Chapitre 2

Qu’est-ce que le jansénisme ?

Pour comprendre, au moins un peu, tout ce qui se cache derrière ce mot trop connu dont cependant la plupart des gens ignorent le contenu, il faut remonter à Saint Augustin et à ses relations houleuses avec Pélage.

2-1-Quelques rappels

2-1-1-Les premiers débats théologiques

Pour comprendre le jansénisme et les querelles qu’il engendra, il faut remonter aux débats théologiques qui avaient secoué l'Église dès ses débuts. Ainsi, au IVe siècle, Saint Augustin et Pélage s'étaient affrontés sur le délicat problème des rapports entre la grâce de Dieu et la liberté de l'homme. Face à Pélage qui magnifiait la liberté humaine, Augustin insistait sur la grâce divine sans laquelle l'homme, indigne, ne pouvait rien faire de bien. Mais, insistait saint Augustin, en donnant cette grâce efficace, Dieu n'annihile pas la liberté de l'homme.

2-1-2-Naissance du jansénisme, à l’université de Louvain

Le jansénisme, hérésie née en Europe, au XVIe siècle,  trouva son origine dans la tradition augustinienne, chère aux théologiens de l’université de Louvain. Parallèlement, le jésuite espagnol Molina mettait l'accent sur la nécessité de compléter la grâce par le mérite individuel.

Les dominicains espagnols s'opposèrent à cette extension du libre arbitre au domaine de la grâce.

De son côté Baïus, de l'université de Louvain, insistait sur l'efficacité de la grâce procurée par le seul mérite de Jésus-Christ. Malgré les condamnations de Baïus par le pape en 1567 et en 1579, l'université de Louvain demeura un centre important du renouveau augustinien et de la lutte contre le molinisme.

2-1-3-Le jansénisme en Europe

Pendant ce temps, en France, avant l’avènement de Louis XIV, de très nombreux théologiens, des mystiques et des saints de haute valeur: Saint François de Sales, Pierre de Bérulle, Saint Vincent de Paul, etc.,... dans les circonstances difficiles que nous connaissons, avaient redonné au catholicisme français du XVIIe siècle un relief exceptionnel. L’espoir pouvait renaître...

Pourtant, parallèlement au développement de ce que l’on a appelé l’École Française, et souvent à l’insu de quelques-uns de ses plus éminents représentants, tel Bérulle, qui fut l’ami intime de l’abbé de Saint Cyran dont nous parlerons plus tard, un autre courant religieux et doctrinal, se développait : le jansénisme, du nom de son principal initiateur, l’évêque d'Ypres : Cornelius Jansen (mort en 1638).

Le jansénisme grâce à de nombreux partisans célèbres, réussit à conquérir, aux XVIIe et XVIIIe siècles de vastes régions d’Europe: en France, en Belgique, en Hollande, en Allemagne, et même en Italie.

Pour être clair et précis, disons que le jansénisme, c’est, grossièrement, une doctrine erronée sur la grâce, conduisant à une rigueur morale extrême.

On peut donc affirmer, sans faire d’erreur, que le jansénisme, au départ, ne fut qu’une simple querelle de théologiens. Rien ne se serait peut-être passé si ces théologiens s’étaient simplement et humblement soumis aux décisions de Rome.

2-2-Précisions sur un vieux débat: la grâce et le libre arbitre

La doctrine chrétienne est très claire: l’homme, déchu depuis le péché originel, ne peut être sauvé que par le don gratuit de la grâce, don accordé par Dieu en raison des mérites que Jésus-Christ nous a acquis par sa venue sur terre et son sacrifice sur la Croix. Cependant, l’homme créé libre, dispose de son libre-arbitre, c’est-à-dire de la possibilité pour lui, même s’il ne connaît pas encore le vrai Dieu, d’accéder à une vie morale et spirituelle authentique par sa propre volonté. Pourtant, il a semblé à certains théologiens que cette liberté risquait d’entrer en conflit avec les choix de  Dieu concernant d’une part la vocation des hommes, et d’autre part, l’appel plus personnel et particulier que Dieu réserve à certains de ceux qu’Il se choisit.

Depuis Saint Augustin (IVe siècle), l’Église tente ainsi de concilier deux notions apparemment contradictoires:

— d’une part, Dieu accorde à tous les hommes une grâce gratuite et efficace que chaque homme peut cependant refuser.

— mais, d’autre part, dans les faits, cette grâce est tellement efficace que l’homme ne peut pour ainsi dire pas la refuser.

Saint Thomas d’Aquin, au XIIIe siècle nuancera cette dernière position en introduisant la notion de grâce suffisante qui est également efficace.

Au cours des siècles, l’Église sera amenée à condamner ces deux tendances très différentes, en fonction de l’importance trop grande  donnée, soit au libre arbitre de l’homme, soit à la nécessité absolue de la grâce divine.

2-2-1-La grâce de Dieu

Essayons d’y voir plus clair:

Au Ve siècle, Saint Augustin et Pélage s'affrontent déjà sur le délicat problème des rapports entre la grâce de Dieu et la liberté humaine. Face à Pélage qui magnifie la liberté humaine, Augustin insiste sur la grâce divine sans laquelle l'homme, indigne, ne peut rien faire de bien. Mais, ajoute cependant Saint Augustin, en donnant cette grâce efficace, Dieu n'annihile pas la liberté de l'homme.

2-2-2-Le libre arbitre de l’homme

Selon le moine Pélage, l’homme possède en lui la force de vouloir le bien et de pratiquer la vertu; et cela diminue la valeur de la grâce, voire sa nécessité.

Saint Augustin, au contraire, pense que seul Dieu décide d’accorder la grâce ou de la refuser, sans se soucier des œuvres des hommes, bonnes ou mauvaises. Saint Augustin estimait, en effet, que la faute originelle réduisait le libre arbitre des fils d’Adam. On touche ici au thème, si souvent objet de querelles, de la prédestination.

Nota: On entend habituellement sous ce terme: prédestination de l’homme, le fait que les choix de Dieu sont incompréhensibles pour la raison humaine car Il n’accorderait sa grâce qu’à un petit nombre d’élus. En conséquence, la grâce efficace ne serait pas donnée à tous les justes, Jésus n’étant pas venu sauver tous les hommes. Ce fut la position de Calvin au XVIe siècle, puis celle des jansénistes au XVIIe siècle.

2-3-Réforme protestante et Concile de Trente

Au début du XVIe siècle, la Réforme protestante relança le débat. Luther, puis Calvin se réclamèrent de Saint Augustin. Mais Luther considérait que seule la foi rendait l’homme réceptif à la grâce de Dieu, tandis que Calvin estimait que la grâce relevait du seul bon plaisir de Dieu.

Le Concile de Trente, par contre, réaffirma en 1547, la réalité du libre arbitre, rejoignant en cela l’opinion des jésuites qui, en 1540, craignaient qu’une vision trop pessimiste de l’homme ne favorisât les protestants, en minimisant le rôle de l’Église.

On espérait trouver une solution dans les œuvres de Thomas d’Aquin, décédé en 1274, et proclamé Docteur de l’Église en 1567. Cependant on se garda bien d’entrer dans les détails, car, le Concile de Trente, voulant restaurer l'unité du monde catholique, évitait les sujets qui risquaient de diviser, et la question de la grâce était de celle-là: Dieu donnait-il sa grâce gratuitement, ou l'homme participait-il à son salut?

Les “traditionnalistes”, attachés à l'augustinisme, tenaient pour la première option, tandis que les jésuites, plus optimistes, croyaient en la collaboration de l'homme à l'action de Dieu sur lui. Le Concile n'ayant pas tranché, des querelles éclatèrent en particulier à Louvain, dans les Pays-Bas espagnols.

2-4-Les travaux de l’université de Louvain

À la même époque, Michel Bay (Baïus), théologien et chancelier de l'université de Louvain, insistait sur la seule efficacité de la grâce procurée uniquement par les mérites de Jésus-Christ. Les thèses de Baïus furent condamnées par le pape Pie V en 1567 et 1579, parce qu’elles niaient la réalité du libre arbitre.

Malgré cela, l'université de Louvain demeura un centre important du renouveau augustinien. Elle se fit même le champion de la lutte contre le molinisme. En effet, Luis Molina, jésuite espagnol, dans une thèse développée en 1588, avait mis l'accent sur la nécessité de compléter la grâce par le mérite individuel. Car, pour lui, la grâce suffisante, offerte à tous, donnait aux hommes tout ce qui leur était nécessaire pour accomplir le bien; mais c’est chaque homme qui la rendait ensuite efficace par son choix personnel.

Les dominicains espagnols s'opposèrent à cette extension du libre arbitre au domaine de la grâce... Molina échappa de justesse à la condamnation, mais les controverses se succédèrent, souvent conflictuelles, si bien qu’en 1611, le Saint office interdit toute publication sur le sujet de la grâce.

2-5-L’arrivée de Cornelius Jansen

Cornelius Jansen, professeur à l’université de Louvain, puis évêque d’Ypres en 1636, prolongea les discussions, et entama, vers 1628, la rédaction d’un énorme ouvrage destiné à développer la pensée de Saint Augustin. Ce livre, l’Augustinus (1300 pages), ne sera publié qu’après sa mort en 1640, mais il ranima la querelle. En effet, selon Jansen, l’homme est définitivement corrompu par la faute originelle. Irrémédiablement entraîné vers le mal, il ne peut être sauvé que par une grâce gratuite de Dieu.

La controverse était relancée: en 1641, le livre fut condamné par l’Inquisition, et, en 1642, la bulle In eminenti, — qui ne sera publiée à Rome et à Louvain qu’en 1643 — confirmait la condamnation du livre de Jansen. Cette bulle fut rejetée par les théologiens de Louvain.

En résumé:

L'humanisme de la Renaissance exaltant trop les capacités humaines, Jacques Lainez, successeur de Saint Ignace comme Supérieur Général de la Compagnie de Jésus, rédigea des instructions où il laissait entendre la nécessité d'accommoder la théologie aux idées nouvelles. Il importait, selon lui, de sortir d'une vision trop pessimiste de l'humanité qui risquait de fournir des arguments favorables à Luther et à Calvin!

Ces instructions poussèrent les jésuites de Louvain à attaquer un professeur, Baïus, soupçonné de favoriser le calvinisme tant il niait toute possibilité laissée à la liberté de l'homme. D’ailleurs, en 1567, le Pape Pie V condamnait les thèses de Baïus.

Vingt ans plus tard, un jésuite, le Père Molina, relançait la polémique en plaidant pour une grâce divine suffisante qui, cependant, ne pouvait agir que par la seule décision du libre arbitre de l'homme. De vives oppositions éclatèrent alors entre les partisans de la grâce efficace et ceux de la grâce suffisante. Mais, en 1611, la décision du Saint office d’interdire toute publication sur ce sujet, permettait d’espérer la paix. 

Malheureusement, dans son “Augustinus” publié en 1640, après sa mort, l’évêque d’Ypres, Jansen, durcissait la position de Saint Augustin et se rapprochait par là de Calvin, d’où l’accusation d’hérésie lancée par les jésuites. La querelle allait durer jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, et même au-delà.

2-6-Et en France

2-6-1-Bérulle et Saint-Cyran

Peu à peu l’augustinisme, qui, comme on l’a vu plus haut, deviendra plus tard le jansénisme, pénétrait dans une France ravagée par les guerres. La grande préoccupation de Bérulle, qui avait implanté l’Oratoire, en France, en 1611, c’était, avant tout, d’amener les âmes à Dieu, dans une attitude, certes d’humble dépendance envers Lui, mais également pleine d’amour confiant.

Pourtant quelques oratoriens soutenaient les thèses augustiniennes. En effet, vers 1620, Bérulle avait rencontré un bayonnais, ami de Jansen, Jean Duvergier de Hauranne, qui avait fait ses études de théologie à Louvain, et était devenu abbé de Saint Cyran. Comme Pierre de Bérulle, Saint-Cyran voulait travailler au renouvellement sincère de la vie des pécheurs et à leur conversion; résolument, il s’engagea aux côtés de Pierre de Bérulle.

Mais les choses se gâtèrent: on sait que Bérulle avait été, vers la fin de sa vie, en désaccord avec la politique de Richelieu. Après la mort de Bérulle, en 1629, Saint-Cyran, voulant s’imposer comme son successeur, attaqua le gouvernement de Richelieu, ce qui lui valut d’être arrêté en 1638 et interné à Vincennes. Motif invoqué: différence de vue avec Richelieu. Et c’est en prison, vers 1642, que Saint Cyran eut connaisance  de L’Augustinus.

Mais entre temps, vers 1620, Saint Cyran avait connu la famille Arnauld et était entré en contact avec l’abbaye cistercienne de Port Royal de Paris dont il devint le directeur spirituel en 1634.  Saint Cyran prêchait aussi régulièrement au couvent de Port-Royal, avec un grand succès. Bientôt, en plus des premiers “Solitaires”, l’abbé de Saint-Cyran s’occupa aussi du plus jeune des enfants Arnauld, Antoine, lequel devint un avocat renommé, puis prêtre et docteur de Sorbonne en 1635. C’est ce même, Antoine, dit le Grand Arnauld, qui devint le chef du mouvement lancé par Saint Cyran, après l'arrestation de ce dernier par Richelieu en 1638, et la publication de son Traité sur la Fréquente Communion. (1643)

2-6-2-Port-Royal

Le Jansénisme, courant austère du catholicisme issu du courant théologique augustinien de l’université de Louvain, s’introduisait en France par l’intermédiaure de l’abbé de Saint-Cyran, confesseur des religieuses de l’abbaye de Port-Royal. Or, autour de ce couvent, des laïcs fervents avaient pris l’habitude de venir faire retraite: on les appelait les "Messieurs" (ou encore les "Solitaires") de Port-Royal.

Sous l’influence du grand Arnauld, l’abbaye devint peu à peu le centre de diffusion des idées jansénistes, et une véritable structure se mit bientôt en place auprès du monastère. Ce groupe créa les "Petites écoles", qui dispensèrent un enseignement de haute qualité (Racine y fut élève).

Se fondant sur Jansen, les jansénistes français, qui niaient en partie le libre-arbitre, — la grâce venant de Dieu seul —, et croyaient en la prédestination, instituèrent un mode de vie très austère, voire rigoriste. On devait "renoncer totalement au monde", seule attitude permettant d’éviter le péché omniprésent.

2-6-3-La querelle de l’Augustinus (1641-1653)

L’ouvrage de Jansen avait été accueilli avec bienveillance par les Oratoriens, les Dominicains, et même par de nombreux docteurs de Sorbonne. Seuls les jésuites y étaient hostiles, soutenus en cela par Richelieu. Curieusement, la bulle In eminenti de 1642 ne fut pas acceptée en France, et Antoine Arnauld composa une première Apologie pour Jansenius en 1644, une autre en 1645, puis une Apologie pour Mr de Saint Cyran. Dans ses ouvrages, Antoine Arnauld associait toujours, dans le jansénisme, les deux aspects retenus de Saint Augustin: la valeur et l’efficacité de la grâce, et la prédestination.

2-6-4-La querelle devient politique

Jusqu’alors la polémique n’avait été que théologique, et le fait de la classe aisée et instruite de la société. Elle allait bientôt prendre l’aspect qu’on lui connaît davantage: un aspect politique. Mazarin, reprenant les idées de Richelieu, s’opposa à ce que l’on appelait alors le parti dévot, curieusement assimilé au parti janséniste, parti qui, après la Fronde (1648-1653), fut considéré comme hostile au pouvoir royal.

Nous verrons plus loin que quelques-unes des religieuses qui, pour des raisons de salubrité, avaient quitté leur couvent de Port-Royal des Champs, pour s’installer à Paris, y étaient revenues. Les Solitaires, dont le frère d’Antoine Arnauld, Robert Arnauld d’Andilly, s’y étaient aussi solidement établis. Les Petites Écoles fonctionnaient. Hélas! en décembre 1646, l’évêque de Vabres, Isaac Habert, publiait une liste de huit propositions extraites de l’Augustinus, propositions qu’il estimait hérétiques. Et la Sorbonne s’en mêla.

Finalement, en 1653, la bulle du pape Innocent X, Cum occasione,  condamna cinq  propositions attribuées à Jansen. Mais en attendant la décision de Rome, les incidents s’étaient multipliés et la décision du pape fut considérée comme la défaite des jansénistes...

Désormais la “guerre” était ouverte. Les calomnies se multiplièrent et, dans les deux camps, les “coups” volèrent bas... parfois même très bas. Pour autant qu’on puisse en juger, l’attitude des jésuites ne fut pas toujours très claire non plus...

C’est vers cette époque que l’on vit apparaître, auprès d’Antoine Arnauld un jeune théologien: Pierre Nicole. Bientôt, Blaise Pascal publiera ses Provinciales.

Il est clair que le débat, théologique à l’origine, était devenu un problème bien français, et qui plus est, politique.

Pour information nous rappelons ici les cinq propositions condamnées en 1653:

1-Quelques commandements de Dieu sont impossibles aux justes malgré leur volonté et leurs efforts, étant données les forces qu’ils ont présentement et aussi parce qu’il leur manque la grâce qui les rendraient possibles.

2-Dans l’état de nature déchue, on ne résiste jamais à la grâce intérieure.

3-Pour mériter et démériter dans l’état de nature déchue, il n’est pas requis que l’homme possède une liberté exempte de nécessité, il suffit que sa liberté soit exempte de contrainte.

4-Les semi-pélagiens admettaient la nécessité d’une grâce intérieure prévenante pour chaque acte en particulier, même pour le commencement de la foi, et ils étaient hérétiques en ce qu’ils voulaient que cette grâce fût telle que la volonté humaine pût lui résister lui résister ou lui obéir.

5-Il est semi-pélagien de dire que Jésus-Christ est mort et a répandu son sang pour tous les hommes sans exception.

2-6-5-Condamnation définitive

Ces thèses sur la toute-puissance de la prédestination divine et l'austérité de la morale prêchée par Port-Royal avaient une si grande influence sur l'ensemble du monde catholique au XVIIe siècle, qu’en 1653, le pape Innocent X s'inquiéta de cette évolution et condamna les cinq propositions de l'Augustinus. Mais les jansénistes nièrent l'existence de ces propositions dans l'Augustinus. Parallèlement, les Provinciales de Pascal, publiées en 1656, dénonçaient l'arbitraire de cette condamnation. Les deux clans: jésuites et jansénistes ne cessaient plus de s’affronter.

Dès lors, Louis XIV, malgré la proclamation, en 1669, de la “Paix de l'Église”, voulu voir dans les jansénistes des ennemis de l'État. Il  alla jusqu’à l’expulsion, en 1709, des religieuses de Port-Royal.

2-6-6-La fin de Port-Royal

Après la mort en exil du Grand Arnauld, la direction du jansénisme passa à Quesnel, qui fut à son tour condamné (par la bulle Unigenitus en 1715) pour ses Réflexions morales (1713). Plusieurs membres du clergé (les Appelants) pensèrent trouver une solution au conflit dans un appel au pape et la convocation d'un concile. Mais le jansénisme se divisa entre un parti politique, qui soutint le parlement de Paris contre le pouvoir royal, et un parti mystique, les convulsionnaires. Ceux-ci affirmèrent la réalité des miracles accomplis au cimetière de Saint-Médard sur la tombe du diacre Pâris (1727). L'abbaye de Port-Royal avait été détruite en 1710, mais les querelles continuèrent, et le jansénisme ne prit vraiment fin, en France, qu'avec la Révolution française.

2-7-La lutte contre le jansénisme. Son influence dans l’Église

2-7-1-Jansénisme contre casuistique

Les partisans du jansénisme s'opposaient à la casuistique jésuite et à sa morale "relâchée" qu'ils accusaient de trahir la rigueur de la loi évangélique. Accusée d'incliner vers l'hérésie protestante, la doctrine janséniste avait été condamnée par Innocent X en 1653, sur la base de cinq propositions à partir desquelles la Faculté de Théologie de Paris avait résumé le jansénisme. Bien qu'il contestât la présence de ces thèses dans l'Augustinus, le mouvement janséniste se soumît à l'autorité romaine tout en affirmant sa volonté de continuer à suivre les principes de Jansénius. Le mouvement janséniste prit alors une nouvelle forme, ajoutant, à sa dimension théologique initiale, une dimension morale d’austérité et de rigueur qui s’opposait fortement à la morale de compromis et de confiance en l'homme prônée par leurs plus farouches adversaires: les jésuites.

En effet, la polémique franco-française s'était envenimée avec la parution en 1643, De la fréquente communion, ouvrage du dernier des frères de la Mère Angélique, abbesse de Port-Royal. L'auteur y accusait les Jésuites de morale relâchée et de laxisme, et estimait que leurs confesseurs autorisaient trop facilement les sacrements. En effet, les jésuites, très organisés et puissants en France voulaient adapter le christianisme à la société moderne. Pour eux, le libre-arbitre était fondamental, et ils considéraient que le Ciel pouvait se gagner par des actes et non uniquement par une contemplation spirituelle intérieure. La "casuistique", la doctrine mise en avant par les jésuites, devait permettre de se délivrer d’une culpabilité douloureuse.

2-7-2-Blaise Pascal appelé à l’aide

La doctrine du jansénisme sur la grâce avait toujours été vigoureusement condamnée -notamment en 1653 et en 1715- à cause de la croyance selon laquelle Jésus n’était mort que pour quelques élus tandis qu'une masse nombreuse était prédestinée à la damnation.

Mais à côté des aspects théologiques, nous avons signalé les aspects politiques: dans la lutte entre les jésuites et les jansénistes, étaient intervenus les théologiens de la Sorbonne, la royauté, le Parlement, les institutions ecclésiastiques et les plus grands intellectuels de la seconde moitié du siècle, avec des périodes intenses et des accalmies. Pascal avait été appelé à la rescousse, par les jansénistes. Grâce à ses Lettres à un Provincial, sur le sujet des disputes à la Sorbonne, (janvier 1656-mars 1657), le débat fut porté à la connaissance du grand public. Et les Jésuites, et leur morale relâchée, furent tournés en dérision.

Cependant, peu à peu, malgré l’ardeur et le succès des écrits de Pascal ou de Nicole, les jansénistes perdirent du terrain. Le couvent de Port-Royal fut détruit et ses religieuses chassées (1709-1710). Mais en 1728, les jansénistes créèrent un journal clandestin, “Les nouvelles ecclésiastiques” qui parut jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

Les jansénistes, en effet, ne s’avouaient pas vaincus. Malgré les condamnations officielles, des petits groupes de port-royalistes actifs subsistaient, confortés par les nombreux miracles qui eurent lieu, d’abord à Port-Royal, puis sur la tombe du diacre Pâris, dans le cimetière de Saint-Médard. Mais les dérives qui s’en suivirent semblent avoir porté un coup fatal à un mouvement spirituel complexe, qui désirait vraiment la conversion des gens, et leur retour à une vie véritablement chrétienne, et qui, pourtant, s’enferra dans une volonté orgueilleuse d’avoir raison envers et contre tous, y compris contre l’Église. Mais cela ne concerne plus la théologie du jansénisme, et sera raconté avec l’histoire de l’abbaye de Port-Royal.

2-7-3-L’influence du jansénisme

Le jansénisme, en France notamment, a eu de profondes répercussions. Aussi importe-t-il d'en mesurer les enjeux.

Apparemment, il semble que la modernité soit du côté des jésuites. La confiance dans l'aptitude de l'homme à prendre en mains son destin, et à conduire lui-même ses affaires, en collaboration avec un Dieu bienveillant qui l'invite à travailler de concert avec sa Providence, est a priori plus séduisante que la rigueur pessimiste augustinienne. À ce propos, on est même en droit de se demander si la rigueur morale excessive prêchée au XIXe siècle ne fut pas une des causes de la profonde crise religieuse et spirituelle qui toucha gravement l’Église de France et d’Europe.

Mais force est de constater aussi, que la croyance en un Dieu tellement débonnaire que la notion de péché disparaît, conduit à un laisser-aller quasi général, qui peut avoir des conséquences très graves, tant au niveau de la foi que sur l’avenir de l’humanité.

Nota: La doctrine janséniste a survécu jusqu’à nos jours, notamment dans l'église janséniste d'Utrecht (Pays-Bas) séparée de Rome.

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