TÉMOIGNAGES PLUS ÉVIDENTS ENCORE DE CE
QU'ELLE FUT UN CIEL SPIRITUEL
1. Puisque l'Église,
pour célébrer la gloire des Apôtres, les nomme des cieux spirituels
et dit : « O Christ, ils sont les cieux où vous habitez; par leur
parole vous lancez votre tonnerre, par leurs miracles vous faites
briller vos éclairs et par eux encore vous répandez la rosée de la
grâce »,
je montrerai, selon mon pouvoir, que ces trois privilèges se sont
rencontrés en cette âme. Ses paroles avaient une vertu si efficace
qu'on ne pouvait guère les écouter sans ressentir tout l'effet
qu’elle en attendait. Aussi peut-on avec raison lui appliquer ces
mots de l'Ecclésiaste : Les paroles du sage sont comme des
aiguillons, ou comme des clous solidement plantés (Eccl., 12, 11).
La faiblesse humaine refuse parfois d'entendre la vérité qui sort
d'un cœur tout brûlant de ferveur ; aussi un jour où celle-ci avait
repris une sœur avec des paroles assez dures, la sœur, poussée par
un sentiment de tendresse, supplia le Seigneur de modérer ce zèle si
ardent. Mais elle reçut de lui cette instruction : « Lorsque j'étais
sur la terre, j'ai éprouvé aussi des sentiments et des affections
très ardentes ; j'avais une haine profonde pour toute injustice, et
cette Élue me ressemble par là. » — « Mais, Seigneur, reprit la
sœur, vous ne parliez durement qu'aux pécheurs, tandis que celle-ci
blesse même parfois des personnes réputées vertueuses. » Et le
Seigneur répondit: «Les Juifs, au temps de mon avènement, semblaient
les plus saints des hommes, ils furent cependant scandalisés les
premiers à mon sujet.»
2. Dieu voulut aussi
par les discours de celle-ci faire descendre sur ses élus la rosée
de la grâce : plusieurs ont affirmé qu'une de ses paroles les avait
plus touchés que de longs sermons des meilleurs prédicateurs. C'est
ce qu'attestaient les larmes sincères de ceux qui recouraient à elle
: ils étaient venus parfois avec des âmes rebelles que rien ne
pouvait vaincre ; mais, après avoir entendu quelques paroles de sa
bouche, on les voyait pénétrés de componction et prêts à remplir
tout leur devoir.
3. Ce fut non seulement
par ses conseils, mais aussi par ses prières, que plusieurs
ressentirent les effets de la grâce : comme ils s'étaient
recommandés à elle, ils se trouvèrent si complètement délivrés de
grandes et interminables peines, que, remplis d'admiration, ils
prièrent souvent les amis de cette Élue d'en rendre grâces à Dieu et
à elle-même. Nous ne devons pas omettre que certains furent avertis
en songe de lui confier leurs épreuves, et dès qu'ils l'eurent fait,
ils se sentirent soulagés. Ces merveilles ne semblent pas différer
beaucoup de l'éclat des miracles, puisque le soulagement des âmes
n'a pas moins de prix que la guérison des corps. Cependant nous
raconterons ici quelques traits éclatants qui témoignèrent aussi que
le Dieu des vertus habitait en cette âme.
DE
QUELQUES MIRACLES
1. Au mois de mars, le
froid se fit sentir avec une telle rigueur que la vie des hommes et
des animaux semblait menacée. De plus, celle-ci entendait dire qu'il
n'y avait à espérer aucune récolte cette année-là, parce que,
d'après la disposition de la lune, le froid durerait encore
longtemps. Un jour donc, à la messe où elle devait communier, elle
pria dévotement le Seigneur à cette intention, et demanda d'autres
grâces encore. Le Seigneur lui répondit : « Sois assurée que toutes
tes demandes sont exaucées. » Elle reprit : « Seigneur, si je suis
vraiment exaucée, et s'il est juste de vous rendre grâces, veuillez
m'en donner une preuve en faisant cesser ce froid rigoureux. » Cela
dit, elle n'y songea plus, mais lorsqu'elle sortit du chœur après la
messe, elle trouva le chemin tout inondé par suite de la fonte des
neiges et des glaces. Ceux qui voyaient un tel changement se
produire contrairement aux lois de la nature en étaient fort
étonnés, et comme ils ignoraient que l'Élue de Dieu l'eût obtenu par
ses prières, ils répétaient que malheureusement ce temps ne durerait
pas, parce que c'était contraire à l'ordre régulier des choses. II
se maintint toutefois et dura sans interruption pendant le printemps
qui suivit.
2. Une autre fois, à
l'époque de la moisson,
comme il pleuvait continuellement, et que partout l'on priait avec
instance, tant on craignait la perte des récoltes, celle-ci,
s'unissant au peuple, offrit de si instantes prières afin d'apaiser
le Seigneur, qu'elle obtint la promesse formelle d'un temps plus
favorable. I1 arriva en effet que ce jour même, quoique de gros
nuages couvrissent encore le ciel, le soleil parut et éclaira toute
la terre de ses rayons.
3. Un soir après le
souper, la communauté était allée dans la cour pour un travail. Le
soleil brillait encore, mais on voyait de gros nuages chargés de
pluie suspendus dans les airs. J'entendis alors moi-même celle-ci
dire au Seigneur : « O Seigneur, Dieu de l'univers, je ne désire pas
que vous accomplissiez comme de force mon humble volonté ; car si
votre infinie bonté tient cette pluie suspendue dans les airs à
cause de moi, et contrairement à ce qu'exigent votre gloire et la
rigueur de votre justice, je vous en prie, que les nuages se
déchirent et que votre très aimable volonté s'accomplisse. » O
merveille ! elle n'avait pas dit ces mots, que le tonnerre retentit,
et que la pluie tomba avec abondance. Dans sa stupéfaction, elle dit
au Seigneur : « O Dieu très clément, s'il plaisait à votre Bonté de
retenir la pluie jusqu'à ce que nous ayons terminé ce travail
enjoint par l'obéissance? » Et le Seigneur, si rempli de
condescendance, retint la tempête jusqu'à l'achèvement de la besogne
des sœurs. Mais à peine avaient-elles franchi les portes, qu'une
pluie torrentielle accompagnée d'éclairs et de tonnerre s'abattit
avec violence, et deux ou trois sœurs qui s'étaient attardées
rentrèrent toutes mouillées.
4. D'autres fois encore
elle recevait miraculeusement l'assistance divine, sans formuler de
prière, mais par une seule parole et comme en se jouant : si, par
exemple, elle travaillait assise sur un tas de foin et que son
aiguille ou son poinçon venait à lui échapper et à tomber dans le
foin, aussitôt on l'entendait dire au Seigneur : « Seigneur, c'est
bien en vain que je chercherais cet objet ; accordez-moi plutôt de
le retrouver. » Puis, sans même regarder, elle plongeait la main au
milieu du foin pour en retirer l'objet perdu, et cela avec autant
d'assurance que si elle l'avait eu devant elle sur une table. C'est
ainsi qu'en toute circonstance elle appelait à son secours ce
Bien-Aimé qui régnait sur son âme et qu'elle trouvait toujours en
lui un allié très fidèle et rempli de bonté.
5. Une autre fois,
comme elle priait le Seigneur de calmer la violence des vents qui
amenait une grande sécheresse, elle reçut cette réponse : « II est
inutile que dans mes rapports avec toi je me serve du motif qui
m'engage parfois à exaucer les prières de mes autres élus, car ma
grâce a tellement uni ta volonté à la mienne que tu ne peux vouloir
que ce que je veux. Or, ces tempêtes violentes vont ramener vers moi
par la prière certains cœurs rebelles à mon amour. C'est pourquoi je
n'accueillerai pas ta demande, mais tu recevras par contre un don
spirituel. » Elle accepta avec joie cet échange, et trouva désormais
sa joie à n'être exaucée que selon le bon plaisir de Dieu.
6. Saint Grégoire nous
dit que la sainteté des justes ne consiste pas à faire des miracles,
mais plutôt à aimer le prochain comme soi-même, et cet amour, nous
l'avons vu animait le cœur de cette Élue. Que le récit de si grands
miracles suffise aussi à montrer que son âme était bien la demeure
de Dieu. Que la bouche de ceux qui insultent la bonté gratuite du
Seigneur soit à jamais fermée, et que la confiance des humbles
croisse encore à la vue de ces merveilles, car ils peuvent espérer
un profit pour eux-mêmes des bienfaits accordés à chacun des Élus.
DES PRIVILÈGES PARTICULIERS QUE DIEU
LUI AVAIT ACCORDÉS
1. Il faut ajouter ici
plusieurs traits du même genre. J'eus autant de peine à les
découvrir que s'ils avaient été scellés sous une lourde pierre. Le
lecteur trouvera de plus les témoignages de personnes dignes de foi.
2. Plusieurs venaient
lui exposer leurs doutes et lui demander principalement si, pour
telles ou telles raisons, ils ne devaient pas s'abstenir de la
Communion. Après avoir résolu avec sagesse les difficultés de
chacun, elle les engageait et parfois les forçait, pour ainsi dire,
à s'approcher du Sacrement du Seigneur, en se confiant à la grâce et
à la miséricorde de Dieu. Une fois cependant (ainsi qu’il arrive à
toute âme sincère) elle craignit que ses réponses ne fussent trop
présomptueuses. C'est pourquoi elle eut recours à la bonté ordinaire
de son Seigneur, et, après lui avoir exposé ses craintes avec
confiance, elle reçut cette réponse : « Ne crains pas, mais
console-toi, sois ferme et tranquille parce que je suis le Dieu qui
t'aime, et qui par un amour gratuit t'a créée et choisie pour
habiter en toi et y prendre ses délices : tous ceux qui, avec
dévotion et humilité, viendront chercher ma lumière auprès de toi
obtiendront une réponse en quelque sorte infaillible, et je ne
permettrai pas que les âmes qui seraient indignes de se nourrir du
sacrement de mon corps et de mon sang viennent te consulter à ce
sujet. C'est pourquoi, lorsque je dirigerai vers toi des cœurs
fatigués et accablés pour qu'ils reçoivent un soulagement, dis-leur
de venir en toute confiance me recevoir, parce que par amour et par
égard pour toi je ne leur fermerai pas mon sein paternel, mais je
les serrerai dans les bras de ma tendresse pour leur donner le doux
baiser de paix.
3. Comme elle priait
ensuite pour une personne, elle craignit que cette âme n'espérât
recevoir par son entremise plus qu'elle ne pourrait lui obtenir, et
le Seigneur répondit avec bonté : « Je donnerai toujours à chacun ce
qu'il aura espéré obtenir par ton intercession. De plus,
j'accorderai ce que tu auras promis de ma part, et si parfois la
fragilité humaine empêche d'en ressentir l'effet, j'aurai cependant
opéré dans cette âme l'avancement que tu avais promis.
4. Quelques jours
après, ces paroles du Seigneur revinrent à son souvenir, et,
considérant en même temps son indignité, elle lui demanda comment il
pouvait accomplir de telles merveilles par une aussi vile créature.
Le Seigneur répondit : « Est-ce que la foi de l'Église ne possède
pas collectivement ce que j'ai promis à Pierre seul par ces paroles
: Ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, etc. ?
(Mat., 16, 19.) Elle croit que ce même pouvoir réside encore chez
tous les ministres sacrés ; pourquoi ne croirais-tu pas que je puis
et je veux accomplir les promesses que mon amour a daigné te faire?
» Et lui touchant la langue, il dit : « Voici que j'ai mis mes
paroles en ta bouche (Jér., 1, 9) et je confirme dans ma vérité tout
ce que tu diras au prochain sous l'inspiration de mon Esprit. Si tu
promets quelque chose sur la terre au nom de ma bonté, je le
ratifierai sans le ciel. » Elle objecta : « Seigneur, je ne me
réjouirais vraiment pas si le prochain devait subir quelque
détriment parce que je lui aurais dit, sous l'impulsion de l'esprit,
que telle faute ne peut rester impunie ou autre chose semblable. »
Le Seigneur répondit: « Lorsque le zèle de la justice ou l'amour des
âmes te fera tenir ce langage, j'entourerai cette personne de la
douceur de ma bonté, et je l'exciterai à la componction afin qu'elle
ne mérite plus ma vengeance. » Elle fit encore cette question : «
Seigneur, si vous parlez vraiment par ma bouche, comme votre bonté
daigne l'assurer, comment se fait-il que parfois mes conseils
produisent si peu d'effet, bien que je ne sois inspirée que par le
désir de votre gloire et du salut des âmes ? » Le Seigneur répondit
: « Ne sois pas étonnée si tes paroles sont quelquefois prononcées
en vain, puisque moi-même j'ai souvent prêché sur la terre avec
toute l'ardeur de mon divin Esprit sans qu'il en résultât aucun bien
: toutes choses sont réglées par ma divine Providence, et arrivent
en leur temps. »
5. Un jour elle reprit
une personne de ses fautes, et courut ensuite se réfugier auprès du
Seigneur, le suppliant d'éclairer son intelligence par la lumière de
la science divine, afin qu'elle ne parlât à chacun que selon le bon
plaisir de Dieu. Le Seigneur répondit : « Ne crains point, ma fille,
mais prends confiance parce que je t'ai accordé ce privilège :
lorsqu'on viendra te consulter avec sincérité et humilité tu jugeras
et décideras dans la lumière de ma vérité, et comme je juge
moi-même, suivant la nature des choses et la condition des
personnes. Si je trouve la matière grave, tu donneras de ma part une
réponse sévère ; si au contraire la matière est légère, la réponse
sera moins rigoureuse. » Mais celle-ci, profondément pénétrée du
sentiment de son indignité, dit au Seigneur : « O Maître du ciel et
de la terre, retirez à vous et contenez cette excessive bonté, parce
que, n'étant que cendre et poussière, je suis indigne de recevoir un
don si magnifique ! » Et le Seigneur répondit avec une douce
tendresse : « Est-ce vraiment une si grande chose de laisser juger
les causes de mon inimitié par celle qui expérimenta si souvent les
secrets de mon amitié ? » II ajouta : « Celui-là ne sera jamais
trompé dans son attente, qui, au milieu de l'épreuve et de la
tristesse, viendra en toute humilité et simplicité chercher tes
paroles de consolation, parce que moi, le Dieu qui réside en ton
âme, je veux sous l'inspiration de mon amoureuse tendresse répandre
par toi mes bienfaits, et la joie que ton âme éprouvera sera
vraiment puisée à la source débordante de mon Cœur sacré. »
6. Elle priait un autre
jour pour des personnes qui lui étaient recommandées et reçut du
Seigneur cette réponse : « Autrefois celui qui pouvait saisir la
corne de l'autel se réjouissait d'y avoir trouvé la paix.
Maintenant, parce que j'ai daigné te choisir pour demeure, celui qui
implorera avec confiance le secours de tes prières recevra la grâce
du salut. » Ce fait est confirmé par le témoignage de Dame M., notre
chantre, de douce mémoire. Priant un jour pour celle-ci, elle vit
son cœur sous la forme d'un pont très solide bordé à droite et à
gauche de deux fortes murailles : l'une représentait la divinité de
Jésus-Christ, et l'autre sa très sainte humanité. Elle comprit que
le Seigneur disait: « Ceux qui voudront venir à moi par ce pont ne
pourront tomber ni dévier du droit chemin », c'est-à-dire qu'en
recherchant ses conseils et en les suivant avec humilité, ils ne
s'égareront jamais.
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