saint
JEAN DE AVILA
dominicain et auteur mystique
(1500-1569)

SERMONS SUR LE SAINT-ESPRIT

30

Est-il venu à toi ce Consolateur ?

Dimanche de pentecôte
Le Saint-Esprit Consolateur (Jean : 14, 26).

Exorde :

Celui qui appartient à la terre a un langage terrestre; celui qui vient du ciel, est au-dessus de tous, a dit saint Jean-Baptiste à ses disciples. Ils furent un peu jaloux, parce que la foule suivait davantage Jésus-Christ que saint Jean et, pour les apaiser, l'apôtre leur dit ces mots : " Personne ne peut prendre plus que la part qui lui vient du ciel, que celle qui lui est envoyée par le ciel. Celui qui est de la terre [74], etc... // appartient à la terre celui qui a un langage terrestre.

Que fera la terre, si on lui demande de monter au ciel ? Que fera-t-elle ? Comment pourra-t-elle monter ? Que fera l'homme à qui on demande de parler du ciel ? C'est une entreprise impossible, qu'il ne peut pas faire de lui-même, entreprise aussi irréalisable que pour la terre de monter au ciel. Celui qui est de la terre, son langage est terrestre. Si nous devions parler de choses matérielles, si nous devions parler de choses d'ici-bas, nous en parlerions avec précision, mais parler du Saint-Esprit, parler de chose si élevée, parler du ciel, que ferons-nous, nous qui sommes plus bas que la terre elle-même ? Que ferons-nous pour bien parler ? La grâce du Saint-Esprit est tout à fait nécessaire. Pour parler elle ne fut pas donnée en vain aux apôtres : Nous les entendons dire dans nos langues les merveilles de Dieu [75].

Les bienheureux apôtres furent remplis et totalement remplis par le feu du Saint-Esprit; ils furent remplis de cette grâce céleste, pour faire comprendre que personne ne doit prêcher ni parler du Saint-Esprit s'il n'est rempli et totalement rempli de ce don céleste et de ce feu sacré. Les saints apôtres avaient le cœur enflammé et plein de la grâce que Notre-Seigneur leur envoya pour conter les merveilles et les grandeurs qu'ils ont contées et dites de Dieu, et qu'ils ont publiées par toute la terre. Il vint sous la forme de langues de feu, pour nous faire entendre que la langue de ceux qui parlent de Dieu et de ses merveilles, doit être enflammée du feu, enflammée d'amour. La langue qui doit parler du ciel et de ses merveilles, ne doit pas être faite d'eau, ne doit pas être faite de vent, ne doit pas être faite de terre.

Nous venons entendre les paroles de Dieu, nous venons entendre ses sermons et nous venons comme on va au théâtre, sans plus d'amour ni de respect. Je vous dis, en vérité, que nous tous qui entendons des sermons courons un grand risque; nous courons un grand danger si nous n'écoutons pas comme nous devons écouter. Nous devrions venir l'entendre avec le cœur enflammé, avec les entrailles embrasées. Nous nous sommes réunis pour écouter et parler du Saint-Esprit; pour une si grande affaire, nous avons besoin de la grâce, nous avons besoin du Saint-Esprit lui-même, nous avons besoin qu'il pénètre dans nos cœurs, qu'il les adoucisse et qu'il les embrase du feu saint de ses dons divins. Saint Paul dit que le Saint-Esprit prie pour nous avec des gémissements ineffables. La prière qui n'est pas inspirée par le Saint-Esprit a peu de valeur; celle qui ne se fait pas selon lui, celle qu'il n'inspire pas et n'ordonne pas, porte très peu de fruit, profite peu. Le Christ a dit à ses apôtres : Vous êtes tristes parce que je veux m'en aller: le Consolateur viendra, car le Père l'enverra en mon nom, et il vous consolera; il vous enseignera toutes les choses; il vous remettra en mémoire tout ce que je vous ai dit; il ouvrira vos oreilles pour que vous entendiez et votre entendement pour que vous compreniez; il vous enseignera à prier et il vous enseignera tout ce que vous aurez à faire pour réussir en tout.

Nous avons un besoin extrême de ce Consolateur, de ce Docteur, de ce Conseiller et de ce Maître.

— Quel remède ? — Nous tourner vers la Très Sainte Vierge. Elle est près du cœur, très près du cœur du Saint-Esprit et le cœur du Saint-Esprit est près du sien. Ses entrailles ont abrité l'incompréhensible. Il abaissa sa grandeur, sa puissance et s'est fait temporel étant éternel, le riche s'est fait pauvre et le Très-Haut s'est abaissé et tout cela par l'œuvre du Saint-Esprit, par son habileté, son ordre et son savoir. L'ange saint Gabriel dit à la Vierge: Le Saint-Esprit, Madame, descendra en vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre [76]. Le Saint-Esprit connaît très bien le cœur de la Vierge; il connaît très bien son cœur si totalement pur, il connaît très bien ce palais où il élabora tant de mystères et de si grands mystères. La Vierge ne fit rien, ne pensa rien, ne dit rien qui pût déplaire en un seul point au Saint-Esprit. Elle lui plut en tout, en tout elle fit sa sainte volonté. Par les supplications de cette glorieuse Vierge, par les gémissements, les désirs et les prières, il apporta le Verbe Éternel et le mit dans ses entrailles.

Supplions-la, puisqu'elle est si près du Saint-Esprit, de nous communiquer sa grâce pour parler d'un Hôte si grand.

Si nous aimons le Christ, la Trinité demeurera en nous.

Avez-vous reçu le Saint-Esprit quand vous avez embrassé la foi ? [77] a dit un jour saint Paul à quelques-uns. Avez-vous reçu le Saint-Esprit ? L'avez-vous dans vos entrailles ? Bienheureuse l'âme qui a reçu un tel don; bienheureux celui qui a reçu un tel Hôte en devenant croyant car c'est par la foi qu'il se donne ! Ils répondirent : Nous n'avons même pas entendu dire qu'il y ait un Saint-Esprit — et à plus forte raison nous ne savons pas si nous l'avons reçu. On ne le leur avait pas donné; et peut-être même y en a-t-il ici qui l'ignorent. Oh ! si vous disiez vrai ! L'avez-vous reçu ? L'aimez-vous ? L'avez-vous servi ? Le désirez-vous ? Souhaitez-vous ardemment qu'il pénètre dans vos cœurs ? Vous n'avez même pas entendu dire qu'il y ait un Saint-Esprit. Le désirer ne sert à rien, lui demander de venir, vouloir le recevoir ne suffisent pas; tout cela ne sert à rien si les œuvres dignes de mériter sa venue font défaut. Mais par leurs actes ils le nient [78]. Les œuvres doivent s'accorder avec les paroles et les désirs pour que cet Hôte si grand veuille venir et habiter dans votre âme.

Le Saint-Esprit a tant de prédicateurs, tant de prophètes qui ont parlé de lui avant la création du monde. L'Écriture dit que "l'Esprit du Seigneur se mouvait au-dessus des eaux " [79]. Tous les prophètes ont vu et ont conté de grands secrets et de grands mystères du Saint-Esprit. Entre tous et plus que tous, Jésus-Christ Notre-Seigneur a donné de telles preuves de son existence, et a rapporté sur lui de telles choses qu'ils étaient tous stupéfiés d'entendre les merveilles qu'il en a dites. Jésus-Christ a dit à ses apôtres : N'ayez pas de peine, ne souffrez pas parce que je m'en vais. Mais au contraire, Seigneur, c'est pour cela qu'ils ont de la peine. Quelles sont ces nouvelles preuves d'amour, Seigneur ? Quelles nouvelles façons de se comporter avec ceux qui vous aiment ? Vous partez et vous dites que vous nous aimez plus que la prunelle de vos yeux; vous voulez vous en aller et pour nous consoler de votre départ vous dites : N'ayez pas de peine parce que je m'en vais? Au contraire c'est pour cela qu'ils ont de la peine et la pensée, Seigneur, que vous devez vous en aller est la raison de tout leur chagrin et de toute leur affliction.

— Personne ne peut le comprendre ni parvenir à le comprendre sinon celui qui possède le Saint-Esprit. " Avec moi vous avez été consolés; avec ma présence vous avez été réjouis; vous avez été instruits de ma doctrine; vous avez été forts grâce à ma présence. Moi je m'en vais et je prierai mon Père de vous envoyer un autre Consolateur en mon nom. Jusqu'à présent c'est moi qui vous ai consolés; je m'en irai et en m'en allant, je vous enverrai un autre Consolateur, une autre personne ." — Oh ! Dieu puissant ! Qui est ce Consolateur que vous devez envoyer ? — Un Esprit de vérité qui demeurera en vous, qui vous enseignera des vérités, non pas des opinions, non pas des erreurs.

Seigneur, que les cieux et la terre vous bénissent ! Dieu le Père ne se contenta pas de nous donner son Fils très aimé et unique, Notre-Seigneur Jésus-Christ pour qu'il meure pour nous mais il se donna lui-même.

Jésus-Christ dit : Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure [80].

Qu'il étudie, pense et repense ses paroles, qu'il les accomplisse et les garde; il vous les donne pour preuve et gage de son amour. Dites-moi, mon frère, que ressentez-vous lorsque vous entendez la parole du Christ ? Vous réjouissez-vous quand on vous parle de lui ? Votre cœur est-il rempli de joie quand vous l'entendez nommer, lorsqu'on prêche de lui, lorsqu'on le loue, le bénit, le glorifie en chaire ? Vous vous réjouissez davantage des découvertes, des nouveautés; vous vous y intéressez plus volontiers.

Celui qui garde ma parole, celui-là m'aime. — Que signifie cela ? Comment dois-je garder ses paroles ? Comment dois-je l'aimer ? — Vous devez l'aimer et vous montrerez que vous l'aimez véritablement, si pour cela vous oubliez et abandonnez tout ce qui vous empêche de l'aimer et de le servir véritablement : si votre œil droit — si ce que vous aimez comme vos yeux — vous scandalise, si votre main droite — si quelque chose encore de grande utilité — vous écartent de ce but sacré, coupez-les.

C'est là un devoir bien pénible, Père ! — Vous devez avoir un couteau si affilé que même si on vous oppose père et mère, frères, parents et amis et tout ce qu'on peut imaginer, si cela vous éloigne de l'amour de Jésus-Christ, coupez-le, ne le laissez pas, foulez-le aux pieds, passez dessus; si cela semble être un acte de cruauté, c'est pourtant une grande preuve de piété. Si pour des raisons d'argent, ou de fortune, si à cause d'un parent ou d'un ami, si pour des raisons de déshonneur ou d'honneur, à cause de la faveur ou de l'appui, à cause de la mort ou de la vie tu viens à pécher, détourne-toi d'eux.

— Bien pénible devoir ! Dois-je ne pas désirer la femme d'autrui ? Non seulement ne pas prendre la fortune d'autrui mais encore avoir à donner la mienne ? Non seulement ne faire de mal à personne mais encore faire tout le bien possible ? C'est une dure et pénible obligation; un peu de sucre, Seigneur, s'il vous plaît ! Car je peine et transpire pour faire cela et avec toutes mes forces n'y parviens qu'un peu; apportez-nous quelque consolation, donnez-nous quelque récompense.

— Cela me plaît. Mon père l'aimera; mon Père le chérira bien — dit Jésus-Christ — et la récompense qu'il lui donnera pour obéir à mes paroles et observer mes commandements (et cela repaiera ses souffrances) c'est que le Père éternel abaissera ses regards sur lui, et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. Nous ne viendrons pas en passant car nous nous arrêterons pour fixer notre résidence et séjourner.

— Qui pourra entendre cette parole sans bénir et louer le Père, le Fils et le Saint-Esprit, car le Père et le Fils viendront et ils établiront leur demeure en lui.

Désirez-vous plus ? Êtes-vous contents ? A présent continuerez-vous à poursuivre les chimères, à chercher de l'argent, les honneurs, à désirer vous élever plus haut, vous faire valoir et rechercher des charges ?

Voulez-vous davantage ? Saint Bernard dit : " Oh ! cœurs endurcis que ne blesse pas un tel couteau, que n'enflamme pas un tel feu, que n'émeut pas, n'adoucit pas, et n'attendrit pas une telle bonté ! " Quand le Fils et le Père viennent, le Saint-Esprit vient aussi. Ne te considère pas comme orphelin dorénavant parce que le monde te refuse les honneurs, parce que le monde ne t'accorde pas de faveurs, parce que tu n'as ni prospérités, ni richesses ici-bas.

— Vous reste-t-il quelque chose, Seigneur, vous reste-t-il quelque chose à donner? Je prierai le Père et il vous enverra un autre Consolateur.

Le Consolateur sera tel, qu'ils ne regretteront pas le Christ.

Voilà ce qui me stupéfie le plus. Les disciples attendaient ce Consolateur. Ils le désiraient beaucoup tout en ignorant qui était ce Consolateur ou quelle était sa puissance. Les apôtres l'aimaient avant sa venue et désiraient beaucoup qu'il vînt à eux. Je prierai le Père et il vous enverra un autre Consolateur.

Que dites-vous, Seigneur ? Quelles paroles sublimes sortent de votre bouche ? Combien doit être

grand le Consolateur pour que sa venue console de votre douloureuse absence; pour qu'il console, pour qu'il enseigne et pour qu'il fasse tout ce que vous faisiez.

Pourrez-vous vous imaginer et pourrez-vous dire l'immense consolation que le Christ apportait à ses apôtres, combien sa vue et sa présence leur donnaient de joie ? Rien que de le voir, toutes leurs souffrances s'évanouissaient. Nulle mère n'aime autant ses enfants et les comble d'aussi nombreux présents que Jésus-Christ n'aimait et comblait ses apôtres de présents; il n'existe pas d'oiseau qui prenne autant de soin de ses petits, les défende et les abrite sous ses ailes que ne le faisait Jésus-Christ avec les siens. Il les aimait du plus profond de son cœur, il leur parlait, il les instruisait, il leur prodiguait mille consolations, il les préservait des défaillances, il les encourageait, il leur faisait beaucoup de bien. Eux l'aimaient tellement qu'ils abandonnèrent leur richesse et leur fortune, les filets avec lesquels ils gagnaient leur vie, des maris quittèrent leurs femmes, des enfants leurs parents, et quelques femmes leurs maris. Il était si affectueux pour eux, sa conversation si affable et si pleine d'amour, qu'ils auraient donné mille mondes s'ils les avaient possédés, afin de jouir de sa présence une seule heure. Comme ils étaient pleins d'assurance, comme ils étaient joyeux, comme ils étaient heureux avec le Christ ! On peut les considérer comme riches et heureux, et ils l'étaient, ceux qui voyaient Jésus-Christ de leurs yeux et entendaient de leurs oreilles ses très saintes paroles.

Jésus-Christ, le jeudi de la Cène, leur dit : Vous êtes tristes parce que je vous ai dit que je veux partir. Ces bienheureux étaient si heureux avec Jésus-Christ qu'il leur semblait impossible qu'après son départ, quelque chose put venir consoler leur cœur, et ils pensaient que personne au monde ne pourrait remplir le vide causé par son absence. Ils étaient stupéfiés, ravis par ce corps très saint et par sa présence; ils ne croyaient pas qu'ils pouvaient être consolés une fois que le Christ les aurait quittés. Qui consolera ces affligés ? Qui portera remède à une si grande perte ? Qui guérira cette plaie que l'absence du Christ a causée dans le cœur de ses apôtres ? C'est une grande plaie d'amour, elle a besoin de grand remède et de grand soin.

— Si je m'en vais un autre Consolateur viendra qui vous consolera. Quel Consolateur peut venir, qui les empêche de regretter Jésus-Christ ? Il leur dit qu'il veut s'en aller et pour adoucir leur peine et leur tristesse il leur promet de leur envoyer un autre Consolateur. Et il sera tel, que vous ne souffrirez pas de mon départ; un autre Consolateur aussi bon que moi, un autre qui vous consolera et vous fera plus de présents que moi.

Seul Dieu pouvait guérir cette plaie; et voici un argument très important pour croire que le Saint-Esprit est Dieu, parce que, s'il était moins que Dieu, il n'aurait pas pu consoler, il n'aurait pas pu guérir la plaie que le Christ avait faite par son absence. Jésus-Christ est Dieu; si le Consolateur qu'il devait envoyer avait été moins que Jésus-Christ, il n'aurait pas pu guérir la plaie faite par le départ du Christ. Donc, il est clair que, devant être Consolateur comme le Christ l'a dit, puisqu'il devait consoler les apôtres de la peine qu'ils avaient du départ du Christ, il devait être aussi Dieu que Jésus-Christ et aussi puissant pour consoler que l'était le Christ. Seul le Saint-Esprit qui est Dieu comme Jésus-Christ sera capable de le faire réellement. C'est pourquoi, vous devez être tout à fait consolés, parce que, si vous l'appelez, il vous secourra dans toutes vos difficultés. Peut-être dites-vous : " On m'a calomnié, j'ignore ce qu'on a dit de moi, j'ai perdu ma fortune, mon mari est parti, je souffre beaucoup et suis très malade, mon père est mort, mon ami m'a manqué de parole, je suis affligé, j'ai de grandes tentations, j'éprouve une grande sécheresse dans mon cœur, je ne sais pas ce que j'ai, je suis toujours aux prises avec la souffrance et en danger de mort ". Ayez de la patience, ne vivez pas dans l'affliction; ne vous laissez pas abattre, appelez ce Consolateur qui vous consolera et vous instruira; car puisqu'il a suffi à combler, à guérir et à consoler la désolation que le Christ a causée à ses apôtres, il vous consolera aussi; car ce fut une perte plus grande et une affliction plus grande que toutes celles que vous pouvez avoir, si grandes et si pénibles soient-elles. Compare ton affliction et ta plaie avec celles des apôtres, et tu verras comment celui qui a guéri et consolé celles là, alors qu'elles étaient si grandes consolera et guérira les tiennes aussi bien et encore mieux.

Ce que fait le souffle du Saint-Esprit.

Ce Consolateur est-il venu à vous ? Cet Hôte est-il venu à vous ? Ce grand jour pour votre maison est-il arrivé ? — Père, je ne sais pas ce qui m'arrive; ce qui me réjouissait beaucoup auparavant, m'importune à présent; les joies qu'offre le monde m'attristent, les plaisirs me font de la peine; les jeux, les passe-temps, les joies et toutes les jouissances du monde me sont fastidieux; tout me procure de l'ennui.

— Si ce jour est arrivé pour vous, si ce sentiment s'est emparé de votre cœur, si vous l'avez reçu, sachez-en remercier le Seigneur, et sachez-lui en rendre grâce. Celui qui reçoit cet Hôte, celui qui reçoit ce Consolateur, n'a que mépris et peu d'attention pour tout ce qui fleurit dans le monde, et tout ce que les mondains tiennent pour quelque chose, tout cela lui donne du dégoût, tout le rebute, tout l'ennuie et lui fait de la peine.

Sais-tu l'appeler ce Consolateur, tâche de lui plaire et de le contenter; parce que celui qui possède un tel Hôte ne doit pas s'en distraire, car un si grand Hôte demande un grand soin. Dis-lui : " Seigneur, c'est avec vous seul que je suis content, vous seul suffisez à me rassasier; sans vous je n'aime personne, et avec vous je possède tout; soyez, vous seul, avec moi et peu importe que tous les autres m'abandonnent; vous, consolez-moi, peu m'importe que tout le monde me remplisse de désolation; soyez, vous seul avec moi et peu m'importe que tout le reste soit contre moi."

— Où est la sagesse ? Où la trouverons-nous ? Elle est dans le cœur de Dieu. Eh bien dites-moi : après son départ restons-nous orphelins, restons-nous seuls, restons-nous sans conseil, sans appui ? Comment restons-nous ?

Nous a-t-il laissé ici-bas un autre à sa place ? Qu'il vous le prêche celui qui le sait et qu'il vous le fasse comprendre par sa miséricorde.

Oh ! grâces immenses de Dieu ! Oh ! grandes merveilles de Dieu !

Qui pourrait vous faire comprendre ce que vous perdez et aussi qui pourrait vous faire comprendre comme vous pourriez vite le regagner ! C'est un grand mal et un grand dommage, de ne pas connaître une telle perte. C'est un dommage plus grand encore de ne pas lui porter remède lorsqu'on le peut. Dieu t'aime bien; il veut te faire des faveurs, il veut t'envoyer son Saint-Esprit; il veut te remplir de ses dons et de ses grâces, et je ne sais pas pourquoi tu perds un tel Hôte. Pourquoi consens-tu à une telle chose ? Pourquoi le laisses-tu passer ? Pourquoi ne te plains-tu pas ? Pourquoi ne pousses-tu pas de cris ?

Mais comment appellerons-nous cette union que le Saint-Esprit veut faire et fait avec ton âme ? Incarnation ? Non; toutefois l'âme est jointe à Dieu avec une telle force et forme une union si puissante et si pacifique que cela ressemble beaucoup à une incarnation bien que par ailleurs les différences soient grandes. L'incarnation fut une union si haute du Verbe divin

à sa nature humaine très sainte, qu'elle l'éleva à une unité de personne, ce qui n'est ici-bas qu'une unité de grâce; et comme on dit d'une part incarnation du Verbe, on dit ici-bas spiritualisation [81] du Saint-Esprit. De même que Jésus-Christ prêchait, le Saint-Esprit prêche à présent; de même qu'il enseignait, le Saint-Esprit enseigne, de même que le Christ consolait, le Saint-Esprit console et réjouit. Que demandes-tu ? Que cherches-tu ? Que veux-tu de plus ? Avoir en toi un conseiller, un précepteur, un administrateur, quelqu'un qui te guide, qui te conseille, qui t'encourage, qui t'achemine, qui t'accompagne en tout et pour tout ! Finalement, si tu ne perds pas la grâce, il sera tellement à ton côté, que tu ne pourras rien faire, ni dire, ni penser qui ne passe par sa main et son saint conseil. Il sera pour toi un ami fidèle et véritable; il ne t'abandonnera jamais si tu ne l'abandonnes pas.

De même que le Christ pendant cette vie mortelle opérait de grandes guérisons et répandait sa miséricorde dans le corps de ceux qui avaient besoin de lui et l'appelaient, de même ce Maître et Consolateur opère ces œuvres spirituelles dans les âmes où il demeure et se trouve en union de grâce. Il guérit les boiteux, il fait que les sourds entendent, il donne la vue aux aveugles, il ramène les égarés, il enseigne aux ignorants, il console les affligés, il encourage les faibles. De même que le Christ faisait ces œuvres si saintes parmi les hommes, et de même qu'il n'aurait pas pu faire ces œuvres s'il n'avait pas été Dieu, il les fit avec cette nature humaine qu'il avait assumée, et nous les appelons œuvres qui furent faites par un Dieu homme, de même ces autres œuvres que fait ici-bas le Saint-Esprit dans le cœur où il demeure, nous les appelons œuvres du Saint-Esprit avec l'homme, considéré comme élément secondaire.

Ne peut-on considérer comme malheureux et infortuné celui qui ne possède pas cette union, celui qui ne possède pas un tel hôte dans sa maison, celui qui n'a pas un tel conseiller, celui qui n'a pas un tel guide, un tel soutien, un tel précepteur, consolateur et gardien ? Et parce que vous ne le possédez pas, vous êtes tels que vous êtes, remplis de misère. Dites-moi, l'avez-vous reçu ? L'avez-vous appelé ? L'avez-vous importuné pour qu'il vienne ? Combien de larmes vous en coûte-t-il ? Combien de soupirs ? Combien de jeûnes ? Quels actes de dévotion avez-vous faits ? Que Dieu soit avec nous ! Je ne sais pas comment vous avez la patience ni comment vous pouvez être privés d'un si grand bien. Voyez tous les biens, toutes les grâces et les miséricordes que le Christ est venu faire aux hommes, ce Consolateur les répand toutes dans nos âmes; il te prêche, te guérit, te rend la santé, t'enseigne et te fait mille millions de biens.

Il console, il encourage, il réjouit.

Ne vous est-il pas arrivé de sentir votre âme desséchée, sans fraîcheur, mécontente, remplie de découragement, affligée, dégoûtée, ne goûtant vraiment rien de ce qui est bon ? Alors qu'elle se trouve dans cet état de mécontentement, et parfois d'abandon, survient une brise sainte, un souffle saint, un rafraîchissement qui t'apporte la vie, t'encourage, t'anime, te fait revenir à toi, te donne de nouveaux désirs, un amour vif, des satisfactions très grandes et très saintes et te fait prononcer des paroles et œuvrer à tel point que tu t'en étonnes toi-même. C'est le Saint-Esprit; c'est le Consolateur; aussitôt que son souffle est arrivé, dès sa venue, vous vous trouverez attiré comme par une pierre d'aimant, avec un courage nouveau, des œuvres, des paroles et des désirs nouveaux; car auparavant vous ne trouviez de valeur à rien, tout vous importunait; à présent vous trouverez de la saveur en tout et beaucoup de satisfaction, tout vous réjouit, tout vous instruit. Une petite herbe, que vous regardez avec attention vous fait louer mille fois Dieu, Notre-Seigneur, et vous fait connaître l'Auteur et le Créateur merveilleux de toutes choses, met en votre cœur des sentiments de dévotion et de reconnaissance au Seigneur tout-puissant, et d'autres encore; s'il vous était permis de parler, vous proclameriez les merveilles et la grandeur de ce que le Seigneur fait connaître de tout ce qui est créé.

Oh ! joyeux Consolateur ! Oh ! souffle bienheureux qui conduit les vaisseaux au ciel ! Cette mer où nous naviguons est très dangereuse; mais avec ce vent et avec un tel pilote nous voguerons en toute sécurité. Combien de navires se perdent ! Combien soufflent de vents contraires et combien y a-t-il de grands dangers ! Mais dès que souffle ce Consolateur compatissant, il les fait rentrer dans un havre sûr. Qui pourra compter les biens qu'il nous faits et les maux dont il nous préserve ? C'est du ciel que vient le vent, du Père et du Fils, et c'est vers eux qu'il retourne; c'est de là que ceux-ci l'exhalent, et c'est de là qu'il l'envoie à ses amis [82]. II les guide vers le terme; il les y conduit; c'est là qu'il veut les mener.

— Avant la venue de ce Consolateur, avant que souffle ce vent du Saint-Esprit, nous sommes assis, nous sommes lourds, notre âme doit peser beaucoup, tout lui paraît difficile, tout lui semble impossible, il ne lui semble pas qu'il existe un chemin pour le ciel, elle trouve partout de la gêne, et elle marche alourdie par une arrobe de plomb, que dis-je arrobe ! cent quintaux de plomb. Comment les ossements des morts auront-ils la vie ? Comment, desséchés, se couvriront-ils de chair et ressusciteront-ils ? Il est évident que par eux-mêmes et seulement par eux-mêmes, ils ne pourront rien; mais Dieu qui peut tout, peut les couvrir de chair, et leur donner l'esprit de vie, et les ressusciter et leur donner mouvement et existence.

Dieu appela le prophète Ézéchiel et lui dit : Fils de l'homme, pour toi, ces os que tu vois ici pourront-ils avoir la vie et être couverts de chair et de nerfs? Ézéchiel répondit : Seigneur, ce que vous me demandez, vous le savez. Dieu dit : Dis-leur ceci : « Os desséchés, je jetterai sur vous de l'esprit de vie, et je vous couvrirai de nerfs et je ferai pousser de la chair sur vous, et je vous donnerai de la vie, et vous saurez que je suis le Seigneur ».

Un os sec, dur, sans humeurs liquides, ni vertu, voilà tout homme qui se trouve privé du Saint-Esprit; un os mort. Mais quand le prophète eut appelé le vent pour qu'il soufflât sur les morts, les os eurent la vie; tout change, ce qui est lourd devient léger et ce qui est mort revit. Tu étais malade, lourd, privé du feu de charité, mort, et tu n'avais pas la plus petite miséricorde pour personne ni n'avais de tendresse; tu étais découragé par la faiblesse, sans espoir de pouvoir réaliser une œuvre qui soit bonne et aussi pesant qu'un mort. Dans cet état Dieu te dit : " Homme, ne perds pas courage, penses-tu que tu ne pourras pas ressusciter ? Reprends courage, car moi je suis plus puissant pour te sauver, pour te ressusciter, te donner vie et te réjouir que tous les maux pour t'abattre, te perdre, te tuer et t'attrister. Ma bonté est plus grande pour te rendre bon, que ta méchanceté pour te damner et te rendre méchant."

Seigneur Dieu tout-puissant que les cieux et la terre vous bénissent ! Combien verrons-nous de témoins le jour du jugement dernier, dont les navires couraient déjà à leur perte, allaient se briser en morceaux, allaient sombrer et qui en recevant ton souffle furent sauvés et rentrèrent tranquillement au port et en toute sécurité ! Combien son Esprit ressuscita-t-il de gens qui avaient perdu toute espérance de vie et leur donna une nouvelle vie et des désirs nouveaux, les réjouit et les confirma dans une espérance nouvelle ! Qui fait tout cela ? Le Saint-Esprit qui a soufflé et a conduit sans résistance vers Dieu.

Que fait-il de plus ? Qui le dira ? Qui pourra le dire ? On jette les apôtres en prison, on les fouette et on leur ordonne de ne plus prêcher, eux sortent en riant, joyeux, éprouvant le sentiment d'être des bienheureux, parce qu'ils ont été dignes d'endurer des souffrances et des affronts pour le Christ notre Rédempteur. Sinon, considère que par peur d'une simple femme saint Pierre nie et renie trois fois Jésus-Christ, et dit : Je ne connais pas cet homme, et après la venue en son cœur de ce Consolateur, de ce souffle, ni les menaces, ni la prison, ni les chaînes, ni les coups de fouet, ni la mort même ne sont suffisants pour l'empêcher de prêcher et de confesser le saint nom de Jésus-Christ; saint Paul mis dans les fers et jeté en prison disait : " Ne croyez pas que je sois affligé parce que je suis dans cette prison; sachez qu'ici, dans cette prison où je suis, j'ai de la consolation pour moi et pour vous, et que d'ici je console tout le monde ."

Jésus-Christ dit dans son saint évangile : Que celui qui a soif, vienne. Que voulez-vous dire, Seigneur ? Quelle eau avez-vous pour apaiser la soif de ceux qui viendront à vous ? Il n'y a pas d'eau, ni de sources plus fraîches pour apaiser ainsi la soif et rafraîchir ceux qui sont altérés que le Saint-Esprit du Christ. Avec lui, les convoitises et la soif de ce monde s'apaisent et le feu ardent qu'allument en nous les désirs d'aimer et de convoiter les choses de la terre s'éteint. C'est pourquoi le Christ Notre-Seigneur dit : Que celui qui a soif vienne à moi. En venant à lui, en buvant de l'eau de son Saint-Esprit, en recevant ce Consolateur, ce souffle du Saint-Esprit, il sera rassasié, consolé, instruit, plein d'abondance et guidé sans erreur et hors de doute.

Il enseigne.

Saint Bernard dit qu'il t'enseignera toutes choses; quelquefois de lui à toi, quelquefois par la bouche d'un autre homme, il te prévient, t'enseigne, te console, t'aide et t'encourage, car il le veut ainsi; si beaucoup de disciples désiraient être marqués de cette doctrine, désiraient entendre et suivre les cours dans cette école, ils jouiraient de cet Esprit doux, source de sagesse. Dans les autres écoles, même si un homme est mauvais, il peut en sortir savant en sa matière et maître en quelques disciplines; mais ici ses disciples jouiront du Saint-Esprit et ils en sortiront ablactatos a lacte, avulsos ab uberibus [83], sevrés et éloignés du sein de leurs mères. C'est à ceux-ci que le Saint-Esprit enseigne qu'il se communique, qu'il se donne. Mes frères, osez vous sevrer pour Dieu, osez vous éloigner du sein de vos mères pour que vous soyez des disciples et soyez instruits à l'école du Saint-Esprit. Sevrez-vous de votre volonté, de votre opinion; sortez et éloignez-vous de vous-mêmes, sortez de votre naturel et de vos jugements. Mon Seigneur et mon Dieu, si vous n'êtes pas mon ami, si vous ne m'aidez pas, si votre puissante main ne me favorise pas, comment pourrai-je y pourvoir moi-même ? Comment pourrai-je me séparer, me sevrer et m'écarter des choses d'ici-bas ? Si vous m'aidez, je pourrai tout, je ferai tout; rien ne m'arrêtera; j'oublierai tout, je mépriserai tout et je chasserai tout de moi. Je préfère, Seigneur, être triste à cause de vous que joyeux dans le monde; j'aime mieux pleurer que rire puisque Jésus-Christ, notre Rédempteur a promis une si grande récompense, en disant de sa bouche inestimable : Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés [84].

Lorsqu'on les sevré, quelques enfants parfois en meurent. Les uns mettent leur consolation dans leurs enfants, dans leurs trésors et leurs richesses, d'autres dans l'honneur, d'autres dans les charges et l'autorité, d'autres dans les faveurs, d'autres dans leur femme ou leur mari; et ainsi chacun se repaît et se réjouit selon son caractère de ce qui lui donne le plus de contentement. Quitte tout, mon frère; sevré ce cœur qui est le tien, écarte-le du sein où il a placé son amour. Parmi ceux qui sont sevrés quelques-uns reviennent parfois en arrière. Ose, mon frère, et si une chose te plaît, sacrifie-la pour Notre-Seigneur Dieu et dis : " Pour votre amour, je veux perdre cette joie, cette consolation, ceci qui me plaisait et cela qui me donne du contentement. Seigneur et mon Dieu, tout ce que vous voudrez que j'oublie, que j'écarte, que je refuse, que je fasse, je ferai tout et je m'éloignerai de tout; aidez-moi, mon Seigneur et ma consolation; donnez-moi du courage, donnez-moi votre grâce ." Faites briller la lumière en nos esprits, versez l'amour en nos cœurs; soutenant la faiblesse de notre corps par votre constante vigueur [85].

Éclairez, Seigneur des rayons de votre lumière et de votre clarté éternelle, les ténèbres de mon entendement, pour que je puisse avec clarté et certitude ne choisir que vous pour mon bien éternel et que j'oublie et estime peu toutes ces autres choses, car elles sont des ombres fausses et des apparences trompeuses. Et en vous connaissant mieux, faites, Seigneur et mon Dieu, que mon cœur (et toute ma volonté) s'enflamme de votre amour et de désir pour vous, pour que je n'aime que vous, je ne veuille que vous, je ne me mette que sous votre protection, je ne tourne mes regards que vers vous et que vous ne permettiez pas que je m'éloigne jamais de votre amour. Et parce que la faiblesse de nos corps empêche de le faire aussi librement que le demande la raison, fortifiez, Seigneur, avec votre force la faiblesse de mon corps, la bassesse de ma sensualité et de mes aptitudes, afin que tout ce qu'il y a en moi vous contente et vous plaise, vous comprenne, vous aime et vous serve.

— Père, puisque j'ai entendu tant de biens de ce Consolateur, de cet Hôte, que nous devons recevoir dans nos âmes, sachons pourquoi il vient, ce qu'il fait dans nos âmes.

— C'est un long compte que vous me demandez; qui vous pourra compter les grâces qu'il répand là où il vient ? Combien de dons il laisse ! Que de miséricordes il apporte à l'âme qui se donne tout entière à lui ! Le Christ, notre Rédempteur, faisait des miracles, il guérissait des malades, ressuscitait des morts, prêchait. Qui pourra raconter tous les biens que Jésus-Christ Notre-Seigneur fit aux hommes ? Or le Saint-Esprit fait dans les âmes tout ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ faisait : il guérit des malades, ressuscite des morts, donne une langue aux muets pour proclamer la grandeur de Dieu Nôtre-Seigneur. Qui veut emporter cet Hôte ? Qui veut ce Conseiller, ce Consolateur ?

Qui le veut ? Qui le veut ?

— Eh bien, voudra-t-il venir ? — Écoutez : O vous tous qui avez soif, venez aux eaux. Vous-mêmes qui n'avez pas d'argent, approchez-vous vite et mangez. Venez, achetez, sans argent, et sans rien donner en échange, du vin et du lait [86].

D'abord il dit eau, et ensuite vin et lait. Eau parce qu'elle apaise la soif et rafraîchit l'ardeur du corps et repose les membres fatigués et nettoie tout ce qui est sale. Vin parce qu'il te fait perdre ta raison et prendre celle du Christ; il t'enlève ton opinion et ta volonté et te donne l'opinion, la volonté et les intentions de Jésus-Christ notre Seigneur et Rédempteur. Qui veut le recevoir car il se donne gratuitement ? Vin, parce qu'il donne de la force et du courage pour souffrir et endurer des souffrances pour le Christ, il réjouit le cœur et donne de la satisfaction dans l'adversité. Lait aussi, parce que le Saint-Esprit traite l'âme de celui qui le possède comme s'il s'agissait d'un enfant qui est au sein de sa mère et il le dirige, le gouverne et lui fait des présents comme pour un enfant; c'est ainsi notre précepteur, notre défenseur, le pédagogue de notre enfance.

Qui le veut ? Qui le veut, mes frères ? Qui le désire et se trouve en même temps plongé dans le péché ? Qui le demande avec le cœur occupé à d'autres choses ? Le glorieux apôtre saint Paul dit aux Éphésiens : C'est en lui que vous avez cru et que vous avez été marqués du sceau du Saint-Esprit, qui avait été promis, et qui est une arrhe de notre héritage [87]. A quoi me sert d'être baptisé et de croire en Jésus-Christ si je n'ai pas le Saint-Esprit ? Si je n'ai pas ce gage de l'héritage céleste promis, à quoi me servent ces autres biens même si j'en ai beaucoup ? Sans cela être baptisé et m'appeler chrétien n'est rien. De même que la circoncision était un signe pour le Juif, de même le baptême est un signe extérieur pour le Chrétien; rien ne sert pour te sauver, si tu n'as pas le Saint-Esprit. Le signe par lequel quelqu'un doit se sauver et atteindre les promesses du Christ notre Rédempteur, n'est pas de m'appeler chrétien, ce n'est pas seulement d'être baptisé. Parce que bien qu'il y ait ceci, s'il manque la présence du Saint-Esprit, ceci ne suffira pas; les baptisés sont des enfants, mais ce ne sont pas des enfants légitimes, ce sont des bâtards; ce sont des enfants, mais ils n'héritent pas de leur Père parce que les bâtards ne sont pas des enfants qui héritent; leur Père peut leur donner des dons, mais il ne leur donnera pas le patrimoine. Celui qui est baptisé et n'obéit pas à Dieu, Notre-Seigneur, n'est pas un fils légitime; celui qui est baptisé et ne possède pas le Saint-Esprit n'est pas légitime; il est bâtard, car il n'a pas le signe qui rend les enfants légitimes et héritiers des biens de leur Père, qui est le Saint-Esprit. C'est en lui que vous avez cru et que vous avez été marqués. Lorsqu'on t'a marqué avec le signe extérieur de chrétien et quand on t'a donné le Saint-Esprit, on t'a fait brebis du Christ et on t'a marqué comme étant sa brebis et de son troupeau. Si nous n'avons pas le Saint-Esprit, nous ne possédons pas l'harmonie éternelle, que Dieu promet par Isaïe : J'ai conclu avec vous un pacte éternel, vous accordant les grâces assurées à David [88].

Qui le veut ? Qui le veut ? Oh ! envoyez-nous des crieurs qui publient la bonne nouvelle ! Qui veut cet Hôte ? Qui veut ce Consolateur ? Il ne sera pas donné à tous de recevoir ce Consolateur, il ne sera pas donné à tous de recevoir un Hôte, à plus forte raison si on vous dit que c'est une personne très sensée et sage. Un jeune homme dit : " Je dois rester devant lui comme saint Jérôme; je ne dois pas bouger, je ne dois pas parler ni me promener, aller aux jeux, ni aux fêtes, ni où je veux; je dois toujours me tenir dans les justes limites; voilà un grand ennui, qui le pourrait supporter ? " Ah ! Seigneur, que signifie cela ? Ils vous prient et ne vous veulent pas ! Vous vous donnez gratuitement à eux et ils ne vous apprécient pas. Eh bien! Seigneur, vous savez ce qu'il nous faut et ce que nous perdons si nous ne vous recevons pas, dites-le nous et faites-le nous comprendre.

Si tu attends ou si tu possèdes déjà cet Hôte...

La femme enceinte ne saute pas, ne fait pas non plus de travaux excessifs pour ne pas risquer de perdre ce qu'elle porte en son sein; la jeune femme follette qui n'est pas enceinte, saute et danse, joue sans crainte parce que rien n'est en péril en elle. Voulez-vous voir de quel péril il s'agit et quel est ce bien qui ne vous manque pas ? Regardez : Si vous voyez des personnes inconséquentes ou si vous l'êtes vous-même car vous allez où vous voulez, vous parlez, riez, jouez sans crainte, c'est le signe certain que vous n'avez rien à perdre; ou nous pourrons vous prédire que vous le perdrez vite, puisque l'amour vous fait défaut. C'est un signe certain que nous avons quelque chose à perdre si nous avons le souci de le garder et la crainte de le perdre; ainsi lorsqu'on vous dit : Regardez cela. Vous répondez : Je n'ose pas. — Allons par là. — Je n'ose pas. — Réjouissons-nous un peu. — Je ne peux pas. — Allons nous distraire. — Je n'oserai pas. — Que se passe-t-il ? Qui vous a ravi votre volonté ? Qui vous a pris votre liberté ? La sainte crainte et le respect de l'Hôte que j'ai en moi, tiennent enchaînés mes pieds, mes mains, mes désirs et mon cœur. Il me tient tout entier attaché si bien que je ne peux faire ni ne veux faire plus que ce qu'il désire et que ce qui est sa volonté.

Celui qui attend ou qui possède cet hôte, accepte ces liens, soit pour le recevoir mieux ou avec de meilleurs préparatifs, soit, s'il est venu, pour le garder afin qu'il ne s'en aille pas. — Pourquoi ne partez-vous pas par là ? Pourquoi ne faites-vous pas comme les autres ? Pourquoi êtes-vous si ennuyeux ? Sortez de vous-même, existez pour quelque chose ! Si vous voyez quelqu'un agir de la sorte, et qui a souci de lui-même, et ne sait pas répondre par lui-même, ne sait pas se défendre, celui-là le possède dans son cœur; chez lui habite cet Hôte; ce sont des signes de la présence du Saint-Esprit : N'attristez pas le Saint-Esprit [89]. Surveille ta manière de vivre, afin de ne pas attrister le Saint-Esprit qui demeure en nous. Sois soucieux comme celui qui a pour hôte un grand seigneur, et n'ose pas aller aux fêtes ni aux jeux. Il se souvient immédiatement de son hôte et dit : " Qui le servira ?

Qui lui préparera le repas? Qui veillera sur lui? Je veux rentrer chez moi, de peur qu'il ait besoin de moi, que je lui manque, que je lui fasse défaut ". Si tu n'as pas ce souci, cette crainte et ce respect du Saint-Esprit qui est ton hôte, avec quelle liberté tu agis ! Tu cours, joues, te moques, manges, et bois sans crainte de le perdre et sans aucun souci de l'attendre et de le recevoir. Oh ! quelle douleur ! Si tu attends, si tu veux, si tu désires qu'il vienne, quel souci en prends-tu ?

Il n'y a personne, si pauvre soit-il, qui, prévenu que le roi doit venir chez lui, ne cherche sous forme de prêt ou de toute autre façon quelque chose à suspendre et des parures pour orner sa maison. " Oh ! on me dit que le roi doit venir chez moi ! Que ferai-je ? Prêtez-moi quelque chose à suspendre en ornement; prêtez-moi quelques draperies avec lesquelles j'embellisse et orne ma maison. Bien que je sois pauvre, ce n'est pas une raison pour que le roi venant dans ma maison, la trouve sans parure, sale et mal arrangée. "

Lorsqu'on t'incitera à quelque péché, à quelque tentation mauvaise, réponds aussitôt: "J'attends la pureté, pourquoi me souillerai-je ? J'attends mon Seigneur, comment quitterai-je ma maison ?" Mon esprit ne demeurera pas toujours dans l'homme, car l'homme n'est que chair [90]. Saint Paul dit aussi : Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit ? [91] N'ignorez-vous pas que vos yeux, vos mains et votre bouche, sont le temple du Saint-Esprit; ne souillez pas la maison du grand seigneur. Tu recherches les joies de la chair, aussitôt le Saint-Esprit s'en va. Le Saint-Esprit ne peut se supporter d'aucune manière dans un esprit souillé; ils ne peuvent vivre ensemble. Il n'est point de moyen terme, il faut choisir l'un ou l'autre. Si tu choisis le Saint-Esprit, tu dois rejeter tout péché et souillure; et si tu veux conserver quelque péché, le Saint-Esprit s'en ira.

Considère donc, à présent, ce qui vaut plus, avoir dans ton cœur le Saint-Esprit Consolateur avec la pureté ou perdre un si grand bien pour un plaisir charnel que les bêtes des champs connaissent. Ce n'est pas beaucoup, ce n'est pas beaucoup certainement, de risquer et de perdre ce qui est faux pour choisir ce qui est vrai; de perdre l'incertain pour le certain. Pour une affaire si claire, pour une affaire qui te convient tant, il n'est pas nécessaire de prendre conseil.

Qui le veut ? Considérez qu'il se donne gratuitement, qu'il ne vous demandera pas beaucoup de choses. Pour révérer le Saint-Esprit, qui est venu aujourd'hui remplir le cœur des apôtres, dorénavant ayez de la vénération et du respect pour cet Hôte, servez-le avec beaucoup de soin; même si vous avez de la peine, travaillez à le contenter; même si vous, vous dormez sur le sol, donnez-lui votre lit; et même si vous en souffrez, contentez-le. Je vous demande par révérence et amour pour lui, d'avoir pour lui du respect. Ne vous donnez pas à l'esprit du mal; n'échangez ce Consolateur avec personne. Ne pensez pas pouvoir vivre sans le Saint-Esprit ou sans l'esprit du mal, car c'est l'un ou l'autre.

Nous faisons le signe de la croix lorsque nous entendons parler du démon ou lorsque nous l'entendons nommer et ne nous signerons-nous pas si nous l'avons dans le cœur, comme nous l'avons quand, par quelque péché mortel, nous sommes ennemis de Dieu et fâchés avec lui ?

Appelle-le au nom de Jésus-Christ.

Si nous avions un peu d'attention et considérions les apôtres qui l'attendaient avec foi ! Les bienheureux attendaient le Consolateur. Sois ainsi dans les œuvres de miséricorde en faisant du bien à tous ceux que tu pourras.

Les apôtres étaient enfermés en compagnie de la Très Sainte Vierge Marie; appelle-le ; force-le comme la veuve dont je vous ai parlé, qui insista et contraignit Élisée.

Je pensais que s'il est venu chez ceux qui ont crucifié le Christ, il viendra, à présent, aussi, chez ceux qui l'appelleront avec dévotion.

Sa douceur et son amour étonnent véritablement, lui qui est entré en eux par la prédication et la prière des apôtres. Saint Pierre prêche ceci: "Mes frères, vous avez péché, connaissez vos péchés et repentez-vous en, car le Seigneur vous pardonnera aussitôt, et vous enverra un don. Préparez vos cœurs pour le recevoir." Dieu ouvre leur cœur, leurs entrailles et ils connaissent leur mal; et alors retentit cette voix-là, qui est connaître son péché et le pleurer, et qui résonne plus que l'orgue et répand une odeur plus forte que la civette; ils appellent du fond du cœur Notre-Seigneur Jésus-Christ; et, dès qu'ils le font, le Saint-Esprit descend en eux. Voulez-vous que le Saint-Esprit vienne à vous ? Appelez-le au nom de Jésus-Christ. Le Saint-Esprit aime tant Jésus-Christ, que, si vous l'appelez en son nom pour qu'il vienne à vous, il viendra aussitôt.

— Il est pur; comment viendra-t-il à moi qui ne le suis pas ?

— Voici la raison. Pourquoi le Saint-Esprit a-t-il tant aimé Jésus-Christ? Parce que Jésus-Christ s'est mis sur la croix de très bon gré en obéissant au Père éternel et au Saint-Esprit; c'est pourquoi il viendra à vous en son nom, et n'aura pas de dégoût de votre misère; il ne manquera pas de venir; il ne se bouchera pas le nez à cause de toi. — Qui à la vase a uni l'or, la pureté à l'impureté, la richesse à l'extrême pauvreté, la grandeur à la bassesse, un si grand bien à tant de faiblesse et de petitesse ?

— Il est donc vrai que l'homme n'est pas un lieu fait pour le Saint-Esprit, ni la croix n'était un lieu fait pour mettre notre Rédempteur Jésus-Christ; mais c'est à cause de cette union de Dieu avec la croix qu'il y a cette autre union du Saint-Esprit avec l'homme. Le Saint-Esprit inspira Jésus-Christ et l'avertit d'avoir à se mettre dans ce lieu si bas et si infect de la croix, voilà pourquoi le Saint-Esprit vient dans cet autre lieu si indigne et si bas : l'homme. Demandez-le lui instamment, importunez-le, appelez-le au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur, il viendra certainement et se donnera à vous avec tous ses dons, il éclairera votre entendement; il enflammera votre volonté par son amour et il vous donnera ses grâces et sa gloire.

 

[74] Cf. Jean : 3, 31. Avila suppose que ses auditeurs connaissent le texte cité.

[75] Cf. Actes : 2, 11.

[76] Luc. 1, 35.

[77] Actes : 19, 2.

[78] Tite : 1. 16.

[79] Gn. 1, 2.

[80] Jean : 14, 23.

[81] Le mot espirituación n'existe pas comme tel en espagnol. C'est un de ces néologismes frappants qui sont bien dans le genre de Jean d'Avila. N'ayant pas d'autre mot que spiritualisation pour le traduire en français, il convient de donner à celui-ci le sens fort qu'entendait lui donner Avila, c'est-à-dire : union intime du Saint-Esprit et de l'homme, conçue par analogie — sans plus — avec l'union de la divinité et de l'humanité dans l'Incarnation.

[82] « L'Esprit de vérité... ne tirera pas de son propre fonds ce qu'il vous dira, mais il vous répétera ce qu'il a entendu ». (Jean : 15, 13).

[83] Nous laissons ici les mots latins intercalés par Avila dans son texte. Le lecteur comprendra mieux, une fois de plus, sa méthode et ses procédés.

[84] Mt. 5. 5.

[85] Hymne " Veni Creator ". Même procédé qu'au sermon 28.

[86] Cf. Is. 55, 1.

[87] Cf. Eph. 1, 13.

[88] Cf. Is. 55, 3.

[89] Eph. 4, 30.

[90] Cf. Gn. 6, 3.

[91] 1 Cor. 6, 19.

   

pour toute suggestion ou demande d'informations