DU
TROISIEME TÉMOIGNAGE
1. Un troisième et
irrécusable témoignage sera sa vie elle-même, pendant laquelle nous
l'avons vue rechercher uniquement la gloire de Dieu. Non seulement
elle la recherchait, mais elle la poursuivait avec ardeur; jusqu'à
lui sacrifier son honneur, sa vie, et en quelque sorte son âme. On
croit facilement à un tel témoignage, suivant ce que dit le Seigneur
dans l'Évangile de saint Jean : Celui qui cherche la gloire de celui
qui l'a envoyé, celui-là est véridique, et il n'y a pas d'injustice
en lui. (S. Jean, 7, 18.) Âme vraiment heureuse dont la vie trouve
son approbation dans la vérité de l'Évangile ! On peut aussi lui
appliquer ces paroles de la Sagesse : Le juste a la hardiesse d'un
lion. (Prov. 28, 1.) En effet, l'amour de la gloire divine lui fit
soutenir avec tant de constance les droits de la justice et de la
vérité, qu'elle méprisait les peines et les contrariétés pour ne
songer qu'à la gloire de son Seigneur.
2. Elle travaillait
assidûment à recueillir et à écrire tout ce qu'elle croyait pouvoir
être utile aux autres, afin de procurer l'honneur de Dieu et le
salut des âmes, sans jamais attendre les remerciements des hommes.
Elle communiquait ses écrits aux personnes qui devaient en profiter
le plus, et si elle apprenait que des livres de la sainte Écriture
manquaient en certains lieux, elle en procurait aussi largement que
possible, afin de gagner tous les hommes à Jésus-Christ.
3. Prendre sur son
sommeil et son repos, différer ses repas, négliger ce qui regardait
sa commodité personnelle, tout cela était pour elle plutôt une joie
qu'un labeur. Bien plus, il lui arriva souvent d'interrompre sa
douce contemplation lorsqu'il fallait secourir une personne éprouvée
par la tentation, consoler les affligés ou remplir quelque office de
charité. Comme le fer plongé dans le feu devient feu lui-même, ainsi
cette âme embrasée par le divin Autour était devenue toute charité
et n'aspirait qu'au salut des hommes.
4. Bien qu'à notre
connaissance aucune âme sur la terre à cette époque n'ait eu avec le
Dieu de Majesté des entretiens aussi élevés et aussi fréquents, son
humilité cependant n'en devenait que plus profonde. Aussi avait-elle
coutume de dire que les faveurs dont l'excessive bonté de Dieu
enrichissait son indignité lui semblaient des trésors cachés sous le
fumier lorsqu'elle les retenait et en jouissait seule, mais,
aussitôt qu'elle les révélait au prochain, ces faveurs devenaient
des pierres précieuses enchâssées dans l'or pur. Elle croyait en
effet que les autres, en raison de la pureté et sainteté de leur
vie, rendaient plus de gloire à Dieu par une seule pensée,
qu'elle-même par la donation de tout son être, à cause de sa vie
indigne et de ses négligences. C'est la seule raison qui l'engagea à
découvrir parfois les faveurs qu'elle recevait de Dieu : s'en
jugeant si indigne, elle ne pouvait croire qu'elles lui eussent été
données pour elle seule, mais bien plutôt pour le salut du prochain.
CARACTÈRES ET BEAUTÉS D'UN CIEL SPIRITUEL
1. Puisque deux ou
trois témoins suffisent pour confirmer toute assertion, il ne
conviendrait pas de récuser la vérité lorsqu'elle se présente
accréditée par tant de témoignages dignes de foi. L'incrédule doit
plutôt rougir, car, non content de n'avoir mérité rien de semblable
pour lui-même, il néglige encore de s'approprier par les sentiments
de la reconnaissance ce que la divine libéralité a daigné opérer
dans son Élue. Il n'est pas douteux en effet que celle-ci soit une
de ces élues, que dis-je? de ces bienheureuses dont saint Bernard a
écrit dans son Commentaire sur le Cantique des Cantiques :
« J'estime que l'âme du juste n'est pas seulement céleste à cause de
son origine, mais qu'elle peut être appelée à bon droit le ciel même
à cause de sa ressemblance avec le ciel, puisque sa vie et
conversation est clans les cieux. C'est de telles âmes qu'il est
écrit dans la Sagesse : « L'âme du juste est le siège de la sagesse. »
Et encore : « Le ciel est ma demeure. » (Isaïe, 16, 1.) Dès que l'on
conçoit Dieu comme un pur esprit, il convient de lui assigner un
siège tout spirituel, et je suis confirmé dans ce sentiment par
cette parole de la Vérité : « A lui, c'est-à-dire à l'homme saint,
nous viendrons, et nous ferons en lui notre demeure. » (S. Jean, 14,
23.) Le prophète ne devait pas parler d'un autre ciel lorsqu'il a
dit : « Vous habitez dans le sanctuaire, vous qui êtes la louange
d'Israël » (Ps. 21, 4), et l'Apôtre déclare que le Christ habite en
nos cœurs par la foi (Eph., 3, 17 ). C'est de bien loin que je
soupire vers ces bienheureux, desquels il est dit : « J'habiterai en
eux et je marcherai au milieu d'eux » (II Cor., 6, 16). Oh! que
cette âme est grande et vaste et que sont glorieux les mérites de
celle qui renferme en elle-même la divine puissance ! Non seulement
elle la renferme, mais elle a été trouvée digne de la recevoir,
capable de la contenir, et d'offrir même en elle à la divine Majesté
les espaces nécessaires au déploiement de son œuvre. Cette âme a
grandi dans le Seigneur et elle est devenue le temple de Dieu. Elle
a grandi, elle a crû, dis-je, en la Charité, et nous savons que
l'âme est grande en proportion de sa charité. Nous l'appellerons
donc un ciel où le soleil figure l'intelligence, où la lune
représente la foi, et les étoiles les diverses vertus. Ou bien
encore en cette âme, le soleil sera la justice ou la ferveur d'un
brûlant amour, et la lune la sainte continence. Quoi d'étonnant que
le Seigneur se plaise à l'habiter? Pour créer ce ciel, il ne s'est
pas contenté d’une simple parole, mais il a combattu pour
l'acquérir, et il est mort pour le racheter. Aussi après un tel
labeur, arrivé au comble de ses vœux, il dit : « Ce sera pour jamais
le lieu de mon repos ; j'y établirai ma demeure etc. » (Ps. 131,
14.) Ceci est de saint Bernard.
2. Pour montrer dans la
faible mesure de mes forces que celle-ci est du nombre de ces
bienheureux desquels saint Bernard a dit que Dieu les a choisis pour
sa demeure préférablement au ciel matériel, j'exposerai ici ce
qu'une amitié toute spirituelle m'a permis de découvrir en cette
âme, durant le cours d'un assez grand nombre d'années.
3. Saint Bernard dit
que « le ciel spirituel, qui est l'âme bienheureuse, vraie demeure
du Seigneur, doit avoir pour parure le soleil, la lune et les
étoiles, c'est-à-dire l'ensemble des vertus » (Sermon 27, 8) ; or je
montrerai brièvement, et comme je le pourrai, le rayonnement de
perfection qui brillait autour de cet âme. On ne doutera plus que le
Seigneur l'ait réellement habitée, lorsque ces éclatantes lumières
auront été manifestées au dehors.
DE SON
INFLEXIBLE JUSTICE
1. La justice,
c'est-à-dire le zèle d'une ardente charité, que le bienheureux
Bernard dans le passage précédent appelle le soleil de l'âme,
brillait en elle avec tant d'éclat que s'il eût fallu pour sa
défense affronter des bataillons armés, elle s'y serait exposée
volontiers. Il n'y avait pas d'ami, si cher lui soit-i1, qu'elle ait
consenti à défendre par un mot de sa bouche, même contre son propre
ennemi, s'il eût fallu pour cela s'écarter tant soit peu du sentier
de la justice. Bien plus, elle eût préféré, si l'équité l'avait
exigé, voir condamner sa propre mère plutôt que de commettre la
moindre injustice contre un ennemi, lors même que celui-ci lui
aurait été à charge.
2. Si l'occasion se
présentait de donner quelque avis pour l'édification du prochain,
elle mettait de côté toute modestie (vertu qui brillait cependant en
elle par-dessus toutes les autres), déposait tout respect humain,
et, pleine de confiance en celui qui l'avait armée de sa foi et à
qui elle aurait désiré soumettre l'univers, elle puisait dans son
cœur des paroles remplies d'un si grand amour et d'une sagesse si
profonde que les esprits les plus durs et les plus pervers, pour peu
qu'ils eussent une étincelle de piété, se sentaient attendris en
l'écoutant, et concevaient au moins la volonté ou le désir de
s'amender. Si elle voyait une âme touchée de componction par ses
avis, elle l'entourait d'une si affectueuse compassion et d'une si
tendre charité que son cœur semblait se fondre, tant elle souhaitait
lui donner de consolation. Et cette consolation, elle la lui
procurait, non moins par ses paroles que par ses désirs et ses
ferventes prières. Elle eut un soin constant, dans ses rapports avec
le prochain, de ne s'attacher le cœur d’aucune créature pour éviter
toute occasion qui l'aurait, si peu que ce soit, éloignée de Dieu.
3. Elle rejetait comme
un poison toute amitié humaine qui n'aurait pas eu, autant qu'elle
en pouvait juger, son fondement en Dieu, et son cœur souffrait
vivement lorsque, même par une seule parole, on lui avait témoigné
une affection trop naturelle. Dans ce cas, elle refusait les
services les plus utiles que ces personnes auraient pu lui rendre,
préférant manquer d'un secours plutôt que de consentir à occuper, au
détriment de Dieu, le cœur d'une créature.
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