CHAPITRE VII

DE SON ZÈLE POUR LE SALUT DES ÂMES

1. Ses paroles et ses actes rendent encore témoignage de son zèle pour les âmes et de son amour pour la Religion. Quand elle découvrait un défaut dans l'âme du prochain, elle désirait vivement qu'il se corrigeât ; mais si ce désir ne se réalisait pas, elle concevait un profond chagrin et ne pouvait se consoler jusqu'à ce que, par ses prières, ses exhortations ou le secours d'une autre personne, elle eut obtenu au moins un léger amendement. Si, dans l'intention de la consoler, on venait lui dire de ne pas s'inquiéter de la personne incorrigible, attendu qu'elle subirait elle-même la peine de sa faute, ces paroles, comme un glaive acéré, pénétraient son âme d'une si vive douleur, qu'elle aurait préféré mourir, disait-elle, plutôt que de se consoler d'une faute dont le coupable ne connaîtrait vraiment toute la gravité qu'après la mort, lorsqu'il en subirait la peine éternelle.

2. C'est sous l'influence de ce même zèle pour les âmes que, trouvant dans la sainte Écriture des passages difficiles elle les traduisait du latin dans un style très simple, afin que les esprits moins cultivés pussent les lire avec profit. Elle employait donc sa vie, du matin au soir, soit à résumer le texte sacré, soit à éclaircir les passages difficiles, tant elle désirait la gloire de Dieu et le salut du prochain.

3. Bède nous exprime d'une manière admirable la grandeur de ce travail lorsqu'il dit : « Quelle grâce plus sublime et quelle occupation plus agréable à Dieu que de diriger le prochain vers l'Auteur de tout bien, et d'accroître sans cesse les joies de la céleste patrie en augmentant le nombre des élus ! » Et saint Bernard : « Ce qui caractérise la vraie et chaste contemplation, c'est que l'âme embrasée du feu divin conçoit un si vif désir d'attirer vers Dieu d'autres âmes qui l'aiment aussi, qu'elle interrompt volontiers l'exercice de l’amour pour se livrer à la prédication. Elle revient ensuite vers la contemplation avec une ardeur d'autant plus grande qu'elle peut constater les fruits abondants de son travail[1] ». Et si, comme le dit saint Grégoire, aucun sacrifice n'est plus agréable à Dieu que le zèle du salut des âmes, il ne faut pas s'étonner que le Seigneur Jésus ait daigné reposer volontiers sur cet autel vivant, d'où la suave odeur d'une si précieuse offrande montait sans cesse vers lui.

4. Une fois donc le Seigneur Jésus, beau par-dessus tous les fils des hommes, lui apparut debout, tenant sur ses épaules royales et délicates une maison de très grande dimension qui semblait prête à tomber et dont tout le poids reposait sur lui. Il dit : « Vois au prix de quel labeur je soutiens cette maison bien-aimée, c'est-à-dire l'état religieux! Cette maison menace ruine dans tout l’univers parce que peu d'âmes veulent travailler fidèlement ou souffrir quelque chose pour sa défense et son extension. Regarde donc, ô ma Bien-aimée, et compatis à mes fatigues. » Le Seigneur ajouta : « Tous ceux qui par leurs actes ou leurs paroles propagent la Religion sont comme des colonnes qui soutiennent mon fardeau ; et ils m'aident à le porter en proportion de leurs forces. » Celle-ci, profondément émue par ces paroles et remplie de compassion pour son bien-aimé Seigneur, résolut de travailler de tout son pouvoir à l'avancement de la Religion, observant, même au delà de ses forces, les prescriptions les plus rigoureuses de l'Ordre, afin de donner le bon exemple.

5. Depuis quelque temps déjà elle s'appliquait fidèlement à ces exercices, lorsque le Seigneur, dans sa bonté, ne voulut pas qu'elle travaillât davantage et désira l'appeler au doux repos de la contemplation, dont cependant elle n'avait pas été privée durant ces labeurs. II lui fit savoir par quelques-uns de ses fidèles amis qu'elle devait quitter les occupations extérieures pour ne s'entretenir désormais qu'avec le Bien-aimé de son âme. Elle accepta avec joie cette invitation et s'adonna tout entière au repos de la contemplation, recherchant au fond de son cœur celui qui, de son côté, se communiquait à elle par une effusion toute spéciale de la grâce.

6. Je ne puis résister au désir de citer ici certaines paroles que lui écrivit un dévot serviteur de Dieu à la suite d'une révélation qu'il avait eue : « O fidèle Épouse du Christ, entrez dans la joie de votre Seigneur ! (Matth., 25, 21.) Le Cœur divin ressent pour votre âme un très doux amour, à cause du dévouement avec lequel vous avez, sans vous ménager, employé vos forces pour la défense de la vérité. Aussi, pour satisfaire son bon plaisir et le vôtre, il désire vous voir reposer sous l'ombre tranquille de sa consolation. Comme l'arbre profondément enraciné au bord des eaux (Ps. 1, 3) produit des fruits en abondance, ainsi, avec la grâce de Dieu, vous offrez vous même au Bien-aimé des fruits très suaves par toutes vos pensées, paroles et actions. Jamais le vent brûlant de la persécution ne pourra dessécher votre âme parce qu'elle est fréquemment arrosée par les fleuves débordants de la grâce céleste. En ne recherchant en toutes vos œuvres que la gloire de Dieu et non la vôtre, vous offrez au Bien-Aimé le centuple, par tout le bien que vous souhaiteriez accomplir vous-même ou promouvoir chez les autres. De plus, le Seigneur Jésus répare auprès de son Père cette faiblesse et cette négligence que vous déplorez en vous-même et dans le prochain, et il se dispose à vous récompenser comme si rien n'avait manqué à la perfection de vos actes. L'armée céleste se réjouit à cette vue et tressaille d'allégresse ; elle chante les louanges du Seigneur et lui rend grâces pour tous les biens dont il vous a comblée. »


[1] Traité de la Charité, VIII, 34, et Commentaire du Cantique des cantiques, 57, 9.

     

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