CHAPITRE 32.

FONDATION DE LA RETRAITE DE SAINTE-MARIE-DU-HÊTRE
SUR LE TERRITOIRE DE TOSCANELLA.
FONDATION DE SAINT-SOSIE ET D'AUTRES RETRAITES.
FONDATION DE LA RETRAITE DE LA SAINTE TRINITÉ SUR LE MONT ALBANO.

Nous avons déjà dit que le père Paul, au retour de la fondation de Ceccano, et après avoir commencé à négocier celle de Terracine, avait pris quelques moments de repos à la retraite de Saint-Ange, et était parti ensuite pour le mont Argentario, afin de choisir quelques religieux pour la nouvelle retraite de Sainte-Marie-du-Hêtre, près de Toscanella. Cette bonne ville en avait fait la demande au pare Paul, et l'évêque à qui l'on avait demandé des renseignements, les donna dans les termes avantageux que voici : «Le père Paul, fondateur du nouvel institut des Clercs-Réguliers-déchaussés-du-Sauveur, parviendra sans aucun doute avec ses compagnons, à sanctifier cette localité (de la Sainte-Madone-du-Hêtre). Ils sont pleins de zèle pour la prédication et pour l'amendement des mœurs, extrêmement amis de la retraite et édifiants. C'est ce que je puis attester à votre Éminence pour avoir eu des relations avec eux, avoir entendu leurs prédications et leurs instructions, et m'être servi d'eux plusieurs fois pour donner la mission à Toscanella et dans d'autres paroisses de mon diocèse». Telles sont les informations que ce prélat adressait, le 11 septembre 1743, à la sacrée Congrégation, à l'occasion du nouvel établissement projeté.

L'affaire se conclut par un motu proprio de Benoît XIV. Le vénérable père conduisit donc ses religieux. Ce fut encore un voyage de grandes souffrances pour lui. Parti du mont Argentario et arrivé à Montalte, lorsqu'il se mit en route le lendemain, il s'éleva une bise terrible qui lui donnait continuellement dans la figure. II n'en continua pas moins son voyage, mais quand il fut près de Toscanella, sa lassitude fut si grande, qu'il tomba presqu'évanoui de faiblesse et de souffrance. Entré dans la ville, il trouva que rien n'était prêt pour la fondation. Il ne s'affligea pas cependant de ce contretemps, mais confiant dans le Seigneur qui a promis de ne pas abandonner ceux qui espèrent en lui, il résolut d'y placer ses religieux. C'était le désir de l'évêque qui était alors à Toscanella. Ainsi, outre le mérite de sa grande confiance, il eut encore celui de l'obéissance. Mais ce fut au prix de bien des peines. Écoutons là-dessus le père Paul lui-même, écrivant au père Fulgence son intime, avec la simplicité et la candeur qui le caractérisaient. «Outre les incommodités corporelles, lui dit-il, j'ai été assailli dans ce voyage de tourments d'esprit horribles.... à part les contradictions. L'ouverture s'est faite hier. Elle a été très solennelle en ce qui nous concerne... Nous n'avons pas encore fondé de retraite aussi pauvre que celle-ci, et pour moi, je n'ai point encore éprouvé de telles peines intérieures. Je ne suis pas exempt d'autres difficultés encore, mais quoi? Dieu le sait. Je veux espérer beaucoup. Les religieux sont contents, joyeux. J'espère qu'ils se rendront fort utiles au prochain». C'est ainsi que le serviteur de Dieu écrivait à la date du 8 février 1748. Dans cette même matinée, Dieu, qui voulait donner à ses serviteurs l'occasion de commencer par un grand acte de vertu, permit par une secrète disposition de sa providence, que le père Paul manquât pour ainsi dire de tout. II dit donc à ses enfants : «Ce matin, comme c'est un jour de jeûne, nous ne ferons qu'une petite collation ; pour le soir, Dieu y pourvoira». En effet, avant la nuit, une personne inconnue se présenta au monastère avec un panier de pain. Le père Paul qui avait des entrailles de charité surtout pour les jeunes gens, ordonna qu'on fît un bon potage, témoignant le plus vif intérêt pour ces jeunes gens qu'il avait amenés avec lui, et qui avaient grand besoin de manger. Comme ils n'avaient pas de couverts, ils lièrent, avec des bâtons et de petits morceaux de bois, des instruments grossiers tout à fait dans le goût de la plus stricte pauvreté, et prirent ainsi leur repas. Le lendemain matin, le père Paul les exhorta à se confier en Dieu sans hésitation. Il parut bien ensuite que si leur arrivée avait été connue d'une certaine dame de Pianzano, ils n'eussent pas manqué d'assistance. A peine avait-elle quitté le monastère, qu'une autre vint à l'église demandant à se confesser. Elle se confessa au père Dominique de la Conception, supérieur de la nouvelle retraite. Le lendemain, elle revint avec quelques mulets chargés de provisions. Ce fut tout à fait à propos; les pauvres religieux avaient vécu le jour précédent d'un peu de légumes que leur avait donnés l'ermite voisin. Jamais depuis lors, ils n'ont pas manqué du nécessaire; le Seigneur récompensa largement les privations qu'avaient souffertes le fondateur et ses religieux dans les commencements. Chacune des autres fondations coûta de même au Bienheureux beaucoup de soucis, de correspondances et de prières; mais le Seigneur lui donna la consolation de voir établies avant sa mort douze retraites peuplées de ses religieux.

Pour ne pas entretenir longuement le lecteur de choses qui l'intéresseraient peu, et pour reprendre plus tôt le récit de la vie du vénérable serviteur de Dieu, nous glissons sur la fondation de la retraite de Saint-Sosie, près de Ceprano, qui eut lieu le 2 avril 1751, de la retraite de Sainte-Marie de Pugliano, près de Paillano, fondée le 23 novembre 1755, de la retraite de Saint-Joseph au mont Argentario, fondée en 1761, pour le noviciat, et bâtie dans un site plus sain que la première retraite de la Présentation. A cette occasion, l'homme de Dieu fit éclater d'une manière étonnante sa confiance dans le Seigneur. Nous passons également sous silence la fondation de la retraite de Notre-Dame-des-Douleurs près de la ville de Corneto, ouverte le 17 mars 1769. Le père Paul y consacra fort volontiers tous ses soins dans l'espoir que les bergers des environs et surtout ceux qui mènent leurs troupeaux dans le bois voisin, en auraient retiré de grands secours pour leur salut. Disons seulement quelque chose de la Fondation de la retraite de la Sainte-Trinité au mont Albano, vulgairement appelé Monte Cavi. Dans cette fondation, on vit se vérifier d'une manière remarquable ce passage du prophète Isaïe, où-il est dit que dans les lieux où habitaient auparavant les serpents, on verra verdoyer les roseaux et les joncs. In cubilibus, in quibus prius dracones habitabant, orietur viror calami et junci (Is 35,7). Le prophète veut dire que dans les lieux où régnait jadis le dragon infernal, où triomphaient l'idolâtrie et la superstition, Dieu a fait germer et fleurir un agréable parterre de plantes choisies, qui font les délices de sa divine majesté. En effet, sur cette même montagne, appelée aujourd'hui Monte Cavi, et anciennement le mont Albarlo, il y avait jadis un temple érigé en l'honneur de Jupiter Latius, temple très célèbre et fort vénéré de l'aveugle Gentilité. Là se célébraient les fameuses féries latines en l'honneur de Jupiter. Le temple était environné de bois consacrés aux divinités, et dès la plus haute antiquité, il était, ainsi que la montagne, l'objet d'un culte superstitieux, ou pour mieux dire, il était souillé par toute sorte de profanations; car c'est ainsi qu'on prétendait honorer cette absurde divinité. On lit même qu'on y sacrifiait anciennement des victimes humaines. Ainsi sur ce mont Albano, où l'on avait décerné tant d'honneurs au démon, où s'étaient commis tant de crimes, il plut à Dieu de faire élever un temple dédié à la Sainte Trinité, et une maison de retraite où des âmes religieuses se dévouent sans relâche au culte saint et sans tache de la Majesté divine. Cette solitude avait été habitée par les Trinitaires; mais ils durent l'abandonner, et le couvent demeura longtemps inhabité. Aussi n'était-il pas en fort bon état, lorsque le père Paul accepta la nouvelle fondation. Il l'accepta cependant très volontiers, parce qu'il désirait que ses religieux fissent en quelque sorte amende honorable à la très sainte Trinité par un sacrifice perpétuel de louanges.

Les premiers religieux eurent certainement beaucoup à souffrir, à cause de l'humidité de la maison. Elle avait été restaurée, il est vrai, par la munificence de l'illustre famille Colonna, qui avait même bien voulu y ajouter un enclos assez considérable; mais elle était toute percée par les pluies et par les brouillards qui règnent presque toujours sur le mont Albano. D'un autre côté, la pauvreté y était extrême; et sauf une grande confiance en Dieu, on y manquait de tout.

Le père Paul ne se trouva pas à cette fondation, mais il y était présent de cœur, et comme un tendre père, il compatissait à toutes les souffrances de ses pauvres enfants. Il se consolait pourtant parce que Dieu en était glorifié, et il les encourageait par des lettres pleines de charité. Nous croyons utile de rapporter ici ce qu'il écrivait au nouveau recteur : «Votre lettre du 20 de ce mois m'a été très agréable. Je dirai à votre Révérence que le récit qu'elle m'a fait de la fondation de cette retraite m'a rempli d'édification et de consolation. Je n'ai pu le lire sans verser des larmes. Hier au soir, je l'ai fait lire vers la fin du repas au réfectoire pour la consolation et l'édification de tous, et pour la plus grande gloire de Dieu. Les circonstances dans lesquelles cette fondation s'est faite et que vous me marquez, me font vivement espérer des suites heureuses. Je pense que la divine Majesté y sera grandement glorifiée. Quant aux incommodités que votre Révérence et sa bonne communauté ont à souffrir, tant pour la pauvreté que pour le reste, ce sont de riches présents que la divine Majesté vous fait. Elle veut que, semblables à des pierres précieuses, vous soyez plus profondément et plus fortement enchâssés dans l'anneau d'or de la charité. Elle veut que vous soyez des victimes, des holocaustes sacrifiés à la gloire du Très-Haut dans le feu sacré de la souffrance. Elle veut que, par ce sacrifice, vous répandiez toujours la suave odeur des vertus parmi les populations voisines et éloignées. Oh! J'espère que ces fondations faites en face de Rome, procureront beaucoup d'honneur à Dieu et d'avantage à la congrégation, et en particulier à votre Révérence qui porte tout le fardeau. Oh! Que de grâces et de dons Dieu vous prépare pour la vigilance et la sainte sollicitude que vous déploierez, afin que tout marche bien et que les religieux se maintiennent fervents, réguliers et saints coram Domino. Vous avez été informé, je suppose, qu'en acceptant cette fondation, j'ai mis cette condition qu'on ferait une aile de bâtiment pour nos cellules du côté le moins humide et le plus à l'abri du Sirocco; mais on a manqué de parole, et celui qui s'en était chargé qui en avait fait la promesse, a dit que le bienfaiteur sur lequel il comptait, était mort. Mais j'ai cette confiance en Dieu qu'il nous donnera le moyen de le faire. Dieu vous protégera contre le vent et le froid. Qu'on fasse de bon feu, et qu'on ne craigne rien, parce que nihil vobis nocebit. Je suis pressé. Je vous embrasse de cœur en Jésus-Christ. Orate multum pro nobis». Selon que le désirait et l'espérait le serviteur de Dieu, on a depuis ajouté une aile à la retraite du mont Albano, et on y a bâti une église plus grande et plus belle que l'ancienne, grâce à la piété et à la munificence de son Altesse Royale le cardinal duc d'Yorck, évêque de Frascati, qui a bien voulu la consacrer en personne. On peut ainsi appliquer à cet éminent prélat la parole du prophète royal : Domine, dilexi decorem dormus tuae. Seigneur, j'ai aimé la beauté de votre demeure (Ps25, 8).

   

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