Chapitre 1
La situation en France et en
Europe
aux XVIe et XVIIe
siècles
1-1-Situation économique et
politique
Pour comprendre, au moins un peu, l’histoire de
l’Abbaye de Port-Royal au XVIIe siècle, il est indispensable
de
la situer dans le contexte de son époque. On ne dénombre plus les guerres qui
ont ravagé l’Europe pendant près de deux siècles: guerres européennes, comme la
Guerre de Trente ans, se manifestant, en dehors des combats par des exactions de
toutes sortes, ou les guerres civiles, comme les guerres de religion, ou la
Fronde en France. Malgré l'Édit de Nantes, la paix civile était loin d'être
acquise à la mort d'Henri IV, en 1610.
Les conséquences se faisaient durement sentir à
tous les niveaux de la société, et même dans l’Église: corruption, indifférence,
cynisme, notamment des milieux ecclésiastiques, et par dessus tout, misère
effroyable d’un peuple souffrant et désemparé, touché par les épidémies dont des
épidémies de peste, la famine, les ravages et les destructions sans nombre dues
aux guerres et à la soldatesque.
Il en résulta une étonnante montée du paganisme,
et, pour couronner le tout, l’emprise spectaculaire de la sorcellerie et de la
magie noire, emprise qui n’épargnait aucun milieu, et sévissait même au sein des
monastères. C’est dans ce contexte terrible, que les trois ordres politiques qui
se révéleront pendant la Révolution française: noblesse, clergé et tiers-état
commençaient leur gestation. L’apostasie de la France était en germe.
1-2-Situation religieuse
Sur le plan religieux, le Concordat de Bologne
(1516), qui subordonnait l’Église de France au roi de France rendit les
relations avec Rome très difficiles: être évêque, c’était être soumis au roi de
la terre et non plus au Roi du Ciel, avec, en prime, des biens matériels, et des
bénéfices, souvent non négligeables. Peu à peu les libertés de l’Église
gallicanes gagnaient du terrain : le roi était le chef de l’Église de France, et
le pape n’avait plus de pouvoir disciplinaire sur elle. Mais il y avait pire :
c’est le Parlement qui était chargé de contrôler toutes les activités
religieuses, y compris dans les monastères.
Le troupeau, délaissé, n’était plus évangélisé...
C’est dans ce contexte que de nombreuses personnes pieuses ou consacrées,
s’élevèrent contre ces pasteurs et leurs pratiques indignes.
1-3-Situation morale
Le XVIIe est resté inscrit dans toutes les
mémoires surtout à cause du Roi Soleil, lequel ne serait peut-être pas resté le
Roi Soleil s’il n’y avait pas eu les grands écrivains qui ont fait la renommée
de la France du Grand siècle de Louis XIV: Corneille, Boileau, Racine, La
Fontaine, La Rochefoucault, Molière, etc.
En réalité, la grandeur des apparences cachait,
hélas! de très graves et nombreuses faiblesses morales: les débauches étaient
grandes, les mœurs en pleine déliquescence, le libertinage était fréquent. Quant
aux duels, ils pullulaient, car la vanité qui s’étalait partout s’obstinait à
vouloir laver dans le sang, des déshonneurs qui ne l’étaient pas vraiment.
La déchéance des mœurs n’était pas le seul fait de
ceux que l’on a coutume d’appeler: les grands de la terre. Le clergé et les
évêques étaient sérieusement imprégnés de cette atmosphère nauséabonde. On
[1] a
écrit au sujet d’une paroisse normande:
“Ceux qui... étaient obligés de travailler au salut des âmes de cette paroisse,
faisaient profession de la perdre, ou étaient en réputation de la plus haute
malice et impiété qui puisse être. À raison de quoi, l’ignorance des choses du
salut et les plus horribles vices y régnaient au dernier point.”
Le peuple était donc, spirituellement et
matériellement, le plus souvent abandonné à lui-même. La France était déjà pays
de mission...
1-4-Quelques mots sur la
sorcellerie
La sorcellerie est l’application de la magie
considérée comme la science des lois de la nature. La magie doit capter et
mettre en œuvre les énergies présentes dans chaque homme et dans la nature. Si
la magie blanche peut nous paraître (mais paraître seulement) inoffensive, la
magie noire est le domaine des sorciers, toujours motivés par une véritable
volonté de puissance. La sorcellerie est dangereuse, car elle met en œuvre des
forces cachées, inférieures, domaine des suppôts de Satan.
La sorcellerie, à cette époque issue de la
Renaissance, sévissait partout en Europe. L’Italie, l’Allemagne, et même la
France étaient particulièrement touchées, et en 1586, le pape Sixte-Quint fut
contraint de promulguer la bulle “Cœli et terra creator Deus” qui
interdisait toutes les pratiques occultes: divination, astrologie, nécrologie,
sorcellerie... Curieusement l’engouement pour ces pratiques, qui vont de pair
avec le relâchement des mœurs, étaient en grande estime dans les milieux
cultivés et même dans les couvents... Quant aux peuples, ils cherchaient, par
ces moyens, à échapper à leurs misères et à leurs détresses.
1-5-L’espoir va-t-il renaître?
C’est pourtant du sein de cette lie morale, que
vont jaillir des hommes et des femmes, remplis d’humilité et d’amour pour leur
Seigneur; ils seront chargés de transformer les intelligences et les cœurs
appesantis par l’esprit du monde. Le XVIIe siècle fut ainsi le Siècle des
saints, malgré la méfiance qui se manifestait déjà contre les mystiques. Ce fut
le siècle de Bossuet, un des plus grands orateurs connus; mais c’est aussi le
siècle de Bérulle et de Charles de Condren, de Marguerite du Saint-Sacrement, de
Vincent de Paul, de Jean-Jacques Olier, de Jean Eudes, et de tant d’autres. Ce
fut aussi le siècle de vrais dévots et saints laïcs, tels Gaston de Renty ou Mr
de Bernières.
Ce fut aussi le siècle des révélations du
Sacré-Cœur de Jésus.
À cette époque, l’on voit naître également de
nouvelles spiritualités chrétiennes. Bérulle sera un fervent adepte du culte de
l’Enfant-Jésus, culte inspiré par Jésus à la petite carmélite, Marguerite du
Saint-Sacrement. Jean Eudes établira le culte du Cœur Admirable de la Vierge
Marie, puis du Cœur de Jésus et de Marie. Louis-Marie Grignion de Montfort (mort
en 1716) annoncera, dans son Traité de la vraie dévotion à la Vierge Marie,
le Règne de la Très Sainte Vierge Marie et les Apôtres des derniers temps,
contemporains des grandes tribulations?
Face à l’immoralité ambiante, les consciences sont
en alerte, et l’on commence à se soucier de l’éducation de la jeunesse. C’est à
cette époque que Louis XIV crée l’École publique et gratuite (ou peu coûteuse)
[2] ,
avec le soutien de nombreux bienfaiteurs et l’appui du clergé. Poursuivant dans
cette voie, de nouvelles congrégations religieuses se créent: Ursulines,
Oratoriens, Lazaristes, Sulpiciens, Eudistes, etc. Les Jésuites et les
Oratoriens
[3]
ouvrent de nombreux collèges.
Mais il y a plus. Sous l’influence des décisions
du Concile de Trente, achevé en 1563, -décisions malheureusement peu
appliquées-, et grâce aux efforts de Saint Vincent de Paul, et d’Alain de
Solminihac, le saint évêque de Cahors, puis de Jean-Jacques Olier et de saint
Jean Eudes, des séminaires vont commencer à se développer dans les diocèses, et
cela malgré de nombreuses réticences venues du clergé lui-même.
1-6-Le XVIIe siècle, ère des
grandes prédictions?
Les promesses de la Renaissance, née à la fin du
XVe siècle et continuée durant la première moitié du XVIe siècle environ,
avaient bien déçu. On a vu ci-dessus que l’inquiétude, matérielle ou
métaphysique, régnait partout. Les guerres continuelles, les famines, les
épidémies de peste, etc., avaient créé un climat rempli d’angoisses. Et, comme
pendant toutes les périodes troublées, à côté de la sorcellerie et du satanisme,
les prédictions plus ou moins farfelues allaient bon train. Ainsi, par exemple,
le retour du Christ était annoncé pour... 1584; les prophéties de Paracelse, en
1530, ou de Nostradamus, exerçaient une influence non négligeable sur les hommes
de cette époque. Comme ce XVIIe siècle ressemble au nôtre!...
Enfin, les phénomènes astronomiques étaient aussi
étudiés avec passion et interprétés comme des signes de Dieu: par exemple
l’apparition d’une étoile nouvelle dans la constellation de Cassiopée, ou de la
comète observée par Tycho Brahé...
C’est dans ce contexte redoutable que l’on va voir
se développer, parallèlement aux spiritualités missionnaires de l’École
Française et aux grands mouvements de conversion suscités par les grands saints
de l’époque, une nouvelle spiritualité se prétendant fondée sur la pensée de
Saint Augustin: le jansénisme.
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