DE
L'INSPIRATION DIVINE
1. Je jugeais si hors
de propos de publier ces écrits que je ne voulais pas me prêter à
écouter sur ce point la voix de ma conscience. Je différai donc
jusqu'à l'Exaltation de la sainte Croix, et, ce jour même pendant la
messe, j'avais décidé de m'appliquer à un autre travail, lorsque le
Seigneur triompha de ma résolution : « Sois assurée, dit-il, que tu
ne sortiras pas de la prison de ton corps avant d'avoir acquitté tes
dettes jusqu'à la dernière obole. »
2. Comme je pensais en
moi-même que j'avais déjà fait servir les dons de Dieu à l'avantage
du prochain, sinon par écrit, au moins par mes paroles le Seigneur
m'opposa ce que j'avais entendu lire la nuit même aux Matines : «
Si le Seigneur n'avait voulu révéler sa doctrine qu'à ses
contemporains, il aurait prononcé des discours, et n'aurait pas
inspiré les écrivains sacrés ; mais ses enseignements ont été
écrits, et c'est pourquoi ils servent aujourd'hui au salut d'un plus
grand nombre. » Et le Seigneur ajouta : « Je n'accepte aucune
objection, et je veux que tes écrits soient, pour les derniers temps
où j'ai résolu de répandre mes grâces sur beaucoup d'âmes, un
témoignage irrécusable de ma divine tendresse. »
3. Après avoir entendu
ces paroles, je restai tout accablée et considérai en moi-même
combien il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver
la traduction exacte des choses dont j'ai parlé, et les paroles
convenables pour les présenter à l'esprit humain, sans danger de
scandale. Mais le Seigneur, pour vaincre ma pusillanimité, parut
faire descendre sur mon âme une pluie abondante. J'en fus accablée,
moi pauvre créature, et inclinée vers la terre comme une plante
encore nouvelle et tendre, je ne pouvais rien absorber de cette eau
pour mon profit. J'entendis seulement quelques paroles importantes,
que mon intelligence naturelle ne pouvait saisir, De plus en plus
accablée, je me demandais ce que tout cela présageait, lorsque votre
tendresse habituelle, ô mon Dieu, voulut alléger mon fardeau et
réconforter mon âme en disant : « Puisque cette pluie abondante te
parait inutile, je vais maintenant t'approcher de mon Cœur et verser
peu à peu en toi ce dont tu as besoin. J'agirai avec douceur et
suavité, et selon la mesure de tes forces »
4. Après avoir constaté
les .effets de cette promesse, O mon Dieu, j'en atteste la parfaite
sincérité. Car, tous les matins, et à l'heure la plus favorable,
vous m'avez inspiré quelque partie de ces pages. C'était avec tant
de douceur et de clarté, que, sans aucun travail, j'écrivis des
choses que j'avais jusqu'alors ignorées, et qui se présentaient à
moi comme si elles eussent été depuis longtemps gravées dans ma
mémoire. Vous, agissiez toutefois avec mesure, car, après avoir
écrit la tâche journalière, il m'était impossible, même en y
appliquant toutes les forces de mon esprit, de trouver une seule de
ces paroles qui le lendemain cependant revenaient si abondantes et
sans aucune difficulté : par cette manière d'agir, vous modériez et
dirigiez ma fougue naturelle, suivant cette parole « qu'il ne faut
pas se livrer à l'action au point de négliger la contemplation ».
Vous vous montriez donc jaloux du salut de mon âme en toute
circonstance et, me permettant de goûter parfois les joyeux
embrassements de Rachel, vous ne me priviez pas de la glorieuse
fécondité de Lia. Que pour arriver à vous plaire, ô mon Dieu, votre
amour plein de sagesse daigne m'aider à unir parfaitement dans ma
vie l'action et la contemplation.
D'UNE
AUDACIEUSE ATTAQUE DU TENTATEUR
1. Combien de fois en
ces temps avez-vous multiplié les effets de votre salutaire présence
! Par quelle bénédiction de douceur avez-vous prévenu ma bassesse,
surtout pendant les trois premières années, et spécialement lorsque
j'étais admise à la réception de votre corps et de votre sang
précieux ! Puisque je ne puis, ô mon Dieu, vous rendre même un pour
mille, je me confie à cette éternelle, immense et immuable gratitude
par laquelle, ô resplendissante et toujours tranquille Trinité, vous
acquittez pleinement, de vous-même, par vous-même et en vous-même,
toutes nos dettes. Semblable à un grain de poussière, je m'enveloppe
dans cette divine gratitude et je vous offre par Celui qui siège à
votre droite revêtu de ma substance, les actions de grâces dont je
suis capable. Je les offre par Lui, en l'Esprit-Saint, pour tous les
bienfaits dont vous m'avez comblée, et surtout pour cet enseignement
lumineux par lequel vous avez dissipé mon ignorance, en me montrant
de quelle façon j'obscurcissais l’a pureté de vos dons.
2. Un jour donc que
j'assistais à une messe où je devais communier vous avez daigné me
faire sentir votre douce présence, et, vous servant pour m’instruire
d'une comparaison sensible, je vous vis semblable à une personne
haletante de soif qui me demandait à boire. Comme je me plaignais de
ne pouvoir vous secourir, puisque, malgré tous mes efforts, je ne
parvenais pas à tirer de mon cœur, ne fût-ce que quelques gouttes de
compassion, je vis que vous me présentiez de votre propre main une
coupe d'or. Aussitôt mon cœur se liquéfia sous l'effet de l'amour,
et mes yeux versèrent un flot de larmes brûlantes. En même temps, je
vis à ma gauche un odieux personnage qui me glissait en cachette
dans la main un objet amer et empoisonné, et m'excitait avec force,
(quoique toujours en secret, à le jeter dans cette coupe pour
empoisonner le vin pur qu' elle contenait. Aussitôt s'éleva en moi
un si grand mouvement de vaine gloire, qu'il me fut aisé de
comprendre la ruse employée contre nous par l'antique ennemi, quand
les dons que vous nous faites excitent son envie.
3. Mais grâces soient
rendues à votre fidélité, ô mon Dieu, grâces aussi à votre
protection, ô Divinité subsistant dans la Vérité et l'Unité; Vérité
adorable dans l'Unité et la Trinité ; Déité incompréhensible en la
Trinité et l'Unité ! Vous ne permettez pas que nous soyons tentés
au-delà de nos forces, quoique vous laissiez, parfois à l'ennemi la
liberté de nous attaquer, afin de nous exercer et de nous faire
progresser. Si vous voyez que nous nous appuyons avec confiance sur
votre secours, vous faites vôtre le litige, en sorte que, par un
excès de générosité, vous réservant le combat, vous nous abandonnez
la victoire, pourvu que nous adhérions à vous par le mouvement de
notre volonté. Et, comme dans l'usage de vos dons vous ne permettez
pas que l'ennemi ait pouvoir sur notre libre arbitre, vous nous en
laissez aussi le plein usage pour l'accroissement de nos mérites.
4. Dans une autre
circonstance, et par une autre comparaison, vous m'avez appris qu'en
cédant facilement aux suggestions de l'ennemi, on laisse croître son
audace. Car la grandeur de votre justice exige parfois que votre
miséricorde toute-puissante se cache en quelque sorte pendant ces
dangers que nous courons par notre propre négligence. Plus nous nous
hâtons de résister au mal, plus utile, plus fructueuse et plus
heureuse est notre résistance. |