AVEC
QUELLE PATIENCE DIEU SUPPORTE NOS DÉFAUTS
1. Je vous rends grâce
encore ô mon Dieu, pour une autre vision qui fut tout à la fois
agréable et utile à mon âme. Vous m'y avez fait connaître avec
quelle patience vous supportez nos défauts, afin .que nous arrivions
à les corriger pour obtenir la béatitude.
2. Un soir, j'avais
éprouvé un vif mécontentement, et le lendemain, avant le jour, je
saisissais la première occasion de me mettre en prière, lorsque je
vous vis sous la figure d'un voyageur tellement misérable, que vous
sembliez privé de force et de tout secours humain. Ma conscience me
reprocha ma faute de la veille, et je gémis d'avoir troublé, par les
mouvements impétueux de mon caractère, l'auteur de la paix et de la
pureté parfaites. Il me semblait même que j'aurais préféré vous voir
absent de mon âme à cette heure, mais à celle-là seulement, où
j'avais négligé de repousser l'ennemi qui m'entraînait à des
sentiments si contraires à votre sainteté.
3. Voici la réponse que
vous me fîtes alors : « Comment un pauvre malade, qui a obtenu à
grand-peine de se faire porter à la douce chaleur du soleil, se
consolera-t-il d'un violent orage qui survient tout à coup, sinon
par l'espoir de voir bientôt un temps plus serein ? De même, vaincu
par ton amour, j'ai choisi de demeurer avec toi, au plus fort des
tempêtes soulevées par tes passions, et d'attendre le repentir qui
amènera le calme et te dirigera vers le port de l'humilité. »
4. Puisque ma langue
est impuissante à redire les abondantes faveurs qui me sont
accordées par le don continu de votre présence, agréez, je vous en
supplie ô mon Dieu, les sentiments de mon cœur. Du fond de cet abîme
d'humilité où j'ai été comme doucement attirée par votre
condescendante charité, que ma reconnaissance rende ses actions de
grâces à votre bonté infinie.
DE LA
VIGILANCE SUR NOS SENTIMENTS
1. Je confesse
également à l'honneur de votre amour, ô Dieu de bonté, que vous avez
encore usé d'un autre moyen pour secouer mon inertie, et, bien que
vous vous soyez servi d'abord de l'entremise d'une personne, vous
avez ensuite achevé seul l’œuvre de votre amour, avec non moins de
miséricorde que de condescendance.
2. Cette personne me
fit remarquer, dans le récit évangélique, qu'après avoir pris
naissance ici-bas, vous aviez été trouvé d'abord par des pasteurs;
et elle ajouta, de votre part, que si je désirais véritablement vous
trouver, il me fallait veiller sur mes sens comme les bergers
veillaient sur leurs troupeaux. Cet avis me déplut et me parut hors
de propos, car vous aviez si bien fixé mon âme en votre amour, qu'il
me semblait peu convenable de vous servir comme un pasteur
mercenaire sert son maître. Après avoir roulé dans mon esprit ces
pensées qui m'étaient pénibles, je me recueillis à l'heure de
Complies au lieu même de la prière, et vous daignâtes adoucir ma
tristesse par la comparaison suivante: Une femme peut jeter le grain
aux éperviers de son mari, sans être pendant ce temps privée de ses
caresses; de même si, pour l'amour de vous, je garde au prix d'un
vrai labeur mes sens et mes affections, je ne serai pas pour cela
frustrée des douceurs de votre grâce. Et, sous la forme d'une
branche verdoyante, vous me donnâtes alors l'esprit de crainte, afin
que, demeurant toujours avec vous, sans sortir un seul instant de
vos bras, j'évite de m'avancer dans ces contrées désertes où
s'égarent les affections humaines. Vous avez ajouté que si quelque
influence s'insinuait dans mon esprit pour le forcer à incliner mes
affections, soit à droite par l'espérance et la joie, soit à gauche
par la crainte, la douleur ou la colère, je devais, grâce à la verge
de votre crainte, ramener aussitôt cette affection au centre de mon
cœur par la garde de mes sens, et l'immoler, comme on immole un
agneau nouveau-né, afin de le servir à votre table.
3. Hélas ! combien de
fois, entraînée par la malice, la légèreté ou la vivacité de mon
caractère, je semblais reprendre ce que je vous avais offert ; vous
l'enlever pour ainsi dire de la bouche afin de le donner à votre
ennemi ! Après cela vous me regardiez encore avec autant de douceur
et de bonté que si, n'ayant même pas soupçonné ma faute, vous
l'eussiez prise pour une marque de tendresse. Mon âme a été souvent
et doucement émue à la vue de votre miséricordieux amour; jamais les
menaces et les châtiments ne m'auraient amenée par une voix aussi
sûre à la crainte du péché et à la correction de mes défauts.
DE
L'UTILITÉ DE LA COMPASSION
1. Le dimanche qui
précède le Carême, tandis qu' on entonnait à la messe ces paroles :
« Esto mihi in Deum protectorem : Soyez-moi un Dieu protecteur »,
vous m'avez fait comprendre qu'après avoir souffert les injures et
les outrages de la part de plusieurs personnes, vous vous serviez
des expressions de cet introït pour demander asile dans mon cœur. Et
pendant les trois jours suivants, chaque fois que je descendais en
mon âme je vous voyais reposer comme un pauvre malade, doucement
appuyé sur ma poitrine.
2. Pour vous soulager
durant ces trois jours, je ne trouvais rien de mieux que de me
livrer pour votre amour à la prière, au silence et à la
mortification, afin d'obtenir la conversion des personnes entraînées
par l'esprit du monde. |