saint
JEAN DE AVILA
dominicain et auteur mystique
(1500-1569)

SERMONS SUR LE SAINT-ESPRIT

 

 

 

 

 

29

Le Saint-Esprit fait des merveilles dans l'Eglise.

Dimanche de pentecôte pour la prise de voile d'une religieuse.

Nous irons à lui et nous établirons notre demeure près de lui. Jean :. 14, 23.

Exorde :

Parler et entendre parler de Dieu est une grande affaire qui doit demander beaucoup de soin, aussi bien pour celui qui écoute pour les écouter, que pour celui qui parle pour en parler; celui qui sait parler des choses du ciel doit venir du ciel pour en parler tant elles sont des choses élevées et profondes, si loin de tout entendement humain. N'allez pas penser que ce fut en vain que Jésus-Christ ordonna aux saints apôtres de ne pas prêcher son évangile par le monde avant d'avoir reçu le Saint-Esprit.

Isaïe était rempli d'orgueil, ignorant sa propre bassesse; il disait qu'il était le prophète de Dieu. Dieu vint et lui dit : " Attendez donc, je vous ferai prendre conscience de vous-même, et vous serez éclairé. " Dieu lui montra, en se faisant connaître un peu, ce qu'il était et le mal qu'Isaïe ressentit en lui-même fut si grand en voyant sa petitesse et sa misère, qu'il n'osait pas parler et ne trouvait pas la force de prophétiser. Il dit : Malheur à moi, car je suis un homme aux lèvres souillées ! [56] Malheureux que je suis ! dit Isaïe. — Qu'y a-t-il, prophète, qu'avez-vous ? — Comment puis-je parler, mes lèvres sont impures, elles ne sont pas dignes de parler des choses de Dieu ! — Lorsque Dieu le vit dans cet état, il envoya un séraphin qui plongea dans le feu de l'autel des mouchettes qui se trouvaient là. Le séraphin prit un charbon ardent de ce feu, en toucha les lèvres d'Isaïe et aussitôt elles devinrent très pures.

J'ignore, mes frères, quel est l'état de vos oreilles; si elles sont pures ou non, je l'ignore. Si mes lèvres sont souillées, je ne l'ignore point et elles ne sont pas dignes de parler du ciel si le Seigneur n'envoie pas du feu céleste pour me les purifier; supplions-le qu'il le fasse.

C'est en lui que nous ferons notre demeure, dit Jésus-Christ.

Nous irons à lui, et, en lui, nous ferons notre demeure : nous habiterons en lui. Ces paroles sont sorties de la bouche de Jésus-Christ, il les a dites aux saints apôtres et non seulement pour eux mais pour ceux qui sont et seront.

Notre Rédempteur dit : Si quelqu'un m'aime bien qu'il observe mes commandements. Si quelqu'un m'aime bien ! Malheureux celui qui ne vous aime pas bien, Seigneur ! Si quelqu'un m'aime il gardera mes paroles. Si vous avez un ami qui fait grand cas de votre amitié, vous lui dites : " Monsieur, m'aimez-vous ? Je vous prie de garder cette parole, de faire cela pour moi ". Si l'autre pense qu'en ne le faisant pas il risque de perdre votre amitié, il le fait pour ne pas la perdre. Ainsi notre Rédempteur ordonna à ses saints apôtres d'observer beaucoup de choses sous peine de perdre son amitié; et ceci est si vrai que celui qui n'observe pas ce que le Christ ordonne, est perdu sans rémission. Parce que les disciples ne considéraient peut-être pas autant les paroles du Christ, du moment qu'elles étaient de lui, que si elles venaient de Dieu, il leur dit : " Pour que vous ne pensiez pas que ces paroles sont de moi, et que ce que je dis vient de moi, les paroles que je vous ai dites, et que vous avez entendues ne sont pas les miennes mais sont celles de mon Père, qui m'a envoyé [57], ayez pour elles un grand respect et une grande vénération, et observez-les, puisque vous savez de qui elles sont.

Si quelqu'un m'aime bien qu'il garde mes paroles. Aimer Jésus-Christ, quel amour largement récompensé ! Béni soit le Seigneur ! Faut-il aimer pour rien ? Que devez-vous nous donner pour que nous vous aimions ? Le Christ notre Rédempteur dit que nous viendrons à lui, et nous demeurerons en lui, que nous le prendrons pour demeure. Quels sont ceux qui viendront ? Le Père, le Fils et le Saint Esprit; car partout où vont les deux premiers, va le Saint-Esprit : ensemble vont les personnes de la Très Sainte Trinité; cela vous paraît-il peu de chose ! Nous ne nous en irons pas ensuite — dit notre Rédempteur — nous demeurerons en lui, nous établirons notre demeure. Soyez béni pour toujours, et que la bouche qui prononça de telles paroles et apporta une si grande consolation soit bénie ! Ne vous l'ai-je pas dit que nous attendions trois hôtes ? Nous viendrons à lui et nous demeurerons en lui. Quel est notre effroi, mes frères, en voyant avec quel soin et avec quel immense amour, la Très Sainte Trinité accompagne l'homme.

Ah! si quelqu'un lui demandait : "Qu'avez-vous vu, Seigneur, en cet homme pour l'aimer tant, car vous semblez mourir d'amour pour lui" ? Si nous voyions un vermisseau, un petit homme d'entre nous aussi diligent et épris de la Très Sainte Trinité qu'elle l'est de l'homme en l'accompagnant, nous en serions assurément remplis d'effroi. — Qu'avez-vous trouvé dans l'homme qui vous ait plu tant ? Quel intérêt avez-vous à aimer l'homme ? Est-ce parce qu'il est sage ? Parce qu'il est bon ? parce qu'il est riche ? — Tout cela lui fait défaut. — Pourquoi alors mourez-vous d'amour pour les hommes ? Pourquoi, Seigneur, voulez-vous demeurer en eux ? — Je vais vous le dire : Parce que Dieu demeurait dans l'homme, et Dieu cessant d'y demeurer, l'homme fut perdu; voilà pourquoi, afin de racheter l'homme il veut revivre en lui là où Dieu vivait d'abord.

Dommages que le péché d'Adam causa dans l'homme.

Dieu créa le premier homme, il prit un peu de terre, fit ainsi une forme, et ensuite de son souffle lui donna une âme, il souffla dans ses narines un souffle de vie [58]: Dieu souffla dans ce corps un souffle de vie; pour les Hébreux l'âme se trouve dans ses narines, car c'est par le nez que Dieu donna une âme à Adam. Saint-Paul le dit ainsi : Le premier homme, Adam, a été fait âme vivante [59].

Au commencement du monde, Dieu créa les cieux et la terre, les étoiles, la mer, le sable, les poissons, l'herbe et tous les animaux. Il créa le monde tout entier; il fit, en un jour, une chose, en un autre jour, une autre chose, et ainsi Dieu inventa au fur et à mesure. Quand tout fut fait, Dieu dit : Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance [60]. Créons l'homme. Comme dit un bon père de famille qui a préparé une maison très bien ornée avec beaucoup d'objets précieux et tout ce qui est nécessaire : " A présent il ne manque plus que la venue de mon fils pour qu'il jouisse de sa maison ". De même Dieu avait créé tout l'univers, pour demeure, au service de l'homme; Dieu dit : " Il est absurde de faire ces choses et qu'il n'y ait personne pour en jouir. Créons l'homme à notre image et ressemblance."

Dieu créa l'homme, et si vous y réfléchissez, vous saurez pourquoi : Pour qu'il aime Dieu, et en l'aimant, qu'il le possède, et, en le possédant, qu'il en jouisse, et, en jouissant de lui, qu'il soit bienheureux. Les hommes furent créés pour arriver à la béatitude et l'atteindre en acceptant d'employer les moyens que Dieu leur avait donnés. Ils ne voulurent pas attendre; ils voulurent sauter par-dessus les clôtures et les haies, par les fenêtres; ils ne voulurent pas entrer par les portes, ils se perdirent, péchèrent et furent malheureux. Dieu demeurait en eux quand ils étaient en état de grâce; ils péchèrent, Dieu ne voulut pas demeurer en eux. Privé de Dieu, vous voyez ici ce que l'homme est devenu. Créons l'homme à notre image et ressemblance. L'âme est semblable à Dieu en deux points. Le premier, l'immortalité, parce qu'elle n'est pas mortelle; de même que Dieu n'a pas de fin, elle non plus n'en aura pas; de même que Dieu est immortel, l'âme est immortelle. Le deuxième point de ressemblance réside dans l'immatérialité et le fait d'être spirituel car de même que Dieu est esprit, l'âme l'est également; grâce à cela elle a pu connaître Dieu; mais pas à la façon des autres êtres sans raison, qui ne connaissent pas Dieu, et n'en ont pas même conscience.

L'homme doit connaître Dieu. Saint Jean le dit : Or voici la vie éternelle: qu'ils vous reconnaissent, vous le seul vrai Dieu [61]. Ainsi étaient nos premiers parents.

Comme ils connaissaient Dieu, étant en état de grâce, la vivacité de leur entendement leur permettait de comprendre Dieu, leur volonté était assujettie à n'aimer que Dieu seul. Ils réalisaient bien cette parole divine : Que votre volonté soit faite. Leur chair était si soumise, qu'elle ne voulait que ce qu'ils voulaient; la chair était comme une très humble esclave, obéissante au goût de son maître; elle n'était pas rebelle, elle ne lançait pas de ruades.

Dès que l'homme eut péché, dès qu'il eut enfreint le commandement de Dieu, il perdit aussitôt l'état de grâce qu'il possédait et ce qui resplendissait en lui fut entièrement détruit; l'entendement devint aveugle, il perdit la connaissance qu'il avait de Dieu, sa volonté devint hésitante, cette volonté que Dieu avait donnée à l'homme pour n'aimer que lui et lui consacrer tout ce qu'il aime; à présent l'homme ne sait pas aimer Dieu uniquement pour Dieu, mais il l'aime pour ses intérêts. S'il aime son prochain ce n'est pas pour Dieu, mais pour son plaisir. Si auparavant la chair était mortifiée et soumise, à présent elle est rebelle et lance des ruades.

Lorsque Dieu abandonna les hommes, ces malheureux furent dans un tel état qu'il est pitoyable d'y penser; la clarté s'en allant, ils furent dans les ténèbres. Demandez de grâce aux lettrés, à ceux qui se considèrent comme des savants s'ils comprennent sans Dieu, s'ils savent quelque chose sans Dieu. Ils peuvent bien savoir d'autres choses mais, sans Dieu, ils ne peuvent connaître la véritable science. D'autre part :

Si le savoir de quelqu'un est tel qu'il est considéré parmi les hommes comme très savant, et qu'il n'ait pas en lui la sagesse de Dieu mais qu'elle en soit éloignée, il sera compté pour rien [62]. Les aveugles guéris par le Christ en sont un exemple. C'est ainsi que tout ce que l'homme avait de bon fut détruit; l'entendement devint aveugle, la volonté hésitante, la chair rebelle et combien rebelle !

Il n'existe pas de cheval qui se laisse aller autant à la paresse que cette chair. N'est-ce pas vrai ? Que chacun interroge sa conscience et il verra qu'il en est ainsi. Pas besoin de le prouver par de longues pages. Le rôle de la chair n'est que de ruer contre la raison. Ne vous est-il pas arrivé parfois de vouloir faire quelque bonne œuvre et d'en être empêché par votre chair ? Combien et combien de fois cela arrive-t-il ! Si vous voulez jeûner, la chair veut manger; si la raison veut se soumettre à Dieu, la chair l'en empêche. Si l'homme veut prier ou pratiquer d'autres exercices, s'il veut discipliner la chair, celle-ci l'en empêche et contrecarre son action. Si l'esprit est prêt à servir Dieu, la chair rebelle crie : " Ne le fais pas ". Notre Rédempteur l'a dit ainsi de sa bouche : L'esprit est ardent mais la chair est faible [63]. L'esprit est préparé, est soumis à la souffrance, mais la chair est malade et rebelle, et comme elle refuse le combat !

Avec le péché tout fut perdu.

Vous voyez maintenant qui nous sommes; regardons-nous dans ce miroir, nous verrons ce que nous sommes, mais non pas ce que nous pourrions être. Oh ! mes frères, que serions-nous si la main de Dieu nous abandonnait un tant soit peu ! Nous serions pires que des démons; nous ferions des choses plus abominables encore. Si Dieu vous permettait de comprendre ce que nous pourrions être, que verriez-vous, quelles effroyables laideurs, quels spectacles d'abomination pires que tout ! J'ai connu une personne qui pria souvent Dieu de lui montrer ce qu'elle pouvait être. Dieu lui ouvrit un peu les yeux et cela devait lui coûter cher. Elle se vit si effroyablement laide, si malodorante, si sale, si abominable, qu'à grands cris elle disait : " Seigneur, par votre miséricorde, ôtez ce miroir de ma vue, je ne veux pas voir plus longtemps mon image ."

Mes frères, nous sommes une misérable pincée de terre, un peu de malpropreté; nous sommes un esprit du mal qui a les apparences du Saint-Esprit et n'est que mauvais et hypocrite, rempli de duplicité et de méchanceté pour tromper.

Lorsque Judas vint le jeudi de la Cène avec cette troupe de gens pour vendre et faire arrêter Jésus-Christ, il portait des lumières; mais parce qu'il venait, animé d'une mauvaise intention, pour arrêter Jésus-Christ, elles ne l'éclairèrent pas, et il demeura dans l'obscurité.

Oh ! combien parmi ceux qui vivent dans les monastères, contents et très bons religieux, servant Dieu, ont pensé qu'ils seraient plus recueillis et plus solitaires s'ils allaient au désert; ils se donneraient plus à Dieu et leur conscience en tirerait plus de profit qu'au monastère où ils ne font que manger, se rendre au chœur, et perdent leur temps sans profit. Cette pensée leur fait une telle guerre, pensée qui paraît sainte tandis qu'elle est mauvaise, qu'elle les fait partir de leur monastère et gagner la solitude pour mieux servir Dieu.

Un homme marié entre dans un monastère et, en voyant les religieux, tout lui semble si bien que sa vie, sa femme, ses enfants et toutes les choses d'ici-bas lui déplaisent. Il déteste et nomme enfer les choses d'ici-bas et le travail — et encore celui-ci est-il fait peut-être pour subvenir aux besoins de sa maison. Il dit qu'il n'existe pas d'autre vie pour servir Dieu que celle des religieux et qu'il voudrait divorcer et entrer au monastère. Il le désire et tente d'y parvenir. Cela est faux, car il ne le fait que par paresse afin de ne pas travailler. Puisque Dieu vous a placé dans cet état, c'est dans celui-ci que vous vous sauverez; ayez soin de faire tout ce que vous devez car c'est dans cet état qu'il vous donnera sa grâce qui vous conduira au ciel; le démon ne vous donne pas de satisfaction de cette vie sainte et ne vous donne du mécontentement de votre propre vie que pour vous faire perdre la paix et le contentement que vous deviez avoir dans votre état, en vous faisant espérer et désirer ce qui ne peut être, et ce qu'il est impossible d'atteindre.

N'ayez confiance en rien, considérez combien vous pouvez facilement vous tromper même si vous recevez des révélations et des inspirations; ne vous précipitez pas, car tout esprit doit avoir fait ses preuves; ceux-ci sont des voleurs et de la fausse lumière, ce qui est pire que des ténèbres. Il y a un certain nombre de voleurs qui sont vêtus et parés d'habits de soie, de sorte que personne, à les voir, ne pense qu'une telle méchanceté puisse habiter chez des hommes qui semblent si honorables [64], jusqu'à ce qu'ils les prennent en flagrant délit; alors ils s'épouvantent que ce soient des voleurs et disent : " Qui l'eût cru ? " Ils te laissaient sans âme et tu ne le sentais pas; ils t'emportaient tous tes biens et tu ne t'en apercevais pas. Avant moi tous étaient des voleurs. Jérémie : Si les voleurs viennent de nuit... [65]. Lorsque les voleurs de biens matériels viennent te voler, ils t'emportent une partie de ta fortune, et t'en laissent un peu, ou bien ce qu'ils ne peuvent pas emporter, ou bien ce qu'ils ont oublié; mais les voleurs de biens spirituels, qu'ils viennent de jour ou de nuit ou furtivement, te volent tout ce que tu as, ils te volent ta fortune et tout ton bien. Ton corps est resté en bonne santé, mais ton cœur et ton âme sont très corrompus. Ils ont fouillé toute la maison, tous les recoins, et le cœur; il ne te reste aucun bien, ils t'enlèvent tout et ils te laissent accablé de tous les maux. Tes ennemis ont semé la ruine en toi, les soldats t'ont blessé, ils t'ont fait ce que le loup fait à la brebis; tu restes pauvre. Si quelque chose demeure en toi, c'est la foi, encore est- elle décapitée, parce que tu ne la possèdes pas avec la charité mais morte.

Jésus-Christ portera remède à tant de maux en nous donnant son Esprit.

— Qui portera remède à ceci ? Qui portera remède à tant de maux ? — II n'y a pas de vie sans Jésus-Christ. Sans lui tout fait mourir, tout trompe. Qui pourra donner de la vie à ces âmes qui sont mortes ?

— A quoi verrai-je, Père, que je suis mort ? — Par la vie que mène ton âme; quand elle est vivante, elle aime et connaît Dieu, elle emploie toutes ses forces à son service. Il y a trois sortes de morts : la mort par l'oubli, la mort par l'erreur, la mort par les passions. L'âme qui n'aime pas Dieu, mortes sont sa volonté, son intelligence et sa mémoire; elle est morte, et ne fait rien de bon.

Jésus-Christ dit : Je suis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance. Jésus-Christ est venu pour que nous vivions. Qu'il soit béni pour toujours, car c'est avec sa mort qu'il a acheté notre vie ! Le Très-Haut, le Tout-Puissant est venu, il s'est abaissé et s'est uni à l'enfant. Quelle douleur de voir Jésus-Christ sur une croix, tenu pour un scélérat, déshonoré et tourmenté, insulté! Tel il est sur la croix, telle est ton âme. Il est là comme un scélérat, ton âme est mauvaise et malade; il est enlaidi par les tourments, ton âme est ainsi, laide et tachée par les fautes; il est entouré de bourreaux et de larrons, ton âme est ainsi, entourée de péchés et de démons.

Soyez béni et glorifié, Seigneur, qui avez voulu, tellement à vos dépens, me porter secours de telle sorte que, en simulant ma mort, vous m'avez donné la vie. Que mes mains aient péché et que les mains de Jésus-Christ aient payé leur méfait ! Que mes pieds aillent de péché en péché et que les vôtres soient cloués sur la croix ! Que mon cœur pèche et vous offense et que le vôtre soit ouvert et déchiré pour moi ! Finalement tous les péchés que mes mains, mes pieds, et mon cœur ont commis envers Dieu, les mains, les pieds et le cœur cloués et déchirés les payèrent pour moi sur la croix; avec son corps béni il a payé tous les péchés et les offenses que j'ai faites, moi qui suis méchant.

Dieu créa le premier homme et il lui souffla sur le visage, il lui donna le souffle et l'esprit de vie et il vécut. Le premier homme, Adam, a été fait âme vivante ; le dernier Adam a été fait esprit vivifiant [66].

Jésus-Christ fut le second Adam créé ; et non seulement on lui donna et il eut de l'esprit pour lui comme le premier Adam mais encore il en eut pour beaucoup d'autres. Le Christ a de l'esprit qui vivifie, de l'esprit qui donne la vie, qui ressuscite ceux qui désirent vivre. Allons au Christ, car il possède le souffle de vie. Même si tu es méchant, même si tu es perdu, même si tu es troublé, si tu vas à lui, si tu le cherches, il te rendra bon, il te gagnera, te redressera, et te guérira : Ceux qui sont venus avant moi, sont des voleurs. C'est pour cela que je suis venu, pour que ceux qui viennent à moi, ceux qui me cherchent, ceux qui m'appellent, possèdent la vie, reçoivent la vie et ressuscitent.

— Père, comment Jésus-Christ donne-t-il la vie ? — Lui-même a dit : En vérité, en vérité, je vous le dis : Je suis la porte; celui qui n'entre pas par moi est un voleur. Je suis la porte. — Si Jésus-Christ est la porte on ne peut parvenir ensuite au Père que par Jésus-Christ. Je suis la porte: si quelqu'un entre par moi il sera sauvé, il ira et viendra, et il trouvera des pâturages [67].

— Si Jésus-Christ est une porte, où cette porte nous conduira-t-elle ? — Où ? chez le Saint-Esprit. Je suis la porte : celui qui entre par moi trouvera le Saint-Esprit. La loi de l'Esprit de vie m'a affranchi en Jésus-Christ [68]. La loi met l'esprit de vie en Jésus-Christ. Dès que Dieu le mit en lui, Adam fut vivant, il eut l'esprit; de même Jésus-Christ a mis en toi son Esprit qui vivifie; il t'apportera la vie. Il convient ainsi que le grand Élisée se penche sur le petit enfant mort, qu'il se courbe et s'abaisse sur lui, qu'il veuille bien lui donner de son haleine le souffle de vie.

— Celui qui n'a pas le souffle du Christ, même s'il est riche, même s'il est puissant, même s'il possède tous les autres biens en abondance, est pauvre, faible, misérable, il ne possède pas le Christ. La vigne et les sarments se nourrissent d'une même sève, la tête et le corps sont soutenus par une même force; l'Esprit du Christ et celui de ceux qui sont incorporés en lui ne font qu'un. Il est la vigne et ses membres sont les sarments. Je suis la porte: Que celui qui veut l'Esprit-Saint entre par moi.

— Comment entrerons-nous ? Où est cette porte ? — Ne connaissez-vous pas encore la porte ? Quelle belle porte et comme elle est bien ornée ! Comme ses pierres sont bien travaillées et bien taillées en imitant les pierres rustiques ! La pierre d'en-haut est plus ouvragée et d'un travail plus rustique encore que toutes les autres. Jésus-Christ et ses serviteurs furent ainsi façonnés par les peines et les persécutions de ce monde et méritèrent ainsi une place avec le Christ.

— S'il est la porte, comment entrerons-nous par lui ? Que celui qui veut le Saint-Esprit, aime Jésus-Christ, lui obéisse, le désire pour toujours. Le Père lui-même vous aime, parce que vous m'avez aimé [69]. Crois-tu que l'amour du Père pour vous soit sans importance ? Il n'y a pas de chaînes plus fortes pour retenir le Saint-Esprit que d'aimer Jésus-Christ. Parce que vous m'aimez — dit Jésus-Christ — parce que vous m'avez bien aimé le Père vous aime. Bon échange, assurément, celui de Dieu, qui est de donner le Saint-Esprit à celui qui aime et affectionne bien Jésus-Christ ! Et parce que les apôtres ont tant aimé Jésus-Christ, aujourd'hui on leur envoie, on leur donne le Saint-Esprit. Ce souffle fut supérieur à celui que reçut le premier homme quand on le créa. Les apôtres étaient semblables à des hommes lâches et faibles. Dieu souffla du ciel ce jour-là et comme il créa Adam du limon de la terre, de même il régénéra ces apôtres insignifiants, éplorés, troublés, craintifs. Pense à Jésus-Christ, obéis-lui, aime-le du plus profond de ton cœur, car le Saint-Esprit entre par là. En effet Jésus-Christ a dit ceci : Je suis le chemin, la vérité et la vie [70].

Par le Christ nous passons au Saint-Esprit. La sainteté qui ne passe pas par Jésus-Christ n'est pas sûre, et je ne la tiens pas pour sûre. Celui qui se moque des pénitences, celui qui estime peu ces signes et ces œuvres extérieures de dévotion n'a pas le Saint-Esprit. D'où proviennent ces esprits faux? D'où proviennent ces esprits d'erreurs ? Du fait de croire qu'il y a un autre moyen de sainteté que celui de Jésus-Christ. Prenez bien garde de ne pas vous tromper : pour qu'une chose soit sainte, bonne et solide, c'est cette voie qu'elle doit suivre et si elle ne suit pas cette voie, tout n'est rien. Il est le chemin.

Que fait le Saint-Esprit dans les âmes ?

Après sa venue, que fit le Saint-Esprit pour l'Église ? Qu'a-t-il fait dans le cœur des croyants chez qui il est venu ? Il leur a donné la vie, il leur a donné des dons

infinis, il leur a donné du courage, il les a beaucoup améliorés. Les bienheureux apôtres avaient en eux la grâce, mais ils étaient encore pleins de faiblesse, ils n'osaient pas confesser publiquement la vérité de Jésus-Christ, ils avaient de la crainte; mais une fois venu ce souffle saint du Saint-Esprit, remplis de grâce et devenus forts, sans aucune crainte, ils se mettent à prêcher aux hommes les mystères de notre rédemption, opérés par la mort et la résurrection sacrée de Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme. Il imprima dans leur cœur de toujours se souvenir de Dieu et d'avoir un grand respect de Dieu, la source d'où proviennent tous les biens et miséricordes.

Vous qui êtes mariés, dites-moi, seriez-vous jaloux de quelqu'un qui aurait tant de force qu'il prendrait un quintal de plomb et le lancerait jusqu'au ciel, une barre de fer et relèverait plus haut que les cieux ? Vous allez, inconsolables et tristes alors que vous pouvez tirer de vos souffrances des mérites pour le ciel. Soyez patients pour supporter les souffrances de votre ménage, transformez tout en bien, offrez tout au ciel; ayez de la force pour lancer ces quintaux de plomb au-delà des cieux.

N'importe quelle petite souffrance que vous ayez et supportiez chez vous, n'importe quelle importunité, n'importe quelle peine, le mauvais caractère de votre femme, ou de votre mari, ou de votre maître, ou de ceux qui sont en votre compagnie, le travail que vous endurez pour vous nourrir vous et vos enfants, dites : " Par amour pour vous, Seigneur, je me réjouis de le supporter ". Levez les yeux et élevez votre cœur à Dieu, recommandez-vous à lui, offrez-lui vos souffrances, car moi, je vous le dis, en vérité, pour tout vous recevrez récompense. Le sommeil que vous prenez, la nourriture que vous mangez, et ce que vous buvez, tout cela, élevez-le vers le ciel, envoyez-le au ciel, en le faisant et en le supportant pour Dieu; en le lui recommandant et en le lui offrant, vous le lancez au ciel. Faites ainsi, et de cette manière, ce qui est pesant, deviendra léger; vous ferez monter au ciel le plomb et la terre. Et de cette façon il est possible que vous gagniez plus en une seule année qu'un autre en dix. Cela est dû à l'amour avec lequel vous les faites et au fait de savoir l'acheminer vers le but comme on doit le faire parce qu'on vous a mis, dans toutes vos œuvres, le souvenir de Dieu et le respect de sa sainte présence.

— " Le Saint-Esprit est un animateur — dit le Christ — que le Père vous enverra; et il s'appelle Paraclet, Consolateur et Exhortateur ." Consolateur, parce que même s'il gronde parfois, il ne s'en va pas sans consoler l'âme qu'il réprimande. Parfois ce Consolateur blâme et gronde les âmes en disant par exemple : " A quoi prêtes-tu attention ? Que fais-tu ? Pourquoi négliges-tu tes devoirs ? Fais attention, cela va mal. Considère qu'il faut faire ceci avant de faire cela, quitter telle compagnie, rechercher cette autre, entrer en relation avec telles personnes. Prends garde, la vie passe; fais le bien que tu peux, les aumônes que tu peux; mets en œuvre ce que l'on t'a enseigné. Que la vie ne s'écoule pas seulement en bons désirs et bonnes pensées, et sans aucune œuvre. Considère que la vie passe; et tu ignores si Dieu notre Seigneur ne t'appellera pas au milieu de ta jeunesse. Veille à ne pas être surpris. " Et d'autres choses du même ordre. Si de cette semonce et de cette exhortation votre âme est sortie bouleversée, inconsolable et remplie de crainte, ce n'était pas le Saint-Esprit. Il ne gronde que pour consoler, il ne gronde que pour amender et pour qu'on parte joyeux avec ses avertissements. Si après la semonce, après ce trouble, les larmes et la honte que vous avez d'avoir travaillé contre le Seigneur, vous demeurez joyeux, rempli de confiance dans le Seigneur, qui ne vous abandonnera pas, qui vous aidera à être meilleur et vous amendera, cela provient du Saint-Esprit. Le Consolateur est entré dans votre cœur : il vous a grondé, II vient vous consoler : il a coutume de faire ainsi, apporter la tranquillité après l'orage, et l'amour après la crainte. L'Animateur, l'Exhortateur, le Consolateur, le Maître, lui t'enseignera à commander et guider ton navire et tout ce qu'il y aura à faire. Il fera que, contre vents et marées, grâce à son seul conseil et à son adresse tu arrives à bon port.

D'où vient que, dans l'Église primitive, les croyants ne pouvaient supporter la fortune, ni les possessions, ni l'argent, ni rien de ce qu'ils avaient gagné ? Ils vendaient tout ce qu'ils possédaient, ils prenaient l'argent et se jetaient avec lui aux pieds des apôtres : " Prenez ce fumier ". Le grand amour qu'ils avaient dans leurs cœurs et leurs entrailles pour Jésus-Christ et sa sainte pauvreté leur faisait mépriser tous les biens visibles.

— Qui leur communiqua cet amour ? — Qui ? Le Saint-Esprit, qui en abondance, était venu dans leurs cœurs. — Qui changea le caractère de tel homme ? Qui lui donna tant de patience ? Il était d'ordinaire très emporté, personne ne pouvait s'en garantir; à présent c'est un saint Jérôme, il a le cœur d'un ange, devant tout il reste muet, tolère tout. — C'est le Saint-Esprit qui fait tout cela, et plus encore, car il encourage l'âme où il demeure, la console, et lui donne des biens et des miséricordes innombrables. Tout provient d'en-haut; il en descend; il n'existe pas ici-bas, sur la terre, de pouvoir capable de faire de telles choses; il n'y a personne qui transforme les cœurs. Si forte que soit ta chair pour le mal, plus fort est le Saint-Esprit pour le bien; si sain que tu sois, il te fait languir; si frais que tu sois, il fanera ta beauté, si sauvage que tu sois, il te domptera; si grand que tu sois, il te renverse, et il tue en toi et supprime tout ce qu'il y a d'extérieur et de contraire à Dieu; il élève, augmente et ressuscite tout ce qui plaît à Dieu. Quelle diligence il t'inspire pour chercher la façon de plaire à Dieu, quel amour pour le prochain car ses souffrances et ses nécessités lui font mal comme les siennes propres et davantage encore ! Il te donne des pieds légers comme ceux du cerf pour courir sur le chemin du Seigneur.

Le Saint-Esprit est celui qui pousse à embrasser l'état religieux.

Qui pourra dire les mystères, les merveilles, les changements que ce Saint-Esprit, ce Consolateur et Exhortateur a faits dans l'Église primitive! Nous pourrions avoir de nombreux témoignages de ce temps-là mais puisque nous en avons d'autres près de nous, prenons ce que nous avons entre les mains, Grâce à qui beaucoup méprisent-ils le monde, apprécient-ils peu les vêtements, les parures, les plaisirs, les fêtes, la pompe et les réjouissances profanes, ne veulent-ils pas voir ni entendre les choses du monde, les jeux de lutte, les joutes, les tournois, ne veulent-ils pas être vus, ne veulent-ils pas voir, car même par force ils n'iront pas, dans la mesure du possible, pour ne pas aller dans les rues et rencontrer quelque chose qui trouble leurs âmes même pour un moment ? Ces serviteurs de Jésus-Christ abandonnent les plaisirs et vont chercher les souffrances; ils vont se faire esclaves alors qu'ils étaient libres. Faut-il des livres entiers pour l'expliquer ?

Le Saint-Esprit le montre, c'est son enseignement; ils veulent fuir les choses d'ici-bas pour aller avec Jésus-Christ, ils aiment mieux pleurer et gémir là que rire dans le monde. La chair et le sang ne peuvent y parvenir, ils n'en ont pas la force; par exemple demandez-le à une dame : elle ne le fera pas, car le sang ne peut le faire; et parce que c'est un don et une grâce du Saint-Esprit et le Saint-Esprit les envoie au Christ. Qui fait ces merveilles ? Si vous voyez quelqu'un qui fait ainsi, ne considérez pas tant ses actes que son cœur; car il est certain qu'il abandonnerait plus s'il possédait plus. Il ne regrette pas ce qu'il laisse mais regrette seulement de n'avoir pas beaucoup à laisser par amour pour Jésus-Christ; s'il possédait mille mondes, il les laisserait pour venir aux pieds du Christ. Il aime mieux lui plaire et le servir que d'être seigneur de la terre entière.

Or pourquoi fait-il cela ? Pourquoi choisit-il cet état ? Pourquoi veut-il s'enfermer ? Seul celui qui le comprend peut le dire.

Le souci du serviteur de Dieu qui veut lui plaire est si grand, le souci de celui qui veut se garder en toute pureté est si grand qu'il ne tient pas pour certain ce qui l'est, même ce qui est bon, il le tient pour suspect.

Être marié et avoir un foyer n'est pas mauvais, mais parce qu'on ignore si ce qui est bon à présent ne sera pas une cause de chute plus tard, il considère pour plus sûr cet autre état. Qui sait si elle ne se noiera pas dans les tourbillons du mari, du foyer, et de la famille ? C'est comparable à cette proposition faite à quelqu'un : entrez dans cette rivière, sur le bord elle n'est pas profonde, vous ne pouvez pas vous noyer. — Je ne veux pas — dit-il — car si je mets les pieds dans l'eau j'ignore si, après les avoir plongés, je n'aurai pas envie d'y entrer davantage, et ensuite davantage encore, et je tomberai dans la partie la plus profonde d'où je ne pourrai sortir et me noierai. Je préfère ne pas commencer à y entrer, peut-être ensuite ne sera-t-il pas en mon pouvoir de sortir quand je le voudrai.

— Pourquoi a-t-il voulu cet état ? — On lui a montré le sang de Jésus-Christ, on lui a montré les souffrances de Jésus-Christ, on lui a fait comprendre tout ce que Jésus-Christ a fait pour lui, combien il l'aime, combien il doit être aimé et servi et voilà pourquoi il a voulu embrasser cet état. Qui a fait cela ? Qui l'a ordonné ? — Dieu; non pas le sang ni la chair.

Il n'y a pas de force dans le sang, ni dans la chair pour faire ce bien. Qui l'a ordonné ? — Je l'ignore, mais Dieu le sait.

Dieu, dans l'ancienne Loi, ordonnait qu'on lui offrît des prémices; Après elle, des vierges, ses compagnes, te sont amenées [71]. La pureté de Notre-Dame la Vierge plut tellement à Dieu que, dans ce vers, Jésus-Christ promettait qu'elles seraient semblables à Notre-Dame.

Il arrivait de nombreuses jeunes filles, qui s'offraient à ce Roi céleste, Jésus-Christ, et abandonnaient de très bon gré tout ce qui fleurit dans le monde, le choisissaient et étaient plus contentes de le posséder que d'être épouses de rois et de princes de la terre : " Les prémices, dit saint Cyprien, ce sont les vierges, la pureté la plus pure qui soit au ciel parce qu'elle possède la pureté du corps et de l'âme. Elle représente ici-bas ce que nous devons être et ce que nous serons au ciel. Nous devons y entrer incorruptibles, purs d'âme et de corps. Ainsi sont les vierges qui vivent ici-bas sur la terre, de chair, elles ne vivent pas selon la chair." Elles sont pour Dieu les meilleures demeures parmi les hommes. Il se repose dans les cœurs purs, préservés de la corruption et du péché. Saint Jérôme dit : " Celui qui, tout en étant un être de chair, garde dans sa chair la virginité et la pureté est plus qu'un ange, parce que l'un, qui est l'ange, travaille et agit par don naturel, l'autre, par la grâce. Ce sont des vierges et elles ont cette vertu. On les appelle anges puisqu'elles gardent dans la chair faible et corruptible, par le don de la grâce, la nature des anges ".

Cette dignité et cet état ne doivent pas être choisis parce qu'on ne peut pas faire plus. Il doit être choisi pour l'amour de Dieu, avec le seul désir de lui plaire et de le servir. Celle qui le choisit, pour cette raison-là, celle qui au milieu de la vanité foule au pied le monde et méprise ses faveurs, celle-là est la meilleure.

Ceux qui ont tourné le dos au monde alors qu'ils pouvaient en jouir dans la jeunesse, au moment où ils avaient la beauté et en avaient les moyens sont les serviteurs de Dieu. Ce sont les prémices et les épis mûrs. — Qui vous a mis dans un tel état ? — "Le soleil m'a décolorée; l'amour du soleil me tient dans cet état; je suis un épi brûlé, à l'intérieur je suis belle, à l'extérieur brûlée et noircie par l'amour de Jésus-Christ ". Que les belles ne se glorifient pas de leur beauté, si cette beauté n'est qu'extérieure, parce que à l'extérieur elles paraissent belles et à l'intérieur elles sont l'enfer. Épouses du Christ, ne vous scandalisez pas car si vous avez perdu, pour l'amour du Christ, votre beauté, on vous rendra de la splendeur.

Tout ce que vous avez laissé pour le Christ, tout vous sera rendu en plus grande abondance. Réjouissez-vous et dites lorsque vous serez angoissées au souvenir de ce que vous avez quitté : « Seigneur si j'ai quitté quelque chose pour vous, tout cela est peu de chose car vous méritez beaucoup plus et que je devrais faire encore plus ».

Saint Paul dit aux Hébreux [72] : Si le sang des boucs et des taureaux et les cendres de la génisse que l'on répand pour la sanctification de la chair, sanctifient les impurs, combien le sang du Christ qui s'offrit pur à Dieu par le Saint-Esprit n'a-t-il pas sanctifié plus encore nos consciences des œuvres mortes pour servir Dieu?

Que possède ce sang béni ? Ce sang qui nettoie nos taches lave-t-il nos délits ? Ah ! si je demandais à Jésus-Christ : Qui vous conduit, Seigneur, à souffrir tant ? Qui pousse ce cœur pour qu'il souffre tant ? Le sang du Christ, qui fut répandu par le Saint-Esprit; ce fut l'Esprit qui l'a fait et l'a poussé à le répandre de si bon gré. C'est lui qui lui disait : " Si vous ne mourez pas, personne n'entrera au ciel; mourez; sinon personne ne sera sauvé ".

Péroraison : Heureuse jeune fille qui laisses la terre pour le ciel.

Ne vous effrayez pas que le Saint-Esprit vous ait amené aujourd'hui à vous mettre en croix car il a fait une œuvre plus grande, celle d'obtenir que le Christ renonce à ses plaisirs, qu'il soit obéissant, pauvre, rejeté. Celui qui a poussé Jésus-Christ à se mettre en croix, a poussé votre cœur à suivre le Christ, après avoir quitté et oublié tous les plaisirs. Ne vous repentez pas, ne vous découragez pas de ce qui vous arrive, car je vous fais savoir que, plus votre œuvre est grande, d'autant plus grandes seront les tentations du démon. Le monastère vous semblera un enfer, le chœur une arène, la cellule une prison, les messes des tourments, il vous semblera que vous mangez peu et qu'on vous traite mal. Vous vous direz : " Ceci, je l'avais lorsque j'étais dans le monde. J'ai quitté beaucoup de choses. J'aurais bien pu me sauver en possédant tout cela et en en jouissant. " D'infinies tentations s'empareront de vous pour vous abattre. Soyez averties. Que Dieu vous fasse comprendre combien ce que vous laissez est peu de chose, combien ce que l'on vous donnera est immense. Que le monde ne vous trompe pas, jeune fille, car derrière ces plaisirs, combien y a-t-il d'angoisses et de chagrins, de douleurs et de soucis ! Celui qui considère bien la chose, dira qu'il est bienheureux celui qui en est exempt. Que Dieu vous le fasse comprendre, afin que vous voyiez clairement que ce n'est pas une perte mais un gain; ce n'est pas là une erreur de votre part, c'est un succès.

David, pour échapper à ces dangers, ne demandait-il pas : Détournez mes regards, Seigneur, pour qu'ils ne voient pas la vanité [73]. Il a voulu dire, que les yeux qui devaient voir Dieu, ne devaient pas servir à voir des vanités. Ce que nous aimons beaucoup, gardons-le bien. Que vos yeux s'abstiennent de voir des vanités puisqu'ils espèrent voir Dieu; car vous ne pourrez pas voir Dieu avec les yeux qui voient des vanités. Mettez vos pieds dans le piège de la clôture, et votre cou sous le joug de l'obéissance; faites-vous captifs pour le Christ, enchaînez-vous pour son amour, et tenez fermement car vous trouverez plus de liberté que dans tout le monde.

A quoi vous sert la liberté si votre âme est soumise à la privation ? Supportez de bon gré et fidèlement les souffrances qui peuvent venir pour lui plaire, car il vous en récompensera et vous fera comprendre les mille biens que vous obtiendrez en agissant de la sorte. Malheur à celui qui n'a pas un tel cœur. N'ayons pas de regret en quittant argent, père, frères, maisons, et plaisirs pour Dieu; agir ainsi est un honneur suprême.

Je voudrais plus, si on me donnait à choisir, et les souffrances et les affronts que saint Paul a endurés en ce monde pour Jésus-Christ ont davantage de valeur que ses consolations et ses révélations.

Bienheureuse jeune fille, vous qui quittez la terre pour que l'on vous donne le ciel, vous perdez pour gagner davantage ! Que dirons-nous ? Vous entrez pour le servir et c'est lui qui vous servira. Mettez vos pieds dans le piège et mettez votre cou dans le collier d'or; même si vos pieds sont dans la douleur et la souffrance, levez vos yeux vers l'honneur qui vous est préparé; regardez votre couronne, regardez votre récompense.

Dans la Vie des Pères on raconte qu'un moine vit une procession de saints et quelques-uns portaient de très beaux colliers d'or à leur cou; on lui dit qu'ils jouissaient de cet honneur de porter ces colliers parce qu'en ce monde ils avaient humilié leur nuque sous le joug de l'obéissance.

Obéissez, jeune fille, humiliez-vous, servez, balayez, faites tout ce que vous pourrez. Plus vous aurez de travail ici-bas, plus votre collier au ciel sera riche et digne de gloire. Perdez ici et vous gagnerez là-bas.

Si en ce monde vous souffrez de la solitude, vous serez ensuite la compagne de ceux qui jouissent de Dieu; si ici-bas vous fermez les yeux, au ciel ils verront Dieu; si vous travaillez en ce monde, dans l'autre, vous vous reposerez dans la gloire à jamais.

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[56] It.6,5.

[57] Cf. Jean :. 7, 16.

[58] Cf. Gn. 2, 7.

[59] Cf. 1 Cor. 15, 45.

[60] Gn. 1, 26.

[61] Cf. Jean :. 17, 13.

[62] Cf. Sag. 9, 6.

[63] Mt. 26, 41.

[64] L'escroquerie " à l'homme du monde " était bien connue dans la société contemporaine d'Avila. La littérature picaresque ne tarit pas sur ce chapitre.

[65] Avila fait allusion, en un texte hâtif, à Jérémie. : Jer. I, 9-10 et Jo. 10, 8.

[66] Cf. 1 Cor. 15, 45.

[67] Cf. Jean :. 10, 9.

[68] Rom. 8, 2.

[69] Cf. Jean : 16, 27.

[70] Jean : 14, 6.

[71] Cf. Ps. 45, 15.

[72] Hébreux : 9, 13-14.

[73] Ps. 118, 37.

   

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