CHAPITRE 31.

FONDATION DE LA RETRAITE DE SAINTE-MARIE-DE-CORNIANO,
AU TERRITOIRE DE CECCANO, ET DE LA RETRAITE DE NOTRE-DAME DES-DOULEURS,
PRÈS DE TERRACINE.

Les vertus du père Paul et de sa petite congrégation répandaient la bonne odeur de Jésus-Christ, grâce à la bonté divine. Excités par la renommée, le clergé et le peuple de Ceccano, au diocèse de Ferentino, conçurent un vif désir de posséder une retraite de la congrégation de la passion, et écrivirent d'une manière pressante à ce sujet au père Paul, en 1747. Ceccano est un fief de la noble famille Colonna. Notre pauvre congrégation doit à cette famille une éternelle reconnaissance pour les immenses bienfaits qu'elle en a reçus en tout temps, et particulièrement parce qu'elle a daigné nous permettre de fonder dans ses domaines les retraites de Ceccano, de Palliano, de Falvaterra et de Monte-Cavi et qu'elle nous a fait de grandes aumônes dans nos besoins. Le peuple de Ceccano ayant donc fait sa demande, le père Paul jugea qu'il devait accéder à ses désirs. En conséquence, il envoya le père Thomas du Côté de Jésus, depuis évêque de Todi, avec un autre religieux, le père Antoine de la Passion, pour traiter de cette affaire, et donner à cette occasion quelques missions dans plusieurs villages des environs: On fit les préparatifs les plus indispensables selon que le permettaient la brièveté du temps et la pauvreté de l'ermitage où devait se fonder la retraite; après quoi, au commencement de 1748, le père Paul se mit en route, malgré la saison, accompagné des religieux, ses enfants qui devaient habiter la nouvelle retraite. Il eut beaucoup à souffrir, comme on pense bien, dans un pareil voyage, allant toujours à pied, sans s'arrêter jamais, ni pour la pluie ni pour la neige. En chemin, une épine le blessa à la jambe d'une manière très sensible; mais le serviteur de Dieu, tout brûlant du désir d'achever cette œuvre pour la gloire de son Maître, ne tint aucun compte de ses souffrances, et cherchait au contraire à adoucir les peines du voyage à ses compagnons par ses pieux discours. Quand ils furent près de Ceccano, une foule de peuple vint à leur rencontre et fit éclater sa joie et sa consolation par des vivat. Le père Paul fut reçu avec beaucoup de charité par l'abbé Angeletti, qu'on doit regarder comme le fondateur et le premier bienfaiteur de cette nouvelle retraite, et le jour du Saint Nom de Jésus, il se rendit avec monseigneur Borgia, évêque de Ferentino, à l'abbaye de Sainte -Marie-de-Corniano, qui avait été jadis habitée par des moines. Le peuple de Ceccano suivait, plein de joie. La prise solennelle de possession eut lieu, le 14 janvier 1748, avec le cérémonial accoutumé.

Le jour même où l'on planta la croix à l'endroit choisi pour les nouvelles constructions, le Seigneur se plut à témoigner par un prodige, combien cette fondation lui était agréable. Après la cérémonie, un certain nombre de personnes qui y étaient venues, prirent une petite réfection. Elles avaient porté avec elles un petit vase de vin qui ne suffit pas pour toutes. Le père Paul en ayant été averti, dit avec assurance de faire circuler la coupe, parce que la Providence ne ferait pas défaut. On lui répondit qu'il ne s'y trouvait plus une goutte de vin et pour preuve, on mit le vase dessus dessous en sa présence et à la vue des assistants. Le vénérable`père, sans se déconcerter, répéta d'un ton plus assuré qu'on devait boire au vase et qu'on y trouverait du vin. Un des plus dociles approcha la coupe de ses lèvres, et y trouva effectivement du vin; il le dit aux autres qui avaient soif; tous alors voulurent boire, et il y en eut suffisamment pour tout le monde.

C'est sous de tels auspices qu'on prit possession de la retraite de Sainte Marie-de-Corniano. Comme le Bienheureux ne perdait pas l'occasion d'unir plusieurs bonnes œuvres ensemble, à peine eut-il fondé cette retraite, qu'il entreprit de donner les exercices spirituels au peuple de Ceccano; mais il dut les interrompre, parce qu'il fut attaqué d'une maladie qui l'obligea à garder le lit et à faire à la volonté de Dieu le sacrifice de ses bons désirs. Pendant que le père Paul s'occupait de cette fondation, le père Jean-Baptiste, son frère, qui était resté à la retraite de Saint-Ange, exhortait souvent ses religieux, pour qu'ils fissent des prières spéciales pour le père Paul. Il semble qu'il ait prévu en quelque manière la maladie du serviteur de Dieu. Lorsque celui-ci en fut remis et qu'il eut récupéré un peu de force, il se mit en route, le mieux qu'il put, pour retourner à la retraite de Saint-Ange. Il laissait pour supérieur de la nouvelle retraite le père Thomas Marie du Côté de Jésus. En passant par Rome, il alla baiser les pieds du souverain pontife Benoît XIV. Le pape apprenant la fondation de la nouvelle retraite, en témoigna beaucoup de satisfaction, à cause du bien qu'il en attendait pour les âmes. Pour juger de l'encouragement que reçut le père Paul du bienveillant accueil du vicaire de Jésus-Christ, il suffit de se rappeler cette foi vive qui lui faisait envisager la personne même de Jésus-Christ dans celle de son vicaire. L'approbation du pontife fut pour lui celle du Sauveur lui-même. Mais le Seigneur mêle toujours quelques gouttes d'amertume aux consolations qu'il accorde à ses serviteurs. C'est pour leur plus grand bien qu'il en use ainsi. Il permit donc qu'en sortant de l'audience du pape et en passant par l'antichambre, le père Paul apprît qu'il y avait là des personnes qui voulaient s'opposer à la fondation et qui, au moment même, allaient se présenter au Saint-Père. Il laissa toutefois à Dieu le soin de la retraite nouvelle, et, plein de confiance qu'il aurait protégé son œuvre, il partit de Rome sans retard pour la retraite de Saint-Ange. Sa présence et les bonnes nouvelles qu'il apportait, comblèrent tous ses enfants de consolation, et leur donnèrent sujet de louer et de bénir toujours davantage la bonté divine. Le séjour du père Paul à Saint-Ange fut de courte durée. Il voulut partir pour la retraite de la Présentation au mont Argentario. II désirait revoir ses chers et bien-aimés fils et exciter cette communauté, la première de toutes, à une ferveur nouvelle dans l'accomplissement de l'observance. Son intention était aussi de faire choix de quelques religieux pour les conduire à Sainte Marie-du-Hêtre, près de la ville de Toscanella. On lui avait demandé un nouvel établissement pour cet endroit, comme nous le dirons sous peu.

Nous disions plus haut que le père Paul, après la fondation de Ceccano, était enfin tombé malade, par suite du voyage et de la fatigue. Pendant que son indisposition le retenait à Ceccano, il reçut en présent une provision de pois que monseigneur Oldi, évêque de Terracine, adressait au père Thomas du Côté de Jésus, pour les pauvres religieux de la nouvelle communauté. Le père Thomas, occupé à donner une mission, était absent, en sorte que le père Paul fut dans la nécessité de répondre à l'envoi du bon évêque. II gardait encore le lit et se trouvait très faible. Lorsqu'il pensait à écrire au prélat, il éprouva un mouvement intérieur très pressant, et il entendit une voix qui lui disait : «Lève-toi et écris à l'évêque pour l'établissement d'une retraite». La pauvre nature répugnait à quitter le lit; mais Paul, accoutumé à discerner les impulsions de l'Esprit de Dieu d'avec les autres, reconnaissant que ce mouvement extraordinaire venait de Dieu, craignit, en différant, de résiste à sa volonté. Il se leva donc et se mit à écrire. Après avoir remercié le charitable évêque, il ajouta qu'il lui semblait que ce serait une chose fort glorieuse pour Dieu et fort utile aux âmes, si sa Grandeur daignait favoriser une fondation sur la montagne qui est au voisinage de la ville de Terracine.

Il y avait autrefois, dit-on, sur cette montagne, un palais appartenant à l'empereur Sergius Galba. On y voit encore aujourd'hui des ruines qui attestent la magnificence et la somptuosité de cet édifice. La retraite a été bâtie sur les anciens murs du palais, et les souterrains sont intacts; on les fait servir à divers usages pour les besoins de la communauté. Ainsi, dans le lieu même où s'élevait jadis le palais d'un empereur païen, Dieu a voulu qu'on bâtit en son honneur une église à laquelle est joint un couvent de religieux pour louer jour et nuit la divine Bonté. Vingt-cinq ans auparavant, le Seigneur avait fait entrevoir cette fondation au père Paul. Il passait alors sur la côte que domine cette montagne, en compagnie du père Jean-Baptiste, et marchait recueilli et en silence. A la vue de cette montagne, le Seigneur lui fit entendre qu'il y aurait là plus tard une retraite de la congrégation, dont il lui avait déjà inspiré le dessein. C'est en exécution de cette volonté divine, que Paul proposa cette fondation à l'évêque. Le digne prélat accéda bien volontiers à cette ouverture. Après avoir fait inspecter les lieux, il lui répondit : «L'endroit que vous m'avez indiqué est tout à fait propre à votre dessein. Il est avantageux, on y trouve des matériaux, il y a du terrain pour le jardin, etc. Et moi, pour commencer, je vous donnerai en l'honneur des cinq plaies du Sauveur, cinq cents écus». Avec ce secours donné par l'excellent évêque, on put commencer à bâtir. De grandes difficultés survinrent; on fit une violente opposition à l'œuvre de Dieu, comme nous dirons dans un autre chapitre. Le prélat, soutenu par sa confiance et sa force, ne perdit pas courage; mais il résista généreusement, et s'opposa comme un mur inébranlable pour la maison du Seigneur. Dans la suite, outre les cinq cents écus promis, il donna encore d'autres sommes considérables pour continuer les travaux. S'il n'eut pas la consolation d'en voir la fin, du moins il s'acquit de très grands mérites devant le Seigneur. Après sa mort, on lui donna pour successeur à l'évêché de Terracine, monseigneur Palombella, prélat très vertueux et très savant. Il joignit ses libéralités aux aumônes de la ville et des citoyens, et l'on mit la dernière main à la retraite. Le père Paul ayant donné les exercices spirituels au peuple de Terracine, prit possession de la nouvelle demeure, le 6 février 1752. La cérémonie fut pieuse et touchante. Elle excita une joie universelle dans la ville, dont les habitants se plurent à donner tant de preuves de leur charité, que les nouveaux religieux s'en ressentirent longtemps après. Monseigneur l'évêque fut aussi très satisfait. Membre de l'ordre des serviteurs de Marie, prélat d'une grande piété et d'un zèle vraiment apostolique, il se sentait doublement excité à propager, avec la

   

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