CHAPITRE II

TÉMOIGNAGES DE LA GRACE

1. Que tout ce que le ciel enferme dans son enceinte, la terre en ses confins et l'abîme dans ses profondeurs, rende grâces au Seigneur Dieu qui répand sur nous les vrais biens ! Que tous lui chantent cette louange éternelle, immense et immuable qui procède de l'amour incréé, et ne trouve sa plénitude qu'en cet amour même ! Qu'il soit glorifié pour avoir conduit les flots de sa tendresse dans cette vallée de la fragilité humaine, et pour avoir daigné jeter ses regards sur cette âme qui l'attirait entre toutes par les faveurs dont lui-même l'avait comblée ! Puisqu'il est dit dans l'Écriture que deux ou trois témoins suffisent pour établir solidement toute assertion (II Cor., 13, 1), et que nous avons plusieurs témoins, il n'est pas douteux que le Seigneur ait choisi tout spécialement cette âme, afin de manifester par elle les secrets de son amour.

2. Le premier et principal témoin est Dieu lui-même, qui se plut souvent à réaliser les choses que celle-ci avait prédites, à dévoiler ce qu'elle avait appris dans le secret, à manifester l'effet de ses prières, à délivrer de la tentation ceux qui, avec un cœur contrit et humilié, avaient prié Dieu par son entremise. Parmi beaucoup de faits, nous en citerons quelques-uns :

3. Au temps où mourut Rodolphe, roi des Romains[1], comme elle priait avec le convent pour l'élection de son successeur ; le jour et, à ce qu'on croit, à l'heure même où cette élection avait lieu dans une autre contrée, celle-ci en apprit le résultat à la Mère du monastère. Elle ajouta que ce roi, nouvellement élu, périrait de la main de son successeur, et l'événement vint dans la suite confirmer cette prédiction.

4. Une autre fois, un homme mal intentionné [2] menaçait notre abbaye. Le péril était imminent et semblait inévitable, lorsque celle-ci, après avoir prié Dieu, annonça à la Mère du monastère que tout danger avait disparu. En effet, le procureur de la cour venait dire que cet homme avait été condamné par sentence des juges, comme celle-ci l'avait appris secrètement par révélation divine. C'est pourquoi l'abbesse et les personnes qui eurent connaissance de ce fait rendirent grâces à Dieu avec de grands sentiments de joie.

5. Une personne troublée depuis longtemps par la tentation fut avertie pendant son sommeil de se recommander aux prières de celle-ci. Après avoir suivi dévotement ce conseil, elle eut la joie de se sentir délivrée.

6. J'ai encore trouvé un fait digne d'être rapporté : une personne devait communier, lorsqu'elle fut assaillie pendant la Messe de pensées mauvaises, à la suite d'une funeste occasion qui s'était présentée peu de jours auparavant. La tentation devint si forte, qu'il lui semblait être près de succomber, et elle s'en affligeait outre mesure, jugeant ne pouvoir s'approcher de la Communion avec l'esprit ainsi occupé. Elle fut alors poussée, comme on peut le croire, par une inspiration divine, et saisit à la dérobée un misérable lambeau d'étoffe que celle-ci avait arraché de sa chaussure usée. Après l'avoir posé sur son cœur avec confiance, elle demanda au Seigneur que, par cet amour avec lequel il avait purifié le cœur de sa bien-aimée de toute affection humaine, pour le remplir de dons célestes et en faire le temple où seul il voulait habiter, il daignât aussi, en vue des mérites de celle-ci, la délivrer miséricordieusement de cette tentation. Chose admirable et digne d'être crue avec respect : à peine eut-elle posé le lambeau d'étoffe sur son cœur, que toute tentation charnelle et humaine disparut, et jamais dans la suite elle n'éprouva plus rien de semblable.

7. Que personne ne juge difficile d'ajouter foi à cette merveille, puisque le Seigneur dit lui-même dans l'Évangile : « Qui credit in me, opera quae ego facio, et ipse faciet, et majora horum faciet : Celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes ». (Jean, 14, 12.) Car l'Homme-Dieu, qui daigna guérir l'hémorroïsse par l'attouchement de la frange de son vêtement, a pu également, dans sa bonté, et par les mérites de cette Élue, délivrer du péril de la tentation une âme pour l'amour de laquelle il a voulu mourir.

Ces faits suffiront pour établir le premier témoignage, bien qu'il nous soit facile d'en ajouter encore d'in-nombrables.


[1] Rodolphe mourut le 15 juillet 1291. Son successeur, Adolphe de Nassau, fut élu à Francfort le 5 ou 7 mai 1292. Mais il fut tué le 2 juillet 1298 dans le combat de Goelheim près de Worms de la main de son compétiteur à l'empire Albert d'Autriche, ainsi que Gertrude l'avait prédit au jour de l'élection. L'abbesse du monastère à qui Gertrude révéla ce fait était Sophie de Mansfeld, qui avait reçu le gouvernement d'Helfta l'année précédente après la mort de l'abbesse Gertrude, dont il est parlé au chapitre I du cinquième livre de cet ouvrage. (Note de l'édition latine.)
[2] Voir Livre III, ch. XLVIII.

     

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