CHAPITRE 43.

NOUVELLE CONFIRMATION DES RÈGLES ET DE L'INSTITUT.

Le vénérable père continuait à dire la sainte messe et à se tenir une partie du jour hors du lit, assis près de sa petite table; on peut dire toutefois que depuis la grande maladie qu'il fit à l'hospice du crucifix, il vivait dans un état permanent d'infirmité. Ses douleurs de tout genre, sa faiblesse, sa difficulté à prendre la nourriture, étaient, avec son grand âge, autant d'indices qu'il ne lui restait plus longtemps à vivre. Mais plus le corps allait s'affaiblissant, plus il témoignait de vigueur d'esprit et d'ardeur à s'unir parfaitement à Dieu; il se préparait à la mort par l'exercice continuel de toutes les vertus et surtout d'une humilité profonde. Toute sa vie, cette vertu lui avait été chère; c'était sur elle, comme sur un fondement solide, qu'il avait bâti l'édifice de sa perfection ; mais jamais peut-être on ne la vit briller en lui avec plus d'éclat que dans les derniers temps. Il semblait faire tourner toutes choses au profit de l'humilité : le besoin qu'il avait du secours d'autrui à cause de ses infirmités, l'impossibilité de suivre l'observance, les dispenses dont il devait user, tout cela l'humiliait beaucoup; il se regardait comme un homme inutile, à charge, et d'un mauvais exemple. S'il entretenait quelqu'un en particulier, s'il faisait une exhortation à la communauté, autant il témoignait d'estime pour autrui, autant il souhaitait qu'on le tînt pour un homme de rien, un ignorant, un misérable. Croyait-il avoir occasionné du déplaisir à quelqu'un? il en demandait humblement pardon. Un jour, c'était peu de temps avant qu'il se mit au lit pour ne plus le quitter, il s'était rendu à la sacristie, pour s'entretenir en secret avec une personne pieuse. Un frère laïc s'y trouvant, il lui dit de sortir; mais comme celui-ci n'obéissait pas et continuait de rester fort mal à propos, l'homme de Dieu lui dit, mais sans la moindre humeur: «Mais, mon frère, je vous ai dit de quitter, parce que j'ai à causer avec cette personne»! Comme si, en parlant ainsi, il avait commis une grande faute et qu'il eût offensé ce frère, il éprouva tant de regret, que plus d'une fois il lui demanda humblement pardon, les yeux baignés de larmes, lui disant: «Mon frère, si je vous ai offensé, pardonnez-moi pour l'amour de Dieu». Il ne se serait pas si facilement apaisé, si le frère ne l'avait assuré à plusieurs reprises, comme il était vrai, que loin d'avoir été offensé, il était plutôt coupable pour n'avoir pas obéi à son supérieur et son père. Voilà à quel point le père Paul craignait de causer du déplaisir aux autres par ses misères et ses manières inconvenantes, selon qu'il les appelait. Le mépris qu'il faisait de lui-même était devenu tel qu'il dit en ce temps à une personne pieuse, le cœur tout pénétré et versant un ruisseau de larmes : «Qui sait si demain vous me trouverez ici? Je crains que le Seigneur ne commande à la terre de m'engloutir». Il se regardait comme un être insupportable à Dieu.

C'est ainsi que cet homme saint et parfait se préparait à terminer sa carrière; il s'abîmait de plus en plus dans l'humilité, afin d'obtenir du Seigneur qui donne sa grâce aux humbles, la grâce qui couronne toutes les autres, c'est-à-dire, la sainte persévérance. C'est ainsi qu'il se préparait à mourir d'une mort paisible, en embrassant le divin Rédempteur qui a daigné s'humilier et s'abaisser si profondément pour nous.

Quel que fût l'épuisement de ses forces, il ne cessa de veiller au bien de la congrégation dont il était le fondateur et le père. Jusque dans les derniers temps, il s'occupa avec zèle de son avancement et ne négligea rien pour assurer l'exacte observance des règles. II voulut de nouveau les réviser à tête reposée. Il en lisait une partie à la fois, priant le Seigneur de lui accorder ses lumières et lui demandant avec plus d'instance que jamais de lui faire connaître sa sainte volonté. Il recourrait à l'intercession des Saints et se recommandait jour et nuit aux saints fondateurs d'ordres pour obtenir plus sûrement l'assistance dont il avait besoin. Il disposa ensuite, avec le conseil de quelques religieux plus anciens, les points qui devaient être traités dans le prochain chapitre général. Son désir était que les limites de l'observance fussent fixées de telle manière, qu'après sa mort, on pût dire avec raison à quiconque aurait entrepris de les changer : «Ne transgrediaris terminos antiquos, quos posuerunt patres tui. Ne dépassez pas les anciennes bornes que vos pères ont posées» (Pr 22,28). Quelques jours avant la réunion du chapitre, il donna audience à chacun, et comme un tendre père, il leur fit toutes ses recommandations. S'adressant aux recteurs des retraites, il leur recommanda avec instance la plus tendre charité envers leurs inférieurs. Il voulait qu'on les encourageât de la sorte à s'appliquer de leur mieux à la perfection. Il assista ensuite au chapitre général qui se tint dans le cours du mois de mai. Il y fit paraître toute sa présence d'esprit et la sagesse de son zèle. II ne se lassait pas de recommander aux pères capitulaires de prendre toutes les mesures pour choisir un supérieur capable de gouverner saintement la congrégation. Ayant découvert qu'on avait obtenu un rescrit apostolique pour le confirmer de nouveau dans sa charge, il représenta, avec le plus vif sentiment d'humilité, son impuissance et son incapacité ; il leur fit une peinture exagérée de ses défauts et de ses misères, ajoutant qu'il ne croyait pas en conscience pouvoir accepter cette charge. Mais comme il ne se conduisait jamais par ses propres lumières, il avait consulté là-dessus son directeur. Celui-ci, pour le tranquilliser, lui dit  sagement que, si on le confirmait de nouveau, il exposât avec candeur les motifs pour lesquels il croyait ne pouvoir accepter, et qu'ensuite, il s'en remit au jugement des pères capitulaires, qui serait pour lui l'expression de la volonté de Dieu. L'humble serviteur de Dieu se soumit en enfant docile, et se régla en tout d'après l'avis de son directeur. Tous ceux qui avaient voix au chapitre, étant réunis, le vénérable vieillard parut, porté sur un fauteuil, car il était hors d'état de marcher, et dans l'attitude la plus humble, une corde au cou, comme s'il avait mérité l'échafaud, tout baigné de larmes; il s'accusa ensuite avec une profonde humilité des fautes qu'il avait commises dans son gouvernement, en demanda instamment pardon à Dieu et aux pères capitulaires, et pria ceux-ci de lui imposer une sévère pénitence. Ce spectacle, comme on se le figure bien, édifia et attendrit tous les pères. On procéda au scrutin et le bon père fut réélu à l'unanimité. Ce résultat faillit le faire tomber en syncope. Il pria, il supplia, pour qu'on voulût bien le dispenser, convaincu qu'il était un homme rempli de misères et de défauts. Il leur dit du ton le plus pénétré qu'il renonçait à cette charge et qu'il ne croyait pas en conscience pouvoir l'accepter à cause de son incapacité. Mais les pères lui répondirent avec un amour et un respect tout filial, que puisqu'eux-mêmes avaient cru en conscience pouvoir le choisir, lui de son côté pouvait acquiescer en toute sûreté à leur choix. L'humble père craignant de s'opposer à la volonté divine, se soumit. Il adressa ensuite un discours touchant aux capitulaires et à la communauté. II commença par leur dire: «Je déplore, mes frères bien-aimés, votre malheur»; il poursuivit au milieu des sentiments d'une profonde humilité et d'une charité toute cordiale; après quoi, les embrassant tour à tour, à mesure qu'ils venaient lui prêter obéissance, il termina par leur donner sa bénédiction paternelle. Avant la clôture du chapitre, il ordonna que tous les membres du chapitre général et des chapitres provinciaux examinassent avec soin les règles en assemblée particulière, et qu'ensuite chacun dît ce qui lui semblait le plus expédient selon Dieu pour en maintenir et en perpétuer la fidèle observance. Pour la lecture des règles, il fallut employer, pendant plusieurs jours, quelques heures tant de la soirée que de la matinée, et le vénérable père se trouvait tout épuisé de force ; il souffrit cependant toutes ces incommodités pour le bien de ses enfants et l'avantage de la congrégation. Quand les religieux, députés par le père Paul avec le consentement du chapitre, eurent mis les règles en bon ordre, on les soumit à Sa Sainteté le pape Pie VI, pour qu'il voulût bien les approuver. Le pontife, les ayant fait examiner avec soin par les cardinaux Delle Lanze et De Zelada, daigna les confirmer par la bulle : «Proeclara virtutum exempla», datée du 15 de septembre, jour de l'octave de la Nativité de la sainte Vierge, de l'année 1775. On fit enfin la clôture de ce chapitre, le dernier auquel assista le vénérable fondateur. En le terminant, il exhorta chaleureusement tous les religieux à conserver une paix et une charité inviolables entre eux et à garder comme un trésor le recueillement intérieur. Il insista encore plus là-dessus, en s'adressant aux supérieurs qui, obligés par devoir, de corriger les défauts des autres, en ont un plus grand besoin. Il leur recommanda de n'user de correction qu'avec une intention droite, un esprit serein et un coeur tranquille, penchant plutôt vers la mansuétude et la douceur que vers la rigueur et la sévérité. Ainsi le père fondateur mit fin à son dernier chapitre général, en inculquant avec force la pratique de la sainte charité, qui renferme l'abrégé et la perfection de toute la loi.

   

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