CHAPITRE 41.

FONDATION DU MONASTÈRE DES RELIGIEUSES DE LA PASSION DANS LA VILLE DE CORNETO.

La congrégation de la passion de Jésus-Christ comptait déjà douze maisons ou retraites pour les hommes. Grâce à la Bonté divine, la règle y était en pleine vigueur. On y priait sans relâche pour que le Seigneur voulût bien répandre son esprit sur le monde chrétien, et inspirer à tous une foi vive et une ardente charité, afin qu'en contemplant le divin Rédempteur crucifié pour nos péchés, les fidèles apprissent à verser des larmes de douleur et de compassion sur sa mort cruelle. On y sollicitait en un mot l'accomplissement de la prophétie de Zacharie : «Effandam super domum David, et super habitatores Jerusalem spiritum gratiae et precum, et aspicient ad me, quem confixerunt, et plangent. Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem l'esprit de grâce et de prières, et ils tourneront les yeux vers moi qu'ils ont percé, et ils verseront des larmes» (Za 12,10). Il semblait convenable qu'il y eût aussi quelque monastère où de pieuses femmes, consacrées à Dieu par les voeux et retirées du monde, pussent se vouer de leur côté à ce saint exercice, c'est-à-dire, à contempler la passion de Jésus-Christ, à compatir à ses souffrances, à pleurer jour et nuit la mort de l'Homme des douleurs. «Et planget terra... et mulieres seorsum. La terre pleurera, dit encore Zacharie, et les femmes pleureront à l'écart» (Za 12). Il convenait donc qu'il y eût des religieuses marquées au coeur du sceau de la passion et destinées à exprimer dans toute leur conduite la vive image de leur Époux crucifié; des âmes ferventes, étroitement unies au Sauveur, dont l'occupation serait de le prier sans cesse d'attirer à lui les regards et le cœur de tous les hommes; des âmes enfin qui, à cet apostolat de la prière, joindraient encore celui de leurs saints discours et surtout de leurs exemples, afin de propager la dévotion envers la passion et la mort de Jésus-Christ. Nous allons dire de quelle manière la Providence conduisit le père Paul à la pensée et à l'exécution de ce dessein.

Déjà nous avons parlé en divers endroits du monastère des Passionistines. Pour en faire l'histoire complète, nous rassemblerons ici les détails épars çà et là, et remontant à l'origine de cette sainte institution, nous verrons comment la Bonté divine l'a conduit à sa perfection.

Dès les premières années de rétablissement de la congrégation, une sainte âme que le père Paul dirigeait eut une lumière spéciale du ciel au sujet de ce monastère. Cette personne se nommait Agnès. Le père Paul la porta à un parfait détachement de toutes les choses du monde pour s'unir au souverain Bien, et elle profita si bien de sa direction que le serviteur de Dieu disait après sa mort : «Je désirerai qu'il y eût une plume savante et pieuse qui entreprit d'écrire la vie de la grande servante de Dieu, Agnès de la Croix de Jésus.... Cette grande âme apprit donc par révélation que le père Paul aurait fondé un monastère pour les religieuses de l'institut de la passion. Mais le serviteur de Dieu qui, dans la direction des âmes, procédait toujours avec une extrême prudence, pesant toutes choses dans l'exacte balance du sanctuaire, ne voulut pas approuver de suite et en aveugle une semblable révélation ; il parut même en faire peu de cas, d'autant plus qu'il voulait tenir dans une humilité profond une âme qu'il savait appelée à une haute perfection. Cependant il pria beaucoup, afin de connaître la sainte volonté de Dieu. Le résultat fut de le convaincre, qu'en effet c'était le bon plaisir de sa Majesté divine qu'il y eût un monastère de l'institut. On le voit par ce qu'il écrivait le 18 juin 1749, à une  autre grande âme qu'il dirigeait aussi. «Qui sait, lui mandait-il, quand il plaira à la divine Majesté de commencer l'œuvre des religieuses. Je la désire paisiblement.... Dieu veut être prié. C'est là une œuvre qui doit être le fruit de l'oraison».

Plusieurs années après, les règles de la congrégation de la Passion ayant été approuvées et fixées, et plusieurs maisons ou retraites étant déjà établies, le Seigneur inspira au sieur Dominique Constantini de Corneto, au chanoine dom Nicolas son frère et à la dame Lucie, épouse de Dominique, de fonder dans leur pays un monastère qui serait soumis au père Paul de la Croix, fondateur de la congrégation des Clercs Déchaussés de la Passion, et observerait les règles qu'il aurait jugé à propos de lui donner. Ils communiquèrent leur dessein an père Paul, et le serviteur de Dieu sachant que cette œuvre plairait beaucoup au Seigneur, loua leur pieuse résolution qui n'avait d'autre but que la gloire de Dieu. Il les anima à poursuivre l'entreprise et leur promit la bénédiction du ciel. Ces généreux bienfaiteurs songèrent donc sérieusement à mettre la main à l'oeuvre. On chercha un emplacement convenable et après quelque divergence de vues, les deux époux et le digne chanoine dom Nicolas convinrent de l'endroit. Ce ne fut pas, à ce qu'ils témoignèrent eux-mêmes, sans un mouvement spécial du ciel. L'endroit choisi est celui-là même où se trouve maintenant le monastère. Il y avait là quelques maisons qui leur appartenaient; mais comme elles ne suffisaient pas pour la fondation projetée, ils en achetèrent une autre qui était contiguë, et obtinrent secrètement de leur évêque, monseigneur Xavier Justiniani, homme de beaucoup de zèle, de piété et de sagesse, l'autorisation dont ils avaient besoin pour cette fondation. L'achat conclu, on commença à démolir les maisons. En démolissant un mur, on vit tomber un ancien tableau représentant la sainte Vierge, qu'on y avait attaché et qui était caché par un autre mur. Le maçon n'y prenant pas garde, fit tomber le mur et mit la sainte image en pièces. La Providence permit toutefois que la tète et le buste demeurassent intacts, de manière qu'on put décemment l'exposer à la vénération. C'est cette image même qu'on voit à présent sur l'autel de l'église du monastère et qu'on y vénère d'un culte particulier.

Le serviteur de Dieu éprouvait beaucoup de joie, en voyant avec quel zèle les pieux fondateurs commençaient les constructions, malgré les difficultés et les traverses. II écrivait à cette occasion à une personne pieuse : « Nous voulons faire un monastère d'âmes généreuses et saintes, mortes aux créatures et qui ressemblent en fait de vertu et de mortification à Jésus souffrant, et à la Mère des douleurs. La sainte Vierge sera l'abbesse du monastère».

Les pieux fondateurs eurent beaucoup à souffrir, pour conduire à bonne fin l'entreprise. Comme il arrive d'ordinaire dans les œuvres de Dieu, ils rencontrèrent de grands obstacles. A peine eut-on soupçon de leur dessein, que, s'il fut approuvé des gens de bien, il ne manqua pas non plus de libertins pour se moquer de l'entreprise et de leurs auteurs. Ajoutez à cela les pertes sensibles que Dominique essuya dans ses récoltes et qui l'obligèrent à interrompre le travail. Cette circonstance servit de prétexte à beaucoup de gens pour le censurer et se moquer de lui. Cependant le père Paul qui était fort aimé et respecté de Dominique, l'encourageait en lui écrivant : «Que le seigneur Dominique s'arme de plus en plus d'une grande confiance en Dieu ; qu'il ne se laisse pas épouvanter par les difficultés; Dieu lui fera voir des prodiges. Qu'il ait donc un cœur magnanime et généreux; qu'il se mette à l'œuvre avec humilité et pureté d'intention dans la seule vue de glorifier Dieu et de préparer un asile aux pures colombes du crucifix, afin qu'elles y portent le deuil de sa passion et qu'elles oignent ses plaies divines avec le baume de leurs larmes. Oh! Quelle grande œuvre ! Oh! Quelle grande œuvre ! Remerciez Dieu qui vous a choisi pour une œuvre qui doit tant le glorifier, et tenez-vous, en sa divine présence, humilié et anéanti, vous écriant : «Substantia mea tanquam nihilum ante te». Dominique encouragé par ces saints avis, reprit le travail et continua avec tout l'empressement possible la construction du nouveau monastère, pendant que de sen côté le père Paul pensa à lui donner des constitutions qui en fissent un véritable sanctuaire.

Les constructions avançaient, et les constitutions s'élaboraient en même temps avec beaucoup de maturité et dans la prière. Lorsque les bâtiments furent en bon état, les pieux fondateurs présentèrent à monseigneur Justiniani un écrit dans lequel ils s'offraient à donner, leur vie durant, environ quatre cents écus de pension annuelle pour l'entretien du nouveau monastère, et à lui laisser tous leurs biens après leur mort. Mais cette pension ne parut pas suffisante au digne prélat; il voulait que la rente fût de cinquante écus pour chaque religieuse. Les bienfaiteurs ne s'attendaient pas à cette réponse; ils en furent assez déconcertés; cependant ils ne renoncèrent pas à leur projet; ils le suspendirent seulement pendant quelque temps. Le Seigneur qui voulait éprouver et épurer leur vertu, leur envoya plusieurs disgrâces qui les obligèrent de l'interrompre.

Dans la suite, Clément XIV ayant été élevé sur le Saint-Siège, le père Paul se rendit à Rome et y fixa sa résidence, selon le désir de Sa Sainteté, comme nous l'avons, rapporté plus haut. En célébrant la sainte Messe, le jour de sainte Marie Madeleine, son visage s'enflamma d'une vive rougeur et ses yeux versèrent des larmes abondantes. Un de ses religieux l'ayant remarqué et connaissant un peu l'intérieur du père Paul, en conclut qu'il avait reçu quelque inspiration particulière du Seigneur. La chose était réelle. Le serviteur de Dieu eut alors une révélation qui lui fit mieux connaître la volonté divine touchant l'érection du monastère et du nouvel institut pour les religieuses. Le père Paul savait que pour donner un solide fondement à cette œuvre, il était nécessaire d'obtenir l'assentiment du Souverain Pontife. On lit à ce sujet dans une de ses lettres:

«Votre lettre que j'ai reçue ce matin m'a été fort agréable. Je vous dirai en réponse, qu'il est bien vrai que le monastère aurait pu être établi cette année; je croyais qu'il en serait ainsi; mais les grandes œuvres de Dieu rencontrent toujours des difficultés et des traverses nombreuses ; ainsi je dois combattre encore quelque temps. Il en résultera plus de gloire pour Dieu, et l'œuvre aura un fondement plus stable. Il faut laisser tomber le vent des persécutions, excité par les artifices du démon, et aussi de quelques-uns qui s'imaginent rendre service à Dieu, en persécutant et en contredisant ses œuvres. Il est donc nécessaire que j'entretienne à loisir le Souverain Pontife de cette fondation, afin d'obtenir un bref favorable et l'approbation des règles et constitutions que devront observer les religieuses de la passion. J'ajoute que j'ai la ferme confiance de tout obtenir de la bonté de Dieu».

Le vénérable père jugea qu'il devait aller en personne à Corneto, pour voir en quel état se trouvait le nouveau monastère et pour en solliciter l'achèvement. Mais avant d'exécuter ce projet, il voulut, pour s'assurer de la volonté de Dieu, aller exposer au Souverain Pontife le but et le plan de cette sainte œuvre. Le jour de saint Joseph de l'an 1770, il alla donc trouver le Saint-Père, et lui exposa pour la première fois son dessein et celui des pieux fondateurs, après quoi il supplia Sa Sainteté d'en autoriser l'exécution. Le Saint-Père écouta l'exposé avec grande attention et grande bienveillance; il accorda au père Paul la permission de partir pour Corneto et lui témoigna qu'il était fort satisfait de l'entreprise.

Le temps était donc veau d'y mettre la dernière main. Le père Paul, de retour à Rome, profita de la première audience qu'il eut de Sa Sainteté pour lui présenter un mémoire et soumettre les règles à son approbation. Le Saint-Père en confia la révision au père maître Pastrovichi, depuis évêque de Viterbe. C'était un homme rempli de doctrine et de piété. Il rendit son rapport; son témoignage fut très favorable. Voici quelques-unes de ses expressions : «Ces règles ne sont pas seulement conformes à la pureté de la foi, à la sainteté des mœurs et à la perfection religieuse, je les trouve encore pleines d'onction, de prudence, de discrétion, et en harmonie avec le caractère de l'institut. On peut donc espérer que les âmes qui feront profession de les suivre, en retireront un grand profit spirituel». Sur ce rapport, le Saint-Père renvoya l'affaire au secrétaire de la congrégation du concile, qui était alors monseigneur de Zelada. Cette nouvelle information ne fut pas moins avantageuse. Dans le fait, la seule lecture de ces règles découvre l'esprit de Dieu qui animait leur auteur. On y voit clairement combien il désirait que les nouvelles religieuses mourussent au monde pour vivre uniquement de la perfection du saint amour, en se maintenant continuellement en la présence de Dieu et en gravant d'une manière indélébile dans leur cœur la vie, la passion et la mort du bon Jésus, sacrifié sur le calvaire pour le rachat du monde. Afin d'exciter leur amour pour Dieu et de leur apprendre quels trésors de sagesse et de science nous possédons en Jésus-Christ, il leur prescrit de prendre pour sujet ordinaire de leur oraison les attributs et les perfections de Dieu et spécialement les mystères de la vie, de la passion et de la mort de Jésus-Christ notre Seigneur. C'est par ce moyen qu'il veut que les religieuses croissent sans cesse dans l'amour de Dieu, qu'elles s'excitent à une foi vive, agissante et constante, qu'elles marchent sans relâche sur les pas de leur divin Epoux, qu'elles courent à sa suite comme de dignes épouses, et qu'ainsi elles fuient tous les vices et acquièrent toutes les vertus.

Le vendredi étant le jour de la mort du Sauveur, il veut qu'elles s'en souviennent alors plus spécialement. «Le vendredi, leur dit-il, sera pour toutes les sœurs comme un jour de fête. Jusqu'au dîner, elles s'appliqueront à méditer la passion du Rédempteur, la lisant et la repassant dans leur esprit; elles feront le Chemin de la Croix ou quelque autre pratique de dévotion et s'exerceront à faire quelque mortification pour mieux honorer la passion de notre divin Epoux crucifié. Ce jour-là, on choisira au sort une religieuse, qui sera dispensée du travail, pour faire trente-trois visites au Saint-Sacrement, qui est le mémorial de la passion de Jésus-Christ ; c'est pourquoi elle en fera particulièrement mémoire».

Pour que les religieuses puissent communiquer plus intimement avec Dieu et jouir des délices de la présence divine et de l'oraison, la règle prescrit qu'elles travailleront chacune dans leur cellule, qu'elles se tiendront autant que possible en la présence de Dieu, produisant de fréquentes oraisons jaculatoires, à l'exemple des anciens solitaires et des pères du désert qui travaillaient des mains et tenaient leur esprit et leur cœur élevés en Dieu. Qu'elles fassent cependant tout, dit la règle, avec un esprit de douceur et de tranquillité, paroles qui montrent assez que la vie intérieure des religieuses de la passion doit être une vie de paix, de repos d'esprit, et de sainte dilection.

Mais les religieuses de la passion ne doivent pas se contenter de goûter seules les avantages dont les plaies de Jésus sont la source salutaire; elles doivent avoir à cœur d'étendre la dévotion à la passion de Jésus-Christ. Ce qui leur est recommanda à l'égard de la passion du Seigneur, leur est également recommandé en ce qui concerne la dévotion à la sainte Vierge et à ses douleurs. Elles s'adresseront, dit encore la règle, comme de fidèles servantes et des filles dévouées, à Marie, l'Immaculée Mère de Dieu, l'invoquant dans tous leurs besoins. Qu'elles aient soin surtout de monter chaque jour en esprit au Calvaire pour contempler et partager les cruelles douleurs qu'elle a souffertes dans la passion et la mort de son divin Fils.

Ces règles et ces constitutions si pleines de prudence et de sagesse furent donc jugées dignes d'approbation. Clément XIV voulait en conséquence les approuver par un bref; mais le père Paul supplia Sa Sainteté de vouloir bien les approuver seulement par rescrit apostolique, et de différer l'expédition du bref jusqu'à ce que l'expérience, cette grande maîtresse en toutes choses, eût fait connaître s'il n'y avait rien à changer ou à mitiger. Le Saint-Père les approuva par un rescrit, qui avait force de bref, en date du 3 septembre 1770. Tout semblait ainsi conspirer à l'heureuse issue de la sainte entreprise. Les jeunes personnes destinées pour le nouveau monastère, se rendirent à Corneto, au nombre de dix. Elles y furent accueillies avec grande charité et traitées de la manière la plus généreuse et la plus honorable par les pieux fondateurs. Mais un nouvel obstacle survint inopinément, de sorte qu'il fallut retarder leur entrée. On ne saurait exprimer quelle fut l'affliction des charitables bienfaiteurs. Ils voyaient la ville pleine d'étrangers accourus de tous les villages voisins; ils se voyaient eux-mêmes exposés aux critiques, aux railleries et aux dérisions. Les pieuses demoiselles, de leur côté, étaient aussi fort en peine. Elles étaient venues de loin avec un désir ardent de se séparer pour toujours du monde et de s'enfermer dans le nouveau monastère pour y vivre cachées en Jésus- Christ; et maintenant, elles voyaient la tempête s'élever pour ainsi dire dans le port, et elles étaient incertaines de l'avenir. Ce qui augmentait la peine des uns et des autres, c'était le chagrin des parents qui, après avoir amené leurs filles, se trouvaient déçus dans leur attente et ne savaient s'ils devaient rester ou partir. On se figure assez avec quelle ferveur ces bonnes filles priaient, au milieu de telles angoisses. Ces prières, sortant d'un coeur pur et sincère, firent une douce violence au coeur de Dieu et obtinrent tout le succès désiré. En effet, Clément XIV ayant appris du religieux que le père Paul malade avait envoyé en sa place pour la cérémonie, ce qui était arrivé, voulut, bien ordonner qu'on procédât à la vêture des jeunes personnes qui étaient déjà à Corneto. Ensuite, comme les revenus assignés, tout considérables qu'ils étaient, ne suffisaient pas à l'entretien du monastère, il y ajouta une pension annuelle de trois cents écus, et, .grâce à la munificence pontificale, le nouvel institut put s'ouvrir et subsister.

Pendant tous ces délais, le serviteur de Dieu était malade et obligé de garder le lit. Le lendemain du jour où la vêture et l'entrée devaient avoir lieu, il dit à l'infirmier, quelque temps après avoir communié, qu'il avait dans l'esprit que la cérémonie était retardée. Il semblait avoir le pressentiment de ce qui était arrivé; peut-être aussi Dieu l'avait-il éclairé à cet égard. La nouvelle qu'on lui apporta ensuite lui fit voir que ses craintes n'avaient pas été sans fondement. Grande sans doute fut sa peine, en voyant pour ainsi dire renversé un dessein qui lui avait coûté tant de démarches; mais il se résigna à l'instant même, et s'abandonna totalement, comme il faisait toujours en pareille occasion, à la sainte volonté de Dieu. Ce n'est pas qu'il se dissimulât ce qu'on aurait dit contre lui et contre tous ceux qui avaient contribué à cette œuvre ; mais habitué à servir Dieu par la bonne et la mauvaise réputation, il ne tint aucun compte, des discours des hommes, et chercha sur-le-champ le moyen d'exécuter le bon plaisir de Dieu. «Il faut penser, disait-il, à donner l'habit à ces pauvres demoiselles». Ce fut donc par ses conseils qu'on demanda la faveur dont nous avons parlé, et ce fut principalement à sa considération qu'on l'obtint.

Le nouveau monastère devait s'ouvrir le lundi d'après le dimanche in albis, jour auquel était transférée, cette année, la fête de l'Annonciation. La chose n'ayant pas réussi, le père Paul désigna pour la cérémonie de la vêture, le troisième jour de mai, qui est dédié à l'Invention de la Sainte-Croix et qui est une très grande fête pour les religieux de la Croix et de la Passion de Jésus-Christ. Trente-quatre ans auparavant, la première église de la congrégation au mont Argentario avait été ouverte, après bien des difficultés, le jour de l'Exaltation de la Sainte-Croix; et par une disposition semblable de la Providence, le nouveau monastère fut fondé le jour de l'Invention de la Croix. Les deux églises, qui sont également sous le titre de la Présentation de la sainte Vierge, furent ainsi ouvertes un jour consacré aux gloires de la croix, qui est l'étendard triomphal de notre salut. Toute âme qui cherche Dieu seul, qui communique intimement avec Dieu et qui ne trouve de plaisir qu'en Dieu comprendra combien fut grande la consolation de ces pieuses vierges, lorsqu'enfin on leur ouvrit la porte qui devait les faire entrer dans le repos des enfants de Dieu. La cérémonie fut également solennelle et pieuse, joyeuse et sainte; tout le monde en fut consolé.

Les vierges insensées de l'évangile se fièrent uniquement sur leur prérogative, digne, il est vrai, de tout respect, quand elle est jointe à la pratique des vertus chrétiennes; elles négligèrent d'allumer et d'entretenir en elles la flamme du saint amour. Il n'en fût pas ainsi de nos nouvelles religieuses. A peine renfermées dans le monastère, elles s'appliquèrent avec ferveur à bien observer leur règle, et elles y furent si fidèles pendant l'année de probation, que monseigneur Banditi, prélat digne d'être comparé aux évêques de la primitive Église, et qui depuis a été l'un des plus beaux ornements du sacré collège, en écrivit au père Paul en ces termes : «Enfin, je puis annoncer à mon très vénéré père Paul que les onze religieuses de son institut ont fait profession entre mes mains. La cérémonie a eu lieu le 20 de ce mois; j'en ai eu la plus grande consolation. J'ai vu un monastère rempli de l'esprit du Seigneur et d'une sainte ferveur. Toutes donnent sujet d'espérer qu'elles contribueront à la gloire du Sauveur et de sa sainte passion et à l'avantage de cette ville. Oui, on peut espérer que Dieu, touché par les prières de ces bonnes âmes, répandra sa bénédiction sur tous. Vous ne pouvez vous figurer quel attendrissement a causé cette cérémonie et quelle émotion j'en ai ressentie moi-même. Avant de la faire, j'ai voulu causer avec toutes et avec chacune en particulier, et j'ai pu m'assurer que leur vocation était véritable et qu'elles embrassaient l'état religieux dans le désir sincère de mettre leur salut en sûreté.... Jeudi matin aux termes de vos constitutions, on a élu la supérieure, la mère vicaire et la conseillère. Tout s'est passé en bon ordre en ma présence; il y a eu unanimité parfaite».

Après avoir fait leur profession avec tant de piété, les religieuses de la passion se crurent obligées d'en donner connaissance à Sa Sainteté; elles lui écrivirent une lettre pleine de respect, et le Saint-Père, toujours rempli de bienveillance et de charité paternelle, daigna leur  répondre par le bref que nous allons rapporter. On y découvre de plus en plus l'esprit du nouvel  institut et le vif intérêt que le pontife prenait à son établissement.

«A nos chères filles en Jésus-Christ, les religieuses de la passion de Jésus-Christ, en notre ville de Corneto.

«Clément XIV.

«Chères filles en J-C., salut et bénédiction apostolique.

«La lettre par laquelle vous Nous donnez avis de votre profession solennelle par les vœux de religion que vous avez faits tout récemment, a été pour Nous le sujet d'une grande joie. Rien ne peut Nous être plus agréable que de voir votre institut, que Nous avons approuvé, s'enrichir des vertus qui font la sainteté et la perfection de la vie. Vous Nous dites la paix et la consolation spirituelles que vous avez ressenties dans votre consécration à Dieu. Elles Nous donnent tout lieu d'espérer que Nous aurons à Nous réjouir de plus en plus de votre constance dans le genre de vie que vous avez embrassé et dans cette union et cette charité qui règnent entre vous toutes. Nous attendons tout cela de vous avec une grande confiance; cependant Nous voulons vous encourager et vous exhorter avec instance, pour que vous mettiez tous vos soins et votre attention à imiter les vierges prudentes de l'Évangile, que l'Époux trouva vigilantes et prêtes à son arrivée. Employez toute votre industrie et votre application à faire en sorte de ne plus regarder le siècle que vous avez quitté, mais, toujours tournées vers le ciel et les yeux fixés sur lui, attachez-vous à rendre de continuelles actions de grâces à Dieu votre Seigneur pour le bienfait signalé qu'il vous a accordé. Portez imprimée et gravée dans vos cœurs et dans vos esprits la passion de Jésus-Christ notre Sauveur. Elle est l'enseigne et l'ornement qui vous distinguent; en elle consistent la force et la beauté de votre institut. Mettez, à la méditer, toute votre attention, toute votre étude, toutes vos délices. Si vous avez toujours présentes à l'esprit la passion et la mort de notre Rédempteur, rien ne vous sera pénible, rien ne vous rebutera; mais au milieu même des peines et des angoisses qui arrivent d'ordinaire, la contemplation de votre guide et de votre époux vous procurera les doux fruits de la paix et de la joie intérieure; car nulle satisfaction, nul plaisir n'est comparable à cet amour rempli d'une suavité céleste, à cette joie que Jésus-Christ accorde ordinairement à celui qui le cherche et le médite. Si le monde est ainsi crucifié pour vous, et vous pour le monde, si par la pureté de cœur et la simplicité, vous vivez seulement pour Jésus-Christ votre époux, et qu'en toutes choses vous soyez parfaitement exactes aux règles de votre institut, votre  monastère ne manquera pas de répandre un parfum très agréable de vertu et de douceur. Alors on pourra dire de vous et de celles qui attirées par vos exemples viendront à votre suite : «Celle-ci est belle entre les filles de Jérusalem». Enfin, Nous vous demandons, chères filles en Jésus-Christ, une chose que vous ferez sans doute volontiers, vu la piété et le dévouement que vous Nous portez, c'est de prier toujours Dieu le Père des miséricordes pour Nous et pour l'Église confiée à notre faiblesse. Cependant Nous vous promettons de vous accorder à l'occasion toute l'assistance et les avantages qui peuvent dépendre de Notre affection pour vous. Comme gage de cette promesse, Nous vous donnons de tout cœur la bénédiction apostolique.

«Donné à Rome, près Sainte-Marie-Majeure, sons l'Anneau du pêcheur, le 25 juillet 1772, la quatrième année de Notre Pontificat».

Tel est le langage qu'adressait le suprême Pasteur à ces religieuses, qui, loin du monde, se tiennent auprès de leur Époux crucifié et trouvent un aliment délicieux dans la méditation de ses amères douleurs. Heureuses si, fidèles à leur vocation, elles s'efforcent d'imiter tous les jours les exemples du divin Rédempteur, leur Époux! Elles auront enfin le bonheur d'aller jouir de sa gloire et de ses délices ineffables dans le paradis : «Si compatimur, et conglorificabimur».

   

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