CHAPITRE III

SECOND TEMOIGNAGE

1. Un second témoignage très véridique est la conformité du jugement que portèrent plusieurs personnes remplies de prudence. Elles affirmèrent unanimement que tout ce que la révélation divine leur avait appris de celle-ci, soit qu'elles demandassent à Dieu la correction de ses défauts ou son avancement, était toujours que le Seigneur avait élu spécialement cette âme, et l'avait ornée de grâces vraiment extraordinaires. Comme elle était appuyée sur le solide fondement de l'humilité et se trouvait grandement indigne des dons du Seigneur, on la voyait parfois consulter d'autres personnes qu'elle estimait bien plus favorisées, afin de connaître si tout ce qui se passait dans son âme était réellement l’œuvre de Dieu. Après examen, ces personnes affirmèrent que le Seigneur se plaisait à l'exalter, non seulement par les grâces dont elle leur avait parlé, mais par des faveurs plus sublimes encore.

2. Une personne ayant une grande expérience des révélations divines vint de bien loin vers notre monastère[1], attirée par sa bonne renommée. Comme elle n'avait chez nous aucune relation, elle demanda instamment au Seigneur de la mettre en rapport avec une personne qui pourrait aider au progrès de son âme. Le Seigneur répondit : « Celle qui prendra place en ce lieu près de toi est vraiment mon Épouse très fidèle et choisie entre toutes. » Par une merveilleuse rencontre, celle-ci vint s'asseoir auprès d'elle, mais son humilité cacha si bien, durant leur entretien, les dons merveilleux qui ornaient son âme, que la visiteuse, se croyant déçue, se plaignit au Seigneur avec regrets et gémissements. Dieu lui affirma que celle-là était bien la très fidèle Épouse qu'il lui avait annoncée. Cette personne eut ensuite un entretien avec dame M., notre chantre, de bienheureuse mémoire[2], et fut charmée de ses discours tout remplis de la douceur du divin Esprit. Aussi demanda-t-elle au Seigneur pourquoi il exaltait la première par-dessus toutes les autres et semblait ne pas remarquer la seconde. Le Seigneur répondit : « J'opère de grandes choses en celle-ci, mais celles que j'opère et que j'opérerai encore en celle-là sont bien plus grandes. »

3. Pendant qu'une autre personne priait pour celle-ci et remarquait avec admiration la très délicate affection du Seigneur pour sa Bien-aimée, elle dit : « O Dieu qui êtes tout amour, que voyez-vous dans cette âme pour que vous l'exaltiez si fort en vous-même, et que vous incliniez si doucement votre Cœur vers elle? » Le Seigneur répondit : « Un amour tout gratuit m'attire vers elle, et c'est ce même amour qui, par un don spécial, a disposé et conservé maintenant en son âme cinq vertus dans lesquelles je trouve mes délices :

– une vraie pureté par l'influence continue de ma grâce,

– une vraie humilité par l'abondance de mes dons, car plus j'opère de grandes choses en elle, plus elle s'abîme dans les profondeurs de sa bassesse par la connaissance de sa propre fragilité,

– une vraie bonté qui l'excite à désirer le salut de tous les hommes,

– une vraie fidélité par laquelle tous ses biens me sont offerts pour le salut du monde,

– enfin une vraie charité qui la porte à m'aimer avec ferveur de tout soit cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, et le prochain comme elle-même (Luc, 10, 27) à cause de moi.

Le Seigneur, après avoir dit ces paroles, montra à cette personne le splendide joyau qui ornait sa poitrine sacrée. Ce joyau avait trois feuilles, comme un trèfle, et était d'un travail merveilleux. Le Seigneur ajouta : « Je porterai toujours ce joyau en l'honneur de mon Épouse, et par les trois feuilles il apparaîtra clairement à toute la cour céleste :

– par la première, qu'elle est vraiment “proxima mea” (Cant.) : en effet, nul homme vivant n'est plus proche de moi que cette Épouse bien-aimée ;

– par la seconde, qu'il n'y a sur la terre aucune créature vers laquelle je m'incline avec autant de délices.

– Enfin par l'éclat de la troisième, il sera montré que personne au monde ne l'égale en fidélité, car, après avoir profité de mes dons, elle m'en renvoie toujours la louange et la gloire. »

Le Seigneur dit encore : « Tu ne me trouveras demeurant nulle part sur la terre aussi volontiers qu'au Sacrement de l'autel, et par conséquent dans le cœur et l'âme de cette Amante en laquelle j'ai placé, d'une manière admirable, toutes les complaisances de mon Cœur. »

4. Un jour elle s'était recommandée aux prières d'une personne qui, pendant son oraison, reçut du Seigneur cette réponse : « Je suis tout à elle, et je me livre avec délices aux embrassements de son amour. L'amour de ma Divinité l'unit inséparablement à moi, comme l'action du feu unit l'or à l'argent pour en former un métal précieux. » Et l'entretien continuant, cette personne dit encore : « O très aimé Seigneur, que faites-vous avec elle ? » Il répondit: « Son cœur bat continuellement à l'unisson avec les battements de mon amour, ce qui me procure une joie sans égale. Cependant je contiens en moi-même jusqu'à l'heure de sa mort la force des battements de mon cœur : à ce moment elle éprouvera par leurs moyens trois effets puissants: le premier sera la gloire à laquelle Dieu le Père la conviera,  le second la joie que j'aurai à la recevoir, et le troisième, l'amour dans  lequel l'Esprit-Saint nous unira[3]

5. La même personne, priant encore une autre fois pour celle-ci, reçut cette réponse : « Elle est pour moi une colombe sans fiel, parce qu'elle chasse de son âme tout péché. Elle est ce lis que je me plais à porter en main, parce que mon bonheur suprême consiste à prendre mes délices dans une âme chaste et pure. Elle est une rose parfumée par sa patience et son assiduité à me rendre grâces dans les adversités. Elle est la fleur printanière sur laquelle mon regard se repose avec complaisance, parce que je vois dans son âme le zèle et l'ardeur nécessaires pour acquérir les vertus et arriver à une complète perfection. Elle est un son mélodieux qui résonne doucement dans mon diadème, car en ce diadème toutes les souffrances qu'elle endure se trouvent suspendues comme autant de clochettes d'or qui réjouissent les habitants du Ciel. »

6. Elle faisait un jour devant le convent la lecture prescrite avant le jeûne, et arrivée à ces paroles : qu'il faut aimer le Seigneur de tout sort cœur, de toute son âme et de toutes ses forces (Luc, 10, 27), elle articula avec une telle insistance, qu'une des Sœurs en fut profondément émue et dit au Seigneur : « Ah! mon Dieu! que cette âme doit vous aimer, elle qui nous parle de l'amour d'une manière si expressive ! » Le Seigneur répondit : « Dès son enfance je l'ai portée et élevée dans mes bras, la conservant immaculée jusqu'à l'heure où, de sa libre volonté, elle s'est unie à moi ; alors je me suis donné tout entier à elle avec ma vertu divine, me livrant à mon tour à ses embrassements. L'ardeur de son amour liquéfie en quelque sorte l'intime de mon être, et comme la graisse se fond sous l'action du feu, de même la douceur de mon divin Cœur fondue par le feu de son amour, tombe goutte à goutte et perpétuellement dans son âme. » Le Seigneur ajouta : « Mon âme se complait tellement en elle que souvent, lorsque les hommes m'offensent, je viens chercher dans son cœur un doux repos, en permettant qu'elle endure quelque souffrance de corps ou d'esprit. Elle les reçoit avec tant de gratitude et les supporte avec tant de patience et d'humilité en s'unissant aux douleurs de ma passion, qu'aussitôt apaisé par son amour, je pardonne à d'innombrables pécheurs. »

7. Comme une personne priait Dieu pour la conversion des défauts de celle-ci, ainsi qu'elle le lui avait demandé, elle reçut cette réponse : « Ce que mon Élue prend pour des défauts, sont plutôt des occasions de grand progrès pour son âme, car, par suite de la fragilité humaine, elle pourrait à peine se garantir du souffle pernicieux de la vaine gloire, si ma grâce, qui opère en elle avec tant d'abondance, n'était dérobée sous ces apparences défectueuses. De même qu'un champ couvert d'engrais n'en devient que plus fertile, ainsi elle retirera, de la connaissance de ses misères, des fruits de grâce beaucoup plus savoureux.» Et le Seigneur ajouta: « Pour chacun de ses défauts, je l'ai enrichie d’un don qui les rachète pleinement à mes yeux. Mais avec le temps je les changerai complètement en vertus, et son âme brillera alors comme une lumière éclatante. » Ces traits suffisent pour établir le second témoignage ; nous en ajouterons d'autres dans la suite.


[1] Peut-être la Sœur Mechtilde qui vint quelquefois de Magdebourg au monastère d'Helfta. Il ne faut pas la confondre avec sainte Mechtilde. (Note de l'édition latine.)
[2] Sainte Mechtilde, dont les révélations furent écrites par sainte Gertrude dans le Livre de la grâce spéciale. (Note de l'édition latine.)
[3] Voir le Héraut de l'Amour divin, Livre Ill, chap. LI, LII et Livre IV, chap. iv, et au livre de la Grâce spéciale, Livre I, chap. V, et Livre V, chap. XXXII.

     

pour toute suggestion ou demande d'informations