saint
JEAN DE AVILA
dominicain et auteur mystique
(1500-1569)

SERMONS SUR LE SAINT-ESPRIT

 

 

 

31

Dieu sauve le monde par le Saint-Esprit.

Lundi de Pentecôte

Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. (Jean : 3, 17)

Exorde :

C'est un grand stimulant pour celui qui veut entreprendre quelque ouvrage d'en comprendre le but et d'avoir confiance d'y parvenir. Quand nous désespérons d'atteindre quelque chose, nous n'en cherchons pas les moyens et nous ne les mettons pas en œuvre, etc.

Je me demande parfois pourquoi si peu d'hommes cherchent le Saint-Esprit et comment ils peuvent vivre si peu soucieux de savoir si moi je le possède. Ils mangent, ils rient, ils font des affaires, et les charmes d'une jolie femme les mènent à la perdition alors que la beauté du Saint-Esprit a si peu d'amis qui perdent le sommeil pour elle...

Combien d'heures de sommeil vous a enlevées cette angoisse du Saint-Esprit ? Il est étonnant de voir le petit nombre de ceux qui aiment et désirent ce Seigneur. Lui qui paie de retour mieux que le monde. Il y a des hommes qui pour un real perdent l'honneur, le sommeil, et qui feront un faux serment, etc.; et des richesses du Saint-Esprit rien ne vous importe. Pour quelle raison ne les poursuivons-nous pas ?

Dieu a dit par la bouche de Moïse : " Ne dis pas : Cette loi est loin de nous, qui l'accomplira ? Qui montera au ciel pour aller la chercher ou qui descendra en enfer pour l'en retirer ? " Tu vois comment il te l'a envoyé dire verbalement : elle est tout près de toi, en ta présence. Saint Paul l'explique. Ne dis pas : Qui montera au ciel pour chercher Jésus-Christ ? Qui descendra en enfer? " Ce qui signifie faire remonter le Christ d'entre les morts ". " Près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton cœur. C'est la parole de la foi que nous prêchons " [92]. Il ajoute encore : Ne sois pas soucieux en disant : Qui montera au ciel pour nous en apporter le salut, c'est-à-dire, Jésus-Christ ? Qui descendra en enfer pour l'en retirer ? Qui pourra être près de lui pour jouir de lui et recevoir son salut ? Ne dis pas cela — ajoute saint Paul — parce que dans ta bouche, dans ton cœur, tout près, contre toi c'est là qu'il se trouve. Si tu as la foi, tu seras sauvé.

Revenons à notre sujet. Y aura-t-il quelqu'un ici désireux de voir le Saint-Esprit ? Quelqu'un n'a-t-il pas dit : " Ne jouirais-je pas, moi, de lui, car les apôtres étaient si désireux de voir le Saint-Esprit à cause de ce qu'il leur avait dit de lui, qu'ils en mouraient de désir ? " Ne dites pas : " Ne verrais-je pas un si grand bien ? Peut-être suis-je en train de soupirer pour ce que je ne peux atteindre ! J'ai placé mon amour dans une chose si haute, qui est plus propice au désespoir qu'à la réussite. Lui véridique, moi menteur; lui pur, moi souillé; lui grand, moi si petit; comment m'aimerait-il ? " Ne vous tourmentez pas, ne vous désespérez pas, attachez-y vos soins, votre désir, car le reste lui s'en préoccupera, etc.

Daniel vit un fleuve de feu qui descendait. Comment cela se fait-il ? Sa nature n'est-elle pas de monter ? Que dit l'Apôtre ? Qu'il convenait que le Christ, après avoir souffert pour nous, montât aux cieux et s'assit à la droite du Père, afin de se tenir désormais pour nous présent devant la face de Dieu ? [93], etc. Qu'est-ce que cela, Seigneur ? Il vous restait à faire ceci pour nous : vous mettre devant les yeux du Père et lui présenter vos plaies et vos souffrances, et lui dire : " Père Éternel, si vous m'aimez bien, aimez bien ceux-ci que j'ai enfantés et pour lesquels j'ai souffert ". Car c'est de cette face et de ce visage de Jésus-Christ, de ses mérites (car il est le visage de Dieu; et l'on dit visage, parce qu'il nous en donne la représentation et nous met devant les yeux la divinité de Dieu, comme visage, comme image de Dieu : Ce fils qui est le rayonnement de sa gloire, l'empreinte de sa substance " [94], c'est de la face et des mérites de Jésus-Christ qu'il vient. Qu'est-ce que venir, sinon couler vers le bas ? N'est-il pas venu du ciel à la terre ? N'est-ce pas cela descendre ? Il coule, il descend vers la bassesse des hommes le fleuve de feu qu'est le Saint-Esprit.

Aujourd'hui il entre dans ces cœurs et il les allume et les enflamme. Ne crains pas, car si le Christ a accumulé les mérites, il l'a fait pour cela, et à cause de ses mérites il te le donnera. Et de même que, quand il vint et se fit homme et s'enferma dans les entrailles d'une femme, la Très Sainte Vierge, elle le pria, et ainsi prié il vint; à ses supplications, il vint et entra dans son sein et le sanctifia et le purifia, ainsi fera-t-il avec nous, etc.

Entretien du Seigneur avec Nicodème.

Dieu donne à vos seigneuries de très bonnes fêtes et la grâce du Saint-Esprit abondamment. Il nous appartient aujourd'hui de prêcher quelques paroles que le Saint-Esprit a dites par la bouche de l'évangéliste saint Jean. On les a chantées à l'évangile de la messe, etc. Ce sont des paroles douces, et plus encore parce qu'elles sont dans la bouche du Christ. Il veut dire : Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour le juger et le condamner mais pour que le monde soit sauvé par lui. Il doit en avoir bien envie, puisqu'il envoie un tel gage; il a envie de ce joyau, puisqu'il donne un tel prix pour lui. Je vous en conjure, vous qui savez le latin lisez ce chapitre. Il me semble que ce sont les paroles les plus douces qu'il y ait dans l'évangile.

Voyez comment le Seigneur s'entretient avec Nicodème. C'était un homme bon et savant, etc. Parmi tout ce que vous pouvez y lire, il lui dit : Vois, si l'homme ne naît de nouveau, il ne peut être sauvé. Il lui répondit : Comment un homme déjà vieux peut-il naître de nouveau? Peut-il par hasard rentrer dans le sein de sa mère?, etc. — Toi, maître et docteur en Israël, tu ignores ces choses? Tu es très savant peut-être, pour te sauver tu es ignorant. Ne sais-tu pas ce que signifie naître de nouveau ? C'est qu'on ne peut voir le royaume de Dieu. Voir et entrer vont de pair, etc. Saint Augustin dit : Celui qui n'est pas né ne peut voir les choses d'ici-bas, les choses du monde; et tu ne peux voir les choses de Dieu si tu ne viens à renaître, etc. Et tu ne sais pas cela? Ne l'as-tu pas lu dans la Loi, dans les Nombres, que les enfants d'Israël ayant murmuré contre Moïse, Dieu envoya des serpents qui les tuaient, et comment celui même contre qui ils murmuraient intercéda auprès de Dieu pour eux, pour qu'il leur enlevât cette plaie, et Dieu lui ordonna d'ériger un serpent, etc. ? Voici la réalité de cette figure et le corps de cette ombre. Il convient que je sois élevé sur la croix, pour que tous ceux qui me regarderont et avec foi lèveront les yeux sur moi, aient la vie. Et si tu t'étonnes de savoir pourquoi j'apporte tant de soin au salut, ce n'est pas à cause de leurs mérites. Sais-tu d'où cela provient? Dieu a tellement aimé le monde, [95] etc.

Que ressentent vos oreilles quand vous entendez dire : Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, et en sachant que ce qu'il avait à faire pour le monde allait lui coûter la vie ? Que je sois moi aimé de Dieu ! Que mon âme soit si agréable à Dieu, qu'elle lui soit si précieuse que, pour qu'elle ne se perde pas, il envoie son Fils unique afin de mourir pour elle !

Seigneur, qui donc s'honore de sa race, qui s'honore de ses biens, de sa condition, de sa beauté, etc. ? Ayez honte des honneurs et estimez-vous parce que vous êtes si aimés, si chéris de Dieu, qu'un Fils, etc. Il ne suffit pas de l'entendre, etc. On vous l'aurait envoyé pour qu'il nous perdît ? Pouviez-vous avoir un plus grand bonheur, pouvez-vous avoir une plus grande raison de suivre celui qui vous aime tant ? etc. La plupart de ceux qui ne servent pas Dieu c'est parce qu'ils ne savent pas combien Dieu les aime, ils ignorent les bienfaits de celui qui a donné son Fils pour toi, etc. Qu'il pleure, lui, pour que toi tu sois heureux et en paix! etc. [96] Ne te réjouis-tu pas beaucoup d'entendre ces paroles, que Dieu t'a aimé tellement ? Et c'était lui qui les disait, etc. // ne l'a pas envoyé pour condamner le monde, il ne l'a pas envoyé pour le juger; car s'il était venu pour cela, qui aurait échappé ? Qui n'aurait été condamné ? Il est venu seulement pour que le monde soit sauvé.

L'homme créé dans l'honneur, ne le comprit pas.

— Il semble, d'après cela, que le monde était perdu avant qu'il ne vînt. — Oui, et avant qu'il ne vienne à l'âme elle est perdue. — Comment le monde s'est-il perdu ? — Sachons-le, parce que peut-être par là verrons-nous comment il doit être sauvé. Alors que l'homme possédait l'honneur, il ne le comprit pas, il fut comparé aux bêtes, il leur devint semblable [97]. Dieu créa le monde, il l'orna d'arbres, d'herbes, d'animaux. Il créa l'homme et la femme. Il les fit seigneurs de tout, il leur donna le commandement et l'honneur. Le plus grand honneur qu'il leur donna fut de les créer à son image et à sa ressemblance et il les mit sous son obédience.

Étant ainsi honoré, il n'en comprit pas la valeur, il ne sut pas se maintenir tel, car il faut davantage de vertu pour ne pas tomber quand on possède l'honneur et la prospérité qu'il n'en faut dans les épreuves; il faut plus de lumière pour ne pas tomber quand on possède l'honneur que pour ne pas succomber sous les épreuves. Il ne connut pas ce qu'il avait, il voulut monter plus haut, et parce qu'il voulut ce qui était au-dessus de cet honneur, il perdit ce qui lui était destiné, et perdit cet honneur lui-même; non seulement il perdit Dieu en l'abandonnant, mais il perdit ce que... [98] Celui qui est en état de péché est moins qu'un homme. Le voici perdu, changé en bête, dès qu'il rejette la grâce et l'obéissance à Dieu. Dès que tu pèches, aussitôt tu suis ce que veut ton appétit et ce que ta chair te demande, etc. N'est-ce pas un homme celui qui vit selon la raison, etc., celui qui se gouverne par la lumière naturelle ? Qu'est-ce qu'un chevalier vêtu de brocart et de soie si à l'intérieur il n'est qu'une bête ? etc. De quoi a l'air celui qui semble gouverner les autres quand lui-même est guidé et gouverné par une bête ? Il n'y a pas de plus grand déshonneur que d'être en état de péché. C'est pour un homme être transformé en bête, etc. Il ne comprit pas, etc. et il ne savait pas quel poids c'était d'être une bête, ni ce qu'étaient les souffrances, ni les fatigues, etc. A cause des péchés ces espèces entrèrent dans le monde. De là vinrent la convoitise, l'orgueil, les majorais [99], etc.

Vous souvenez-vous d'un fou qui avait édifié une grande ville pour se fortifier dans son royaume contre Dieu, pour qu'il ne pût l'en rejeter ? Nabuchodonosor : Qui pourra — dit-il — m'enlever mon commandement et mon pouvoir ? Il attend donc, II entend une voix du ciel : On va te jeter hors de ton royaume et de ta maison, et pendant sept années tu iras vivre comme une bête parmi les bêtes, passant comme elles, et sept années passeront sur toi, jusqu'à ce que tu confesses que le pouvoir et la force sont dans le ciel et non dans les villes, non dans les briques, ni dans les pierres, etc. Qu'un cœur de bête lui soit donné [100], il lui semblait à lui qu'il était une bête. Il sort de son palais et s'en va dans la campagne avec les bêtes, et il y passe sept années. Que signifie cela ? Que sept époques passeront sur toi, jusqu'à ce que tu reconnaisses que la force et le pouvoir appartiennent au ciel, et non aux villes, aux briques, etc. Puisque tu as enlevé à Dieu l'honneur, que l'on t'enlève non seulement le royaume, mais que l'on t'enlève le cœur; qu'on te fasse homme et qu'il semble que tu ne l'es pas, etc. C'est ainsi que, puisque tu abandonnes Dieu, que non seulement on t'enlève la grâce et les vertus, etc., mais qu'il te semble être une bête, etc. Allons.

Quoi ? Ceci ne se passe-t-il pas tous les jours parmi nous ? Parce que vous vous êtes trouvé un certain temps dévot et porté à la prière et à la contemplation, et que toutes les tentations ne vous effleuraient pas, vous vous êtes enorgueilli, vous avez eu confiance en vos forces. Qu'on vous enlève le royaume, que vous ne sachiez pas ce que c'est que la dévotion ni la prière, ni ce qu'est Dieu, mais que vous deveniez semblable à une bête, pour reconnaître que ce qu'il vous donnait était une grande grâce et qu'il ne vous le devait pas; que maintenant paroles de Dieu et bonnes actions n'aient plus un goût agréable pour vous. Connaissez-vous, etc. Le lion connaît celui qui lui donne à manger. Et n'importe quel animal aussi. Et vous, vous ne le connaissez pas ? Que l'on vous donne un cœur de bête ; que vous perdiez la miséricorde, etc. C'est ce que Job pleurait au nom du pécheur, en disant : Ce que mon âme autrefois haïssait, maintenant elle le mange. Tel est le péché d'Adam et Ève et tous leurs descendants naissent avec le péché.

Dieu dit : " Laissez ces fous, car moi je ferai passer sept années sur eux; je leur ferai comprendre leur peu de valeur sans moi ", etc. Saint Augustin dit : " Pour que les hommes éprouvent bien leurs forces et connaissent leur faiblesse, etc., et appellent le secours de Dieu, etc., il fait chercher le remède ". Vient la loi naturelle; ils font le contraire. Ils la comprenaient; mais ils ne l'accomplissaient pas. Connaissant ce qui était le bien, ils ne le suivaient pas; ce qui était le mal, ils ne s'en écartaient pas. Ils avaient là une loi dans leur âme, non pour la garder, mais pour connaître leur infirmité, etc. Ils disaient : " S'il y avait une loi et quelqu'un qui ordonne, il n'y aurait personne qui ne l'accomplirait ". Dieu leur donna sept cent soixante-dix commandements, pour qu'ils ne se plaignissent pas qu'il ne les commandait pas, et eux non seulement ne furent pas bons, mais furent pires qu'avant sous la loi. La loi est intervenue pour faire abonder la faute [101]. Non parce qu'elle était mauvaise, mais à cause de la méchanceté et de la faiblesse humaines, etc. Soyez dès lors libérés de cette opinion, tenez-vous pour faibles et méchants, etc.

Oh ! combien de fois disons-nous : " Je suis absorbé maintenant par une affaire, il n'est pas question que j'aille me confesser ni m'occuper de ma conscience; demain, cette affaire terminée, je le ferai ." Et après, non seulement vous ne vous débarrassez pas de ces mauvaises actions que vous avez entre les mains, mais vous en ajoutez tout autant, etc. [102]

Cette folie et cette présomption, cette confiance en nos forces nous perd. Finalement l'homme s'est perdu par désir d'honneur, et il est tombé plus bas que la bête. Et dans le septième âge, depuis que les hommes étaient traités comme des bêtes à cause des péchés, Dieu envoie le Sauveur de ceux qui sont perdus, non pour qu'il les juge et les châtie — car Dieu ri a pas envoyé son Fils, etc. — mais pour que le monde soit sauvé par lui, pour qu'il lui porte remède.

Aujourd'hui Dieu sauve le monde par le Saint-Esprit.

Nous voici maintenant le jour de la fête. Comment le sauvera-t-il ? L'homme était au-dessous de la condition de bête et encore plus bas que la bête. Comment peut-on y remédier ? Qu'on lui enlève le cœur de bête et qu'on lui donne un cœur. De qui ? D'homme non, mais de Dieu. Par le péché il a perdu son cœur d'homme. Qu'on lui enlève maintenant le cœur de bête, et qu'on lui donne celui d'un homme. Ôte de notre chair le cœur de pierre [103] C'est aujourd'hui ce jour de la création nouvelle de l'homme, de sa rénovation, quand on enlève au monde un cœur de bête et qu'on lui donne celui de Dieu, etc. Autrefois on ne baptisait qu'à Pâques et à la Pentecôte, pour donner à entendre que le baptême est une nouvelle résurrection de l'âme, et aujourd'hui aussi, parce que c'est aujourd'hui le jour où les hommes reçoivent des cœurs nouveaux de Dieu, etc. Ceux qui sont déjà enfants des hommes, aujourd'hui sont des enfants adoptifs de Dieu. C'est aujourd'hui ce jour.

Écoutez-moi attentivement. Comment Jésus-Christ les a-t-il sauvés ? Voyez-vous ce combat qu'il soutint durant toute sa vie, luttant avec le Père, le priant pour nous, s'offrant pour nous, etc. ? Il lutta avec nous pour que nous le connaissions et que nous croyions en lui et lui obéissions, etc., et il se battit et négocia mieux avec le Père notre pardon qu'avec nous notre foi, etc. Pendant tout ce temps il réunit douze apôtres, choisis parmi tous les hommes qu'il y avait dans le monde.

Eh bien ! comment le sauva-t-il ? Comment obtint-il son rachat ? Aujourd'hui c'est le jour du Seigneur, qui vient aux hommes. Semblable à l'autre jour est celui-ci. Autrefois Dieu est venu par union, maintenant Dieu vient par union non hypostatique, mais d'opération et de régénération. Bienheureux jour ! Qui ne s'émerveille ? Aujourd'hui la lumière descend parmi les hommes, aujourd'hui descend la personne même de Dieu, le Saint-Esprit, et il entre dans le cœur des hommes.

Quel beau jour et quel mariage harmonieux ! Aujourd'hui Dieu sauve le monde par le Saint-Esprit. Eh bien! pourquoi dit-on Jésus-Christ Sauveur ? C'est ainsi, parce qu'il l'est, parce que par ses prières le Saint-Esprit est venu aux hommes, etc., guérir les cœurs abominables des hommes, si mal enclins, etc. Dieu se plaint par la bouche de Jérémie : Israël est-il un esclave, est-il né d'un esclave dans la maison? Pourquoi donc est-il traité comme un butin? Pourquoi les lions rugissent-ils contre lui ? [104] Par hasard es-tu esclave? Pourquoi t'es-tu laissé prendre par le péché ? Pourquoi es-tu devenu la proie et la victime des péchés ? Pourquoi a-t-il été fait captif du démon ? Pourquoi es-tu esclave, chrétien ? Pourquoi consens-tu à ce que les lions rugissent contre lui, à ce qu'ils se réjouissent sur lui, comme des vautours sur les cadavres ? Pourquoi consens-tu à ce qu'on l'amène au moulin pour l'écraser ? Dis : Pourquoi suis-je pécheur, esclave du démon ? Lève les yeux vers le ciel, comme Nabuchodonosor, au bout des sept années, et dis : Seigneur, à toi est le royaume et tu le donneras à qui tu voudras. C'est ainsi, ainsi que je vous assagirai.

En toi est la force; dans ta main est le salut, et si j'ai été fou et mauvais, et si le cœur se brise, s'il sent sa faiblesse, sa dureté, et se rompt et que vous lui faites de nombreuses incisions, le salut est proche. Vous n'êtes pas éloignés de quitter votre cœur de bête, dit Dieu. Que le Saint-Esprit vienne et vous enlève ce cœur cruel, dur, etc., et qu'on vous en donne un autre qui soit bon [105]. De même qu'il guérit ce qui est à l'intérieur, il guérit ce qui est à l'extérieur, et aussitôt à l'intérieur il guérit l'extérieur.

Lorsque les prêtres entrent dans l'eau avec l'arche [106], elle cesse de couler. Lorsque entrent dans l'âme les bonnes pensées, qui sont représentées par les prêtres, parce qu'ils nous portent Dieu, lorsqu'ils entrent dans l'âme, lorsque y entre la grâce, l'arche, aussitôt s'arrêtent les vices et les mauvaises coutumes, aussitôt les hommes sont changés, etc. L'Esprit-Saint commence à agir. On dit : " Cela suffit; c'est assez car j'ai offensé Dieu jusqu'à présent ". Suffit-il pour ne pas être mauvais de ne pas pécher? Cela les philosophes l'ont senti. Socrate, Platon, Pythagore. Vous savez qui ? Si vous voyez un homme vertueux, qui vit selon la raison, s'il n'y a que cela, il n'entrera pas dans le royaume des cieux, parce que nous n'y entrerons pas à cause de notre naissance, mais parce que nous sommes nés de nouveau; ce ne sont pas des hommes qui entreront, mais des enfants de Dieu : foi, grâce, espérance, obéissance. Si tu te gouvernes seulement par la raison, tu n'entreras pas là-haut, non, homme, car du ciel doit venir ton salut, etc. Tu ne nais pas de nouveau, même si on te donne de la force pour bien agir, ce chemin n'est pas encore bon pour le salut; il n'est pas tout à fait bon tant qu'il n'y a pas toutes les habitudes [107] des vertus.

Tu dois avoir un amour infus, qui t'inspire. La foi et la charité sont communiquées à l'âme, et cela ne suffit pas. Bien que tu sois sain, etc., sans la main de Dieu il n'y a pas de véritable salut. Que Dieu vous communique ces vertus que les théologiens appellent habitudes. Il y en a de certains, etc. Il en est de même lorsqu'on habille une belle mariée, bien qu'elle soit belle, on lui met de nombreux bracelets et bijoux. Et ainsi saint Jérôme dit que ces richesses de la Loi antique figuraient les grandeurs qui allaient être données dans la Loi de grâce. Et ainsi Dieu donne des dons, des dons grâce auxquels vous agissez mieux, etc. L'Esprit-Saint ne se contente pas de ce que tu sois beau de l'extérieur, mais il veut que tu sois beau intérieurement; non seulement dans ton œuvre, mais dans ce qui te fait agir. Et si tu voyais la beauté que le Saint-Esprit met dans l'âme où il demeure, tu la poursuivrais de toutes tes forces; toutes les richesses d'ici-bas te seraient indifférentes. Celui qui a créé le soleil, étant dans l'âme, comment sera-t-elle ? Ainsi doit être l'épouse du Saint-Esprit; ainsi dit l'Époux dans les Cantiques : Oui, tu es belle, mon amie; oui tu es belle!... [108]

Soyez attentifs. Oh ! si je pouvais être assez puissant pour mettre dans vos entrailles un amour qui vous fit aimer éperdument le Saint-Esprit ! Puisque vous dites, quand ces dons sont dans l'âme, que là est le Saint-Esprit, comment saint Jean peut-il dire que l'Esprit- Saint n'était pas encore donné, parce que Jésus-Christ n'était pas glorifié?

Voici : avez-vous vu quand un maître forme un élève qui en sait autant que lui? Il lui dit: "Va et agis selon ta science; te voilà un bon médecin; observe et guéris". Il quitte son maître et il agit par lui-même. C'est là ce que j'ai dit jusqu'à maintenant. Le Saint-Esprit met en toi foi et charité, etc., et mille vertus, et il te laisse agir, comme lorsqu'un médecin guérit, et que le malade une fois guéri il lui dit : " Allez, mangez de tout, parce que maintenant vous êtes guéri; gouvernez-vous comme quelqu'un de bien portant ". " Puisque vous êtes savant, vivez comme un savant" II en est de même lorsque le Seigneur vient dans l'âme et te donne des dispositions pour bien agir, éclaire ton entendement, guérit ta volonté, l'enflamme de l'amour de Dieu et te donne la force de l'aimer.

— Eh bien, pourquoi faut-il plus ? — C'est là justement la question. Saint Thomas a dit ceci mieux que tous, et il l'a tiré de saint Augustin, ou pour mieux dire, de Jésus-Christ. Il dit que toutes les vertus et les grâces qui te sont données ne suffisent pas pour te sauver et te faire agir, il faut encore que la main du Seigneur soit sur toi; non que tu ne puisses, toi, aimer Dieu et croire avec ces dons, mais pour que tu en uses bien, il faut que la main de Dieu soit toujours sur toi car sans elle tu ne peux bien en user. Celui qui est de Dieu ne pèche point... [109] Si on te demandait : Pourquoi quelqu'un qui est en état de grâce pèche-t-il, puisqu'il a cette force et ce secours ? — Parce que nous avons le libre-arbitre, pour autant de dons que nous ayons reçus, tu peux cesser d'agir selon ces vertus et pécher parce que tu n'agis pas conformément à elles; et pour cette raison, pour te servir toujours d'elles, la main du Saint-Esprit vient sur l'âme, non sur le don, cela n'est pas nécessaire, mais sur le libre-arbitre pour que tu ne t'éloignes pas de la grâce, etc., bien que tu puisses t'en éloigner, mais pour que tu sois toujours ferme. Eh bien! tel est le rôle du Saint-Esprit, que, bien que vous puissiez pécher parce que vous êtes libres, vous ne péchiez pas; pour cela il faut le Saint-Esprit, et sans Lui personne, quels que soient ses dons, ne peut se sauver. C'est ce que dit David : Apprends-moi à faire ton bon plaisir [110]. Aussi bien pourvu que soit un navire de voiles et de tous instruments, s'il n'a pas de pilote qui le gouverne, il se perdra; ainsi si tu n'as pas ce Saint-Esprit, même si tu as beaucoup de dons, tu te perdras, etc. Soyez béni Seigneur, qui ne vous êtes pas contenté de nous donner votre Fils pour qu'il mourût, etc., mais votre Saint-Esprit pour qu'il fût notre guide!

— Où est la différence ? — Les saints de l'Ancien Testament, n'avaient-ils pas le Saint-Esprit ? — Si. La différence la voici : En ces temps-là il se donnait peu et ainsi agissait peu; maintenant, depuis que le Saint-Esprit est venu, il est à chaque pas et presque dans toutes les œuvres des saints apôtres.

Voici la fête d'aujourd'hui. Considérez, c'est une chose d'agir comme un homme bon, même favorisé de Dieu; c'en est une autre que le Saint-Esprit soit l'auteur et le promoteur, et que l'homme ne soit presque rien de plus qu'un instrument. C'est beaucoup que vous fassiez une bonne œuvre et que, avec la vertu et les habitudes, vous vous efforciez et pensiez à ce que vous avez choisi, etc.; c'en est une autre que vous fassiez une grande œuvre, que vous n'avez ni pensée ni choisie, pour laquelle vous n'aviez ni force ni vertu, pour laquelle ni la foi ordinaire ni la charité ne suffisaient, mais comme l'enfant, dont vous estimez que ce qu'il dit n'est pas de lui. C'est comme si un grand peintre tenait la main de quelqu'un qui ne sait pas peindre et faisait avec celle-ci un très beau tableau; celui qui le fait nous disons que c'est le peintre, mais l'instrument c'est la main de l'autre. Il en est de même ici-bas. Dans les œuvres excellentes que l'homme fait avec l'aide des vertus et de Dieu, l'homme agit aidé de Dieu, Dieu agit en le guidant, l'homme est l'instrument du Saint-Esprit; mais si vous lui dites : " Qui t'a dit cela ? Quand l'as-tu pensé ? Pourquoi l'as-tu fait ?", il n'en saura pas la cause, mais saura qu'il l'a trouvé fait. C'est comme le vent dont vous ne savez d'où il est venu ni où il va; et le Saint-Esprit vous meut. L'œuvre est tellement au-dessus de votre propre force que vous vous étonnez de la voir faite.

Je vais l'expliquer. Combien de fois vous acharnez-vous pour avoir de la dévotion, et vous l'avez très faible; parce que celle-ci est conforme à la sainteté qui est en vous, et ne vous est-il pas arrivé d'autres fois, sans y penser, etc., d'avoir un feu si grand, qui vous embrase les entrailles, que vous dites : " Je n'ai jamais pensé de la sorte " ? Ceci ne vient pas de vous ni de la grâce ni des vertus. Qu'est-ce donc ? C'est l'œuvre du Saint-Esprit. Comme Dieu, il vous a poussé à faire une chose pour laquelle votre force ne suffisait pas. Quand tu verras en toi quelque chose de pareil, dis : " Je ne l'ai pas imaginé moi-même "; c'est le Saint-Esprit qui demeure en vous. Quand tu as une grande contrition, il fait appeler Père! Père! Il fait en sorte que tu ne te négliges pas, mais que tu sois toujours au côté de Dieu. Ce Seigneur est celui qui se donne à nous pour cela et pour d'autres choses, etc.

* * * * *

NOTES

[92] Cf. Rom. 10, 6-10.

[93] Cf. Hébreux : 9. 24.

[94] Cf. Hébreux : 1, 3.

[95] Jean :. 3, 16.

[96] " Je vous dis pourtant la vérité : votre bien exige que je m'en aille " (Jean : 16, 7).

[97] Ps. 48, 21.

[98] N'oublions pas que beaucoup de ces sermons sont faits de notes souvent incomplètes, sur lesquelles le prédicateur improvisait.

[99] Le majorât (mayorazgo) est une institution de droit civil et qui avait pour objet de perpétuer dans la famille la propriété de certains biens sous certaines conditions. Le majorât était constitué sur la tête de l'un des membres de la famille, ordinairement l'aîné.

[100] Cf. Dan. 4, 13.

[101] Cf. Rom. 5, 20.

[102] Nous sommes ici en face d'une de ces notes jetées par Avila sur le papier avant de parler.

[103] Cf. Ep. 11, 10; 36, 26.

[104] Jérémie : 2, 14-15.

[105] On pense en lisant cette phrase hardie, à une page admirable de Péguy dans sa Note conjointe "On a vu les jeux incroyables de la grâce et les grâces incroyables de la grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on n'a pas vu mouiller ce qui était verni, on n'a pas vu traverser ce qui était imperméable, on n'a pas vu tremper ce qui était habitué. Les cures et les réussites et les sauvetages de la grâce sont merveilleux et on a vu gagner et on a vu sauver ce qui était (comme) perdu ". Charles Péguy " Note conjointe ", page 95, édition de la Nouvelle Revue.

On remarquera que le mot habitué, sous la plume de Péguy, signifie tout autre chose que le mot " habitudes " (habites), que nous trouvons plusieurs fois ici sous celle d'Avila.

[106] Allusion au passage de la Mer Rouge par les Hébreux.

[107] Habitudes, nous rendons le mot espagnol hábitos par celui de habitude, n'oubliant pas pourtant que " le mot habitude ne traduit pas exactement l'expression latine habitus " à laquelle Avila fait ici appel, (cf. art. de A. Michel, dictionnaire de théologie catholique, fascicules CXLVI-CXLVII, art. Vertu), mais alors que habitas pouvait être compris des auditeurs de Jean d'Avila, habitus ne le serait pas d'un auditeur français moyen. Nous prenons donc le mot habitude en le restreignant à la conception que saint Thomas s'en est faite a comme une chose dont on est maître, qui fait qu'on est maître chez soi ".

[108] Cantiques : 4, 1.

[109] Jean : 3, 6; 5, 18.

[110] Cf. Ps. 143, 10.

 

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