D'UNE
UNION PLUS INTIME ENCORE
1. Le dimanche suivant:
Esto mihi,
etc., vous avez pendant la messe excité et agrandi les désirs de mon
âme, afin qu'elle aspirât aux faveurs plus sublimes dont vous aviez
l'intention de la gratifier. Ce fut surtout par ces deux paroles du
répons: « Benedicens benedicam,
etc..:Bénissant, je te bénirai », et le verset du neuvième répons :
« Tibi enim et semini tuo dabo eas regiones :
Je donnerai cette terre à toi et à ta race. » Plaçant alors votre
main vénérable sur votre poitrine sacrée; vous m'indiquiez où se
trouvent ces régions promises par votre infinie libéralité.
2. O terre bienheureuse
qui comblez de bonheur tous ceux qui vous habitent ! Champ de
délices dont le plus petit grain peut satisfaire abondamment la faim
de tous les élus et procurer au cœur humain tout ce qui peut lui
être doux et agréable !
3. Je considérais avec
une attention, peut être insuffisante, du moins autant que je le
pouvais, ce spectacle si digne de fixer mes regards. Alors m'apparut
la bonté et l'humanité de Dieu notre Sauveur, non à cause des œuvres
de justice par lesquelles mon indignité eût pu mériter cette faveur,
mais à cause de son ineffable miséricorde qui me justifiait par la
régénération adoptive (Tit., 3, 4); et me préparait à cette union
plus intime avec vous, ô mon Dieu ! Union en vérité étonnante et
redoutable, digne d'admiration, céleste et inestimable !
4. En vertu de quels
mérites de ma part, ô mon Dieu, et par quel mystérieux jugement
ai-je obtenu une si grande faveur ? Certes, l'amour qui oublie la
dignité du sang et se montre plein de condescendance, l'amour,
dis-je, qui se précipite sans attendre la réflexion ni le jugement
de la raison, vous a, si j'ose ainsi parler, enivré jusqu'à la
folie, ô mon très doux Seigneur, pour que vous en arriviez à unir
deux choses si dissemblables. Ou bien, pour employer un langage
moins indigne de votre Majesté, cette suave bonté, qui est innée en
vous et fait partie de votre essence, a été ébranlée par le contact
de la tendre charité qui opéra le salut du genre humain, et en vertu
de laquelle non seulement vous aimez, mais vous êtes l'Amour même.
Est-ce donc cette charité qui vous aura engagé à tirer de son
extrême indignité une misérable créature, méprisable. par sa vie et
ses mœurs, pour l'élever à la participation de votre royale et
divine grandeur ? Vous vouliez par là augmenter la confiance de tous
les membres de l'Église, et c'est ce que je souhaite et désire pour
tout chrétien, espérant que nul ne fera comme moi un si mauvais
usage des dons de Dieu, et ne donnera autant de scandale à son
prochain.
5. Mais, comme les
choses invisibles de Dieu peuvent être perçues par l'intelligence au
moyen des images sensibles, ainsi que déjà je l'ai remarqué, il
m'apparut que de cette partie de la poitrine sacrée du Seigneur, en
laquelle, au jour de la Purification, il avait reçu mon âme sous la
forme d'une cire amollie au feu, s'échappaient avec violence des
gouttes de sueur, comme si la substance de cette cire se fût
entièrement liquéfiée par l'excès de la chaleur enfermée dans le
sein de mon Dieu. Et ce divin Cœur absorbait ces gouttes avec une
vertu ineffable et incompréhensible. II semblait évident que
l'amour, dont le propre est de se répandre avait enfermé sa force
victorieuse dans les profondeurs de ce Cœur sacré.
6. O Solstice éternel,
demeure pleine de sécurité, lieu qui renferme toutes les délices,
paradis des joies éternelles, source jaillissante d'inexprimables
délectations, vous attirez par les fleurs variées d'un doux
printemps ; vous charmez par les notes suaves ou plutôt par le doux
concert d'une harmonie toute spirituelle ; vous ranimez par le
souffle parfumé des vivifiants aromates ; vous enivrez par la
douceur liquéfiante des saveurs mystiques; vous transformez par les
caresses merveilleuses de vos saints embrassements ! O trois fois
heureux, quatre fois bienheureux et, si je puis parler ainsi, mille
fois saint celui qui, dirigé par la grâce, mérite d'approcher de ce
lieu béni avec un cœur pur, des mains innocentes et des lèvres sans
souillure ! Comment redire ce qu'il voit, ce qu'il entend, ce qu'il
respire, ce qu'il goûte et ce qu'il ressent ? Pourquoi ma langue
impuissante s'efforcerait-elle d'en balbutier quelque chose ? Sans
doute, par un effet de la bonté divine, j'ai été admise à jouir de
ces faveurs mais, enveloppée comme d'une peau épaisse par l'écorce
de mes fautes et de mes négligences, je ne pouvais les saisir que
très imparfaitement, car toute la science réunie des anges et des
hommes ne saurait fournir un seul mot qui exprimât si peu que ce
soit la suréminente grandeur d'une si sublime union.
DE
L'INSÉPARABLE UNION DE SON ÂME AVEC DIEU
1. Peu de temps après,
c'est-à-dire au milieu du. Carême, je me trouvais encore retenue sur
ma couche par une grave maladie. J'étais seule un matin, tandis que
les autres Sœurs vaquaient à leurs occupations, lorsque le Seigneur,
qui n'abandonne pas ceux qui sont privés des consolations humaines,
daigna m'apparaître et réaliser ainsi cette parole du prophète: «
Cum ipso sum ire tribulatione : Je suis avec lui dans la tribulation
» (Ps. xc,15). Il me présenta son côté gauche d'où jaillissait,
comme des profondeurs intimes de son Cœur sacré, une source d'eau
pure, solide comme le cristal. En s'écoulant, elle recouvrait ce
sein béni à la manière d'un collier précieux, offrant tour à tour
aux regards le brillant de l'or ou l'éclat de la pourpre. Le
Seigneur me dit ces paroles : « La maladie qui te fait souffrir a
sanctifié ton âme, en sorte que toutes les fois que, pour mon amour
et par condescendance pour le prochain, tu sembleras t'éloigner de
moi par tes actes, tes pensées ou tes paroles, tu ne t'en écarteras
pas plus en réalité que cette source ne s'éloigne de mon Cœur. Et
comme tu as vu l'or et la pourpre briller à travers le pur cristal,
de même la coopération de ma divinité figurée par l'or, et la
patience parfaite de mon humanité représentée par la pourpre,
rendront toutes tes actions agréables à mes yeux.
2. O dignité de cet
infime grain de poussière pour que cette Pierre divine, la plus
précieuse que renferment les trésors des cieux, ait daigné s'y
enchâsser après l'avoir tiré de la boue des chemins ! O beauté de
cette humble petite fleur que le rayon du soleil a fait germer d'une
terre fangeuse, afin de lui communiquer sa splendeur ! O bonheur de
cette âme comblée de bénédictions, et que le Dieu de Majesté a jugée
digne d'assez d'estime pour que lui, dont la puissance est sans
bornes, se soit abaissé à la créer ; de cette âme, dis-je, qui, bien
que parée de l'image et de la ressemblance divine, est cependant
distante de Dieu, comme toute créature l'est de son Créateur !
C'est pourquoi mille fois bienheureuse celle à qui il a été donné de
demeurer dans cette union à laquelle je crains, hélas ! de n'être
jamais parvenue un seul moment ! Aussi je prie la divine clémence de
m'accorder quelque grâce que ce soit, par les mérites de ceux
qu'elle a conservés, comme je l'espère, dans un tel état pendant un
si long temps.
3. O Don qui surpasse
tout don ! Se rassasier avec abondance des délices de la Divinité !
S'enivrer du vin de la charité dans les celliers du pur amour, au
point de ne pouvoir les quitter et porter ses pas vers des régions
où cette précieuse liqueur perdrait sa force et son parfum ! Ou, si
la charité oblige à en sortir, emporter avec soi la vertu de ce vin
généreux, afin de servir au prochain une part de l'abondance divine
!
4. Je crois, ô Seigneur
Dieu; que votre toute puissance pourrait accorder ce don à tous vos
élus ; je ne doute pas que votre tendresse ne veuille aussi m'en
faire part. Mais comment votre impénétrable sagesse oubliera-t-elle
à ce point mon indignité ? c'est là un mystère que je ne puis
sonder.
5. Je glorifie et
j'exalte la sagesse et la bonté de votre Toute-Puissance. Je loue et
j'adore la Toute-Puissance et la bonté de votre Sagesse. Je rends
grâces à la toute puissance et à la sagesse de votre Bonté et je
vous bénis, ô mon Dieu, car j'ai toujours reçu de votre largesse
toutes les grâces qui pouvaient m'être accordées, et cela dans une
mesure qui dépassait infiniment mes pauvres mérites.
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