DE SA
COMPATISSANTE CHARITE
Outre un zèle ardent
pour la justice, celle-ci avait encore un sentiment profond de
tendre et compatissante charité. Si elle voyait quelqu'un accablé
par un réel chagrin, ou si elle entendait dire qu'une personne
éloignée se trouvait dans la peine, aussitôt elle s'efforçait de la
consoler ou lui envoyait ses encouragements. Comme un pauvre malade
accablé par la fièvre attend de jour en jour la guérison ou un peu
de soulagement, ainsi elle demandait à chaque instant au Seigneur
qu'il voulût bien consoler ceux dont elle connaissait l'affliction.
Sa tendre compassion ne s'exerçait pas seulement envers les êtres
raisonnables, mais elle atteignait toute créature. Lorsqu'elle
voyait les petits oiseaux ou d'autres animaux souffrir de la faim,
de la soif ou du froid, elle était émue de pitié pour les œuvres de
son Seigneur. Alors, en raison de la souveraine noblesse et
perfection que revêt toute créature considérée en son Auteur, elle
offrait à Dieu, comme un tribut de louange, les incommodités de ces
êtres dénués de raison, et le suppliait d'avoir pitié des œuvres de
ses mains et de les soulager dans leurs nécessités.
DE SON
ADMIRABLE CHASTETÉ
1. La Chasteté, que le
bienheureux Bernard appelle la lune du ciel spirituel, brilla en
elle d'une grande et pure clarté. Elle avouait n'avoir jamais dans
toute sa vie regardé suffisamment le visage d'un homme pour en
distinguer les traits. Tous ceux qui l'ont connue peuvent affirmer
la même chose : si elle avait avec un homme de Dieu un entretien
intime et même de longue durée, elle le quittait sans avoir jeté les
yeux sur lui. Cette admirable réserve ne se traduisait pas seulement
par la modestie des regards, mais elle l'observait en toute
circonstance, soit qu'elle parlât ou écoutât, et tous les mouvements
de son corps en portaient l'empreinte. Aussi l'éclat de sa chasteté
avait une telle splendeur, que les Sœurs du monastère disaient en
plaisantant qu'on aurait pu la placer sur les autels parmi les
reliques, à cause de la pureté de son cœur. Cela ne doit pas
étonner, car je n'ai connu aucune âme qui trouvât comme elle ses
délices dans la sainte Écriture et par conséquent en Dieu même, ce
qui est le meilleur moyen de garder la chasteté. C'est pourquoi
saint Grégoire dit : « Celui qui goûte les choses de l'esprit
rejette tout ce qui est charnel. » Et saint Jérôme écrit au moine
Rusticus :
« Aime les saintes Lettres, et tu n'aimeras pas les vices de la
chair.» Aussi tous les témoignages de sa parfaite chasteté
manqueraient, que son amour de la sainte Écriture en serait un
indice bien suffisant.
2. S'il lui arrivait de
rencontrer dans la sainte Écriture un passage offrant le souvenir de
quelque chose de charnel, elle le passait comme à la dérobée par un
sentiment de virginale pudeur ; et quand il lui était impossible
d'agir ainsi, elle s'efforçait de le dissimuler en le lisant
rapidement comme si elle n'y comprenait rien: mais l'incarnat de ses
joues trahissait bientôt la révolte de sa délicate pudeur. Si des
personnes ignorantes l'interrogeaient sur un semblable passage, elle
éludait la réponse avec une sorte de réserve attristée, estimant
moins pénible de recevoir un coup de glaive que d'entendre de tels
discours. Cependant s'il devenait nécessaire pour le salut des âmes
d'aborder ces sujets, elle le faisait sans hésiter et disait ce
qu'elle croyait être de son devoir.
3. Elle découvrit un
jour à un vieillard de grande expérience les tendres familiarités
dont elle était l'objet de la part du Seigneur. Celui-ci,
considérant la pureté de son cœur, avoua ensuite qu'il ne
connaissait personne qui fût autant qu'elle étranger à toute émotion
des sens. Aussi, se taisant sur les autres vertus, puisqu'il n'avait
regardé attentivement en elle que ce seul don de pureté, il ne
s'étonnait pas que Dieu l'ait choisie de préférence pour lui révéler
ses secrets, car il est dit clans l'Évangile : Bienheureux les cœurs
purs parce qu'ils verront Dieu (Mat, 5, 8), et nous lisons dans
saint Augustin : « Ce n'est pas avec les yeux du corps que nous
voyons Dieu, mais avec le regard de l'âme ».
Le même docteur dit ailleurs que si la lumière du jour n'est perçue
que par un œil sain, de même Dieu n'est vu due par le cœur pur, qui
a banni le souvenir du péché, et qui est vraiment le temple saint du
Seigneur.
4. Afin de prouver
encore sa parfaite chasteté, je citerai un autre témoignage digne de
foi. Une personne ayant prié le Seigneur de lui confier un message
pour son Élue, c'est-à-dire celle dont nous parlons en ce livre,
elle reçut cette réponse : « Dis-lui de ma part : C'est beau et
rempli de charmes. » Comme cette personne ne comprenait pas, elle
réitéra sa demande une deuxième, une troisième fois, et reçut
toujours la même réponse. Très étonnée, elle dit : « Veuillez me
donner, ô Dieu très aimé, l'intelligence de ces paroles. »
« Apprends à ma bien-aimée, répondit le Seigneur, que je me complais
dans sa beauté intérieure, parce que la splendeur de ma pureté et de
mon immuable Divinité répandent en son âme un incomparable éclat. De
même, je prends mes délices dans les charmes tout particuliers de
ses vertus, parce que la sève vivifiante de mon humanité déifiée
communique à ses oeuvres une vie incorruptible. »
DU DON
DE CONFIANCE QUI BRILLA EN GERTRUDE
1. Nous pourrions
démontrer par d'admirables témoignages à quel degré elle possédait,
je ne dis pas la vertu, mais le don de confiance. En effet, elle
sentait à toute heure une telle sécurité dans sa conscience, que ni
les tribulations, ni les blâmes, ni les obstacles, ni même ses
propres fautes, ne pouvaient altérer cette ferme confiance dans la
miséricorde infinie. S'il arrivait que Dieu la privât des faveurs
auxquelles elle était accoutumée, elle ne s'en troublait pas, car ce
lui était pour ainsi dire une même chose de jouir de la grâce ou
d'en être privée. En effet, durant l'épreuve, elle s'appuyait sur
l'espérance, et croyait fermement que tout coopère au bien des âmes,
qu'il s'agisse d'événements extérieurs ou d'opérations intimes.
Comme on attend avec espoir un messager qui porte les nouvelles,
longtemps désirées, ainsi elle entrevoyait avec joie l'abondance des
consolations divines dont l'adversité du moment lui semblait être la
préparation et le gage certain. La vue de ses fautes ne pouvait
l'abattre ni la décourager, parce que, raffermie bientôt par la
présence de la grâce divine, son âme devenait plus apte à recevoir
les dons de Dieu quels qu'ils fussent.
2. Lors même qu'elle se
voyait aussi privée de lumière qu'un charbon éteint,
elle s'efforçait encore de chercher le Seigneur, et, se ranimant
bientôt sous l'action de Dieu, elle se trouvait prête à recevoir de
nouveaux traits de la ressemblance divine. L'homme qui, des
ténèbres, passe au plein midi se trouve éclairé tout à coup ; de
même elle se voyait illuminée par la splendeur de la divine
présence, et recevait non seulement la lumière, mais aussi les
ornements nécessaires à la reine qui ne se présente devant le Roi
immortel des siècles (1 Tim. 1, 17) que vêtue de la robe d'or
enrichie de broderies. C'est ainsi qu'elle se trouvait préparée à
l'union divine.
3. Elle avait pris
l'habitude de se prosterner souvent aux pieds du Seigneur, pour
obtenir le pardon de ces fautes légères qui sont inévitables
ici-bas. Mais elle interrompait cette pratique quand elle recevait,
ainsi que nous l'avons dit, une effusion plus abondante de la
miséricorde divine. Alors elle se livrait volontiers au bon plaisir
de Dieu, devenait comme un instrument destiné à manifester les
opérations de l'amour en elle et par elle, et n'hésitait pas à
prendre avec le Dieu de l'univers une sorte de revanche de
tendresse.
4. Cette confiance lui
inspirait aussi une manière très surnaturelle de considérer la
sainte Communion, car elle ne lisait ou n'entendait rien dire
concernant le danger de recevoir indignement le Corps du Seigneur,
sans s'approcher du sacrement avec une espérance plus ferme encore
dans la bonté de Dieu. Si elle avait oublié de réciter les prières
par lesquelles il est d'usage de se préparer, elle ne s'abstenait
pas cependant de la Communion, parce que, jugeant ces actes nuls ou
de peu de valeur, elle croyait que tous les efforts de l'homme en
face de cet incomparable don gratuit sont comme une goutte d'eau
comparée à l'immensité de l'océan. Bien qu'elle ne vit aucune
manière de se préparer dignement, cependant, après avoir mis sa
confiance dans l'infinie bonté de Dieu, elle s'efforçait par-dessus
tout de recevoir le sacrement avec un cœur pur et un fervent amour.
5. Elle attribuait à sa
seule confiance en Dieu tout le bien spirituel qu'elle recevait, et
trouvait que ce bien était d'autant plus gratuit que ce don de
confiance lui avait été accordé par l'Auteur de toute grâce, sans
aucun mérite de sa part.
6. C'est encore la
confiance qui lui inspirait un fréquent désir de la mort, désir si
parfaitement tempéré par l'union à la divine Volonté, qu'il lui
était toujours indifférent de vivre ou de mourir : par la mort, en
effet, elle espérait jouir de la Béatitude, tandis que la vie lui
était une occasion d'augmenter la gloire de Dieu. I1 lui arriva un
jour, en marchant, de faire une chute dangereuse. Elle ressentit
aussitôt dans son âme une grande joie et dit au Seigneur : « Quel
bonheur pour moi, ô mon bien-aimé Seigneur, si cette chute m'eût
donné l'occasion d'aller tout à coup vers vous. » Et comme nous lui
demandions tout étonnés si elle ne craignait pas de mourir sans les
sacrements de l'Église : « En vérité, dit-elle, je désire de tout
mon cœur recevoir les sacrements ; mais la volonté et l'ordre de mon
Dieu seront pour moi la meilleure et la plus salutaire préparation.
J'irai donc avec joie vers lui, que la mort soit subite ou prévue,
sachant que de toute façon la miséricorde divine ne pourra me
manquer, et que sans elle nous ne serions pas sauvés, quel que soit
le genre de notre mort. »
7. Tous les événements
la trouvaient dans une égale disposition de joie, parce que son
esprit restait fixé inébranlablement en Dieu, dans une constance
pleine de vigueur. Aussi peut-on lui appliquer ces paroles :
« Qui confidit in Deo, forcis est ut leo : Celui qui se confie en
Dieu est fort comme le lion.»(Prov., 28, l.).
8. Notre-Seigneur
daigna rendre lui-même à la confiance de sou Élue le témoignage
suivant : Une personne, après avoir prié Dieu, s'étonnait de ne pas
recevoir de réponse ; il lui dit enfin : « J'ai tardé à te répondre,
parce que tu n’as pas confiance en ce que ma bonté toute gratuite
daigne opérer en toi. Ma bien-aimée au contraire est si fortement
enracinée dans la confiance qu'elle s'abandonne toujours à ma bonté
; c'est pourquoi je ne lui refuserai jamais ce qu'elle désire. »
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