DE LA
RECONNAISSANCE POUR LA GRÂCE DE DIEU
1. Votre grâce daigna
éclairer mon entendement et me révéler plusieurs fois que l'âme,
enfermée dans l'enveloppe de son corps, se trouve comme plongée dans
un nuage, de la même façon qu'une personne, enfermée dans une petite
chambre où s'échapperait de la vapeur, en serait enveloppée de
toutes parts. Quand le corps éprouve une souffrance, l'âme reçoit de
la partie souffrante comme une atmosphère toute pénétrée des rayons
du soleil et qui lui communique une admirable clarté. Plus la
souffrance est intense et universelle, plus l'âme reçoit de lumière
purifiante
2. Mais, entre toutes
les autres souffrances, les douleurs et les épreuves du cœur,
supportées avec patience et humilité, augmentent d'autant plus la
pureté de l'âme qu'elles l'atteignent de plus près et plus
profondément. Toutefois, la pratique de la charité lui donne encore
plus d'éclat et de lumière.
3. Grâces vous soient
rendues, ô Ami des hommes, de ce que vous m'avez parfois amenée à
pratiquer la patience au moyen de ces divines leçons ! Mais hélas !
et mille fois hélas ! trop rares ont été mes réponses à vos avances,
et trop souvent inférieures à ce que vous demandiez de moi ! Vous
savez, ô mon Dieu, à quel point cette pensée remplit mon esprit de
douleur, de confusion et d'abattement, et avec quelle ardeur mon
cœur désire que d'autres âmes vous dédommagent de ce que je ne puis
vous donner.
4. Une autre fois,
comme je devais communier, et que pendant la messe vous vous étiez
donné à moi avec plus de magnificence que jamais, je voulus chercher
comment vous payer de retour. Ô le plus sage des maîtres ! vous avez
daigné alors me suggérer ces paroles de l'Apôtre : « Optabam ego
ipso anathema esse pro fratribus meis (Rom., 9 3) : Je désirais être
anathème pour mes frères ». Vous m'aviez enseigné auparavant que
l'âme réside dans le cœur, et vous me découvriez maintenant qu'elle
réside aussi dans la tête, notion que j'ai rencontrée depuis en
divers écrits. Votre bonté m'apprenait que c’est une grande
perfection d'abandonner les jouissances du cœur afin de s'appliquer
au gouvernement de ses sens extérieurs, ou à la pratique des œuvres
de charité pour le salut du prochain.
DIVERSES MANIFESTATIONS
AUX FÊTES DE LA NATIVITÉ ET DE LA PURIFICATION
1. Le jour de votre
sainte Nativité, je vous pris dans la crèche comme un tendre enfant
enveloppé de langes et je vous pressai sur mon cœur. C'est ainsi
que, de toutes les amertumes et privations de votre enfance, je
formai comme un bouquet de myrrhe qui demeura fixé sur mon sein,
afin de rafraîchir tout mon être par la douce liqueur qui s'écoulait
de cette grappe divine tandis que je croyais ne pouvoir jamais
recevoir de plus grandes faveurs, ô Dieu qu, à une grâce, faites
succéder une autre grâce plus précieuse encore, vous avez daigné
diversifier pour moi les richesses de vos dons.
2. L'année suivante, il
arriva en ce même jour que, pendant la messe Dominus dixit, je vous
reçus comme un cafard faible et délicat sortant du sein virginal de
votre Mère, et je vous tins un moment serré sur ma poitrine. Ma
charité dans la prière pour une personne affligée avait contribué,
je crois, à m'obtenir cette faveur. Mais j'avoue qu'après avoir reçu
ce don, je ne l'ai pas gardé avec la dévotion voulue. Fût-ce là une
mesure de votre justice, ou l'effet de ma négligence ? Je ne saurais
le dire. J'espère néanmoins que votre miséricorde, jointe à votre
justice, en a ainsi disposé, d'une part, pour me faire voir plus
clairement mon indignité, et de l'autre pour me faire craindre que
ma négligence à rejeter les pensées inutiles en a été la cause. Mais
répondez pour moi, ô Seigneur mon Dieu.
3. Cependant, comme je
m'efforçais de vous réchauffer par d'amoureuses caresses, il me
sembla que je réussissais peu, jusqu'au moment où la pensée me vint
de prier pour les pécheurs, les âmes du purgatoire, et tous ceux qui
à cette heure étaient dans l'affliction. Je constatai alors l'effet
de ma prière, et surtout un soir où je décidai qu'au lieu de
commencer les suffrages en faveur des défunts par la collecte: Deus
qui nos patrem,
récitée pour mes proches je vous recommanderais d'abord vos amis,
par l'oraison : Omnipotens, sempiterne Deus cui nunquam, etc. II me
sembla que cela vous était plus agréable.
4. Je vis ensuite que
vous éprouviez une douce jouissance lorsque, en chantant vos
louanges de toutes mes forces, je fixais à chaque note mon intention
vers vous, comme on tient les yeux attachés sur son livre quand on
n'a pas le chant gravé dans la mémoire. Mais je vous confesse, ô
Père plein de bonté, les négligences que j'ai commises en ces
circonstances et en tant d'autres où il s'agissait de votre gloire.
Je vous les confesse dans l'amertume de la Passion de votre très
innocent Fils Jésus-Christ, lui qui selon votre témoignage est
l'unique objet de vos complaisances : Hic est Filius meus dilectus (Matth.,
XVII, 5). Par lui je vous offre mes désirs d'amendement, afin que,
par lui, soient réparées mes négligences.
5. Au jour très saint
de la Purification, tandis qu'en célébrait cette procession dans
laquelle, vous, notre salut et notre rédemption, avez daigné vous
laisser porter au temple avec les offrandes qui devaient être
présentées, il arriva que votre virginale Mère me demanda, pendant
l'antienne: Cum inducerent, de lui rendre son Fils, le fruit
bien-aimé de son sein. Elle avait un visage sévère comme si je ne
vous avais pas soigné selon son bon plaisir, vous qui êtes la joie
et l'honneur de sa virginité sans tache. Je me souvins alors que,
pour avoir trouvé grâce à vos yeux, elle a été nommée la
réconciliatrice des pécheurs et l'espoir des désespérés, et je
m'écriai: « O Mère de bonté, la source de la miséricorde ne nous
a-t-elle pas été donnée dans votre divin Fils, afin que vous
obteniez grâce pour ceux qui en ont besoin, et que votre
surabondante charité couvre la multitude de nos péchés et de nos
défauts? » Tandis que je parlais, cette tendre Mère prit un visage
apaisé et serein, pour me prouver que si mes fautes l'avaient
obligée à paraître sévère, elle avait cependant pour les hommes des
entrailles de miséricorde, et que la douceur de la divine Charité
pénétrait jusqu'aux moelles de son être. J'en avais certes la preuve
évidente, puisqu'il avait suffi de quelques pauvres paroles pour que
sa sévérité disparût, et fit place à cette incomparable douceur
innée en elle. Que votre Mère soit donc, par son immense tendresse,
la médiatrice accréditée auprès de votre Cœur pour obtenir le pardon
de mes fautes.
6. Enfin j’appris d'une
façon évidente que vous ne pouviez contenir le torrent de vos
grâces, puisque l'année suivante, en cette même fête, vous
m'enrichissiez d'un don analogue à celui dont je viens de parler,
mais plus gracieux encore. Vous agissiez vraiment comme si la grande
ferveur de ma dévotion l'année précédente eût mérité cette dernière
faveur, tandis qui au contraire j'aurais dû subir un juste châtiment
pour avoir mis en oubli la première grâce.
7. Il arriva donc,
pendant la lecture de l'évangile : Peperit Filium suum primogenitum,
etc., que, de ses mains très pures, votre Mère Immaculée me montra
le fruit virginal sorti de son sein, aimable petit enfant qui
faisait tous ses efforts pour m'embrasser. Hélas ! malgré ma très
grande indignité, je vous reçus, tendre enfant, et vous m'enlaciez
le cou de vos petits bras. De votre bouche sacrée s'exhalait le
souffle très doux de votre esprit qui était pour moi une nourriture
de vie. Aussi, que mon âme vous bénisse ô mon Dieu, et que tout ce
qui est en moi bénisse votre saint Nom !
8. Lorsque votre
bienheureuse Mère voulut vous envelopper des langes de l'enfance, je
demandai à être emmaillotée avec vous pour n'être pas séparée, même
par un simple lange, de Celui dont les embrassements et les baisers
sont plus doux que le rayon de miel. Je vous vis alors revêtu de la
blanche robe de l'innocence et serré par les bandelettes d'or de la
charité. Pour obtenir d'être enveloppée et serrée avec vous, je
devais rechercher davantage la pureté du cœur et les œuvres de
charité.
9. Je vous rends
grâces, ô Créateur des astres, qui donnez la splendeur aux
luminaires des cieux et les couleurs variées aux fleurs du
printemps. Vous n'avez nul besoin de nos biens (Ps. xv, 2), et
cependant, pour mon instruction, vous m'avez demandé. au saint jour
de la Purification qui suivit, de vous habiller comme un petit
enfant, avant qu'on vous introduisit dans le temple. Me découvrant
le trésor caché de vos divines inspirations, vous m'avez appris
vous-même à vous revêtir ; je devais, avec tout le soin possible,
exalter l'innocence immaculée de votre Humanité sans tache, en y
apportant une dévotion si fidèle et si désintéressée, que si je
pouvais avoir en ma propre personne toute la gloire de votre pureté
divine, j'y renoncerais volontiers, afin que votre très douce
innocence fût louée davantage. Il me sembla que, par cette
intention, vous, dont la toute-puissance appelle ce qui n'est point
comme ce qui est (Rom, IV, 17), vous apparaissiez revêtu d'une robe
blanche comme celle d'un enfant nouveau-né. Je considérai ensuite
avec la même dévotion l'abîme de votre humilité, et je vous vis
revêtu d'une tunique verte, pour signifier que, dans cette vallée de
l'humilité, la grâce fleurit et prospère sans jamais se dessécher.
Comme j'admirais l'ardente Charité qui vous a porté à créer toutes
choses, je vous vis encore revêtu d'un manteau de pourpre, afin de
nous apprendre que la Charité est vraiment ce manteau royal, sans
lequel nul ne peut entrer dans le royaume des cieux. Ensuite, je
célébrai ces mêmes vertus dans votre glorieuse Mère, et elle me
parut couverte de vêtements semblables aux vôtres. Puisque cette
Vierge bénie, vraie rose sans épines, lis blanc et immaculé, est
parée de toutes les fleurs des vertus, nous demandons que sans cesse
elle intercède pour nous et vienne au secours de notre indigence.
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