Pendant cette persécution,
il arriva qu’un jour la servante du Christ priait avec
plus
de ferveur encore, dans la chambre de son plus jeune frère, dont nous
avons parlé. La porte était restée ouverte, car notre sainte avait reçu
de ses parents défense absolue de s’enfermer. Jacques entra dans cette
chambre pour y chercher, en l’absence de son lus, quelque chose dont il
avait besoin. Une fois entré, il examina avec soin tout l’appartement,
probablement pour trouver ce qu’il cherchait. Il vit alors sa fille,
fille de Dieu plus que de lui, priant à genoux dans un coin. Une petite
colombe blanche comme neige se reposait sur la tête de Catherine. A
l’entrée du père, la colombe, volant un peu plus haut, parut s’enfuir
par la fenêtre de la chambre. A cette vue, il demanda à sa fille quelle
était cette colombe, qui venait de prendre son vol et de s’enfuir .
Catherine répondit qu’elle n’avait vu dans la chambre ni colombe, ni
oiseau quelconque. Jacques n’en fut que plus étonné et il conservait et
méditait toutes cet choses en son cœur.
Au reste, en ce temps-là,
croissait chaque jour dam l’âme de la vierge un désir qui datait de son
enfance ainsi que nous l’avons dit plus haut, mais qui reparaissait tout
renouvelé pour la sauvegarde de son vœu. C’était le désir de recevoir et
de revêtir l’habit de l’Ordre des Frères Prêcheurs, dont le bienheureux
Dominique fut le chef, le fondateur et le père. Jour et nuit, sans se
lasser, Catherine envoyait sa prière frapper aux oreilles de Dieu, pour
que le Seigneur daignât accomplir son désir. Ainsi que nous en avons dit
un mot plus haut, elle avait une grande dévotion à saint Dominique, dont
elle admirait le zèle incomparable et souverainement fécond pour le
salut des âmes. Le Seigneur, dont l’excellence est au-dessus de tout,
voyant comment sa jeune guerrière avait sagement et courageusement
combattu dans la lice, et quelle ferveur elle mettait à lui plaire, ne
voulut pas la priver plus longtemps de l’objet de ses désirs. Pour la
mieux assurer de leur accomplissement, il la consola par la vision
suivante.
La servante du Christ eut un
songe pendant lequel il lui sembla voir plusieurs saints patriarches et
fondateurs de différents Ordres, et, parmi eux, le bienheureux
Dominique. Elle le reconnut facilement, à ce qu’il portait dans ses
mains un lys éblouissant de blancheur, d’une incomparable beauté, qui,
nouveau buisson de Moïse, paraissait brûler sans se consumer. Tous ces
saints, et chacun d’eux, l’engagèrent à choisir, pour augmenter ses
mérites, une de leurs religions, où elle pût donner au Seigneur un
service mieux agréé. Dirigeant alors ses regards et ses pas vers le
bienheureux Dominique, elle vit le saint Patriarche venir aussitôt à sa
rencontre, ayant dans une main l’habit des Soeurs dites de la Pénitence
du bienheureux Dominique, qui étaient assez nombreuses à Sienne. Il
s’approcha d’elle et la consola par les paroles suivantes : " Très douce
fille! aie bon courage! ne crains aucun obstacle, car, très
certainement, tu revêtiras cet habit que tu désires. "
A ces paroles, grande fut
son allégresse; pleurant de joie, elle rendit grâces au Très-Haut et au
glorieux athlète de Dieu, Dominique, qui lui avait donné si parfaite
consolation. Ses larmes la réveillèrent et la rappelèrent à l’usage de
ses sens.
Tout à la fois consolée et
fortifiée par cette vision, l’âme de la vierge puisa dans sa confiance
au Seigneur une telle audace que, le même jour, elle réunit ses parents
et ses frères et leur tint hardiment ce langage " Depuis
longtemps vous parlez et vous négociez, comme vous dites, pour me livrer
en mariage à un homme corruptible et mortel, et moi j’ai pour ce projet
une cordiale horreur. Déjà je vous en ai donné bien des signes, que vous
avez pu facilement comprendre; cependant, à cause du respect que, par
l’ordre de Dieu, je dois avoir pour mes parents, je n’ai pas encore
jusqu’ici parlé clairement. Mais maintenant ce n’est plus le temps de me
taire davantage; je vais donc en toute franchise et simplicité vous
ouvrir mon cœur et vous dire une résolution qui n’est pas nouvelle, mais
que j’ai conçue et en même temps arrêtée dès mon enfance. Sachez donc
que, dès mes premières années, j’ai fait vœu de virginité; et ce n’est
pas là un enfantillage, mais un vœu fait après longue délibération, et
pour de graves motifs, au Sauveur, mon Seigneur Jésus-Christ, et à sa
très glorieuse Mère. Je leur ai promis, qu’en dehors du Seigneur
lui-même, je n’accepterais jamais aucun autre époux. Et maintenant que,
par la grâce de ce même Seigneur, je suis arrivée à une connaissance et
à un âge plus parfaits, apprenez combien ce propos est fermement arrêté
dans mon âme. Les pierres pourraient plus tôt être amollies que mon cœur
arraché à cette sainte résolution. A lutter contre elle, plus vous
multiplierez vos efforts, plus vous perdrez votre temps. C’est pourquoi
je vous conseille de rompre complètement toute négociation au sujet de
mes noces, car je n’entends faire d’aucune façon votre volonté sur ce
point; je dois obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Si donc, dans ces
conditions, vous voulez me garder dans votre maison et m’y traiter comme
votre servante, je suis toute disposée à vous servir joyeusement, comme
je saurai et comme je pourrai. Mais si, à cause de mon refus, vous
décidez de me chasser de votre foyer, sachez encore que cela ne fera
dévier en rien mon cœur de sa résolution. J’ai un Epoux si riche et si
puissant qu’il ne permettra pas que je manque de quelque chose et me
procurera certainement ce qui me sera nécessaire. "
A ces paroles, tous ceux qui
les entendaient fondent en larmes, et au milieu de tant de sanglots et
de soupirs, personne ne peut répondre. Tous ne pensaient qu’à la sainte
résolution de la vierge à laquelle ils n’osaient plus contredire. Ils
contemplaient cette jeune fille jusque-là silencieuse et timide qui, si
hardiment et si sagement, venait d’ouvrir son âme dans des paroles
toutes de prudence. Ils voyaient manifestement qu’elle était prête à
quitter la maison paternelle plutôt qu’à rompre son vœu; dès lors plus
aucun espoir de la marier jamais. Aussi, dans l’émotion de leur cœur,
aimaient-ils mieux pleurer que répondre.
Cependant, après quelques
instants, les larmes cessèrent; le père, qui aimait tendrement Catherine
et craignait Dieu plus encore, se rappelant la colombe qu’il avait vue,
et plusieurs autres actes de sa fille dont son admiration avait gardé le
souvenir, lui fit, dit-on, cette réponse : " Loin de nous, très douce
fille, la pensée de nous opposer en aucune manière à la divine Volonté,
d’où procède ta sainte résolution. Une longue expérience nous a appris,
et nous savons manifestement maintenant, que ce n’est pas une légèreté
de jeunesse, mais la divine Charité qui t’a inspirée. Accomplis
librement ton vœu. Fais ce qui te plaira, et ce que l’Esprit-Saint
t’apprendra. Nous ne voulons plus désormais te détourner de tes saintes
œuvres, ni mettre le moindre obstacle à tes pratiques de vertu. Mais
intercède continuellement pour nous, afin que nous devenions dignes de
l’Epoux que tu as choisi dans un âge si tendre, sous l’inspiration de sa
grâce. "
Puis, se tournant vers sa
femme et ses fils, il leur dit : " Que personne désormais ne moleste ma
très douce fille, que personne n’ose en rien la gêner, laissez-la servir
librement son Époux, et prier sans cesse pour nous. Nous ne trouverons
jamais d’alliance comparable à celle-là, et nous n’aurons pas à nous
plaindre, si, au lieu d’un homme mortel, nous recevons un Homme-Dieu,
immortel. " Après cela, malgré les gémissements des assistants, et
surtout de Lapa, qui avait pour sa fille une affection trop charnelle,
notre sainte, exultant dans le Seigneur, rendit grâces à son très
victorieux Epoux, qui venait de la conduire au triomphe. Elle remercia
ses parents le plus humblement qu’elle put, et se disposa de tout son
cœur à user de la permission si avantageuse qui venait de lui être
concédée.
Finissons ici ce chapitre et
sachez, lecteur, que je n’ai pas appris du père même de Catherine la
vision de la colombe, Il était déjà dans l’autre monde, quand je connus
pour la première fois la sainte. Mais plusieurs parents de la vierge,
habitant sa maison, m’ont dit avoir entendu Jacques lui-même la
raconter. Ils disaient même que cette vision s’était souvent répétée.
Aussi Jacques avait-il sa fille en grand respect, ne permettant pas
qu’on la troublât d’aucune façon. Je n’ai pas été aussi loin dans mes
affirmations, afin d’éloigner davantage de mes dires toute erreur,
autant que je le puis. La sainte a raconté au confesseur qui m’a précédé
aussi bien qu’à moi la vision du bienheureux Dominique. Quant aux
paroles adressées à ses parents et à ses frères, elle me les a
rapportées et exposées tout au long et en ordre, alors que je lui
demandais ce qu’elle avait fait au milieu de ces persécutions.