DE LA
CONDESCENDANCE DIVINE
Un jour, après m'être
lavé les mains, je me tenais debout dans les rangs du convent pour
me rendre au réfectoire, j'admirais la clarté du soleil qui brillait
dans toute sa force, et je disais en moi-même: si le Créateur de cet
astre éclatant dont il est dit que le soleil et la lune, admirent la
beauté,
si le Seigneur, dis-je, qui est un feu consacrant, se trouvait aussi
véritablement en moi qu'il se montre fréquemment à mes yeux, comment
serait-il possible que mon cœur demeurât si froid, et que j'agisse
avec tant de dureté et si peu de sagesse dans mes rapports avec le
prochain? Et voici que vous, dont la douce parole se fait plus douce
encore pour apaiser les agitations de mon cœur vous me répondîtes
aussitôt: « En quoi serait exaltée ma toute-puissance, si je n'avais
d'abord le pouvoir, partout où je suis, de me contenir en moi-même,
afin de n'être perçu et vu que dans la mesure la plus convenable au
temps, au lieu et à la personne? Car dès le commencement de la
création du ciel et de 1a terre et dans toute l’œuvre de la
Rédemption, j'ai manifesté la sagesse de mon amour plus que la force
de ma puissance, et cette sagesse éclate particulièrement lorsque je
supporte les imparfaits pour les attirer ensuite dans le chemin de
la perfection, sans porter aucune atteinte à leur liberté. »
D'UNE LEÇON PATERNELLE
1. Un certain jour de
fête, je voyais s'approcher de la sainte Communion plusieurs
personnes qui s'étaient recommandées à mes prières. Quant à moi,
privée de cette grâce par suite de mes infirmités physiques, ou
plutôt comme je le crains, repoussée par la divine justice à cause
de mon indignité, je me remémorais les divers bienfaits dont vous
avez daigné me combler, ô mon Dieu ! Bientôt j'appréhendai que le
souffle de la vaine gloire ne desséchât ce courant des eaux de la
grâce, et je vous priai d'éclairer mon intelligence par une lumière
divine, afin d'être prémunie contre un tel danger. Votre paternelle
bonté daigna alors m'instruire ainsi : je devais considérer votre
amour pour moi comme celui d'un père de famille qui a le bonheur de
se voir entouré de nombreux enfants, dont la grâce et la beauté
attirent l'admiration générale. Mais comme parmi ces enfants le plus
jeune se trouve n'avoir pas encore atteint la force et la beauté des
autres, le père, plein de tendresse, est ému de compassion pour lui;
il le serre plus souvent dans ses bras et lui prodigue plus de
caresses et de petits présents. Vous ajoutiez que si je m'estimais
plus imparfaite que les autres, avec une entière conviction, le
torrent des consolations divines ne cesserait jamais de se répandre
dans mon âme.
2. Je vous rends
grâces, ô Dieu très aimant, véritable Ami des hommes, je vous rends
grâces par la mutuelle reconnaissance qui s'échange entre les trois
personnes de l'adorable Trinité, pour cet enseignement salutaire et
pour d'autres encore par lesquels, ô le meilleur des maîtres, vous
avez daigné plusieurs fois dissiper mon ignorance. J'unis mes
regrets à l'amertume de la Passion du Seigneur, et je vous offre les
souffrances et les larmes de ce même Jésus-Christ, pour toutes les
négligences que j'ai commises et qui ont si souvent étouffé dans mon
âme les aspirations de votre Esprit. Je m’unis à la prière très
efficace de ce Fils bien-aimé, et je demande par la vertu du
Saint-Esprit le pardon de mes péchés et la réparation de mes fautes.
Daignez m'accorder ces grâces, par le puissant amour qui retint
votre colère, lorsqu'on mit au rang des scélérats ce Fils unique et
très aimé, dans lequel votre divine Paternité trouve toutes ses
délices.
LOUANGE DE LA DIVINE CONDESCENDANCE
1. Je rends grâces, Ô
Dieu très aimant, à votre bonté miséricordieuse et à votre
miséricorde si pleine de bonté, de ce que vous avez daigné, par un
témoignage de votre amour, affermir mon âme hésitante et
chancelante, quand, selon ma coutume, je vous demandais, avec des
désirs importuns, d'être délivrée de la prison de cette misérable
chair. Mon but n'était pas de fuir les misères de ce monde, mais de
voir votre bonté libérée de cette dette de la grâce que le véhément
amour de votre Divinité vous obligea à contracter pour le salut de
mon âme. Votre infinie puissance et votre sagesse éternelle
n'étaient contraintes en aucune façon ; au contraire, c'est à une
indigne et ingrate créature que votre libéralité sans bornes
accordait ces faveurs.
2. Vous paraissiez en
effet, vous, l'honneur et la couronne de la gloire céleste,
descendre du trône de votre Majesté, pour vous incliner avec douceur
et bonté, et lorsque vous descendiez ainsi, des ruisseaux de la plus
douce liqueur se répandaient dans toute l'étendue des cieux. Les
saints, se prosternant avec reconnaissance, se désaltéraient pleins
de joie aux torrents du précieux nectar, et laissaient échapper de
leurs âmes les mélodies de la divine louange. Pendant ce temps
j'entendais ces paroles : « Remarque avec quelle harmonie cette
louange arrive aux oreilles de la divine Majesté, pour pénétrer
jusqu'aux profondeurs intimes de mon Cœur sacré si rempli d'amour
pour les hommes. A l'avenir ne souhaite donc plus avec tant d'ardeur
la délivrance des liens de cette chair, dans laquelle je t'accorde
maintenant les dons de ma bonté toute gratuite ; car plus est
indigne celui vers qui je m'incline, plus grand est l'honneur que je
reçois de toute créature. »
3. Quand celte
consolation me fut accordée, j'étais sur le point de recevoir le
sacrement de vie, et je dirigeais mon intention vers ce mystère,
lorsque vous avez daigné m'apprendre encore que toute âme devait
s'approcher de la sainte Communion avec un désir si pur de votre
amour et de votre gloire, qu’elle n'hésiterait pas, si c'était
possible, à recevoir dans ce mystère sa propre condamnation, si
par-là devait briller davantage la divine tendresse qui aurait
daigné s'unir à une âme aussi indigne. J'objectai que celui qui
s'abstient de la sainte Communion parce qu'il a conscience de son
indignité, montre qu'il ne veut pas profaner par une irrévérence
présomptueuse un si auguste sacrement. Je reçus alors de votre
bouche cette réponse bénie : « Celui qui communie avec l'intention
dont j’ai parlé, c'est-à-dire avec le pur désir de ma gloire, ne
peut jamais me recevoir avec irrévérence. » Pour cette parole, ô mon
Dieu, louange et gloire vous soient à jamais rendues dans les
siècles les siècles !
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