CHAPITRES X - XI

CHAPITRE X

DE L'INSPIRATION DIVINE

1. Je jugeais si hors de propos de publier ces écrits que je ne voulais pas me prêter à écouter sur ce point la voix de ma conscience. Je différai donc jusqu'à l'Exaltation de la sainte Croix, et, ce jour même pendant la messe, j'avais décidé de m'appliquer à un autre travail, lorsque le Seigneur triompha de ma résolution : « Sois assurée, dit-il, que tu ne sortiras pas de la prison de ton corps avant d'avoir acquitté tes dettes jusqu'à la dernière obole. »

2. Comme je pensais en moi-même que j'avais déjà fait servir les dons de Dieu à l'avantage du prochain, sinon par écrit, au moins par mes paroles le Seigneur m'opposa ce que j'avais entendu lire la nuit même aux Matines : «  Si le Seigneur n'avait voulu révéler sa doctrine qu'à ses contemporains, il aurait prononcé des discours, et n'aurait pas inspiré les écrivains sacrés ; mais ses enseignements ont été écrits, et c'est pourquoi ils servent aujourd'hui au salut d'un plus grand nombre. » Et le Seigneur ajouta : « Je n'accepte aucune objection, et je veux que tes écrits soient, pour les derniers temps où j'ai résolu de répandre mes grâces sur beaucoup d'âmes, un témoignage irrécusable de ma divine tendresse. »

3. Après avoir entendu ces paroles, je restai tout accablée et considérai en moi-même combien il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver la traduction exacte des choses dont j'ai parlé, et les paroles convenables pour les présenter à l'esprit humain, sans danger de scandale. Mais le Seigneur, pour vaincre ma pusillanimité, parut faire descendre sur mon âme une pluie abondante. J'en fus accablée, moi pauvre créature, et inclinée vers la terre comme une plante encore nouvelle et tendre, je ne pouvais rien absorber de cette eau pour mon profit. J'entendis seulement quelques paroles importantes, que mon intelligence naturelle ne pouvait saisir, De plus en plus accablée, je me demandais ce que tout cela présageait, lorsque votre tendresse habituelle, ô mon Dieu, voulut alléger mon fardeau et réconforter mon âme en disant : « Puisque cette pluie abondante te parait inutile, je vais maintenant t'approcher de mon Cœur et verser peu à peu en toi ce dont tu as besoin. J'agirai avec douceur et suavité, et selon la mesure de tes forces »

4. Après avoir constaté les .effets de cette promesse, O mon Dieu, j'en atteste la parfaite sincérité. Car, tous les matins, et à l'heure la plus favorable, vous m'avez inspiré quelque partie de ces pages. C'était avec tant de douceur et de clarté, que, sans aucun travail, j'écrivis des choses que j'avais jusqu'alors ignorées, et qui se présentaient à moi comme si elles eussent été depuis longtemps gravées dans ma mémoire. Vous, agissiez toutefois avec mesure, car, après avoir écrit la tâche journalière, il m'était impossible, même en y appliquant toutes les forces de mon esprit, de trouver une seule de ces paroles qui le lendemain cependant revenaient si abondantes et sans aucune difficulté : par cette manière d'agir, vous modériez et dirigiez ma fougue naturelle, suivant cette parole « qu'il ne faut pas se livrer à l'action au point de négliger la contemplation ». Vous vous montriez donc jaloux du salut de mon âme en toute circonstance et, me permettant de goûter parfois les joyeux embrassements de Rachel, vous ne me priviez pas de la glorieuse fécondité de Lia. Que pour arriver à vous plaire, ô mon Dieu, votre amour plein de sagesse daigne m'aider à unir parfaitement dans ma vie l'action et la contemplation.

CHAPITRE XI

D'UNE AUDACIEUSE ATTAQUE DU TENTATEUR

1. Combien de fois en ces temps avez-vous multiplié les effets de votre salutaire présence ! Par quelle bénédiction de douceur avez-vous prévenu ma bassesse, surtout pendant les trois premières années, et spécialement lorsque j'étais admise à la réception de votre corps et de votre sang précieux ! Puisque je ne puis, ô mon Dieu, vous rendre même un pour mille, je me confie à cette éternelle, immense et immuable gratitude par laquelle, ô resplendissante et toujours tranquille Trinité, vous acquittez pleinement, de vous-même, par vous-même et en vous-même, toutes nos dettes. Semblable à un grain de poussière, je m'enveloppe dans cette divine gratitude et je vous offre par Celui qui siège à votre droite revêtu de ma substance, les actions de grâces dont je suis capable. Je les offre par Lui, en l'Esprit-Saint, pour tous les bienfaits dont vous m'avez comblée, et surtout pour cet enseignement lumineux par lequel vous avez dissipé mon ignorance, en me montrant de quelle façon j'obscurcissais l’a pureté de vos dons.

2. Un jour donc que j'assistais à une messe où je devais communier vous avez daigné me faire sentir votre douce présence, et, vous servant pour m’instruire d'une comparaison sensible, je vous vis semblable à une personne haletante de soif qui me demandait à boire. Comme je me plaignais de ne pouvoir vous secourir, puisque, malgré tous mes efforts, je ne parvenais pas à tirer de mon cœur, ne fût-ce que quelques gouttes de compassion, je vis que vous me présentiez de votre propre main une coupe d'or. Aussitôt mon cœur se liquéfia sous l'effet de l'amour, et mes yeux versèrent un flot de larmes brûlantes. En même temps, je vis à ma gauche un odieux personnage qui me glissait en cachette dans la main un objet amer et empoisonné, et m'excitait avec force, (quoique toujours en secret, à le jeter dans cette coupe pour empoisonner le vin pur qu' elle contenait. Aussitôt s'éleva en moi un si grand mouvement de vaine gloire, qu'il me fut aisé de comprendre la ruse employée contre nous par l'antique ennemi, quand les dons que vous nous faites excitent son envie.

3. Mais grâces soient rendues à votre fidélité, ô mon Dieu, grâces aussi à votre protection, ô Divinité subsistant dans la Vérité et l'Unité; Vérité adorable dans l'Unité et la Trinité ; Déité incompréhensible en la Trinité et l'Unité ! Vous ne permettez pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces, quoique vous laissiez, parfois à l'ennemi la liberté de nous attaquer, afin de nous exercer et de nous faire progresser. Si vous voyez que nous nous appuyons avec confiance sur votre secours, vous faites vôtre le litige, en sorte que, par un excès de générosité, vous réservant le combat, vous nous abandonnez la victoire, pourvu que nous adhérions à vous par le mouvement de notre volonté. Et, comme dans l'usage de vos dons vous ne permettez pas que l'ennemi ait pouvoir sur notre libre arbitre, vous nous en laissez aussi le plein usage pour l'accroissement de nos mérites.

4. Dans une autre circonstance, et par une autre comparaison, vous m'avez appris qu'en cédant facilement aux suggestions de l'ennemi, on laisse croître son audace. Car la grandeur de votre justice exige parfois que votre miséricorde toute-puissante se cache en quelque sorte pendant ces dangers que nous courons par notre propre négligence. Plus nous nous hâtons de résister au mal, plus utile, plus fructueuse et plus heureuse est notre résistance.

     

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