CHAPITRE 42.

LE PÈRE PAUL OBTIENT DU SOUVERAIN PONTIFE LA MAISON DES SAINTS JEAN ET PAUL.

Le serviteur de Dieu fut retenu au lit pendant dix-huit mois par sa maladie. Il l'avait soufferte avec beaucoup de patience et de résignation, et en même temps qu'elle avait été pour lui comme ce creuset où l'or se purifie, elle l'avait de plus en plus disposé à recevoir de nouvelles grâces du Seigneur. Dieu en effet se plaît à se communiquer à ceux qui profitent bien de ses visites et se préparent avec soin aux grâces nouvelles qu'il leur destine.

Le vénérable père commença donc vers la Semaine Sainte de l'année 1772, à se lever un peu; et soutenu par les infirmiers, appuyé sur ses béquilles, il se rendait, bien qu'avec peine, jusqu'à la chapelle, pour faire la sainte communion. Ayant repris quelques forces, il voulut célébrer la sainte messe le jour de la Fête-Dieu. II souffrit beaucoup pour la dire, mais aussi sa consolation fut grande. Il eût volontiers continué à la célébrer chaque jour, mais la faiblesse de ses nerfs ne lui permettant pas de se tenir debout, il fut contraint de la laisser. L'été lui ayant été favorable, sa santé fit quelques progrès; il recommença à célébrer, le jour du glorieux saint Bernard, et il continua ainsi pendant longtemps à le faire chaque jour de très bon matin. Dés qu'il en fut en état, il voulut aller aux pieds du souverain Pontife. Jusque là, il n'était point encore sorti de la maison. Sa Sainteté étant de retour de la campagne, il résolut de se rendre à l'improviste au palais apostolique. Le pape apprenant l'arrivée du père Paul, en fut surpris, et l'ayant fait introduire aussitôt, il tressaillit de joie en le revoyant. Le serviteur de Dieu se retrouvant en présence du souverain Pontife, lui dit avec un profond sentiment de respect et de reconnaissance : «Saint-Père, si je suis encore en vie, après Dieu, c'est à Votre Sainteté que je le dois. J'ai eu grande confiance dans son ordre, et le Seigneur vous a exaucé». On ne peut exprimer quelle fut la satisfaction du pape en entendant de la bouche même du père Paul, la manière merveilleuse dont il avait été guéri. Il le tint assis auprès de lui et lui parla avec une rare bonté et en confidence. Il eût désiré prolonger l'entretien, mais comme c'était un jour d'audience, il dut, à son grand regret, se priver de cette consolation, et il congédia le père Paul avec toute sorte de témoignages d'affection.

Cependant Clément XIV avait toujours présente à l'esprit la pensée de doter la pauvre congrégation de la passion d'une retraite et d'une église convenable. Il allait de nouveau partir dans l'année 1773 pour la campagne. Le père Paul avait envoyé le procureur général pour le complimenter à cette occasion. Dans le cours de l'audience, Sa Sainteté lui demanda si le père Paul n'avait pas eu un frère appelé Jean, qui avait été son compagnon dans la vie religieuse. Le père Procureur répondit qu'en effet on le nommait ainsi et qu'il avait tenu fidèle compagnie au père Paul jusqu'à sa mort. Le souverain Pontife reprit alors en ces termes : «Joannes et Paulus, Jean et Paul», et n'en dit pas davantage pour le moment. A son retour de la campagne, il admit le père Paul à son audience, et, toujours aussi bienveillant, il lui donna les plus grandes marques d'attachement et lui exprima le désir qu'il avait de le consoler au plus tôt. En effet, après diverses négociations, Sa Sainteté voulut bien ordonner qu'on laissât au père Paul et à ses religieux l'église des Saints-Jean-et-Paul et la maison qui y est contiguë, au mont Celio. Cette maison était occupée par les prêtres de la congrégation de la mission. On les transféra au noviciat de Saint-André à Monte Cavallo. En conséquence, le 9 décembre 1773, après les premières vêpres de la translation de la sainte maison de Lorette, vers la vingt-unième heure du jour, on prit possession de la maison des Saints-Jean-et-Paul. Le père Paul avec ses religieux passèrent du petit hospice à la basilique de ces saints martyrs. Y étant arrivés, ils adressèrent de très humbles actions de grâces à la Bonté divine. Peu après, on récita complies, et dès lors on commença à faire les offices du jour et de la nuit dans cette pieuse basilique, et on habita la maison qui y est jointe. Le père Paul conçut la plus vive reconnaissance envers le vicaire de Jésus-Christ pour un si grand bienfait. On en jugera par la lettre qu'il adressa à Sa Sainteté, dès qu'il sut qu'elle lui avait accordé l'église et la maison.

«Très Saint Père!

«Pendant que je bénis, que, je loue, glorifie et remercie la divine Miséricorde pour l'heureux retour de Votre Sainteté à sa résidence apostolique, je ne puis m'empêcher de me prosterner le front dans la poussière pour lui rendre des actions de grâces infinies de ce qu'elle a daigné, avec tant de charité, nous assigner pour demeure l'église et la maison des saints Jean et Paul. Je me réjouis en Dieu de ce que Votre Sainteté fonde dans cette métropole du monde une maison où l'on fera continuellement mémoire de la passion de notre Rédempteur. Cette fondation sera pour toute l'Église un monument éternel de la piété et du zèle avec lesquels votre Béatitude a cherché à propager la dévotion à cette même passion, afin que tous la pratiquent jusqu'à la fin des siècles.

Pour moi, très Saint-Père, je me trouve beaucoup mieux. Bien que je ne puisse me tenir longtemps debout à cause de la faiblesse et des douleurs de nerfs, je fais tous mes efforts pour célébrer chaque matin. Je n'ai que quelques pas à faire jusqu'à la chapelle de ce pauvre hospice où nous demeurons encore. Outre les prières que j'adresse jour et nuit au Très-Haut pour Votre Sainteté, je prie aussi à l'autel, et, ce me semble, avec plus d'efficacité. Là, je ne puis m'empêcher de placer le cœur de Votre Sainteté dans le sang précieux de Jésus-Christ, au moment où je mets la sainte parcelle dans Ie calice. Je désire qu'il soit tout arrosé de ce sang divin afin qu'il produise de plus en plus les fruits de la vie éternelle pour les fidèles de Jésus-Christ. Plus que jamais j'espère, avec grande consolation pour mon pauvre cœur, que le Très-Haut couvrira Votre Sainteté de sa protection et que la très sainte Vierge ne manquera pas de la tenir étroitement serrée et renfermée dans son sein très pur».

Voilà comment le Seigneur consola son serviteur de toutes les peines qu'il avait souffertes en d'autres temps, pour tâcher d'obtenir un établissement à Rome. Voilà comment il le récompensa de cette vive confiance qui lui faisait dire plusieurs années auparavant : «Après des démarches qui ont duré presque une année entière, nous sommes en possession d'un hospice à Rome. Dans quelques jours j'y conduirai trois prêtres savants, pieux et excellents ouvriers.... J'estime que cet hospice de Rome, qui est au voisinage de Saint Jean de Latran est comme un grain de sénevé. La divine Majesté le sème maintenant dans la ville sainte; mais j'ai une vive confiance qu'elle en fera sortir un grand arbre qui portera des fruits». Ces paroles étaient une véritable prophétie. Nous venons de voir comment elle s'est vérifiée. Nous nous réservons d'y revenir plus tard.

Le serviteur de Dieu ne négligea rien pour établir une exacte observance avec la pratique fervente des vertus dans la retraite des Saints Jean et Paul. Il nomma le nouveau recteur avant les fêtes de Noël. Lui-même voulut officier la nuit de cette fête et chanta la messe solennelle avec tant de componction et de piété, qu'il tira des larmes de tous les yeux. Il éprouvait beaucoup de fatigue et de peine à se tenir debout, mais excité par sa dévotion envers les mystères adorables du Sauveur, il voulut encore officier le jour de l'Epiphanie. A l'occasion des saintes fêtes de Noël, il réunit tous les religieux dans sa chambre et il leur fit un discours de piété. Il prit pour texte les paroles de l'apôtre saint Paul : «Rogamus vos, fratres, ut operam detis, ut quieti sitis, et vestrum negotium agatis. Nous vous prions, mes frères, de faire en sorte d'être en paix, et de vous occuper de votre devoir». Désirant que ses religieux servissent le Père céleste dans un véritable esprit de sainteté, il les exhorta vivement à conserver entre eux une paix et une charité inviolables et à s'appliquer de toutes leurs forces à leur perfection.

De temps en temps il faisait d'autres exhortations à la communauté, surtout au retour des solennités. Elles étaient toujours pleines d'onction, et les religieux en retiraient beaucoup de fruit et de consolation.

Une longue expérience lui avait appris que les jeunes gens sont comme des plantes délicates qui exigent une culture plus assidue. C'est pourquoi le vénérable père mandait auprès de lui, tantôt l'un, tantôt l'autre des jeunes étudiants qui étaient dans la maison; il assistait à leur conférence spirituelle, et comme un père plein de tendresse, il donnait à chacun les avis les plus opportuns, afin que tous devinssent des hommes d'oraison et de vrais serviteurs de Dieu. Il tâchait ainsi de graver dans leurs cœurs les véritables maximes de la vertu et la vraie méthode de l'oraison.

La semaine sainte approchait. Le père Paul se sentait mieux. On devait s'attendre à le voir célébrer des offices dans lesquels son âme trouvait des délices si précieuses. II voulut donc faire la bénédiction des rameaux, bien que sa grande faiblesse le fit beaucoup souffrir. Le Jeudi Saint, il ne manqua pas de faire à la communauté le discours qu'il lui adressait chaque année, autant que possible. Dans ce discours où on le vit tout recueilli en Dieu, il admira l'immense amour que Jésus nous a témoigné dans l'institution de l'adorable Eucharistie. Il termina en montrant la manière de célébrer dignement et avec fruit les saints offices, et de faire, selon son expression, les obsèques et les funérailles de notre divin Rédempteur. Ses paroles étaient si pleines de piété et d'amour, qu'elles tirèrent des larmes abondantes des yeux de ses auditeurs. Il célébra la sainte messe avec une dévotion extraordinaire; puis, quand il en vint à porter son bien- aimé Seigneur au Saint Sépulcre, oh! alors, il répandit un torrent de larmes, et son cœur parut se consumer d'amour et de compassion pour son bon Jésus. L'abondance de ses larmes fut telle que l'huméral en fut tout mouillé. La même chose eut lieu le jour suivant, qui était le Vendredi Saint. Enfin, pour tout dire en peu de mots, il passa ces saints jours, tout pénétré d'amour et de douleur et tout occupé à compatir à son amour crucifié.

Le serviteur de Dieu continua ainsi à se lever chaque jour, à célébrer la sainte messe, à s'entretenir plusieurs heures, assis dans sa chambre, soit à prier, soit à lire, soit à conférer de choses utiles. Le jour de la fête des saints Patrons de la basilique, Sa Sainteté daigna venir visiter l'église des Saints Jean et Paul. Il y fut reçu par le père Paul et par toute la communauté, en surplis, comme il convenait. Quand le Pontife eut satisfait sa piété, il voulut bien entrer au couvent. Le père Paul, joyeux de voir le vicaire de Jésus-Christ dans la nouvelle retraite, lui dit, avec sa vivacité et sa piété ordinaire, les paroles de l'évangile : «Hodie salus domui huic facta est. C'est aujourd'hui le jour du salut pour cette maison». Le Saint-Père ayant été introduit dans une salle où l'on avait dressé un trône, eut l'extrême bonté d'admettre au baisement des pieds les religieux et une foule d'ecclésiastiques et de séculiers qui se trouvaient dans la maison. Après cela, Sa Sainteté passa dans la pièce contiguë à la salle, et là, s'entretint longtemps en secret avec le père Paul. A son départ, elle daigna témoigner la plus grande satisfaction, et dit que c'était là véritablement une maison de serviteurs de Dieu.

Le père Paul répondait aux bienfaits incessants du Pontife par l'amour le plus ardent, et la plus tendre reconnaissance. Jour et nuit il priait pour lui, et ce ne fut pas sans en ressentir un profond chagrin, qu'il apprit la nouvelle de sa mort prochaine. Il eût certainement désiré avoir la consolation d'être tout près d'une personne qu'il aimait si tendrement et qu'il vénérait du fond de son cœur, ou du moins lui faire visite dans ses derniers moments. Il en fut empêché par une grave indisposition qui lui survint dans la nuit même du 24 septembre, jour où le Saint-Père passa à une vie meilleure, vers la treizième heure. Quand il eut appris la mort du pape, le pauvre vieillard en fut vraiment inconsolable. Il ne pouvait étancher ses larmes, et il ne trouva de paix et de force que dans la volonté divine, dans laquelle il avait coutume de considérer tous les événements. Il fit écrire aussitôt à tous les supérieurs locaux, pour qu'on fît des funérailles solennelles et des prières pour l'âme de ce grand Pontife qui avait fait tant de bien à toute la congrégation. Pour lui, pendant tout le temps que dura l'office et la messe solennelle dans l'église des Saints Jean et Paul, on le vit pénétré de douleur, d'amour et de reconnaissance, prier continuellement, assis au pied du catafalque, parce qu'il ne pouvait se tenir debout. Après cette perte, il se regardait comme un orphelin qui a perdu sort père. Mais, plus touché encore des grands besoins de l'Église privée de son chef visible, il priait sans relâche et faisait prier pour l'élection d'un nouveau pape, d'un pasteur qui fût saint et rempli de l'esprit de Dieu. Le Seigneur daigna consoler l'Église en lui donnant un Pontife selon son cœur dans la personne de son éminence le cardinal Braschi qui prit le nom de Pie VI. Cette heureuse nouvelle donna au père Paul une consolation indicible. Connaissant les grandes vertus et les rares qualités du nouveau Pontife, il conçut la plus vive espérance qu'avec l'aide du Seigneur, sa parole et son exemple répandraient partout une lumière céleste, et que son autorité, unie à d'éclatantes vertus, serait d'un grand secours pour l'Église universelle. Le serviteur de Dieu ne se trompait pas. Dès les premiers jours qui suivirent son élection, le Saint Pontife fit connaître quelles étaient l'ardeur et la pureté de son zèle. Tout le monde comprit qu'il n'avait rien de plus à cœur que la gloire de son Dieu et le bien du troupeau de Jésus-Christ qui lui était confié.

Le père Paul espéra aussi que le nouveau Pontife serait favorable à la congrégation naissante, et à cet égard encore, le Seigneur lui donna de grandes consolations. Peu de temps après son élection, c'est-à-dire le premier dimanche de Carême, le Saint-Père alla visiter le Saint-Sacrement qui était exposé dans la basilique des Saints Jean et Paul, à l'occasion des prières de quarante heures. Il voulut bien alors entrer dans le couvent et visiter le père Paul infirme, dans sa pauvre cellule. Bel exemple de bonté, de charité et d'humilité, vraiment digne du vicaire de Jésus-Christ qui fut le plus humble, le plus affable et le plus aimant de tous les hommes.

   

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