CHAPITRE XVII

LA CRÉATION SELON LE SEXE: QUE RÉPONDRE A CEUX QUI SONT EN DIFFICULTÉ DE SAVOIR COMMENT,
SI LA PROCRÉATION EST UNE SUITE DE LA FAUTE, LES ÂMES SERAIENT VENUES A L'EXISTENCE
DANS LE CAS OÙ LES PREMIERS HOMMES SE SERAIENT MAINTENUS HORS DU PÉCHÉ

Objection: sans division sexuelle, l'humanité ne pouvait se développer

Avant d'explorer l'objet de ce chapitre, peut-être vaut-il mieux chercher la solution d'une difficulté de nos adversaires. Ils disent qu'avant la faute, le récit ne parle ni d'enfantement, ni des douleurs qui l'accompagnent, ni d'instinct de procréation. Quand Dieu chasse Adam et Ève du paradis après leur faute et que la femme est condamnée aux douleurs de l'enfantement, alors seulement Adam vient connaître sa compagne en mariage et la première procréation a lieu. Si donc dans le Paradis il n'y avait ni mariage ni douleurs ni enfantement, il est, à leur avis, nécessaire d'en conclure que la multiplication de la vie humaine ne se serait pas faite, si le bienfait de l'immortalité ne nous avait été enlevé pour nous faire mortels et si le mariage, grâce aux naissances, n'avait préservé la nature, en amenant à la vie de nouveaux êtres à la place des disparus. Si bien que d'une certaine façon la faute qui s'introduit dans la vie humaine eut son utilité: sans elle, la race humaine en serait restée au couple primitif, puisque la crainte de la mort n'aurait pas été là pour pousser la nature à se reproduire.

Résurrection: retour au premier état

Sur ces points, une fois de plus, la vérité, quelle qu'elle soit, ne saurait apparaître dans son évidence qu'aux initiés, comme Paul, des mystères indicibles du paradis. Pour nous, voici notre avis: un jour où les Sadducéens faisaient objection à la doctrine de la Résurrection et où, pour confirmer leur thèse, ils mettaient en avant le cas de cette femme mariée successivement à sept frères, en demandant à qui après la Résurrection elle appartiendrait, le Seigneur, non seulement pour instruire les Sadducéens, mais aussi pour faire connaître aux âges à venir le mystère de la vie dans la Résurrection, dit: « A la résurrection ni les hommes ni les femmes ne se marieront; car ils ne peuvent plus mourir: ils sont semblables aux Anges et fils de Dieu, étant fils de la Résurrection » [1]. La grâce de la Résurrection ne nous est pas présentée autrement que comme le rétablissement dans le premier état de ceux qui sont tombés. En effet la grâce que nous attendons est le retour à la première vie, où sera ramené dans le paradis celui qui en avait été chassé.

Premier état: angélique

Si, une fois rétablie dans l'ordre, notre vie va de pair avec celle des Anges, c'est que la vie avant la faute était en quelque façon angélique [2]. Aussi notre retour au premier état nous rend-il semblables aux Anges. Or, comme on sait, bien que le mariage n'existe pas chez eux, leurs armées constituent des myriades infinies. Ainsi le décrit Daniel dans ses visions. Donc, comme eux, si le péché ne nous avait transformés et fait déchoir de l'état d'égalité où nous étions avec eux, nous n'aurions pas eu besoin du mariage pour nous multiplier.

Multiplication des Anges

Le mode de multiplication de la nature angélique peut être indicible et impensable aux conjectures humaines: ce qui est sûr, c'est qu'il y en a un. Ce mode de multiplication aurait été aussi celui des hommes dont la nature est si proche de celle des anges et il aurait porté l'humanité jusqu'au terme fixé par la volonté de son Créateur. Et si quelqu'un a du mal à concevoir ce mode de génération pour l'humanité, dans le cas où elle n'aurait pas eu besoin du concours du mariage, à notre tour, nous le prierons de nous dire comment les anges existent et comment leurs myriades constituent une espèce unique et en même temps peuvent être dénombrées. A celui donc qui met en avant l'impossibilité pour l'homme d'être sans le mariage, nous sommes fondés à donner cette réponse: l'homme serait sans le mariage comme les anges eux-mêmes, puisque notre ressemblance avec les anges avant la chute nous est prouvée par le rétablissement des choses dans leur premier état.

Raison de la création selon le sexe

Maintenant que nous avons élucidé cette question, revenons à notre premier propos: comment, après la constitution de l'image, Dieu a-t-il façonné dans son ouvrage la division en mâle et femelle? Pour répondre à cette question, nos précédentes considérations vont nous être utiles.

Celui qui amène toutes choses à l'être et qui, dans son propre vouloir, forme tout l'homme selon l'image divine, répugne à voir se constituer la plénitude numérique des âmes humaines par les apports successifs de générations; sa puissance presciente conçoit globalement dans son ensemble toute la nature humaine et l'élève au pied d'égalité avec les anges. Mais, comme sa puissance qui voit tout lui montre à l'avance la déviation de notre liberté hors de la route droite et la chute qui s'ensuit, loin de la vie des anges, afin de ne pas mutiler le total des âmes humaines qui ont perdu le mode d'accroissement de l'espèce angélique, Dieu, pour ces raisons, établit pour notre nature un moyen plus adapté à notre glissement dans le péché: au lieu de la noblesse des anges, il nous donne de nous transmettre la vie les uns aux autres, comme les brutes et les êtres sans intelligence. De là vient sans doute que le grand David, prenant en pitié la misère humaine, gémit sur nous en ces termes: « L'homme qui était en dignité n'a pas compris » [3], — en dignité, c'est-à-dire dans un état pareil à celui des anges. A cause de cela, continue-t-il, il a été rejeté dans la compagnie des bêtes sans raison et leur est devenu semblable. Il est réellement devenu bestial, celui qui a reçu ce genre de naissance qui le fait déchoir, à cause de son penchant vers la matière.

CHAPITRE XVIII

LES DISPOSITIONS ANIMALES QUI SONT EN NOUS VIENNENT DE NOTRE PARENTÉ
AVEC LA NATURE IRRATIONNELLE

Vie présente de l'humanité. Origine des « pathè »

Tel est, selon moi, le principe de chacune des « dispositions passionnelles », qui, jaillissant comme d'une source, ont débordé sur la vie humaine [4]. La preuve en est en ce que ces mouvements qui se manifestent chez nous nous sont communs avec les animaux. En effet on ne peut strictement attribuer à la nature humaine, qui porte les traits de la forme même de Dieu, l'origine de ces dispositions. Mais comme les animaux sont venus dans le monde avant l'homme et que, pour la raison dite plus haut, ils lui ont communiqué quelque chose de leur nature, à savoir ce qui concerne la naissance, l'homme a aussi en commun avec eux leurs autres particularités.

La colère ne peut être un point de ressemblance entre Dieu et l'homme; le plaisir ne saurait non plus définir la nature supérieure et la lâcheté, l'audace, le désir des grands biens, la haine de toute condition inférieure et tous les sentiments semblables ne sont guère des notes qui conviennent à la Divinité. Ces caractères, c'est de la nature irrationnelle que la nature humaine les tire. Toutes les protections qui servent à la conservation de la vie animale, transportées dans la vie humaine, donnent ces mouvements des « passions ». Ainsi le courage préserve les carnivores; la recherche de la volupté est la sauvegarde des plus féconds. Ceux qui n'ont pas de forces, la lâcheté les protège et la crainte ceux qui sont d'une prise facile aux forts; la gloutonnerie garde ceux qui sont d'un grand embonpoint. Et quand ils ne peuvent contenter leurs plaisirs, les animaux connaissent aussi le chagrin. Dans la constitution de l'homme, toutes ces dispositions et autres semblables se sont introduites à la suite de notre naissance animale. Qu'on me permette une comparaison entre l'image de l'homme et l'une de ces curieuses créations des sculpteurs. De même que dans certains modelages, l'on voit sculptée une double forme, que les artistes ont imaginée pour la stupeur des passants, représentant dans une seule tête deux visages d'aspect différent, de même, semble-t-il, l'homme porte la ressemblance de deux objets opposés. Par son esprit déiforme, il porte les traits de la beauté de Dieu; par les poussées en lui de ces « mouvements », la similitude de la brute.

Vie humaine dans ces pathè; leur prolifération

Souvent aussi son raisonnement s'abrutit, par son penchant et son comportement animal et la plus mauvaise partie de notre être recouvre la meilleure. Lorsqu'en effet quelqu'un ramène toute son activité spirituelle à ces « mouvements » et force son raisonnement à se faire leur serviteur, il se produit un renversement de l'empreinte de Dieu en nous vers l'image de la brute; toute notre nature est reconstruite à ce modèle, comme si notre raisonnement ne cultivait plus que les principes des passions et les faisait proliférer en abondance. Mettant son activité particulière à leur service, il donne naissance à un véritable amas d'absurdités, Ainsi le désir de la volupté dont le principe en nous est notre ressemblance avec les animaux prend dans les péchés des hommes une telle extension et donne naissance à de telles variétés de fautes de plaisir qu'on n'en trouve pas de pareilles chez les animaux. L'excitation à la colère est de même famille que l'instinct des bêtes, mais chez nous elle se développe par l'aide que lui apportent nos raisonnements. De là viennent le ressentiment, l'envie, le mensonge, les embûches, l'hypocrisie. Tous ces sentiments sont le produit de la mauvaise culture de l'esprit. Si en effet ces mouvements sont privés de l'aide de nos raisonnements, la colère n'a ni durée ni vigueur: comme une bulle d'eau, à peine née, elle crève. Ainsi ce qui est gloutonnerie chez les porcs devient chez nous cupidité et la hauteur du cheval devient de l'orgueil. Tous les instincts qui venaient chacun de la nature irrationnelle de la bête, chez nous sont transformés en vices par le mauvais usage de l'esprit.

Domination de ces mouvements

À l'inverse, si le raisonnement impose sa domination à ces mou­vements, il donne à chacun d'eux la forme de la vertu [5]. La colère devient de la force, la timidité de la prudence, la crainte de la facilité à se soumettre; la haine devient le détournement du vice, la force de l'amour donne le désir de la vraie beauté. Un tempérament hautain se met au-dessus de ses passions et garde son âme de la servitude du mal. Le grand Apôtre loue cette sorte de redressement de l'âme, quand il nous invite sans cesse à avoir des pensées élevées [6]. Ainsi l'on comprend sans mal que tous ces mouvements, dirigés en haut par l'activité supérieure de l'esprit, deviennent conformes à la beauté de l'image divine.

Image obscurcie

Mais comme l'inclination produite en nous par le péché nous alourdit et nous porte vers le bas, la plupart du temps, c'est le contraire qui a lieu. La partie supérieure de l'âme est bien plus tirée vers le bas par la lourdeur de la nature irrationnelle qu'elle n'aspire vers les hauteurs notre lourdeur matérielle. Aussi fréquemment notre misère fait méconnaître le don divin et, comme un masque hideux, les mouvements de la chair recouvrent les beautés de l'image. C'est l'excuse de ceux qui, s'attachant à ces constatations, font difficulté d'admettre qu'il y ait en nous la forme divine.

Les âmes d'élite

Mais grâce à ceux dont la vie s'est redressée, on peut encore voir parmi les hommes l'image divine. Si en effet une vie toute aux passions et à la chair nous dissuade d'admettre en l'homme la parure de la beauté de Dieu, la vie de celui qui par la vertu s'est élevé loin des souillures consolidera en nous une meilleure idée de l'homme. Il est plus simple de prendre un exemple: la souillure du péché a effacé la beauté de leur nature en certains hommes dont les fautes sont connues, comme Jéchonias ou quelque autre célèbre par ses vices. Mais si vous regardez Moïse ou ceux qui lui ont ressemblé, ils ont gardé dans sa pureté la forme de l'image. Et la vue de ceux en qui l'image n'a pas été obscurcie confirme notre foi en la création de l'homme comme image de Dieu.

Espoir de délivrance

Malgré tout, quelqu'un rougit peut-être de la nécessité où nous sommes de manger comme les animaux pour entretenir notre vie et il en conclut qu'il est indigne de croire l'homme à l'image de Dieu. Eh bien! qu'il espère que cette charge sera un jour enle­vée à la nature dans la vie que nous attendons: « Le royaume de Dieu, comme dit l'Apôtre, n'est pas manger et boire » [7] et le Seigneur a affirmé que l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu [8]. La résurrection fera paraître en nous une vie semblable à celle des anges. Or pour les anges, il n'est pas question de manger. Nous avons donc tout ce qu'il faut pour croire qu'un jour l'homme sera débarrassé de cette charge, lui qui vivra comme les anges.

CHAPITRE XIX

CONTRE CEUX QUI FONT DE LA NOURRITURE ET DE LA BOISSON LES BIENS DONT NOUS ESPÉRONS LA JOUISSANCE,
SOUS PRÉTEXTE QUE L'ÉCRITURE FAIT CONSISTER EN EUX LA VIE ORIGINELLE DANS LE PARADIS

Ce ne sera pas, dit-on peut-être, au même genre de vie qu'à l'origine que l'homme reviendra alors, si précisément dans le premier état nous étions dans la nécessité de manger, tandis qu'après la résurrection nous serons délivrés de cette charge. Pour ma part, quand je lis l'Écriture [9], je ne puis admettre qu'il s'agisse de nourriture corporelle pas plus que de jouissance charnelle, mais d'un plaisir tout autre, présentant bien une analogie avec le plaisir du corps, mais dont la jouissance s'adresse à l'âme seule. « Mangez des pains qui m'appartiennent », ordonne la Sagesse à ceux qui ont faim; et le Seigneur béatifie ceux qui ont faim de cette nourriture, à savoir: « Si quelqu'un a soif, dit-il, qu'il vienne à moi et qu'il boive » [10]. Et le grand Isaïe: «Buvez à la joie », ordonne-t-il à ceux qui sont capables de comprendre la sublimité de sa doctrine. On trouve aussi contre les coupables cette menace prophétique, qu'ils seront punis par la faim [11]. La faim n'est pas ici une disette de pain et d'eau, mais le manque de Parole; car l'Écriture ne veut parler ni du pain ni de l'eau, mais de la faim d'entendre les paroles du Seigneur.

Quand donc on parle de la plantation de Dieu dans l'Eden (Eden signifie « jouissance »), il faut penser à un fruit en rapport avec elle et ne pas hésiter à en faire la nourriture de l'homme, sans songer pour cette vie du paradis à notre nourriture passagère et fuyante: « Vous mangerez, dit Dieu, de tout arbre qui est dans le Paradis » [12]. Qui donnera à celui qui a la véritable faim cet arbre-là, celui qui est dans le paradis, cet arbre qui renferme tout bien, qui est désigné par ce mot « tout », et dont l'Écriture accorde à l'homme la participation? En ce mot qui désigne un ensemble et s'élève au-dessus de tout, est contenu naturellement l'idée de tout bien et par un seul arbre est signifié le tout. Qui m'écartera au contraire de goûter à cet arbre mélangé et participant de deux genres? Ceux qui y regardent de près voient clairement quel est ce « tout », dont le fruit est la vie et aussi quel est cet arbre au fruit mélangé, dont le terme est la mort? Celui, en effet, qui remet sans réserve à l'homme la jouissance du tout, le détourne absolument par ses paroles et ses conseils de toucher à ces biens « mélangés » [13]. Pour interpréter cette parole, les meilleurs maîtres me semblent être le grand David et le sage Salomon. Tous les deux pensent que le bienfait unique de la jouissance qui nous est accordée, c'est le vrai Bien lui-même, qui est précisément « tout bien ». David dit: « Jouissez du Seigneur » [14] et Salomon nomme « arbre de vie cette Sagesse même » qui est le Seigneur [15].

Donc l'expression « tout arbre » désigne la même chose que l'arbre de vie, celui dont l'Écriture fait don pour sa nourriture à celui qui a été façonné selon Dieu. Un autre arbre est entièrement distingué de celui-là: c'est celui dont la manducation met en nous la connaissance du bien et du mal: non que de sa nature, il produise en partie l'un et l'autre de ces opposés, mais il fait fleurir un fruit tout mélangé, composé des qualités contraires. Le maître de la vie nous empêche d'en manger; le serpent nous le conseille, afin de donner ainsi une entrée à la mort. Et son conseil est persuasif, car il entoure le fruit de belles couleurs et de charme, afin qu'il paraisse agréable et qu'il excite en nous le désir d'en goûter.

CHAPITRE XX

LA VIE DANS LE PARADIS ET L'ARBRE DÉFENDU

L'origine du mal. Définition de mots

Quel est cet arbre, plein de plaisir pour les sens, qui enferme la connaissance mélangée du bien et du mal? Je pense ne pas m'éloigner de la vérité, en partant, sur cette question, d'un point évident. A mon avis, à cet endroit de l'Écriture, « connaissance » n'équivaut pas à «science » et, d'après l'usage scripturaire, je trouve une différence entre « connaissance » et « discernement ». L'apôtre dit bien, en effet, qu'un homme aux dispositions d'esprit parfaites et aux sens purifiés peut « discerner » le bien du mal [16]. Aussi il donne ce conseil de « juger de tout », car, dit-il, le discernement appartient à l'homme spirituel [17]. Le mot « connaissance », lui, ne paraît pas désigner partout la science et le pur savoir, mais plutôt une disposition intérieure vis-à-vis de ce qui nous est agréable. Ainsi « le Seigneur a, connu ceux qui lui appartiennent » [18]. Et il dit à Moïse: «Je t'ai connu de préférence aux autres » [19]. Aux damnés, celui qui sait tout dit ces mots: « Jamais je ne vous ai connus » [20].

Nature du mal: un mélange

Donc l'arbre qui produit cette connaissance mélangée est parmi les choses interdites. Un mélange d'éléments opposés compose ce fruit, dont le serpent est le défenseur. Peut-être la raison en est-elle que le mal ne se présente jamais dans sa nudité, tel qu'il est réellement. Le vice serait sans efficacité, s'il ne se colorait de quelque beauté excitant le désir chez celui qui se laisse tromper. En tout cas, à nous, le mal se présente toujours sous forme de mélange: dans ses profondeurs, il tient la mort comme un piège caché; mais par une apparence trompeuse, il fait paraître une image du bien: la belle couleur de l'argent semble un bien pour les avares, ce qui n'empêche pas l'avarice d'être la racine de tous les maux. Glisserait-on vers le bourbier infect de la licence, si le plaisir n'était un bien désirable pour celui qui par cet appât se laisse entraîner vers les passions? [21] Ainsi des autres fautes: leur action corruptrice est cachée. Dès l'abord elles semblent désirables et sont recherchées comme un bien à la suite d'une tromperie par ceux qui n'y regardent pas de près.

Puis donc que la plupart mettent le bien dans ce qui charme les sens et qu'un même mot désigne le bien réel et le bien apparent, le désir qui se porte vers le mal comme si c'était un bien, est appelé par l'Écriture la « connaissance du bien et du mal », ce mot de connaissance voulant exprimer cette disposi­tion intérieure et ce mélange.

Ni mal absolu, ni bien absolu

Ni un mal absolu, puisque la bonté fleurit tout autour, ni un bien sans mélange, puisque le mal s'y cache, mais un mélange des deux, tel est le fruit de l'arbre défendu, selon l'Écriture qui n'a d'autre but que de répéter cette vérité que le bien réel est par nature sans composition, que sa forme est simple et qu'il est étranger à toute duplicité et à toute union avec son contraire, tandis que le mal est bigarré et se présente de telle sorte qu'on le tient pour une chose et qu'à l'expérience il se révèle tout autre: sa connaissance, c'est-à-dire la prise de contact avec lui dans l'expérience, est le commencement et le fonde­ment de la mort et de la corruption.

La tentation

C'est pourquoi le Serpent met en avant le fruit mauvais du péché, mais sans mettre au grand jour le mal tel qu'il est par nature: l'homme ne serait pas trompé par le mal, s'il éclatait à ses yeux; mais le démon, faisant briller la grâce extérieure des apparences et, comme un charlatan, charmant notre goût par quelque plaisir des sens, apparaît à la femme digne de confiance, ainsi que dit l'Écriture: « Et la femme vit que le fruit était bon à manger et agréable à voir et agréable à contempler. Ayant pris du fruit, elle en mangea » [22]. Cette nourriture est pour les hommes la mère de la mort. Et cela est précisément le mélange des fruits que porte l'arbre, l'Écriture voulant indiquer clairement le sens selon lequel elle déclare ce bois capable de faire connaître le bien et le mal: il a la malice de ces poisons qui sont préparés avec du miel: selon qu'ils flattent le sens, ils paraissent bons; selon qu'ils font périr celui qui les prend, ils sont le dernier des maux.

Ses suites

Lors donc que ce poison funeste eut produit ses effets sur la vie hu­maine, alors l'homme, dont la création et le nom sont pleins de grandeur, cette image de la nature divine, devint semblable, comme dit le Prophète [23], aux créatures frivoles. Et ainsi l'image ne réside plus que dans les parties les plus sublimes de notre être; les tristesses et les misères de la vie présente n'ont rien à voir avec notre ressemblance divine.

CHAPITRE  XXI

L'ESPÉRANCE DE LA RÉSURRECTION SE FONDE PLUS ENCORE  SUR LA NÉCESSITÉ DE  L'ORDRE DES CHOSES
QUE SUR LES  PAROLES DE L'ÉCRITURE

Le terme du mal

Le vice n'est pas si fort qu'il puisse avoir le dessus sur la puissance du bien et l'inconstance de notre nature ne sau­rait avoir plus de force ou de stabilité que la sagesse de Dieu. Car l'être toujours mobile et changeant ne peut l'emporter en fixité sur celui qui, établi dans le bien, est toujours identique à lui-même. Tandis que le vouloir divin, partout et toujours, reste immuable, notre nature mobile ne s'arrête pas, même dans le mal.

Si c'est vers le bien que le mouvement perpétuel entraîne un être, jamais, à cause de l'infini de son objet, ce mouvement ne cessera de l'emporter plus avant, car jamais il n'atteindra la limite de celui qu'il cherche et dont la saisie lui permettrait un arrêt [24]. Mais s'il tend au terme opposé, lorsqu'il a accompli la course du vice et qu'il est parvenu à son sommet, alors l'élan qui l'emporte ne trouvant nulle part où s'arrêter, à la fin de tout ce parcours dans le vice, nécessairement tourne vers le bien. Car le vice ne peut aller jusqu'à l'illimité, mais contenu nécessairement dans des bornes, selon toute logique, à la limite, il passe au bien.

Le retour nécessaire au bien

Ainsi, comme j'ai dit, notre nature, dans son mouvement perpétuel, repart sur le chemin du bien, car le souvenir des erreurs passées lui a appris à ne plus se laisser prendre aux mêmes fautes. Et notre course reprendra dans le bien, parce que la nature du mal doit être enclose dans des limites.

Selon les astronomes, en ce monde tout rempli de lumière, l'ombre est formée par l'interposition du corps de la terre. Mais l'ombre, d'après la forme sphérique de celle-ci, est enfermée sur la partie arrière par les rayons du soleil et prend la forme d'un cône. Le soleil, lui, plusieurs fois plus grand que la terre, l'en­cercle de toutes parts de ses rayons et, à la limite du cône, réunit entre eux les points d'attache de la lumière. Supposons maintenant que l'on puisse franchir la limite de la zone obscure; l'on se trouvera dans une lumière jamais interrompue par les ténèbres [25]. De la même façon, lorsque ayant franchi la limite du vice, nous serons parvenus au sommet de l'ombre formée par le péché, de nouveau nous établirons notre vie dans la lumière, car la nature du bien comparée à l'étendue du vice déborde infiniment toutes limites. De nouveau, nous connaîtrons le paradis, de nouveau nous connaîtrons cet arbre, qui est l'arbre de vie. De nouveau, la beauté de l'image et notre première dignité [26]. Ici je n'entends parler d'aucun de ces biens, dont Dieu a fait aux hommes un besoin pour leur vie, mais de l'espérance d'un autre royaume, dont la description demeure impossible.

CHAPITRE XXII

CONTRE CEUX QUI DEMANDENT POURQUOI, SI LA RÉSURRECTION EST UN TRÉS  GRAND BIEN, ELLE N'A PAS LIEU DÈS MAINTENANT,  MAIS N'EST ESPÉRÉE  QU'APRÉS  LA RÉVOLUTION DU TEMPS

Longueur de l'attente

Attachons-nous à suivre notre étude. Quelqu'un à qui la douceur de notre espérance a peut-être donné des ailes trouvera dur et pénible de ne pas ob­tenir plus tôt ces biens dépassant tout sentiment et toute connaissance humaine et ce laps de temps qui nous sépare de l'objet de nos désirs lui sera intolérable. N'allons pas, comme des enfants, resserrer nos cœurs et nous fâcher de ce court délai apporté à la réalisation de notre joie [27]. Puisque l'intelligence et la sagesse règlent tout, il faut bien penser qu'aucun événement particulier ne leur échappe.

Vous me demanderez la raison pour laquelle cette existence douloureuse ne se change pas tout de suite en celle que nous désirons, mais pourquoi elle se prolonge dans la lourdeur charnelle jusqu'à des temps fixés et attend le terme de l'accomplissement universel, pour délivrer l'humanité du mors qu'elle porte et la faire enfin passer dans la liberté absolue de la vie bienheureuse et impassible. La vérité seule pourrait dire si la raison que nous invoquons lui est conforme. En tout cas, voici ce qui nous est venu à l'esprit.

Rappel de la double création: L'image. Adam

Je reprends ce que j'ai dit au début: « Faisons l'homme, dit Dieu, à notre image et ressem­blance. Et Dieu fit l'homme; à l'image de Dieu, Il le fit. » Cette image de Dieu, qui réside en la nature humaine prise dans son ensemble, a atteint sa perfection. Adam, à ce moment, n'existait pas encore. En effet, étymologiquement, d'après ceux qui savent l'hébreu, Adam signifie « ce qui est formé de terre ». Aussi l'Apôtre, qui connaît bien sa langue maternelle, appelle l'homme fait de la terre « le terreux » [28], traduisant en grec le nom d'Adam. Donc l'homme a été fait selon l'image, c'est-à-dire la nature du tout, la créature semblable à Dieu. La toute-puissance de sa sagesse n'a pas produit une partie seulement de ce tout, mais en bloc tout le « plérôme » de notre nature. Il savait bien, lui qui a en ses mains les limites de toutes choses, selon le mot de l'Écriture: « En sa main, sont les limites de la terre » [29], il savait, lui qui connaît chaque être avant même son apparition, et il tenait dans sa pensée le nombre exact de tous les individus composant l'humanité.

Mode de procréation de l'humanité

Comme Dieu vit dans l'ouvrage que nous étions notre inclination vers le mal et comme il vit que, par notre déchéance spontanée de la dignité que nous partagions avec les anges, nous chercherions à nous unir avec ce qui était au-dessous de nous, pour ce motif il mêla à sa propre image quelque chose de l'irrationnel. Car ce n'est pas à la nature divine et bienheureuse que peut appartenir la division en mâle et femelle. Dieu applique à l'homme un caractère du règne animal, refusant à notre race le mode de propagation en rapport avec la grandeur de notre création. Ce n'est pas en effet lorsqu'il créa l'homme à son image qu'il y adjoignit le pouvoir de se développer et de se multiplier, mais lorsqu'il divisa l'homme en mâle et en femelle. Alors il dit: « Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre » [30]. Ce genre d'accroissement n'est pas un caractère de la nature divine, mais de l'animal, comme le fait entendre le récit qui prête d'abord ces paroles à Dieu quand il s'agit des animaux. Car si, avant la division en mâle et femelle, il avait prononcé ces mots pour donner à l'homme le pouvoir de se multiplier, nous n'aurions pas besoin de ce mode de reproduction qui est celui des animaux.

Création du temps

Alors que la plénitude de l'humanité avait été préméditée par l' « activité presciente » de Dieu et que cette plénitude devait se réaliser par ce genre de naissance animale, Dieu dont le gouvernement or­donne et délimite exactement toutes choses, puisque ce mode de génération était rendu nécessaire pour nous par ce glissement vers en bas qu'il avait prévu, lui qui voit le futur comme le présent, Dieu établit à l'avance le temps nécessaire à la constitution de l'humanité, en sorte que la venue des âmes dans leur nombre fixe règle la durée et que le courant du temps s'arrêtera, lorsqu'il ne sera plus utile à la venue de la race humaine [31].

La fin des temps

Avec l'achèvement de la génération humaine, le temps cessera définitivement et alors toutes choses retourneront à leurs éléments primitifs. Dans ce bouleversement universel, l'humanité aussi sera transformée et de son état périssable et terrestre, passera dans un état impassible et éternel. C'est à quoi le divin Apôtre me semble avoir songé, lorsqu'il prédit dans son Épître aux Corinthiens l'arrêt soudain du temps et le renouvellement de tout ce qui est soumis au mouvement: « Je vous annonce, dit-il, un mystère: tous, nous ne nous endormirons pas dans la mort, mais tous nous serons transformés, dans un instant indivisible, en un clin d’œil, au son de la der­nière trompette » [32]. A mon sens, puisque le plérôme de l'humanité est parvenu à son terme selon la mesure prévue, par le fait que le nombre des âmes n'a plus désormais à s'accroître, l'Apôtre veut dire qu'un ins­tant suffira à la transformation de la création et il exprime par cet instant indivisible et ce clin d’œil cette limite du temps qui n'a ni partie ni extension. Aussi celui qui est parvenu à cet ultime sommet du temps, après lequel il n'y a plus de division temporelle, ne peut obtenir cette révolution transformante de la mort que si la trompette de la Résurrection a d'abord retenti pour réveiller tous les morts et faire passer tous ensemble dans l'immortalité ceux qui resteront en vie; ceux-ci deviendront semblables aux autres que la résurrection aura transformés, au point de n'être plus entraînés vers le bas par le poids de leur chair et de ne plus être retenus à terre par leur masse, mais de vivre dans les espaces célestes. « Nous serons ravis, en effet, dit l'Apôtre, dans les nuages, à la ren­contre du Seigneur, dans les airs, et ainsi pour toujours, nous serons avec le Seigneur » [33]. Supportons donc le temps qui s'étend nécessairement le long du développement de l'humanité.

L'attente d'Abraham, des Patriarches, de David

Tous les patriarches qui entourent Abraham eurent le désir de voir la béatitude et ils ne cessèrent d'espérer la patrie céleste, comme dit l'Apôtre. Cependant ils demeurent encore dans l'espoir de ce bienfait, tandis que Dieu dispose les choses pour notre bien, selon la parole de l'Apôtre, afin, dit-il, qu'ils ne parviennent pas au terme sans nous. Si donc ceux qui viennent de loin supportent ce délai, si la seule vue de ces biens par la foi et l'espérance n'a pas empêché leur amour, selon l'Apôtre, et s'ils se reposent dans la certitude de la jouissance future sur la foi de la promesse, que doivent faire beaucoup d'entre nous, dont la vie ne manifeste guère l'espoir de ces biens supérieurs? L'âme du prophète défaillait de désir et il avoue dans les Psaumes l'amour dont il est possédé, disant qu'il ne se tient plus d'être dans la maison du Seigneur, même si on doit le mettre à la dernière place. Car il préfère sans comparaison y être le dernier, plutôt que d'être le premier sous les tentes de ceux qui passent leur vie dans le péché. Pourtant il supportait ce délai, alors qu'il n'avait de bonheur que dans l'au-delà et aimait mieux quelques instants avec Dieu que mille années sur terre. « Un seul jour dans vos demeures vaut mieux que mille ans » [34], dit-il. Il ne trouvait pas mauvais le gouvernement nécessaire du monde et il lui paraissait suffisant au bonheur de l'humanité de ne l'avoir vu qu'en espérance. C'est pourquoi, à la fin de son Psaume, il dit: « Seigneur, Dieu des puissances, bienheureux l'homme qui espère en toi ». Nous non plus, nous  ne devons pas resserrer nos cœurs, si la réalisation de nos espérances tarde un peu; nous devons plutôt mettre tous nos soins à ne pas en être exclus.

Attente de la moisson

Qu'on prédise à un ignorant qu'à l'été la moisson viendra, que les greniers seront pleins et qu'en ce temps d'abondance, les tables seront chargées de mets, vous traiteriez de fou celui qui aurait hâte d'avoir devant lui la moisson, quand il faut d'abord semer et donner de sa peine, si l'on veut voir les fruits. Alors, que vous le vouliez ou non, la moisson viendra au temps fixé. Mais ils ne la verront pas du même œil, celui qui par ses soins aura préparé pour lui la récolte et celui qui devant la moisson sera resté sans la préparer. De la même façon, je pense, alors que tous, nous savons par les oracles divins que le temps viendra de la transformation, nous n'avons pas à nous soucier du moment (le Christ a bien dit que ce n'était pas à nous de savoir les circonstances et l'époque) et à échafauder des raisonnements qui ne feront que gâter notre espérance de la Résurrection [35]. Mais appuyés solidement sur la foi de ce que nous attendons, il faut nous assurer à l'avance le bienfait à venir par l'excellence de notre vie.

CHAPITRE XXIII

SI  L'UNIVERS  A  EU  UN  COMMENCEMENT, IL FAUT  NÉCESSAIREMENT LUI RECONNAÎTRE  UN  TERME

Lien nécessaire entre les théories sur le commencement du monde et celles sur sa fin

Si quelqu'un, considérant le déroulement régulier de l'univers, par lequel il se fait une idée de l'espacement temporel, avoue ne pas admettre cet arrêt de tout mouvement prédit dans l'Écriture, cet homme-là évidemment ne croit pas davantage qu'à l'origine Dieu ait donné l'existence au ciel et à la terre. Celui qui reconnaît une origine au mouvement n'a pas un doute sur son terme et celui qui ne lui reconnaît pas un terme n'en admet pas non plus le commencement. Nous, de même que nous pensons que l'agencement harmonieux des siècles est l'œuvre de la parole divine, croyant, comme dit l'Apôtre, que le visible vient de l'invisible, nous portons la même foi en la parole de Dieu, qui nous prédit l'arrêt nécessaire des choses.

Soumission à la foi

La question du « comment », il faut la rejeter de notre curiosité: sur ce point encore, nous recevons avec foi que le monde visible a son harmonie définitive dans un monde qui n'est pas encore manifesté et nous laissons de côté la recherche de ce qui est hors de nos prises.

Examen nécessaire

Sur plus d'un point, pourtant, nous pouvons être dans l'embarras et y trouver occasion de doutes sérieux sur notre foi. Des esprits habitués à la controverse peuvent se permettre par des arguments vraisemblables et logiques de mettre notre foi sens dessus dessous, en ne tenant pas pour vraie la doctrine de l'Écriture sur la création matérielle, qui enseigne avec force l'origine de toutes choses en Dieu.

Arguments de ceux qui tiennent l'éternité de la matière

Ceux qui tiennent la doctrine contraire, en effet, s'efforcent d'éta­blir que la matière est coéternelle à Dieu et pour fonder cette façon de penser, ils usent des arguments suivants [36]: d'un côté, la nature de Dieu est simple, sans matière, sans qualité, grandeur ou composition; elle ne connaît aucune délimitation extérieure. De l'autre, toute matière se définit par son extension dans l'espace et est soumise à la perception sensible, puisqu'elle se fait connaître à nous par la couleur, la forme extérieure, le poids, la quantité, la résistance et toutes les autres qualités dont on ne peut absolument pas admettre l'existence dans la nature divine. Or comment imaginer que la matière vienne d'un être immatériel? que ce qui a des dimensions vienne de ce qui n'en a pas? Si l'on croit que la matière tire de Dieu son origine, il faut admettre que d'une façon inexplicable elle est en Dieu, d'où elle viendrait ainsi à l'existence. Mais si la matière est en Dieu, comment celui qui la contient est-il immatériel? Il faut en dire autant de toutes les autres caractéristiques de la nature matérielle: si la quantité est en Dieu, comment Dieu est-il sans elle? S'il contient en lui l'être composé, comment est-il simple, sans parties ni composition? Aussi on doit conclure: ou Dieu est nécessairement matériel, puisque la matière tire de lui son origine, ou, si on veut éviter cette conséquence, il faut supposer qu'il prend hors de lui la matière dont il a besoin pour la formation de l'univers. En conséquence, si la matière était hors de Dieu, il faudrait absolument admettre un principe différent de lui, qui lui soit coéternel et n'ait pas d'origine. On en vient à poser la coexistence de deux principes sans commencement ni origine, celui dont l'art réalise le monde et celui sur lequel il s'applique. Une telle théorie qui admet comme une nécessité la coexistence éternelle de Dieu et de la matière est une approbation donnée aux idées des Manichéens qui mettent sur le même plan, comme incréées l'une et l'autre, la cause matérielle et la nature du bien [37].

Notre foi en la Résurrection fondée sur la foi dans le commencement des choses

Nous, nous croyons que tout vient de Dieu, sur l'affirmation de l'Écriture. Quant à dire comment tout était en Dieu, nous estimons ne pas devoir nous y arrêter, comme à un point dépassant notre raison. Nous croyons que tout est possible à la puissance divine: d'amener à l'existence ce qui n'est pas, comme de donner à ce qui existe les qualités qui lui conviennent.

La conclusion logique est donc: si pour tirer les choses du néant à l'être, la puissance du vouloir divin suffit, de la même façon lorsque nous ferons appel à cette même puissance pour cette restauration universelle des choses, nous n'admettrons rien qui sorte de la vraisemblance. Cependant je crois possible de persuader par quelques raisons ceux qui nous font de subtiles difficultés sur la matière; ainsi nous ne paraîtrons pas, par manque d'arguments, passer à côté de la discussion.

CHAPITRE XXIV

RÉFUTATION DE CEUX QUI TIENNENT LA COEXISTENCE  ÉTERNELLE DE DIEU ET DE LA MATIÈRE

Nous n'avons pas à classer parmi les opinions indémontrables notre opinion sur la matière, qui fait dépendre l'existence de celle-ci de l'Être purement spirituel et sans matière. Nous découvrirons en effet que la matière n'est faite tout entière que d'un ensemble de qualités dont nous ne pouvons la dépouiller une à une sans la rendre absolument incompréhensible à la raison. Par ailleurs chaque espèce de qualité peut être mentalement isolée du sujet où elle se trouve. Or la raison est un mode de connaissance spirituel, qui n'a rien de corporel. Ainsi prenez un vivant, du bois, ou quelque autre objet ayant une organisation matérielle; souvent nous considérons par abstraction, à part du sujet où elles sont, des qualités dont l'idée que nous nous en faisons se distingue nettement d'une autre considérée en même temps. Ainsi l'idée que nous avons de la couleur diffère de celle de poids, de quantité et de toucher. La malléabilité d'un corps, sa double épaisseur, ses autres qualités ne se confondent, dans notre idée, ni entre elles ni avec le corps en question. Pour chacune d'elles, nous trouvons une définition propre qui la signifie et qui ne la confond pas avec quelqu'une des autres qualités considérées en ce corps. Si donc la couleur est un « objet de pensée » et de même la résistance, la quantité et toutes les autres propriétés des corps, et si en même temps, lorsque l'on enlève au corps considéré chacune de ces qualités, on fait disparaître par le fait toute l'idée que nous en avons, il serait logique de supposer que la rencontre de ces qualités dont l'absence se trouve être cause de la disparition du corps, donne naissance aux êtres matériels. Comme il n'y a pas de corps, sans qu'il n'y ait en même temps couleur, forme extérieure, résistance, étendue, pesanteur et toutes les autres particularités, — attributs qui, pris à part, ne sont pas un corps, mais se sont révélés quelque chose d'autre, — ainsi à l'inverse, leur rencontre donne l'existence aux corps. Mais si la compréhension de chacune de ces propriétés est un « acte d'intelligence » et si la Divinité est aussi par nature une « substance intelligible », il n'y a rien d'invraisemblable à ce que ces qualités soient des principes purement spirituels venant d'une nature incorporelle pour la production des corps: la nature spirituelle donne l'existence à des forces spirituelles et la rencontre de celles-ci donne naissance à la matière [38].

Mais ces considérations sont hors de notre sujet. Il nous faut revenir à la foi: d'elle nous recevons que l’univers tire son origine à partir du non-être et grâce à elle, quand l’Écriture nous apprend qu’il sera à nouveau établi dans un nouvel état, nous l’admettons sans hésiter.

CHAPITRE XXV

COMMENT UN INCROYANT  PEUT ÊTRE AMENÉ À CROIRE  CE  QU'ENSEIGNE  L'ÉCRITURE  SUR LA RÉSURRECTION

L'Évangile fonde la foi en la Résurrection

Quelqu'un voyant la corruption des corps et jaugeant la Divinité à la mesure de ses forces soutient peut-être l'impossibilité de notre enseignement sur la Résurrection, sous prétexte qu'il ne peut admettre l'arrêt des êtres soumis au mouvement et le retour à la vie d'êtres qui ne se meuvent plus. Cet adversaire trouvera d'abord une excellente preuve de la vérité de la Résurrection, en examinant combien est digne de foi l'annonce qui en est faite: en particulier, il fondera son assentiment sur la réalisation actuelle de prophéties faites dans le passé. En effet, dans le nombre et la diversité des récits de la Sainte Écriture, il est possible de se demander si l'ensemble des prédictions qui s'y trouvent tient du mensonge ou de la vérité et de se faire par là une idée sur la doctrine de la Résurrection. Si ailleurs les paroles sont mensongères et s'écartent avec évidence de la vérité, la prophétie sur la Résurrection, elle aussi, sera fausse. Si, au contraire, les faits confirment la vérité de tout le reste, il serait logique d'en conclure à l'exactitude des prophéties sur la Résurrection. Rappelons donc une ou deux de ces prédictions et confrontons l'événement avec elles, afin de connaître par là la vérité de la Parole divine.

Le but cherché par le Christ en ses prédictions

Tout le monde connaît l'ancienne prospérité du peuple d'Israël, qui égalait toutes les puissances de la terre. On se rappelle les palais de Jérusalem, ses remparts, ses tours, la grandeur du temple. Devant ces merveilles, les disciples sont remplis d'étonnement et ils croient devoir attirer sur elles le regard du Seigneur, tellement leur admiration est grande. Ils adressent au Christ ces mots que rapporte l'Évangile: « Quelles grandes œuvres! quelles constructions! » [39] Mais lui, leur fait entrevoir le désert qui sera en cet endroit et la disparition de ces beautés, tandis qu'ils sont tout à l'admiration du présent; il leur dit que dans peu il ne subsistera rien de ce qu'ils voient.

Puis, au moment de sa Passion, aux femmes qui l'accompagnent en gémissant sur son injuste condamnation, sans regarder au vrai sens des événements, le Christ donne le conseil de se taire sur ses malheurs, qui ne méritent pas de larmes, et de conserver leurs gémissements et leurs lamentations pour le vrai jour des pleurs, lorsque la ville sera cernée par le siège et que les malheurs se presseront tellement sur elle que l'on enviera celle qui n'a pas enfanté [40]. Il prédit le crime de ces mères qui mangeront leurs enfants, tandis qu'il proclame heureux le sein qui ces jours-là restera stérile.

Où sont maintenant ces palais? où est le temple? où sont ses murailles? où sont les défenses des tours? où est la puissance des Israélites? N'ont-ils pas été dispersés presque par toute la terre et la ruine de leurs palais n'a-t-elle pas accompagné leur chute?

Le Seigneur, à mon avis, n'a pas fait ces prédictions en vue des faits eux-mêmes: quel avantage y avait-il pour les auditeurs à apprendre à l'avance des événements certains? Ils les connaîtraient par expérience, même s'ils n'en savaient rien auparavant. Le Christ cherchait à les amener logiquement à la foi en des événements plus importants. La preuve d'expérience donnée par les premiers serait la preuve de la vérité des seconds [41].

Pédagogie du Christ: gradation dans les miracles

Si un agriculteur explique la puissance cachée dans une semence et si l'homme à qui il parle, ignorant l'agriculture, ne le croit pas sur parole, il suffit au paysan, pour prouver ce qu'il dit, de montrer dans une seule semence ce qu'il y a dans toutes celles d'un « médimne » et par elle de se porter garant de tout le reste. Quand on a vu un seul grain de blé ou d'orge ou toute autre graine contenue dans un « médimne » devenir un épi après son ensemencement en terre, on ne peut pas plus douter de l'ensemble que d'un seul. Aussi, à mon avis, le mystère de la Résurrection est suffisamment, prouvé, si les autres prédictions sont reconnues justes. Bien plus, nous avons l'expérience de la Résurrection et nous en sommes instruits, non pas tant par des discours, que par les faits eux-mêmes. Étant donné que la Résurrection constitue une merveille incroyable, le Christ commence par des miracles moins extraordinaires et habitue doucement notre foi à de plus grands. Une mère qui adapte la nourriture à son enfant, allaite de son sein au début la bouche encore tendre et humide; puis, quand poussent les dents et que l'enfant grandit, elle ne commence pas à lui offrir un pain dur et impossible à digérer, qui par sa rudesse blesserait des gencives molles et sans exercice, mais avec ses propres dents elle mâche le pain, pour le mesurer et l'adapter à la force de celui à qui elle le donne; enfin, quand le permet le développement des forces de l'enfant, elle le conduit doucement de nourritures plus tendres à une nourriture plus solide. Ainsi le Seigneur, vis-à-vis de la faiblesse de l'esprit humain: nous nourrissant et nous allaitant par des miracles comme un enfant encore imparfait, il donne d'abord une idée de la puissance qu'il a pour nous ressusciter par la guérison d'un mal incurable: cette action est grande, mais pas telle que nous ne puissions y croire.

La belle-mère de Simon

Il commande à la forte fièvre qui brûlait la belle-mère de Simon [42], et le mal disparaît, si bien que celle dont on attendait la mort a la force de servir à manger à ceux qui étaient présents [43].

Le fils de l'officier de Capharnaüm

Ensuite il manifeste un peu plus sa puissance, en rendant à la vie le fils de l'officier royal qui, de l'avis de tous, était en danger et que l'on s'attendait à voir mourir (il était en effet sur le point de mourir, dit l'Évangile, et le père criait: « Descends avant que ne meure mon enfant » [44]. Il montre un peu plus sa puissance par le fait qu'il ne s'est pas même approché de l'endroit où était le malade, mais que de loin il lui a rendu la vie par la force de son commandement.

Le fils du chef de la Synagogue

De nouveau il s'élève régulièrement à des miracles plus grands. S'étant mis en route pour aller vers l'enfant du chef de la Synagogue [45], il s'attarde volontairement en chemin à rendre publique la guérison cachée de l'hémorroïsse, comme pour laisser le temps à la mort d'emporter le malade. Or l'âme était depuis peu séparée du corps et les pleureuses se pressaient là avec des cris funèbres et des lamentations: lui, d'un mot, comme s'il s'agissait du sommeil, fait lever l'enfant et le rend à la vie. Ainsi il conduit d'une marche régulière la faiblesse humaine vers des œuvres plus grandes.

Le fils de la veuve de Naïm

Puis il s'élève encore dans ses miracles et, par une puissance plus grande, il met les hommes sur la route de la foi en la Résurrection. L'Écriture [46] parle de Naïm, ville de Judée. En cette ville, était le fils unique d'une veuve; il n'était plus un enfant, encore au rang des adolescents: il atteignait l'âge d'homme. L'Écriture l'appelle  un « jeune homme ». Le récit dit beaucoup en quelques lignes: c'est un vrai chant de deuil. La mère du mort, dit-il, était veuve. Vous voyez la profondeur du malheur et combien en peu de mots l'Écriture rend tout le tragique du mal. Que dit-elle en effet? que la mère n'avait même plus l'espoir d'avoir d'autres enfants pour se guérir de  la perte de celui-là: « Cette femme était veuve. » Elle ne pouvait porter ses yeux sur un autre enfant qui remplacerait le disparu: « Ce fils était unique. » La grandeur de ce malheur, tous ceux qui ne sont pas étrangers à la nature la comprendront sans peine: elle n'avait connu que lui dans ses entrailles, elle n'avait allaité que lui à son sein; lui seul était la gaieté de sa table; lui seul illuminait de joie la maison, quand elle le voyait jouer, travailler, faire de la gymnastique, vivre joyeux, s'en aller en public, dans les palestres ou dans les assemblées de jeunes; lui seul était tout ce qu'il y a de doux et de précieux aux yeux d'une mère. Il était en âge de se marier et était l'unique rejeton de sa famille, le rameau de sa succession et le bâton de sa vieillesse. La mention de l'âge, en particulier, est encore un chant de deuil: l'Écriture, le désignant comme un « jeune homme », exprime la fleur de l'âge qui s'est consumée, le duvet encore tendre, la barbe qui pousse à peine et les joues encore brillantes de beauté. Que devait donc éprouver la mère? Ses entrailles brûlaient comme un feu. Quelle amertume devait avoir son chant de deuil, tandis qu'elle entourait le cadavre dans ses bras! Comme elle devait retarder pour le mort les soins funèbres et se remplir du malheur par des gémissements incessants. Alors l'Évangile n'omet pas non plus ce trait: « La voyant, Jésus fut remué profondément. S'avançant, il toucha le cercueil et les porteurs s'arrêtèrent. Puis il dit au mort: « Jeune homme, je te le dis, lève-toi. Et il le rendit vivant à sa mère. » Bien qu'il ne fût pas encore déposé dans le tombeau, le jeune homme était mort depuis assez longtemps. L'ordre du Seigneur est le même que précédemment, mais le miracle est plus grand.

Lazare

Le Christ s'en va maintenant accomplir un miracle plus sublime, afin que les œuvres visibles nous fassent approcher du miracle incroyable de la Résurrection. Un des amis et familiers du Seigneur était malade: il s'appelait Lazare. Le Seigneur, qui se trouvait loin de lui, refuse de visiter son ami, afin de donner à la mort en l'absence de la Vie occasion et puissance de faire son œuvre par la maladie. Le Seigneur en Galilée signifie à ses disciples l'état de Lazare; il leur dit en particulier qu'il va partir pour aller le voir et faire lever celui qui est couché. Ceux-ci, peu assurés devant la brutalité des Juifs, trouvent pleine de difficultés et de risques la présence de Jésus en Judée au milieu de ceux qui veulent Le tuer. Aussi ils tardent et remettent toujours. Enfin, avec le temps, ils quittent la Galilée: le Seigneur les dominait par sa puissance et les conduisait. Il devait les initier à Béthanie aux préfigurations de la Résurrection universelle.

Quatre jours s'étaient écoulés depuis l'événement; les rites habituels avaient été accomplis pour le mort et le corps était déposé dans le tombeau. Sans doute le cadavre se gonflait déjà; il commençait à se corrompre et à se dissoudre dans les profondeurs de la terre, selon les lois normales. C'était un objet à fuir, lorsque la nature se vit contrainte de rendre de nouveau à la vie ce qui déjà se dissolvait et était d'une odeur repoussante. Alors l'œuvre de la résurrection universelle est amenée à l'évidence par une merveille que tous peuvent constater. Il ne s'agit pas ici d'un homme qui se relève d'une maladie grave ou qui, près du dernier soupir, est ramené à la vie; il ne s'agit pas de faire revivre un enfant qui vient de mourir ou de délivrer du cercueil un jeune homme que l'on portait en terre. Il s'agit d'un homme âgé qui est mort et dont le cadavre, déjà flétri et gonflé, tombe en dissolution au point que ses proches ne supportent pas de faire approcher le Seigneur du tombeau, à cause de la mauvaise odeur du corps qui y est déposé. Or cet homme, par une seule parole, est rendu à la vie et ainsi est fondée l'assurance de la Résurrection: ce que nous attendons pour le tout, nous l'avons concrètement réalisé sur une partie. De même, en effet, que dans la rénovation de l'univers, comme dit l'Apôtre, le Christ lui-même descendra en un clin d'œil, à la voix de l'Archange, et par la trompette fera lever les morts pour l'immortalité [47], de la même façon maintenant celui qui, au commandement donné, secoue dans le tombeau la mort comme on secoue un songe et qui laisse tomber la corruption des cadavres qui l'atteignait déjà, bondit du tombeau dans son intégrité et en pleine santé, sans que les bandelettes qui entourent ses pieds et ses mains l'empêchent de sortir.

Sa propre résurrection

Est-ce là peu de chose pour fonder notre foi en la Résurrection des morts? Cherchez-vous encore d'autres témoignages pour confirmer votre jugement sur ce point? Eh bien! Ce n'est pas sans raison, je crois, que le Seigneur, voulant traduire la pensée des hommes à son sujet, dit ces mots aux Capharnaïtes: « Sans doute, m'appliquerez-vous ce proverbe: « Médecin, guéris-toi toi-même » [48]. Celui qui sur les corps des autres a habitué les hommes à la merveille de la Résurrection devait affermir sur lui-même la foi en sa parole. Vous voyez qu'un appel de lui produit son effet chez les autres: des hommes sur le point de mourir, l'enfant qui vient à peine d'expirer, le jeune homme porté au tombeau, le mort déjà corrompu, tous, à un seul commandement, sont rappelés également à la vie. Vous demandez où sont ceux qui sont morts dans des blessures et dans le sang, afin que la défaillance en ce point de sa puissance vivifiante n'amène pas le doute sur ses bienfaits: voyez celui dont les mains ont été transpercées par les clous, voyez celui dont le côté a été traversé par la lance. Portez vos doigts à l'endroit des clous. Avancez votre main dans la blessure faite par la lance. Vous pourrez constater de combien la pointe de celle-ci a dû s'enfoncer à l'intérieur, en calculant sa pénétration par la largeur de la blessure. La plaie laisse la place à une main d'homme! Vous pouvez supposer combien le fer est allé profond. Si cet homme est ressuscité, on peut bien conclure en redisant le mot de l'Apôtre: « Comment certains disent-ils qu'il n'y a pas de Résurrection des morts? » [49]

Conclusion: la foi dans sa simplicité

Le témoignage des événements passés confirme donc la vérité de toute prédiction du  Seigneur: non seulement la Résurrection nous est enseignée par des paroles, mais, grâce à ceux-là même que la résurrection a rendus à la vie, les faits nous donnent la preuve de la promesse. Maintenant, quel argument reste-t-il à ceux qui ne croient pas? Nous laisserons là tous ceux qui se fondent sur la « philosophie » ou sur de vaines erreurs pour repousser la foi dans sa simplicité et nous donnerons notre assentiment sans réserve aux brèves paroles du Prophète qui nous enseigne la manière dont se fera ce don: « On leur enlèvera, dit-il, le souffle et ils expireront et ils retourneront en leur poussière. Tu enverras ton Esprit et ils seront créés et tu renouvelleras la face de la terre » [50]. Alors le Seigneur trouvera sa joie en ses œuvres, les pécheurs ayant débarrassé la terre. Comment pourrait-on appeler quelqu'un pécheur, quand le péché n'existe plus?


[1] Luc, XX, 35, 36.

[2] Pour Grégoire, la vie sexuelle est étrangère à la vraie nature de l'homme, elle est une conséquence du péché. Voir XLVI, 381 A-B. On trouve déjà cette idée chez saint Athanase. In Psalm., L; P. G. XXVII, 240 D. Elle se rattache à Philon, De mund. opif. 46. La virginité est ainsi un retour de l'homme à sa vraie nature, semblable à celle des anges. Mais cela ne veut pas dire que cette vraie nature ne comporte ni corps ni multiplication, mais seulement qu'elle exclut le corps animal et le mode animal de reproduction. C'est cela proprement qui est conséquence du péché.

[3] Psaume, XLVIII, 21.

[4] Les pathè, dont l'importance est capitale pour la théologie ascétique de Grégoire, sont liées étroitement à la nature animale. Elles sont de deux sortes. Il y a d'une part les tendances animales, qui sont une déchéance, mais non peccamineuses par elles-mêmes et il y a les pathè kata kakian qui sont proprement les péchés capitaux. C'est aux premiers que Grégoire ici fait allusion, c'est ce qu'il appelle « les tuniques de peau », dont Adam fut revêtu après le péché (XLVI, 148 D).

[5] Les pathè animales sont susceptibles ainsi d'un bon et d'un mauvais usage. C'est le mauvais usage qui en fait des vices — et le bon usage en fait des vertus. Cette conception des passions, comme étrangères de soi à l'homme véritable, mais susceptibles cependant d'être utilisées pour le bien, se trouve déjà chez Platon, Phaedr., 254 A-D.

[6] Colossiens. III, 1.

[7] Romains, XIV, 17.

[8] Matthieu. IV, 4.

[9] Grégoire écarte l'interprétation matérialiste du récit de la Genèse, mais il prétend bien s'en tenir au sens exact des mots et se garder du sens purement allégorique ou tropologique (XLIV, 121 D).

[10] Jean. VII, 37.

[11] Amos. VIII, 11.

[12] Genèse. II, 16.

[13] L'arbre de vie signifie pour Grégoire que l'homme au Paradis vivait de Dieu (XLVI, 374 G) et ignorait à la fois la multiplicité de la vie des sens et le mélange du bien et du mal. La vie mystique comme retour à l'unité de l'esprit est un retour au Paradis.

[14] Psaume. XXXVI, 4.

[15] Proverbes. III, 18.

[16] Hébreux. V, 14.

[17] 1 Corinthiens. II, 15.

[18] II Timothée. II, 19.

[19] Exode, XXXIII, 17.

[20] Matthieu. VII. 23. Exégèse remarquable du sens du mot « connaissance » en hébreu.

[21] Le péché représenté comme une erreur, l'image du bourbier pour figurer le vice sont platoniciens (Phaedr., 246 A).

[22] Genèse. III, 6.

[23] Psaume. CXLIII, 4.

[24] Sur ce caractère indéfini du progrès de l'âme vers Dieu, conséquence de l'infinité divine, et qui explique le caractère dynamique de la vie spirituelle, voir Vie de Moïse, 301 A.

[25] Pour les anciens, le cône d'ombre opposé au soleil était le séjour d'attente des âmes avant qu'elles s'élèvent vers l'éther. (Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains, Paris, Geuthner, 1942, p. 62.) Grégoire retient seulement l'image.

[26] Le caractère nécessairement fini du mal qui entraîne sa nécessaire cessation fonde chez Grégoire l'espérance du salut universel. Sur cette question de l'apocatastase, voir J. Daniélou, Recherches de Science Religieuse, juillet 1940, pp. 328 et suiv.

[27] La question du « délai », du « retard » de la rédemption — qui est lié à l'aspect historique du christianisme — est une de celles que posaient les adversaires du christianisme. Grégoire y répond longuement dans la Grande Catéchèse. Voir Labriolle, Histoire de l'Église, IV, p. 203.

[28] I Corinthiens. XV, 47.

[29] Genèse. I, 28.

[30] Le temps est étroitement lié à la condition biologique de l'humanité présente. Comme elle, il est une déchéance, mais comme elle aussi, il est un moyen providentiel de salut, puisqu'il permet à l'homme de faire l'expérience du péché, sans que celle-ci soit irrémédiable et, en ayant éprouvé l'amertume, de revenir librement vers Dieu (voir 201 G).

[31] I Corinthiens. XV, 51 sq.

[32] I Thessaloniciens. IV, 16.

[33] Psaume. LXXXIII,- 2.

[34] Psaume. LXXXIII, 11.

[35] Le rôle de l'espérance, comme vertu du temps, est important chez Grégoire. Voir XLVI, 92 A-B.

[36] La doctrine de l'éternité de la matière est aristotélicienne.

[37] Les Manichéens, héritiers du dualisme gnostique, en étaient les grands représentants au IVe siècle. Grégoire y fait plusieurs fois allusion (XLV, 30 D, 406 G).

[38] Conception idéaliste de la matière. Voir Balthasar, Présence et Pensée, p. 20. On trouve des idées analogues chez Plotin, Enn., IV, 7, 7 et chez Origène, De Princ., IsV, 4, 7.

[39] Marc. XIII, 1.

[40] Luc. XXIII, 28,29.

[41] Premier argument de fait en faveur de la résurrection: « l'accomplissement des autres prophéties »

[42] Luc, IV, 38 sq.

[43] Justes remarques sur l'économie de l'œuvre du Christ, sur son caractère pédagogique, selon l'idée chère à Origène et à Grégoire de la pédagogie divine.

[44] Jean. IV, 46 sq.

[45] Marc, V, 22 sqq.

[46] Luc, VII, 11 sq.

[47] I Thessaloniciens. IV, 16.

[48] Luc, IV, 23.

[49] Psaume. CIII, 29, 30.

[50] I Corinthiens. XV, 12 sq.

    

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