voeu perpétuel qui éloigne tout obstacle à sa demande. O bon lecteur, si vous connaissez les saintes Ecritures, ne pouvez-vous pas conclure de tout ceci, que, nécessairement, la loi éternelle demeurant ce qu’elle est, cette prière devait être exaucée par le Seigneur. Oui, concluez, concluez en toute sécurité, que notre sainte, conformément à sa demande, a reçu l’éternel Epoux des mains de sa très douce Mère, et que, par l’intermédiaire de cette même Mère du Seigneur, elle s’est liée à Lui par le voeu d’une virginité perpétuelle. Plus loin, avec l’aide de Dieu, vous en aurez la preuve manifeste dans un prodige éclatant, rapporté au dernier chapitre de cette première partie.

Vous allez constater maintenant, qu’après l’émission de ce voeu, cette sainte enfant devint chaque jour plus sainte. Si jeune engagée dans la milice du Christ, elle commença à lutter contre sa chair avant que celle-ci eût commencé à se révolter. Elle prit la résolution d’enlever à cette chair toute autre chair, autant du moins que cela lui serait possible. Quand donc on lui servait de la viande, elle la donnait à son frère Etienne cité plus haut, ou bien elle la jetait aux chats, morceau par morceau, de sorte que personne ne s’en aperçût. Elle continuait et multipliait les disciplines dont nous avons parlé, soit seule, soit avec ses compagnes. Puis, nouvelle merveille, dans le coeur de cette enfant, s’allumèrent les premiers feux du zèle des âmes. Elle aimait plus particulièrement les saints qui avaient travaillé à les sauver. Elle apprit du Seigneur, par révélation, que le bienheureux patriarche Dominique avait institué l’Ordre des Frères Prêcheurs pour la défense jalouse de la foi et le salut des âmes. Elle commença dès lors à révérer tellement cet Ordre que, voyant passer dans la rue, devant la porte de sa maison, les Frères Prêcheurs, elle remarquait les lieux où ils posaient le pied, puis, après leur passage, elle baisait avec humilité et dévotion les traces de leurs pas. De là, dans son âme, un grand désir, toujours croissant, d’entrer dans cet Ordre, afin qu’elle pût, avec les autres Frères, être utile aux âmes. Comme son sexe s’y opposait, elle pensa très souvent, ainsi qu’elle me l’a confessé, à imiter sainte Euphrosyne, dont, pendant son enfance, elle avait reçu par hasard le nom. Sainte Euphrosyne en effet, ayant dissimulé son sexe, était entrée dans un monastère de moines. Catherine voulait de même s’en aller dans un pays lointain, où elle fût inconnue, s’y faire passer pour un homme, et entrer dans l’Ordre des Prêcheurs, afin de venir au secours des âmes qui périssent. Le Dieu tout-puissant, qui avait eu d’autres intentions en mettant ce zèle dans l’âme de l’enfant, et voulait accomplir autrement ce désir, ne permit jamais que cette pensée se traduisît par des actes et fût mise à exécution, bien qu’elle fût demeurée longtemps dans l’esprit de la sainte.

Pendant ce temps, le corps de l’enfant croissait avec l’âge, mais bien plus rapide encore était le développement de son esprit. Son humilité grandissait, sa dévotion augmentait, sa foi apparaissait plus lumineuse, son espérance devenait de jour en jour plus forte, la ferveur de sa charité se multipliait. De tout cela résultait une maturité de moeurs qui imposait le respect à tous ceux qui voyaient ses actes. Ses parents en. Etaient dans l’étonnement, ses frères et soeurs dans l’admiration, toute la famille ne savait que penser au spectacle d’une science si grande dans un âge si tendre. Il est si doux de s’arrêter sur ce sujet que je veux raconter ici un fait, que sa mère m’a rapporté, en m’en assurant l’absolue vérité.

C’était entre la septième et la dixième année de l’enfant; sa mère, voulant faire célébrer une messe en l’honneur de saint Antoine, appela sa fille Catherine et lui dit: " Va à l’église paroissiale, demande au prêtre, notre curé, qu’il célèbre ou fasse célébrer une messe en l’honneur de saint Antoine, et offre sur l’autel tant de cierges et tant d’argent. A ces paroles, la pieuse fille, qui exécutait si volontiers ce qui était à l’honneur de Dieu, s’en va de bon cœur et bien vite à l’église. Elle aborde le curé et lui fait la commission de sa mère; mais, charmée d’entendre cette messe, elle y assiste jusqu’à la fin et ne rentre chez elle qu’après l’office divin terminé. Lapa, comptant que Catherine devait revenir aussitôt après l’offrande faite au prêtre, trouva qu’elle tardait beaucoup trop ; aussi, quand elle vit l’enfant, voulant la faire rougir de ce retard, lui dit-elle ce qu’on dit habituellement dans le pays : " Maudites soient les mauvaises langues qui m’assuraient que tu ne reviendrais  pas" ; ainsi disent les gens du peuple à ceux qui sont par trop en retard. La sage jeune fille, entendant ces paroles, se tut d’abord un instant; puis, après quelque temps, elle prit sa mère à part, et, avec beaucoup de gravité, lui dit humblement: " O ma mère, quand j’accomplis insuffisamment ou quand j’excède vos ordres, frappez-moi, pour que je sois plus prudente une autre fois, cela est convenable et juste. Mais, je vous en supplie, ne laissez pas, à cause de mes défauts, votre langue maudire qui que ce soit, bons ou mauvais. Cela ne convient pas à votre âge, et m’est grande affliction de cœur. " Sa mère, l’entendant parler ainsi, admira plus qu’on ne pourrait croire, comment sa petite fille avait su lui donner sagement cette leçon. Elle était tout interdite au spectacle d’une sagesse si grande dans une enfant si frêle et si petite ; mais, n’en voulant rien laisser paraître, elle lui demanda: " Pourquoi es-tu restée si longtemps? " Et Catherine de répondre : " J’ai entendu la messe, que vous m’aviez chargée de demander; quand elle a été dite, je suis revenue de suite et sans m’arrêter nulle part. " Plus édifiée encore, Lapa raconta tout à Jacques son mari, qui rentrait à la maison: " Voilà, lui dit-elle, comment ta fille m’a parlé. " Et Jacques, bénissant Dieu, considérait tout cela sans rien dire.

Ce seul fait, ô lecteur, quoiqu’il s’agisse de petits détails, peut vous montrer comment la grâce de Dieu s’était accrue dans l’âme de cette sainte fille, jusqu’aux années de puberté, dont le chapitre suivant va parler. En finissant celui-ci, je vous avertis que j’ai appris de Catherine elle-même la plupart des renseignements qu’il contient. Je tiens le reste de la mère de notre vierge et des personnes qui habitaient en Ces années-là dans sa maison. 

   

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