INDEX
XXVI
Le pont
a trois degrés, qui sont trois états de l'âme. – Explication de cette
parole : « Si je suis élevé de terre, j'attirerai tout à moi ».
XXVII
Ce pont
est bâti de pierres qui signifient les véritables vertus. Ceux qui passent
sur le pont vont à la vie, ceux qui passent dessous vont à la mort.
XXVIII
Du
bonheur de l'âme qui passe sur le pont.
XXIX
Ce pont
s'est élevé jusqu'au ciel le jour de l'Ascension, sans quitter cependant la
terre.
XXX
L'âme,
pleine d'admiration pour la miséricorde de Dieu, célèbre les dons et les
grâces qu'en a reçu le genre humain.
XXXI
L'âme,
pleine d'admiration pour la miséricorde de Dieu, célèbre les dons et les
grâces qu'en a reçu le genre humain.
XXXII
Les
fruits de cet arbre sont aussi variés que les péchés ; et d'abord du péché
de la chair.
XXXIII
De
l'avarice et des maux qui en procèdent.
XXXIV
De ceux
qui ont la puissance, et des injustices qu'ils commettent.
XXXV
Les
vices conduisent aux faux jugements.
XXXVI
Les
vices conduisent aux faux jugements.
XXXVII
De la
seconde condamnation, où l'homme est convaincu d'injustice et de faux
jugements.
XXXVIII
Des
quatre principaux supplices des damnés, auxquels se rapportent tous les
autres.
XXXIX
De la
troisième condamnation, qui aura lieu au jour du jugement.
XL
Les
damnés ne peuvent vouloir ni désirer aucun bien.
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1. Alors le Dieu éternel, afin d'exciter et
d'enflammer de plus en plus cette âme pour le salut des hommes, lui
répondit : Avant de te montrer ce que je veux te montrer et ce que tu me
demandes, je vais te dire comme est fait ce pont. Je t'ai dit qu'il tient du
ciel à la terre par l'union que j'ai faite avec l'homme, qui est formé du
limon de la terre. Ce pont, qui est mon Fils unique, a trois degrés. Deux
furent faits sur le bois de la sainte croix, et le troisième est dans la
grande amertume qu'il ressentit lorsqu'il fut abreuvé de fiel et de
vinaigre. A ces trois degrés correspondent trois états de l'âme que je
t'expliquerai bientôt.
2. Le premier degré c'est ses pieds, qui signifient
I'affection ; les pieds portent le corps, comme l'affection porte l'âme. Ces
pieds percés doivent te servir de degrés pour arriver au côté, qui est le
second degré où te sera révélé le secret du cœur. car, dès que l'âme s'est
élevée à l'affection des pieds, elle commence à goûter l'affection du cœur ;
elle fixe l’œil de l'intelligence dans le cœur entrouvert de mon Fils, où
elle trouve la perfection de l'amour. Son amour est parfait, car ce n'est
pas l'intérêt qui l'inspire. En quoi pouvez-vous lui être utile, puisqu'il
est une même chose avec moi ?
3. Alors l'âme s'emplit d'amour en voyant qu'elle est
tant aimée. Elle monte du second degré au troisième, c'est-à-dire à cette
bouche pleine de douceur où elle trouve la paix, après la grande guerre
qu'avaient causée ses fautes. Le premier degré la détache des affections de
la terre et la dépouille du vice ; le second degré la remplit d'amour pour
la vertu ; le troisième lui fait goûter la paix.
4. Ce pont a trois degrés, afin qu'en montant le
premier et le second vous puissiez arriver au dernier. Il est élevé, pour
que l'eau qui passe ne puisse vous nuire, et qu'il n'y ait en vous aucun
poison du péché. Ce pont touche au ciel, et il n'est pourtant pas séparé de
la terre. Sais-tu quand il a été élevé ? Au moment où mon Fils a été sur le
bois de la très sainte croix, sans que sa nature divine fût séparée de la
bassesse de votre humanité. C'est ainsi que, malgré son élévation, il n'a
pas été séparé de la terre ; car ses deux natures étaient unies et mêlées
ensemble. Personne ne pouvait passer sur ce pont avant qu'il fût élevé en
haut ; et c'est pourquoi mon Fils a dit : “Si je suis élevé de terre,
j'attirerai tout à moi” (Jn, XII, 32).
5. Lorsque ma bonté vit que vous ne pouviez être
attirés d'une autre manière, j'ordonnai qu'il fût élevé sur l'arbre de la
Croix, et que l'humanité fût battue sur cette enclume, pour qu'elle fût
délivrée de la mort et revêtue de la vie de la grâce. Mon Fils a attiré
toute chose en montrant l'amour ineffable qu'il avait pour vous ; car le
cœur de l'homme est toujours attiré par l'amour. Il ne pouvait vous montrer
un plus grand amour qu'en donnant sa vie pour vous. Cet amour doit donc
faire violence à l'homme, si son aveuglement et son ingratitude n'y mettent
pas obstacle. Il a dit que quand il serait élevé de terre il attirerait
toute chose à lui, et c'est la vérité.
6. Ceci doit s'entendre de deux manières.
Premièrement, si l'amour attire le cœur de l'homme, avec lui sont attirées
toutes les puissances de l'âme, la mémoire, l'intelligence et la volonté.
Dès que ces trois puissances sont unies et assemblées en mon nom, toutes les
autres opérations, actuelles et mentales, se fixent et s'unissent en moi par
l'effet de l'amour. L'âme s'élève à la suite de l'amour crucifié. Ainsi ma
Vérité s'est donc bien exprimée en disant : “Si je suis élevé de terre,
j'attirerai tout à moi” ; car, dès qu'il attire le cœur et les puissances de
l'âme, il attire tous leurs actes.
7. Secondement, tout a été créé pour le service de
l'homme. Les choses créées ont été faites pour lui être utiles et fournir à
ses besoins. La créature raisonnable n'est pas faite pour les choses créées,
mais pour moi, afin qu'elle me serve de tout son cœur et de toutes ses
forces. Dès que l'homme est attiré, tout est attiré, puisque tout est fait
pour lui. Il fallait donc que le pont fût élevé et qu'il eût des degrés,
pour que vous puissiez monter plus facilement.
1. Ce pont est bâti avec des pierres, pour que la
pluie n'en intercepte pas le passage. Et quelles sont- ces pierres ? ce sont
les vertus sincères et véritables. Ces pierres n'étaient pas réunies avant
la Passion de mon Fils ; aussi personne ne pouvait parvenir à sa fin, même
en suivant la bonne route. Le ciel n'était pas encore ouvert avec la clef du
sang, et la pluie de la justice empêchait de passer. Mais les pierres furent
taillées et posées, sur le corps de mon Fils bien-aimé qui est le pont : il
les réunit, et, pour les cimenter, il détrempa la chaux avec son sang,
c'est-à-dire que le sang fut mêlé à la chaux de la Divinité par-la force et
le feu de la charité.
2. Ma puissance posa les pierres des vertus sur mon
Fils, parce que toute vertu est éprouvée en lui ; c'est de lui qu'elle
reçoit la vie. Personne ne peut acquérir la vertu qui manifeste la vie de la
grâce, si ce n'est par lui, c'est-à-dire s'il ne suit ses traces et sa
doctrine. Il a posé les vertus comme les pierres vives de l'édifice ; il les
a fortement cimentées avec son sang, afin que tous les fidèles pussent
passer sûrement et sans craindre servilement la pluie de la justice divine,
parce qu'ils sont abrités par la miséricorde. La mis,éricorde est descendue
du ciel dans l'incarnation de mon Fils. Et comment a-t-elle ouvert le ciel ?
avec la clef de son sang.
3. Ainsi, tu le vois, le pont est construit de
pierres ; il est abrité par .la miséricorde, et dessus se trouve
l'hôtellerie et le jardin de la sainte Église qui distribue le pain de vie
et donne à boire le sang précieux, afin que mes créatures qui passent ne
défaillent pas dans leur pèlerinage. C'est ma charité qui vous fait
distribuer ainsi le sang et le corps de mon Fils bien-aimé, homme et Dieu
tout ensemble.
4. Quand le pont est passé ; on arrive à la porte
qui en fait aussi partie ; c'est par elle que tous doivent entrer, car il a
dit : “Je suis la voie, la vérité, la vie”. (Jn, XIV, 6). “Qui va par
moi ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie”. (Jn,
VIII, 12). Personne ne peut venir à moi si ce n'est par lui. C'est la
vérité. Et si tu te le rappelles, je te l'ai montré en te faisant voir la
voie. Il a dit qu'il était la voie, et c'est la vérité ; je t'ai fait voir
cette voie sous la forme d'un pont. Il a dit qu'il est la vérité, et cela
est, car il est uni à moi qui suis la vérité. Celui qui le suit marche par
la vérité et la vie ; et celui qui suit cette vérité reçoit la vie de la
grâce et ne peut mourir de faim, car la vérité devient sa nourriture.
5. Il ne peut tomber dans les ténèbres, parce qu'il
est la lumière sans aucune erreur. La vérité confond et détruit le mensonge
du démon, par qui Ève fut trompée. C'est ce mensonge qui a rompu la voie du
ciel, et la vérité l'a réparée et consolidée avec son précieux sang. Ceux
qui suivent cette voie sont les fils de la vérité, parce qu'ils suivent la
Vérité, et ils passent par la porte de la vérité, et se trouvent unis en moi
par mon Fils, qui est la porte, la voie, l'éternelle vérité, la paix
infinie.
6. Celui qui ne suit pas cette voie passe sous le
pont, par la route du fleuve, qui n'est pas garnie de pierres et qui est
tout inondée ; et parce que l'eau n'a aucune consistance, personne ne peut y
marcher sans périr. Cette eau dangereuse est le monde, avec ses plaisirs et
ses honneurs.
7. L'âme n'y place pas ses affections sur la pierre
solide, car elle aime d'un amour déréglé les créatures ; elle les aime et
les possède hors de moi. Ces choses créées ressemblent à des eaux courantes,
l'homme est entraîné comme elles ; il croit que ce sont les choses qu'il
aime qui passent, et c'est lui qui va sans cesse vers la mort. Il voudrait
se retenir et fixer sa vie dans les choses qu'il aime, mais tout lui échappe
par la mort ou par ma providence.
8. Ceux qui suivent la voie du mensonge sont les
fils du démon, qui est, le père du mensonge ; et parce qu'ils passent par la
porte du mensonge, ils tombent dans la damnation éternelle. Mais je t'ai
montré la vérité et je t'ai montré le mensonge ; ma voie est la vérité, la
voie du démon est le mensonge.
1. Ce sont les deux voies ; dans l'une et dans
l'autre on marche péniblement. Regarde combien l'homme est ignorant et
aveugle : il veut passer par le fleuve, et il a une autre route où tout ce
qui est amer devient doux, et tout ce qui est pesant devient léger. Au
milieu des ténèbres du corps on y trouve la lumière, et ceux qui meurent y
acquièrent la vie immortelle, car ils goûtent par l'amour et la lumière de
la foi l'éternelle vérité, qui a promis le repos à ceux qui se fatiguent
pour moi.
2. Je suis fidèle, reconnaissant et juste ; je donne
à chacun selon ses mérites ; tout bien est récompensé, et tout mal est puni.
Le bonheur que possède celui qui suit la voie véritable, la langue ne pourra
jamais le raconter, l'oreille l'entendre, et l’œil le contempler, car
celui-là possède et goûte déjà le bien qui est préparé pour la vie du ciel.
3. Qu'il est insensé celui qui méprise un si grand
bien et préfère avoir, dés cette vie, un avant-goût de l'enfer, puisqu'il
passe par le chemin du monde, où il ne trouve que des fatigues sans repos et
sans jouissance, car ses péchés le privent de moi, qui suis le bien éternel
et suprême.
4. Tu as donc bien raison de gémir, et je veux que
toi et mes autres serviteurs, vous pleuriez amèrement l'offense qui m'est
faite, et que vous ayez compassion de ces pauvres aveugles qui perdent leurs
âmes. Tu as vu et entendu comment est fait ce pont, car je t'ai expliqué que
mon Fils unique était le moyen qui unit la grandeur de Dieu à la bassesse de
l'homme.
1. Lorsque mon Fils retourna vers moi, quarante jours
après sa résurrection, le pont s'éleva de la terre, c'est-à-dire de la
société des hommes. Il monta jusqu'au ciel par la vertu de ma nature divine
et se fixa à ma droite, ainsi que l'ange le dit aux disciples le jour de
l'Ascension, lorsqu'ils étaient comme morts, parce que leurs cœurs avaient
quitté la terre pour le ciel avec la sagesse de mon Fils. Il ne faut pas
vous arrêter davantage, leur dit-il, parce que le Seigneur Jésus est monté
au ciel, où il est assis à la droite du Père.
2. Lorsqu'il fut monté vers moi, avec son corps qui
ne se sépara jamais de la divinité, j'envoyai aux hommes le grand maître, le
Saint-Esprit, qui vint avec ma puissance, avec la sagesse du Fils, et avec
sa clémence ; car il est une même chose avec moi le Père et avec mon Fils ;
il complète la voie de la doctrine que ma vérité avait laissée dans le
monde. Mon Fils n'était pas visible, mais sa doctrine y restait avec les
vertus, qui sont les pierres vives fondées sur la doctrine pour former la
voie de ce pont doux et glorieux. Il avait travaillé le premier, et ses
œuvres avaient tracé la voie ; car il vous a donné sa doctrine plutôt par
ses exemples que par ses paroles ; il agit avant de parler.
3. La clémence du Saint-Esprit confirma cette
doctrine en donnant aux disciples la force de confesser la vérité et
d'enseigner la voie véritable, c'est-à-dire la doctrine de Jésus crucifié.
Il convainquit par leur moyen le monde d'injustices et de faux jugements. Je
t'expliquerai bientôt quels sont ces injustices et ces faux jugements.
4. Je t'ai dit tout ceci afin qu'aucune erreur ne
puisse obscurcir l'esprit, et qu'on ne dise pas : Le corps de Jésus-Christ
est bien un pont par l'union de la nature divine avec la nature humaine,
c'est la vérité ; mais ce pont s'est séparé de nous en montant au ciel. Il
était vraiment le chemin, du salut, et il nous enseignait la vérité par ses
paroles et ses exemples ; maintenant, que nous est-il resté ? Où trouver la
voie ? Je te le dirai pour ceux qui sont tombés dans cet aveuglement. La
doctrine de mon Fils a été confirmée par les apôtres, prouvée par le sang
des martyrs, illuminée par les docteurs, reconnue par les confesseurs,
écrite par les évangélistes ; et tous ces témoins en ont confessé la vérité
dans le corps mystique de la sainte Église.
5. Ils sont comme le flambeau placé sur le
chandelier, pour montrer la voie de la vérité qui conduit à la vie dans une
parfaite lumière. Non seulement ils l'ont enseignée, mais ils l'ont montrée
en eux-mêmes, Chacun est assez éclairé pour connaître la vérité, s'il le
veut, et s'il n'étouffe pas la lumière de sa raison par l'amour déréglé de
soi-même. Oui, la doctrine de mon Fils, qui est la vérité, est restée dans
le monde, comme une barque pour, sauver l'âme des tempêtes de la mer et la
conduire au port du salut.
6. Ainsi j'ai fait d'abord de mon Fils un pont pour
le salut du monde, lorsqu'il conversait parmi les hommes ; et lorsque le
pont s'est élevé de la terre, il y est cependant resté, car c'est la voie de
la doctrine inséparablement unie à ma puissance, à la sagesse du Fils et à
la clémence du Saint-Esprit. La puissance donne la vertu de force à celui
qui suit la voie ; la sagesse donne la lumière pour connaître la vérité
l'Esprit Saint donne l'amour qui chasse l'amour-propre sensuel de l'âme, et
n'y laisse que l'amour de la vertu.
7. Ainsi de toute manière, par lui-même ou par sa
doctrine, mon Fils est la voie, la vérité, la vie, le pont qui vous conduit
jusqu'au ciel. C'est ce qu'il voulait dire par ces paroles : “Je suis sorti
du Père, et je suis venu d'ans le monde, et maintenant je quitte le monde,
et je retourne vers le Père” (Jn, XVI, 28), et je viendrai vers
vous ; c'est-à-dire, mon Père m'a envoyé vers vous ; et je me suis fait
votre pont pour que vous passiez le fleuve, et que vous puissiez arriver à
la vie. Et il ajoute : “Je reviendrai vers vous, je ne vous laisserai pas
orphelins ; mais je vous enverrai le Consolateur” (Jn, XIV, 18) ;
c'est-à-dire, je retourne vers mon Père, et je reviendrai quand le
Saint-Esprit, qui est appelé le Consolateur, viendra plus clairement vous
montrer que je suis la voie de la vérité, et vous confirmer la doctrine que
je vous ai donnée.
8. II dit qu'il reviendra, et il revient ; car le
Saint-Esprit ne vient pas seul, mais il vient avec la puissance du Père,
avec la sagesse du Fils, et avec la clémence du Saint-Esprit. Tu vois donc
qu'il revient, non pas visiblement, mais par sa vertu. Il fortifie la route
de la doctrine, et cette route ne peut être détruite ou fermée à celui qui
veut la suivre, parce qu'elle est sûre et solide, et qu'elle vient de moi,
qui suis immuable. Vous devez donc suivre cette route avec courage et sans
hésitation, puisque vous êtes éclairés par la lumière de la foi, dont vous a
revêtus le saint baptême.
9. Ainsi je t'ai clairement montré que le pont et la
doctrine sont une même chose ; et j'ai fait connaître aux ignorants Celui
qui a ouvert cette voie de vérité et ceux qui l'enseignent. J'ai dit que
c'étaient les apôtres, les évangélistes, les martyrs, les confesseurs, les
saints docteurs, placés comme des lampes dans l'Église. Je t'ai expliqué
comment mon Fils, en venant à moi, est retourné à vous, non pas visiblement,
mais virtuellement, lorsque le Saint-Esprit descendit sur les disciples. Il
ne retournera visiblement qu'au dernier jour du jugement, lorsqu'il viendra
avec ma majesté et ma puissance pour juger le monde, lorsqu'il glorifiera
les bons et récompensera les fatigues de leur âme et de leur corps, tandis
qu'il punira d'une peine éternelle ceux qui auront commis le mal pendant
leur vie.
10. Maintenant je veux remplir ma promesse et te
montrer ceux qui marchent imparfaitement, ceux qui marchent parfaitement et
ceux qui avancent avec une plus grande perfection ; comment ils marchent, et
comment les méchants se noient dans le fleuve et tombent par leur faute dans
les supplices et les tourments.
11. Je vous conjure, mes fils bien-aimés, de passer sur
le pont et non pas dessous, car ce n'est pas la voie de la vérité, mais
celle du mensonge, que suivent les pécheurs dont je te parlerai ; c'est pour
les pécheurs que je vous conjure de m'adresser des prières, c'est pour eux
que je réclame vos larmes et vos sueurs, afin qu'ils reçoivent de moi
miséricorde.
1. Alors cette âme, ivre d'amour, ne pouvait plus se
contenir, et elle disait en présence de Dieu : O éternelle Miséricorde, qui
couvrez toutes les fautes de vos créatures, je ne m'étonne plus si vous
dites à ceux qui sortent du péché mortel et qui retournent à vous : Je ne me
rappellerai pas vos offenses. O Miséricorde ineffable, je ne m'étonne plus
si vous dites à ceux qui sortent du péché, puisque vous dites de ceux qui
vous persécutent : Je veux que vous me priiez pour eux afin de pouvoir leur
faire miséricorde.
2. O Miséricorde, qui venez du Père, et qui
gouvernez par votre puissance l'univers tout entier ! O Dieu, c'est votre
miséricorde qui nous a créés, qui nous a régénérés dans le sang de votre
Fils ; c'est votre miséricorde qui nous conserve ; votre miséricorde a fait
lutter votre Fils sur le bois de la croix. Oui, la mort a lutté contre la
vie, la vie contre la mort. La vie a vaincu la mort du péché, et la mort du
péché a ravi la vie corporelle de l'innocent Agneau. Qui est resté vaincu ?
la mort. Et quelle en fut la cause ? votre miséricorde.
3. Votre miséricorde donne la vie ; elle donne la
lumière qui fait connaître votre clémence en toute créature, dans les justes
et dans les pécheurs. Votre miséricorde brille au plus haut des cieux, dans
vos saints ; et si je regarde sur la terre, votre miséricorde y abonde.
Votre miséricorde luit même dans les ténèbres de l'enfer, car vous ne donnez
pas aux damnés tous les tourments qu'ils méritent.
4. Votre miséricorde adoucit votre justice ; par
miséricorde, vous nous avez purifiés dans le sang de votre Fils ; par
miséricorde, vous avez voulu habiter avec vos créatures à force d'amour. Ce
n'était pas assez de vous incarner, vous avez voulu mourir ; ce n'était pas
assez de mourir, vous avez voulu descendre aux enfers et délivrer les
saints, pour accomplir en eux votre vérité et votre miséricorde. Votre bonté
a promis de récompenser ceux qui vous servaient fidèlement, et vous êtes
descendu aux limbes pour tirer de peine ceux qui vous avaient servi, et leur
rendre le fruit de leurs travaux.
5. Votre miséricorde vous a forcé à faire encore
davantage pour l'homme : vous vous êtes donné en nourriture, afin que nous
ayons un secours dans notre faiblesse, et que, malgré notre oublieuse
ignorance, nous ne perdions pas le souvenir de vos bienfaits ; tous les
jours vous vous offrez à l'homme dans le Sacrement de l'autel, dans le corps
mystique de la sainte Église. Et qui a fait cela ? votre miséricorde. O
Miséricorde, le cœur s'enflamme en pensant à vous ; de quelque côté que je
me tourne, je ne trouve que miséricorde, O Père éternel, pardonnez à mon
ignorance qui ose parler devant vous ; mais l'amour de votre miséricorde me
servira d'excuse auprès de votre bonté.
1.- Lorsque cette âme eut un peu, par ces paroles, dilaté
son cœur dans la miséricorde divine, elle attendit humblement
l'accomplissement de la promesse qui lui avait été faite, et Dieu continua
de la sorte : Ma fille bien-aimée, tu as parlé devant moi de ma miséricorde,
parce que je te l'ai fait goûter et voir en te disant : “C'est pour ceux qui
m'offensent que je vous demande de m'adresser vos prières”. Mais sois
persuadée que, sans aucune comparaison, ma miséricorde est beaucoup plus
grande envers vous que tu ne peux le voir ; car ta vue est imparfaite et
finie, tandis que ma miséricorde est infinie et parfaite. Il y a donc entre
ton appréciation et la réalité toute la distance du fini à l'infini.
2. J'ai voulu te faire connaître cette miséricorde
et aussi la dignité de l'homme, que je t'ai déjà expliquée, afin de te faire
mieux comprendre la méchanceté et l'indignité des pécheurs qui passent par
la route inférieure. Ouvre donc l’œil de ton intelligence, et regarde ceux
qui se noient volontairement dans le fleuve du monde ; vois l'abîme où ils
tombent par leur faute.
3. Ils sont devenus d'abord infirmes et malades,
parce que, dès qu'ils conçoivent le péché mortel dans leur âme et qu'ils
l'enfantent par leurs oeuvres, ils perdent la vie de la grâce : et comme les
morts sont insensibles et n'ont d'autre mouvement que ceux qui leur viennent
de l'extérieur, ceux qui sont noyés dans le fleuve de l'amour déréglé du
monde sont morts à la grâce ; et parce qu'ils sont morts, leur mémoire perd
le souvenir de ma miséricorde ; l’œil de leur intelligence ne voit plus, ne
reconnaît plus ma vérité ; car la sensibilité est détruite, et
l'intelligence est livrée à la mort de l'amour des sens. Leur volonté aussi
est morte à ma volonté, parce qu'elle n'aime que des choses mortes, Les
trois puissances de l'âme étant mortes, toutes leurs opérations actuelles et
mentales sont mortes, quant à la grâce ; l'âme ne peut se défendre de ses
ennemis et n'échappe qu'autant que je la secoure moi-même.
4. Toutes les fois, il est vrai, que ce mort, en qui
reste encore le libre arbitre, demandera mon secours pendant sa vie
mortelle, il pourra l'obtenir, mais il ne pourra rien par lui-même. Il est
cause de son impuissance ; il a voulu asservir le monde, et il a été
asservi, par une chose qui n'est pas, c'est-à-dire par le péché ; car le
péché n'est rien que la privation de la grâce, comme l'aveuglement est la
privation de la lumière. Ceux qui le commettent sont esclaves du péché. Je
les avais faits des arbres d'amour par la vie de la grâce, et ils se sont
faits des arbres de mort ; car ils sont morts, comme je te l'ai dit.
5. Sais-tu où est la racine de cet arbre ? Dans
l'élévation de l'orgueil, qu'entretient l'amour-propre. La moelle est
l'impatience, dont le fils est l'aveuglement. Ce sont ces quatre vices qui
tuent l'âme de celui qui est devenu un arbre de mort, parce qu'il n'a pas
puisé la vie dans la grâce ; à l'intérieur de l'arbre se nourrit le ver de
la conscience, que l'homme vivant dans le péché sent bien peu, parce qu'il
est aveuglé par l'amour-propre. Les fruits de cet arbre sont mortels, car
ils ont tiré la sève de la racine empoisonnée de l'orgueil.
6. La pauvre âme est pleine d'ingratitude, et de là
vient tout le mal. Si elle était reconnaissante des bienfaits reçus, elle me
connaîtrait ; si elle me connaissait, elle se connaîtrait elle-même et
resterait dans mon amour ; mais elle est si aveugle, qu'elle veut se fixer
sur ce fleuve, sans s'apercevoir que cette eau qui passe ne peut la
soutenir.
1. Cet arbre donne autant de fruits empoisonnés qu'il
y a de sortes de péchés. Il y en a qui servent de pâture aux animaux
immondes : ce sont ceux que commettent ces hommes qui abusent de leur esprit
et de leur corps ; ils se vautrent dans la boue de la chair, comme les
pourceaux dans la fange. O âme abrutie, qu'as-tu fait de ta dignité ? tu as
été faite la sœur des anges, et tu es devenue une brute grossière ! Ces
pécheurs sont tombés si bas, que non seulement moi, qui suis la pureté
suprême, je ne puis les souffrir, mais que les démons, dont ils se sont
faits les amis et les serviteurs, ne peuvent les regarder commettre leur
impureté.
2. Aucun péché n'est plus abominable et ne détruit
plus la lumière de l'intelligence. Les philosophes eux-mêmes le savaient,
non par la lumière de la grâce qu'ils n'avaient pas, mais par celle que la
nature leur donnait ; et comme ils comprenaient que ce péché obscurcissait
l'intelligence, ils gardaient la continence afin de pouvoir mieux étudier.
Ils jetaient aussi les richesses loin d'eux, pour que le souci des richesses
ne troublât pas leur cœur. Ce n'est pas ce que fait l'aveugle et faux
chrétien, qui a perdu la grâce par sa faute.
1. Le fruit de quelques autres pécheurs est de
terre : c'est celui des avides et des avares, qui, comme la taupe, vivent
dans la terre jusqu'à la mort, et n'ont aucun secours quand ils sont arrivés
à leur dernier instant ; leur avarice insulte ma richesse en vendant au
prochain le temps qui ne leur appartient pas. Ces usuriers tourmentent et
volent leur prochain, parce que leur mémoire ne garde pas le souvenir de ma
miséricorde : ils ne seraient pas sans cela si cruels envers eux et envers
les autres ; ils auraient de la compassion et de la miséricorde pour
eux-mêmes en pratiquant la vertu, et pour le prochain en le secourant par
l'aumône. Oh ! combien de maux viennent de ce péché maudit ! combien
d'homicides, de vols, de fourberies, de gains illicites, de coups mortels et
d'injustices ! Ce péché tue l'âme, et la rend tellement esclave des
richesses, qu'elle ne songe plus à observer mes commandements ; l'avare
n'aime personne, si ce n'est par intérêt.
2. Ce vice procède de l'orgueil et nourrit
l'orgueil ; l'un vient de l'autre, parce que l'avarice entraîne toujours le
désir de paraître, qui s'unit sur-le-champ à l'orgueil ; et le mal augmente,
parce que l'orgueil est plein d'estime de lui-même. Alors s'allume un feu
qui donne la fumée de la vaine gloire et la vanité du cœur qui se glorifie
de ce qui ne lui appartient pas. C'est une racine qui a plusieurs rameaux :
le principal est l'estime de soi, d'où sort l'ambition d'être plus grand que
les autres ; et alors le cœur, au lieu d'être sincère et généreux, devient
hypocrite et menteur. La langue dit autre chose que ce qu'il renferme ; elle
cache la vérité et invente le mensonge quand son intérêt le demande. Ce vice
produit aussi l'envie, ce ver qui ronge toujours et que ne peuvent rassasier
les biens de l'avare et les biens des autres.
3. Comment ces méchants tombés si bas donneraient-ils
leurs richesses aux pauvres, puisqu'ils volent leur prochain ? Comment
sauveraient-ils leur âme souillée, puisqu'ils la traînent dans la fange ?
Quelquefois ils s'abrutissent tellement, qu'ils ne regardent plus leurs
enfants et leurs familles qu'ils laissent dans la misère. Cependant ma
miséricorde les supporte et ne commande pas à la terre de les engloutir,
pour qu'ils puissent reconnaître leurs fautes. Comment donneraient-ils leur
vie pour le salut des âmes, puisqu'ils ne donnent pas même leur argent ?
Comment aimeraient-ils leurs frères, puisqu'ils sont rongés d'envie ?
4. O vice misérable qui abaisse et détruit le ciel
de l'âme! oui, je dis le ciel, car j'ai fait de l'âme un ciel où j'habite
par ma grâce, où je me cache, où je me plais à résider par l'amour ; et
l'âme se sépare de moi comme une adultère ; elle s'aime, elle aime les
créatures et les choses créées plus que moi ; elle fait d'elle un dieu et me
poursuit de ses nombreux péchés, et tout cela parce qu'elle oublie le
bienfait de ce sang de mon Fils répandu avec tant d'amour.
1. Il y en a qui sont fiers de leur puissance et qui
affichent l'injustice. Ils sont injustes envers moi, envers le prochain,
envers eux-mêmes : injustes envers eux, car ils n'acquièrent pas la vertu
qu'ils devraient avoir ; injustes envers moi, car ils ne me rendent pas
l'honneur qui m'est dû en ne louant pas, ne glorifiant pas mon nom comme ils
devraient le faire. Ils prennent comme des voleurs ce qui m'appartient pour
le donner aux sens, qui sont faits pour les servir. Ils commettent
l'injustice envers moi et envers eux-mêmes, parce qu'ils ne me connaissent
pas en eux, tant ils sont aveuglés par leur ignorance et leur amour-propre.
2. Ainsi firent les Juifs et les Pharisiens,
qu'aveuglèrent tellement l'amour-propre et l'envie, qu'ils méconnurent mon
Fils unique, et qu'ils ne rendirent pas hommage à l'éternelle Vérité
descendue parmi eux, comme elle disait elle-même : Le royaume de Dieu est au
milieu de vous (Lc, XVII, 21). Ils ne le reconnaissent pas parce
qu'ils avaient perdu la lumière de la raison ; et alors ils ne rendaient pas
l'honneur et la gloire qui sont dus à moi et à mon Fils qui est avec moi une
même chose. Dans leur aveuglement ils furent injustes, en poursuivant
d'opprobres mon Fils jusqu'à la mort ignominieuse de la croix. De même ces
hommes sont injustes envers eux, envers moi, et aussi envers le prochain, en
vendant le sang de ceux qui sont soumis à leur puissance.
1. Leur égarement les fait tomber dans, de faux
jugements, comme je te l'expliquerai bientôt. Ils se scandalisent de mes
œuvres, qui toutes sont justes et véritablement inspirées par l'amour et la
miséricorde. Ce sont ces faux jugements et le venin de l'orgueil et de
l'envie, qui firent calomnier et juger injustement les œuvres de mon Fils
bien-aimé. Ces Juifs menteurs disaient : “Celui-ci agit par la puissance de
Béelzébut” (Mt., XII, 24) ; de même les méchants égarés dans
l'amour-propre, l'impureté, l'orgueil, l'avarice et l'envie, perdus par
l'ignorance, par l'impatience et par tous les péchés qu'ils commettent, se
scandalisent de moi et de mes serviteurs. Ils jugent la vertu une
hypocrisie, parce que leur cœur est corrompu et leur goût vicié. Ils
trouvent mauvaises les choses bonnes, et bonnes les choses mauvaises,
c'est-à-dire, les dérèglements de la vie.
2. O aveuglement de l'homme, qui ne voit pas sa
dignité ! De grand tu te fais petit ; de maître, tu deviens esclave de la
plus vile puissance qu'on puisse trouver, puisque tu te fais serviteur et
esclave du péché, et que tu deviens semblable à ce que tu sers. Le pêché est
un néant ; tu retournes au néant, tu quittes la vie, tu te donnes la mort.
3. La vie et la puissance vous ont été données par le
Verbe, mon Fils unique : vous étiez les esclaves du démon, et il vous a
délivrés de sa servitude. Il s'est fait esclave pour vous affranchir ; il a
embrassé l'obéissance d'Adam, et il s'est humilié jusqu'à l'opprobre de la
croix pour confondre l'orgueil ; il a vaincu tous les vices par sa mort, et
personne ne peut dire : Ce vice est resté impuni ; car tout vice a été
frappé sur son corps, qui a servi d'enclume à ma justice.
4. Tous les remèdes sont donnés à ces hommes pour
éviter la mort éternelle, et ils méprisent ce sang précieux ; ils le foulent
aux pieds de leur amour déréglé. C'est là l'injustice et le faux jugement
dont le monde sera convaincu au dernier jour du jugement. C'est ce que
signifiait cette parole de ma Vérité : “J'enverrai le Consolateur, qui
convaincra le monde d'injustice et de faux jugement” ; et il en fut en effet
convaincu, lorsque j'envoyai le Saint-Esprit sur les Apôtres.
1. Il y a trois condamnations qui confondent le
monde. La première fut portée quand le Saint-Esprit descendit sur les
Apôtres, et qu'ils le reçurent dans sa plénitude, fortifiés par ma puissance
et illuminés par la sagesse de mon Fils bien-aimé. Alors le Saint-Esprit,
qui est une même chose avec moi et avec mon Fils, accusa le monde par la
bouche des disciples avec la doctrine de ma Vérité. Les disciples et ceux
qui leur ont succédé, en suivant la vérité qu'ils en avaient reçue,
accusèrent aussi le monde ; et cette accusation est permanente. J'accuse le
monde par le moyen de la sainte Écriture et de mes serviteurs, sur la langue
desquels je mets l'Esprit Saint lorsqu'ils annoncent ma vérité, comme le
démon se met sur la langue de ses serviteurs qui suivent les flots du monde.
Mais cette accusation n'est qu'un doux reproche, inspiré par l'ardent amour
que j'ai pour le salut des âmes.
2. Personne ne peut dire : Je n'ai pas été enseigné
et repris, car la vérité a fait discerner le vice et la vertu. J'ai révélé
la récompense de la vertu et le châtiment du vice, pour inspirer de bons
désirs et une crainte salutaire, pour faire aimer la vertu et détester le
vice. La vérité n'a pas été enseignée par un ange, pour qu'on ne dise pas :
Un ange est un esprit bienheureux qui ne peut pécher, et qui ne sent pas
comme nous les attaques de la chair, et le fardeau du corps.
3. Cette excuse n'est pas possible, car ma Vérité
s'est revêtue d'une chair comme la vôtre. Et voyez ceux qui ont suivi mon
Verbe, n'étaient-ils pas des hommes mortels et passibles comme vous ?
n'éprouvaient-ils pas des révoltes de la chair contre l'esprit ? Mon héraut,
le glorieux saint Paul, et tant d'autres saints, n'ont-ils pas eu à
combattre ainsi d'une manière ou d'une autre ?
4. J'ai permis, et je permets ces passions, pour
accroître la grâce et augmenter la vertu dans les âmes. Les saints sont nés
sous la loi du péché comme vous ; ils se sont nourris de la même nourriture,
et je suis le même Dieu que j'étais alors. Ma puissance n'a pas faibli et ne
peut faiblir ; je puis et je veux assister ceux qui réclament mon
assistance. L'homme veut que je l'assiste, quand il quitte le fleuve du
monde et va sur le pont de ma Vérité en suivant ma doctrine.
5. Il n'y a donc pas d'excuse, puisque l'homme est
prévenu et que la vérité lui est continuellement montrée. S'il ne se corrige
pas quand il est temps encore, il sera condamné au second jugement. Au
moment de la mort, lorsque ma justice criera : “Levez-vous, morts, venez au
jugement”, c'est-à-dire : Vous qui êtes morts à la grâce et qui allez mourir
à la vie, levez-vous, et venez devant le Juge suprême avec vos injustices et
vos faux jugements, avec cette lumière éteinte de la foi, qu'avait allumée
en vous le baptême, et qu'ont étouffée l'orgueil et les vanités, du cœur.
Vous avez tendu votre voile à tous les vents contraires à votre salut ; le
souffle de la flatterie a enflé le voile de l'amour-propre et vous avez
descendu le fleuve des délices et des honneurs du monde, en suivant
volontairement les faiblesses de la chair et les tentations du démon. Le
démon, aidé par votre volonté, vous a menés par sa route d'en bas dans les
eaux courantes, qui vous ont entraînés avec lui dans la damnation éternelle.
1. Cette seconde condamnation a lieu, ma très chère
fille, dans le moment suprême, où il n'y a plus de ressource. Quand paraît
la mort, et que l'homme voit qu'il ne peut m'échapper, le ver de la
conscience, engourdi par l'amour-propre, commence à se réveiller et à ronger
l'âme, en la jugeant et en lui montrant l'abîme où elle va tomber par sa
faute. Si l'âme alors avait assez de lumières pour connaître et pleurer sa
faute, non pas à cause de la peine de l'enfer qui la menace, mais à cause de
moi qu'elle a offensé, moi qui suis l'éternelle et souveraine bonté, l'âme
trouverait encore miséricorde. Mais si elle passe cette limite de la mort
sans ouvrir les yeux, sans espérer dans le sang de mon Fils, avec le seul
remords de la conscience et le regret de son malheur, et non pas celui de
mon offense, elle tombe dans la damnation éternelle.
2. Alors elle est jugée rigoureusement par ma
justice, et convaincue d'injustice et d'erreur : non seulement d'injustice
et d'erreur générales parce qu'elle a suivi les-sentiers coupables du monde,
mais d'injustice et d'erreur particulières, parce qu'à son dernier moment,
elle aura jugé sa misère plus grande que ma miséricorde. C'est là le péché
qui ne se pardonne ni en ce monde ni en l'autre. Elle a repoussé, méprisé ma
miséricorde ; et ce péché est plus grand que tous ceux qu'elle a commis. Le
désespoir de Judas m'a plus offensé et a été plus pénible à mon Fils que sa
trahison même. L'homme est surtout condamné pour avoir faussement jugé son
péché plus grand que ma miséricorde ; c'est pour cela qu'il est puni et
torturé avec les démons éternellement.
3. L'homme est convaincu d'injustice parce qu'il
regrette plus son malheur que mon offense, car il est injuste en ne faisant
pas ce qu'il me doit et ce qu'il se doit à lui-même. Il me doit l'amour et
les larmes amères de son cœur pour l'injure qu'il m'a faite, et loin de me
les offrir, il pleure, seulement par amour pour lui-même, la peine qu'il a
méritée. Tu vois donc qu'il est coupable d'injustice et d'erreur, et qu'il
est puni de l'une et de l'autre. Il a méprisé ma miséricorde, et ma justice
le livre aux supplices avec ses sens et avec le démon, le cruel tyran dont
il s'est rendu l'esclave par ces sens, qui devaient le servir, Ils seront
tourmentés ensemble comme ils ont péché ensemble l'homme sera tourmenté par
mes ministres, les démons, que ma justice a chargés de torturer ceux qui
font le mal.
1. Ma fille, ma langue ne pourra jamais dire ce que
souffrent ces pauvres âmes. Il y a trois vices principaux l'amour-propre,
l'estime de soi-même et l'orgueil, qui en découle, avec toutes ses
injustices, ses cruautés, ses débauches et ses excès ; il y a aussi dans
l'enfer quatre supplices qui surpassent tous les autres : le damné est
d'abord privé de ma vision, et cette peine est si grande, que, s'il était
possible, il aimerait mieux souffrir le feu et les autres tourments, et me
voir, qu'être exempt de toute souffrance et ne pas me voir.
2. Cette peine en produit une seconde, qui est le
ver de la conscience qui la ronge sans cesse. Le damné voit que, par sa
faute, il s'est privé de ma vue et de la société des anges, et qu'il s'est
rendu digne de la société et de la vue du démon.
3. Cette vue du démon est la troisième peine, et
cette peine double son malheur. Les saints trouvent leur bonheur éternel
dans ma vision ; ils y goûtent dans la joie la récompense des épreuves
qu'ils ont supportées avec tant d'amour pour moi et tant de mépris pour
eux-mêmes. Ces infortunés, au contraire, trouvent sans cesse leur supplice
dans la vision du démon, parce qu'en le voyant ils se connaissent et
comprennent ce qu'ils ont mérité par leurs fautes. Alors le ver de la
conscience les ronge plus cruellement et les dévore comme un feu insatiable.
Ce qui rend cette peine terrible, c'est qu'ils voient le démon dans sa
réalité ; et sa figure est si affreuse, que l'imagination de l'homme ne
pourrait jamais le concevoir.
4. Tu dois te rappeler que je te le montrai un seul
instant au milieu des flammes, et que cet instant fut si pénible, que tu
aurais préféré, en revenant à toi, marcher dans le feu jusqu'au jugement
dernier plutôt que de le revoir ; et cependant ce que tu en as vu ne peut te
faire comprendre combien il est horrible, car la justice divine le montre
bien plus horrible encore à l'âme qui est séparée de moi, et cette peine est
proportionnée à la grandeur de sa faute.
5. Le quatrième supplice de l'enfer est le feu. Ce
feu brûle et ne consume pas, parce que l'âme, qui est incorporelle, ne peut
être consumée par le feu comme la matière ; ma justice veut que ce feu la
brûle et la torture sans la détruire, et ce supplice est en rapport avec la
diversité et la gravité de ses fautes.
6. Ces quatre principaux tourments sont accompagnés
de beaucoup d'autres, tels que le froid, le chaud et les grincements de
dents. Voilà comment seront punis ceux qui, après avoir été convaincus
d'injustice et d'erreur pendant, leur vie, ne se seront pas convertis et
n'auront pas voulu, à l'heure de leur mort, espérer en moi et pleurer
l'offense qu'ils m'avaient faite plus que la peine qu'ils avaient méritée.
1. Il me reste à te parler de la troisième
condamnation, qui aura lieu au dernier jour du jugement. Je t'ai parlé des
deux autres, mais tu verras mieux, en connaissant la troisième, à quel point
l'homme se trompe. Le jugement général renouvellera et augmentera le
supplice de cette pauvre âme par la réunion de son corps, qui lui causera
une confusion, une honte insupportable. Lorsqu'au dernier jour, le Verbe,
mon Fils, viendra dans ma majesté juger le monde avec sa justice divine, il
n'apparaîtra pas dans sa faiblesse, comme quand il naquit dans le sein d'une
vierge, dans une étable, parmi des animaux, et mourut entre deux voleurs.
2. Alors je cachais ma puissance en lui ; je le
laissai souffrir et mourir comme homme, sans que la nature divine fût
séparée de la nature humaine, afin qu'il pût satisfaire pour vous. Il ne
viendra pas ainsi au dernier jour ; il viendra juger dans toute sa puissance
et sa personnalité ; toute créature sera dans l'épouvante, et il rendra à
chacun ce qui lui est dû.
3. Les malheureux damnés éprouveront à son aspect un
tel supplice, une si grande terreur, que des paroles ne pourraient jamais
l'exprimer ; les justes éprouveront une crainte respectueuse mêlée d'une
grande joie, Le visage du juge ne changera pas, parce qu'il est immuable ;
selon la nature divine, il est une même chose avec moi ; et selon la nature
humaine, il est immuable encore, car il a revêtu la gloire de la
résurrection. Mais le réprouvé ne le verra que d'un œil ténébreux et vicié.
L’œil malade qui regarde la lumière du soleil n'y voit que ténèbres, tandis
que l’œil sain en admire la splendeur. Ce n'est pas la faute du soleil, qui
ne change pas plus pour l'aveugle que pour celui qui voit, mais c'est la
faute de l’œil qui est malade. De même les damnés verront mon Fils dans les
ténèbres, la confusion et la haine. Ce sera leur faute et non celle de la
majesté divine avec laquelle il viendra juger le monde.
1. La haine des damnés est telle, qu'ils ne peuvent
vouloir ni désirer aucun bien, mais ils blasphèment sans cesse contre moi.
Pourquoi ne peuvent-ils désirer aucun bien ? parce qu'avec la vie de l'homme
finit l'usage de son libre arbitre ; il a perdu le temps qu'il avait pour
pouvoir mériter. Quand, par le péché mortel, on meurt dans la haine, la
justice divine enchaîne pour toujours à la haine l'âme, qui reste
éternellement obstinée dans le mal qu'elle a commis, se dévorant elle-même
et augmentant sa peine des peines de ceux dont elle a causé la damnation.
2. Le mauvais riche demandait en grâce que Lazare
allât trouver ses frères qui étaient restés dans Je monde pour leur annoncer
son supplice (Lc, XVI, 27-28). Ce n'était pas par charité qu'il le
faisait, ni par compassion pour ses frères, puisqu'il était privé de charité
et qu'il ne pouvait. désirer rien d'utile à mon honneur et au salut des
autres. Je t'ai dit que les damnés ne peuvent vouloir aucun bien à leur
prochain, et qu'ils me blasphèment, parce que leur vie a fini dans la haine
de Dieu et de la vertu.
3. Pourquoi la demande du mauvais riche ? Il la
faisait parce qu'il avait été le plus grand parmi ses frères et qu'il leur
avait fait partager les iniquités de sa vie. Il était ainsi cause de leur
damnation, et il craignait de voir augmenter sa peine, leurs tourments
devant s'ajouter aux siens ; car ceux qui meurent dans la haine se dévorent
éternellement entre eux dans la haine.
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