CHAPITRES VI - VII

CHAPITRE VI

D'UNE, VISITE PLUS SUBLIME DU SEIGNEUR EN LA FÊTE DE LA NATIVITÉ

1. O TOUTE-PUISSANCE admirable et d'une hauteur inaccessible! O Sagesse insondable en ses profonds abîmes ! O Charité toute désirable et d'une étendue sans mesure ! Avec quelle abondance les torrents de votre Divinité plus douce que le miel se sont-ils élevés, pour déborder si fortement sur moi, misérable ver de terre, qui ne sais que ramper sur le sable de mes défauts et de mes négligences. Il m'est permis, bien plus, je désire pendant l'exil de mon pèlerinage terrestre, retracer autant que je le puis ces béatifiantes délices et ces suavités si douces, par lesquelles celui qui adhère à Dieu devient un même esprit avec lui (I Cor. 6, 17). Il m'a été donné, à moi pauvre grain de poussière, de savourer quelques gouttes de cette béatitude infinie si abondamment répandue, et c'est ce que je vais raconter ici.

2. C'était en cette nuit sacrée où les cieux parurent distiller le miel, lorsque la douce rosée de la Divinité descendit sur la terre. Mon âme, semblable à une toison exposée dans l'aire de la charité et tout humectée de: cette rosée céleste[1], voulut méditer ce mystère. Par l'exercice de sa dévotion, elle désira prêter pour ainsi dire son ministère à ce divin enfantement où, tel que l’astre émet son rayon, la Vierge produisit son Fils vrai Dieu et vrai homme. Il me sembla tout à coup qu'on me présentait, et que je recevais dans mon cœur un tout petit enfant, né à l'heure même, dans lequel résidait assurément le don de la souveraine perfection, le don par excellence. Et comme mon âme le retenait en elle-même, elle se vit soudainement transformée tout entière en la couleur de ce divin Enfant, si toutefois il est possible d'appeler couleur ce qui ne peut être comparé à rien de visible. Elle reçut alors l'intelligence de ces ineffables paroles: « Erit Deus omnia in omnibus : Dieu sera tout en tous » (I Cor., 15, 28). Aussi ce fut avec une insatiable avidité qu'elle prit le délicieux breuvage qui lui était divinement offert dans ces paroles que j'entendis au même instant : « Comme je suis la figure de la substance de Dieu le Père (Heb., 1, 3)  en la Divinité, de même tu seras la figure de ma substance dans l'humanité, tu recevras dans ton âme déifiée les influences de ma divinité, comme l'air reçoit les rayons du soleil. Pénétrée alors jusqu'aux moelles par cette lumière unifiante, tu deviendras capable d'une union plus intime avec moi. »

3. O baume très précieux de la Divinité qui de toutes parts envoyez au loin les ruisseaux de l’amour, qui germez et fleurissez éternellement, et dont l'entière effusion n'aura lieu qu'à la fin des temps ! O vertu vraiment invincible de la droite du Très-Haut : par vous, un vase fragile, rejeté avec ignominie à cause de ses vices, a pu contenir et garder votre très précieuse liqueur ! O témoignage irréfragable de l'excessive tendresse de Dieu, qui ne m'a pas abandonnée lorsque j'errais au loin dans les sentiers du vice et m'a fait connaître, autant que ma misère en était capable, la douceur de cette bienheureuse union!

CHAPITRE VII

D'UNE UNION PLUS EXCELLENTE DE SON ÂME AVEC DIEU

1. En la très sainte fête de la Purification, tandis que  j'étais forcée de garder le lit à la suite d'une grave maladie je me trouvai, au lever du jour, remplie de tristesse et me plaignis d'être privée, par cette infirmité, de la céleste visite qui m'avait souvent consolée à pareil jour.

2. Et voici que l'auguste Médiatrice, Mère de celui qui est le véritable Médiateur entre Dieu et les hommes, vint par ces paroles adoucir ma peine : « Tu ne te souviens pas d'avoir éprouvé dans ton corps des douleurs aussi aiguës; mais apprends que mon Fils te réserve un présent plus riche que tous ceux dont tu as été comblée jusqu'ici, et c'est afin qu'il soit reçu dignement que ton âme a été fortifiée par ces souffrances corporelles. » Je fus soulagée en écoutant ces douces paroles, et immédiatement avant la procession je reçus l'aliment de vie. Comme j'étais attentive à la présence de Dieu en moi, je vis que mon âme, semblable à une cire doucement amollie sous l'action du feu, se présentait devant la poitrine sacrée du Seigneur comme en face d'un sceau dont elle allait recevoir l'empreinte. Tout à coup, ce sceau divin fut apposé sur elle et mon âme fut alors introduite dans ce trésor sacré où la plénitude de la divinité habite corporellement pour y être marquée du sceau de la resplendissante et toujours tranquille Trinité.

3. O mon Dieu, Charbon dévorant (Carbo desolatorius)[2], vous avez enfermé d'abord en vous-même, puis montré, et enfin communiqué cette vive ardeur, lorsque, sans rien perdre de votre feu, vous vous êtes arrêté sur le terrain humide et glissant de mon âme, pour dessécher en elle les flots des joies humaines. Vous l'avez ensuite dégagée de cet attachement à sa propre volonté, attachement que le temps n'avait fait que fortifier. O vrai feu consumant qui ne brûlez les vices de l'âme que pour y instiller la douce onction de la grâce ! C'est en vous seul que nous trouvons la force de nous réformer selon l'image et la ressemblance divine. O fournaise ardente dont les feux éclairent la douce vision de la paix ! Votre puissante opération change les scories en or pur et choisi, dès que l'âme, fatiguée d'illusions, cherche enfin avec ardeur le souverain Bien qu'elle ne trouve qu'en vous seul, ô vraie vérité !


[1] Allusion. à la toison de Gédéon qui reçut la rosée du ciel ( Juges, VI, 37.)
[2] Allusion au verset 4 du Ps. 119 : « Sagittae potentis acutoe cum carbonibus desolatonis : Les flèches du puissant sont aiguës, et ce sont des charbons pour détruire. »

     

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