CHAPITRES XII - XIII - XIV

CHAPITRE XII

AVEC QUELLE PATIENCE DIEU SUPPORTE NOS DÉFAUTS

1. Je vous rends grâce encore ô mon Dieu, pour une autre vision qui fut tout à la fois agréable et utile à mon âme. Vous m'y avez fait connaître avec quelle patience vous supportez nos défauts, afin .que nous arrivions à les corriger pour obtenir la béatitude.

2. Un soir, j'avais éprouvé un vif mécontentement, et le lendemain, avant le jour, je saisissais la première occasion de me mettre en prière, lorsque je vous vis sous la figure d'un voyageur tellement misérable, que vous sembliez privé de force et de tout secours humain. Ma conscience me reprocha ma faute de la veille, et je gémis d'avoir troublé, par les mouvements impétueux de mon caractère, l'auteur de la paix et de la pureté parfaites. Il me semblait même que j'aurais préféré vous voir absent de mon âme à cette heure, mais à celle-là seulement, où j'avais négligé de repousser l'ennemi qui m'entraînait à des sentiments si contraires à votre sainteté.

3. Voici la réponse que vous me fîtes alors : « Comment un pauvre malade, qui a obtenu à grand-peine de se faire porter à la douce chaleur du soleil, se consolera-t-il d'un violent orage qui survient tout à coup, sinon par l'espoir de voir bientôt un temps plus serein ? De même, vaincu par ton amour, j'ai choisi de demeurer avec toi, au plus fort des tempêtes soulevées par tes passions, et d'attendre le repentir qui amènera le calme et te dirigera vers le port de l'humilité. »

4. Puisque ma langue est impuissante à redire les abondantes faveurs qui me sont accordées par le don continu de votre présence, agréez, je vous en supplie ô mon Dieu, les sentiments de mon cœur. Du fond de cet abîme d'humilité où j'ai été comme doucement attirée par votre condescendante charité, que ma reconnaissance rende ses actions de grâces à votre bonté infinie.

CHAPITRE XIII

DE LA VIGILANCE SUR NOS SENTIMENTS

1. Je confesse également à l'honneur de votre amour, ô Dieu de bonté, que vous avez encore usé d'un autre moyen pour secouer mon inertie, et, bien que vous vous soyez servi d'abord de l'entremise d'une personne, vous avez ensuite achevé seul l’œuvre de votre amour, avec non moins de miséricorde que de condescendance.

2. Cette personne me fit remarquer, dans le récit évangélique, qu'après avoir pris naissance ici-bas, vous aviez été trouvé d'abord par des pasteurs; et elle ajouta, de votre part, que si je désirais véritablement vous trouver, il me fallait veiller sur mes sens comme les bergers veillaient sur leurs troupeaux. Cet avis me déplut et me parut hors de propos, car vous aviez si bien fixé mon âme en votre amour, qu'il me semblait peu convenable de vous servir comme un pasteur mercenaire sert son maître. Après avoir roulé dans mon esprit ces pensées qui m'étaient pénibles, je me recueillis à l'heure de Complies au lieu même de la prière, et vous daignâtes adoucir ma tristesse par la comparaison suivante: Une femme peut jeter le grain aux éperviers de son mari, sans être pendant ce temps privée de ses caresses; de même si, pour l'amour de vous, je garde au prix d'un vrai labeur mes sens et mes affections, je ne serai pas pour cela frustrée des douceurs de votre grâce. Et, sous la forme d'une branche verdoyante, vous me donnâtes alors l'esprit de crainte, afin que, demeurant toujours avec vous, sans sortir un seul instant de vos bras, j'évite de m'avancer dans ces contrées désertes où s'égarent les affections humaines. Vous avez ajouté que si quelque influence s'insinuait dans mon esprit pour le forcer à incliner mes affections, soit à droite par l'espérance et la joie, soit à gauche par la crainte, la douleur ou la colère, je devais, grâce à la verge de votre crainte, ramener aussitôt cette affection au centre de mon cœur par la garde de mes sens, et l'immoler, comme on immole un agneau nouveau-né, afin de le servir à votre table.

3. Hélas ! combien de fois, entraînée par la malice, la légèreté ou la vivacité de mon caractère, je semblais reprendre ce que je vous avais offert ; vous l'enlever pour ainsi dire de la bouche afin de le donner à votre ennemi ! Après cela vous me regardiez encore avec autant de douceur et de bonté que si, n'ayant même pas soupçonné ma faute, vous l'eussiez prise pour une marque de tendresse. Mon âme a été souvent et doucement émue à la vue de votre miséricordieux amour; jamais les menaces et les châtiments ne m'auraient amenée par une voix aussi sûre à la crainte du péché et à la correction de mes défauts.

CHAPITRE XIV

DE L'UTILITÉ DE LA COMPASSION

1. Le dimanche qui précède le Carême, tandis qu' on entonnait à la messe ces paroles :  « Esto mihi in Deum protectorem : Soyez-moi un Dieu protecteur », vous m'avez fait comprendre qu'après avoir souffert les injures et les outrages de la part de plusieurs personnes, vous vous serviez des expressions de cet introït pour demander asile dans mon cœur. Et pendant les trois jours suivants, chaque fois que je descendais en mon âme je vous voyais reposer comme un pauvre malade, doucement appuyé sur ma poitrine.

2. Pour vous soulager durant ces trois jours, je ne trouvais rien de mieux que de me livrer pour votre amour à la prière, au silence et à la mortification, afin d'obtenir la conversion des personnes entraînées par l'esprit du monde.

     

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