DES
PRIVILÈGES SPÉCIAUX QUE DIEU LUI CONFÉRA
1. Que mon cœur, mon
âme avec toute la substance de ma chair, toutes les forces et tous
les sens de mon corps et de mon esprit ; que toutes les créatures
vous rendent la louange et l'action de grâces, ô Dieu très doux et
très fidèle, qui aimez le salut des hommes, pour la miséricorde
infinie dont vous avez usé envers moi. Votre bonté n'a pas seulement
fermé les yeux sur la préparation insuffisante que j'apporte souvent
au banquet sacré de votre Corps et de votre Sang; mais dans votre
libéralité pour la plus vile et le plus inutile des créatures, vous
avez bien voulu ajouter ce dernier trait aux faveurs précédentes.
2. J'ai reçu la
certitude que si une âme désireuse d'approcher de ce sacrement et
retenue par les hésitations de sa conscience, cherche avec humilité
le force auprès de moi, la dernière de vos servantes ; cette âme,
dis-je, sera jugée digne, en récompense de son humilité et par un
effet de votre amour, de recevoir un si grand sacrement et d'en
goûter vraiment le fruit pour son salut éternel. De plus, vous ne
permettrez pas qu'une personne s'humilie pour me demander conseil,
si votre justice ne la trouve pas digne d'approcher des saints
mystères. O Dominateur suprême, qui habitez dans les hauteurs, et
jetez vos regards sur notre bassesse, quels étaient les desseins de
votre miséricorde, lorsque vous me voyiez, moi indigne, me nourrir
fréquemment de votre Corps sacré et mériter ainsi de la justice
divine un jugement sévère ? Vous vouliez sans doute que les autres
fussent parés de la vertu d'humilité pour aller à vous, et bien que
vous n’eussiez aucun besoin de moi pour cela, il a plu cependant à
l’infinie Bonté de se servir de mon indigence, afin que je pusse
avoir part aux mérites de ceux qui, suivant mes avis, viendraient
goûter le fruit du salut.
3. Mais, hélas ! comme
ma profonde misère avait besoin d'un plus grand remède, vous ne vous
êtes pas contenté de celui-là, ô Dieu plein de bonté ! Vous avez
donc assuré que si une âme contrite et humiliée vient en gémissant
me déclarer sa faute, votre miséricorde la jugera innocente ou
coupable, selon que j'aurai estimé sa faute grave ou légère. De
plus, à dater de ce moment, votre grâce lui accordera un tel secours
qu'elle ne sera plus exposée à commettre cette faute comme elle
l’avait été auparavant. Vous offriez ainsi un secours à mon
indigence, en me donnant part aux victoires des autres, à moi qui ai
toujours été si négligente, et n'ai jamais su vaincre un défaut
comme j’aurais dû le faire ; vous vous êtes donc servi, ô Dieu de
bonté, du plus vil des instruments, et par les paroles de ma bouche,
vos plus chers amis reçurent la grâce qui aide à remporter la
victoire,
4. Voire abondante
libéralité daigna encore enrichir mon indigence d'une troisième
manière : vous me dites que celui à qui je promettrais une grâce ou
le pardon d'une faute, en m'appuyant sur votre miséricorde, celui-là
verrait cette promesse ratifiée par votre amour, absolument comme si
de votre bouche sacrée vous en eussiez prononcé le serment. Comme
preuve, vous avez ajouté que si la grâce promise se faisait trop
longtemps attendre, on devait vous rappeler sans cesse l'assurance
que j'avais donnée de votre part. Cette faveur procurait aussi le
salut de mon âme, d'après cette parole de l'Évangile : « Eadem
mensura qua mensi fueritis remetietur vobis : On vous mesurera
d'après la mesure même avec laquelle vous aurez mesuré » (Luc, 6,
38), car s'il m'arrive de commettre souvent des fautes plus graves,
vous trouverez, dans ce privilège qui m'a été donné, un motif de me
juger avec plus d'indulgence.
5. Vous m'accordiez
encore un quatrième bienfait, par la précieuse assurance que celui
qui se recommanderait à mes prières avec humilité et dévotion
obtiendrait certainement tout le fruit qu'on peut attendre d'une
intercession quelconque. Vous répariez ainsi la négligence avec
laquelle je m'acquitte des prières prescrites par l'Église et de
celles que chacun est libre de réciter, et vous trouviez moyen de
m'en appliquer le fruit, suivant ces paroles de David: « Oratio tua
in sinum tuum convertetur : Ta prière reviendra dans ton sein »
(Ps. 34, 13), car vous me donniez part aux mérites de ceux qui vous
demandent ces grâces par votre indigne servante.
6. En cinquième lieu,
vous avez travaillé à l'avancement de mon salut, en me conférant un
autre don particulier : personne ne pourrait s'entretenir avec moi
du progrès de son âme sans recevoir la consolation nécessaire,
pourvu qu'on ait la bonne volonté, l'intention droite et une humble
confiance. Ceci était encore un secours offert à mon indigence, car
bien souvent, hélas ! au lieu de profiter, pour le bien, du don que
j'ai reçu de m'exprimer avec facilité, je me répands en paroles
inutiles ; désormais je tirerai donc quelque profit des conseils que
j'aurai pu donner au prochain.
7. Votre libéralité, ô
Dieu très bon, m'accorda encore un sixième don qui m'était plus
nécessaire que tous les autres: vous me donniez l'assurance que
l'âme charitable qui vous invoquerait avec une foi vive, pour moi la
plus vile de vos créatures, ou prierait pour l'amendement de mes
fautes, des ignorances de ma jeunesse et la correction de ma malice,
ou bien encore se livrerait à quelque bonne ouvre dans cette même
intention; cette âme, dis-je, avec le secours de votre grâce, vous
deviendrait si agréable, que vous trouveriez en elle les douceurs
d'une familiarité toute spéciale. Par ces faveurs, votre paternelle
tendresse voulait secourir mon extrême indigence, car vous
n'ignoriez pas combien j'avais besoin d'expier tant de fautes et
d'infidélités. Votre amour miséricordieux ne voulait pas me laisser
périr, et d'un autre côté la perfection de votre justice ne pouvait
me sauver avec tant de souillures ; c'est alors que vous avez pourvu
à mes intérêts en permettant que je retire un profit particulier des
dons faits aux autres.
8. Enfin, parmi excès
de votre libéralité, ô mon Dieu, vous m'avez encore donné cette
assurance : lorsque, après ma mort, une âme se recommandera à mes
indignes prières, se souvenant de la divine familiarité dont vous
m'avez honorée, vous l'exaucerez volontiers, pourvu qu'en réparation
de ses propres négligences, cette âme vous rende grâces avec une
humble dévotion pour cinq bienfaits particuliers dont vous m'avez
enrichie :
9. Le premier est cet
amour par lequel votre bonté a daigné me choisir gratuitement de
toute éternité. Ce don est, je l'avoue, le plus gratuit de tous,
puisque vous aviez prévu ma vie perverse, ma malice, ma méchanceté
et l'excès de mon ingratitude, au point que vous eussiez pu me
traiter comme un païen et me priver avec justice, comme vous l'avez
fait pour eux, de l'honneur d'être, si je puis ainsi parler, une
créature raisonnable. Mais votre tendresse, surpassant de beaucoup
mes misères, a daigné me choisir de préférence aux autres chrétiens
pour me revêtir des insignes de la sainte Religion.
10. Par le second
bienfait vous m'avez attirée vers vous, et je reconnais que la
douceur et la bonté de votre amour ont pu seules gagner par les plus
douces caresses ce cœur rebelle, auquel des chaînes de fer eussent
mieux convenu : il semblait que vous aviez trouvé en moi une
compagne digne de vous, et que vous preniez vos délices à vous unir
à mon âme, en toute occasion.
11. Le troisième
bienfait consiste en cette union familière que vous avez daigné
contracter avec moi et que je dois attribuer en toute justice à
votre infinie libéralité. Le nombre des justes semblait ne pas
suffire à recevoir l'abondance de votre tendresse, et vous avez
daigné m'appeler, moi qui suis la dernière en mérites, afin que
votre merveilleuse condescendance éclatât davantage, en opérant sur
une âme moins préparée.
12. Par un quatrième
bienfait, vous avez daigné rendre vos délices dans mon cœur. Ne
faut-il pas attribuer cette grâce à la folie de votre amour, si je
puis m’exprimer ainsi ? Et dans la suite vous avez affirmé que vous
trouviez votre bonheur à unir d'une manière ineffable votre
puissante sagesse à un être qui lui était si dissemblable, à un être
absolument impropre à une telle union.
13. Enfin, par en
cinquième bienfait, vous voulez me consommer toute en vous. Bien que
j'en sois indigne, j'espère, avec humilité et confiance, que votre
amour très fidèle m'accordera cette grâce. J'en jouis dès maintenant
par la reconnaissance et une tendresse assurée, et je reconnais ne
la devoir en aucune façon à mes mérites, mais à votre clémence toute
gratuite, ô mon Bien suprême, mon unique, mon vrai et éternel Bien.
14. Comme tous ces
bienfaits provenaient d'une si admirable condescendance et
convenaient si peu à ma bassesse, il m'était impossible de vous en
rendre de dignes actions de grâces. Vous avez encore daigné sur ce
point secourir mon indigence, en excitant d'autres âmes, par de
douces promesses, à vous rendre grâces pour moi, et leurs mérites
suppléeront à ce qui me manque. Louanges et actions de grâces soient
rendues à votre bonté, ô mon Dieu, au ciel, sur la terre et dans les
enfers !
15. Votre tout-puissant
amour daigna ensuite ratifier et sceller toutes ces promesses de la
manière suivante. Un jour, repassant en esprit vos bienfaits, je
comparai ma dureté à cette divine tendresse dont l’infinie
surabondance me comble de joie, et j'en vins à cet excès de
présomption, que je vous reprochai de n'avoir pas scellé votre
promesse en mettant votre main dans la mienne, comme il est d'usage
entre ceux qui prennent un engagement. Votre bonté toujours
condescendante voulut me satisfaire : « Pour couper court à tes
plaintes, approche, me dîtes-vous, et reçois la confirmation de
notre pacte. » Aussitôt, du fond de ma bassesse, je vis que vous
m'ouvriez pour ainsi dire des deux mains votre Cœur sacré, arche de
la divine fidélité et de l'infaillible vérité, et que vous
m'ordonniez d'y porter la main droite, à moi perverse, qui,
semblable aux Juifs, cherchais des signes et des miracles. Fermant
alors cette ouverture où ma main demeura retenue, vous me dites : «
Je te promets de conserver dans leur intégrité les dons que je t'ai
confiés. Si la sage disposition de ma Providence te privait pour un
temps de leurs effets, je m'engage dans la suite à te rendre le
triple au nom de la toute-puissance, de la sagesse et de la bonté de
la Trinité sainte au sein de laquelle je vis et règne, vrai Dieu,
dans tous les siècles. »
16. Après ces tendres
paroles, comme je retirais ma main, sept cercles d'or y apparurent
comme autant d'anneaux, un à chaque doigt et trois au doigt
annulaire, pour confirmer les sept privilèges dont j'ai parlé. Votre
insatiable tendresse ajouta encore ces paroles : « Toutes les fois
que, songeant à ta misère et te reconnaissant indigne de mes
faveurs, tu te confieras par-dessus tout à ma bonté, autant de fois
tu m'offriras le tribut que tu me dois sur les biens que tu as reçus
de moi. »
17. Oh ! que votre
paternelle tendresse est ingénieuse à pourvoir aux besoins d'enfants
vils et dégénérés de leur noble origine ! Je ne suis pas née dans
l'innocence, je ne pouvais donc vous offrir un service parfait, et
vous avez daigné accepter comme agréable la connaissance que j'ai de
mon indignité à recevoir vos grâces. Accordez-moi, ô Dispensateur de
tous les dons, vous de qui tout bien procède, sans qui rien n'est
solide et rien n'est bon, accordez-moi de voir toujours, autant pour
votre gloire que pour mon salut, combien je suis indigne de toutes
les grâces que vous me prodiguez ; donnez-moi surtout une pleine et
entière confiance en votre bonté.
DE
L'EFFET DE LA VISION DIVINE
1. Puisque je rappelle
les bienfaits gratuits de la divine clémence envers une pauvre
créature, il me semblerait injuste et même ingrat de passer sous
silence la grâce que votre amoureuse condescendance daigna
m'accorder pendant un Carême. Le second dimanche de ce Carême, comme
à la procession qui précède la messe on chantait ce répons : Vide
Dominum facie ad faciem, etc., mon âme se trouva illuminée par
l’ineffable et merveilleux éclat de la lumière divine, et je vis
devant ma face comme une autre face qui lui était appliquée. C'est
d'elle que saint Bernard a dit : « Elle ne reçoit pas la lumière,
mais la donne à tout; elle ne frappe pas les yeux du corps, mais
réjouit le cœur; elle est agréable non par l'éclat du teint, mais
par les dons de son amour.
» En cette vision où vos yeux, brillants comme le soleil, semblaient
placés directement devant mes yeux, vous seul connaissez, ô Douceur
de ma vie, à quel point votre suavité pénétra non seulement mon âme,
mais mon cœur et tous mes membres. Aussi je vous demande la grâce de
vous témoigner ma reconnaissance en vous servant fidèlement le reste
de ma vie.
2. Quoique la rose soit
plus agréable au printemps quand elle est dans la vigueur de son
éclat et de son parfum, en hiver elle ne laisse cependant pas,
quoique desséchée, de rappeler par ses douces senteurs le souvenir
de sa beauté printanière. De même l'âme trouve une source de joies
profondes dans le souvenir des faveurs qu'elle a reçues.
3. C'est pourquoi,
autant que je le puis, je désire exprimer par une comparaison ce que
ma petitesse a ressenti dans cette vision délicieuse ; et si
quelqu'un de mes lecteurs reçoit de semblables et même de plus
grandes faveurs, il sera par ce souvenir excité à la reconnaissance.
Peut-être aussi qu'en rappelant plus souvent à ma mémoire les dons
reçus, je dissiperai quelque peu le nuage de mes négligences, et je
témoignerai ma gratitude à ce divin Soleil, miroir de justice, qui a
fait darder sur moi ses rayons.
4. Lors donc que vous
avez appliqué contre mon indigne visage votre face très désirable où
se révèle l'abondance de toute Béatitude, je sentis que de vos yeux
divins sortait une incomparable et suave lumière. Cette lumière
passant par mes yeux et pénétrant l'intime de mon être, semblait
agir en tous mes membres avec une vertu merveilleuse que je ne puis
exprimer c'était d'abord comme si elle eût enlevé la moelle de mes
os, puis anéantissant mes os eux-mêmes avec ma chair, on eût dit que
toute ma substance n'était plus autre chose que cette splendeur
divine, qui, se jouant en elle-même avec un charme incomparable,
remplissait en même temps mon âme d'une grande douceur et sérénité.
5. Que dirai-je encore
de cette très douce vision? et, puis-je l'appeler, vision, car il me
semble que toute l'éloquence du monde se serait épuisée vainement
pour me décrire pendant tous les jours de ma vie cette manière
sublime de vous contempler, même dans la gloire céleste, si votre
condescendance, ô mon Dieu, unique salut de mon âme, ne m'eût donné
cette heureuse expérience. Cependant, j’ajoute volontiers que s'il
en est des choses divines comme des choses humaines, que si la vertu
de votre baiser divin surpasse, et je le crois, la douceur de cette
vision, en vérité la force d'en haut est nécessaire pour contenir
alors la créature humaine, car il serait impossible à une âme de
jouir d'une telle faveur, même un seul instant, et de demeurer unie
à son corps. Je n'ignore pas que votre toute-puissance s'unit à
votre sagesse infinie, pour ménager graduellement les visions, les
baisers, les étreintes divines et les autres démonstrations de
l'amour, d'après les circonstances, les lieux, les temps et les
personnes.
6. O Seigneur, je vous
rends grâces, en m’unissant à ce mutuel amour qui règne dans la très
adorable Trinité, pour la douce expérience que vous m'avez souvent
donnée de votre baiser divin : parfois lorsque j'étais assise au
chœur pensant à vous dans l'intime de mon âme, ou lorsque je
récitais les heures canoniales ou l'office des défunts, il arrivait
que vous déposiez sur mes lèvres, dix fois et plus, durant un seul
psaume, le baiser de l'amour, baiser sacré dont la suavité l'emporte
sur les parfums les plus exquis et le miel le plus doux. Souvent
aussi, j'ai remarqué l'amour du regard que vous arrêtez sur moi, et
mon âme a senti la puissante étreinte de vos embrassements. Je le
confesse cependant, malgré l'incomparable douceur de ces caresses,
aucune ne produisit en moi l'action profonde qu'opéra le regard
sublime dont j'ai parlé plus haut. En reconnaissance de cette faveur
et de toutes les autres, dont seul vous connaissez, les effets, je
souhaite pour vous, ô mon Dieu, l'éternelle jouissance que les
personnes divines se communiquent entre elles dans l'ineffable
suavité qui surpasse tout sentiment.
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