INDEX
XLI
De la
gloire des Bienheureux.
XLII
Le
jugement général augmentera la peine des damnés.
XLIII
L'utilité des tentations. L'âme, au moment de la mort, voit la peine
ou la gloire qui lui est destinée, même avant d'être séparée de son corps.
XLIV
Le
démon trompe toujours l'âme sous l'apparence de quelque bien.
XLV
Quels
sont ceux que ne blessent pas les épines du monde, quoique personne, en
cette vie, ne puisse éviter la souffrance.
XLVI
Des
maux qui procèdent de l'aveuglement de l'intelligence. Le bien qui n'est pas
fait en état de grâce ne sert pas à la vie éternelle.
XLVII
On ne
peut observer les commandements, si on n'observe pas aussi les conseils.
XLVIII
Les
serviteurs du monde ne sont pas rassasiés de leurs biens. Du supplice que
leur cause leur volonté perverse.
XLIX
La
crainte servile ne suffit pas pour acquérir la vie éternelle, mais elle peut
conduire à l'amour de la vertu.
L
L'âme
déplore l'aveuglement de ceux qui se noient dans le fleuve.
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1. De même l'âme juste qui termine sa vie dans la
charité est éternellement liée à l'amour. Elle ne peut plus croître en vertu
parce que le temps est passé, mais elle peut toujours aimer avec l'ardeur
qu'elle a eue pour venir à moi, et c'est cette ardeur qui est la mesure de
sa félicité. Toujours elle me désire, toujours elle aime, et son désir n'est
pas trompé : elle a faim et elle est rassasiée, elle est rassasiée et elle a
faim, sans jamais éprouver l'ennui de- la satiété ni la peine de la faim.
2. Les élus de l'amour jouissent de mon éternelle
vision ; ils participent au bien que j'ai en moi-même, chacun selon sa
mesure, et cette mesure est l'amour qu'ils avaient en venant à moi. Parce
qu'ils ont eu ma charité et celle du prochain, et qu'ils sont unis ensemble
par une charité générale et particulière qui vient du même principe, ils
jouissent et participent par la charité au- bien de chacun, et ce bonheur
s'ajoute au bonheur universel qu'ils ont tous ensemble ; ils jouissent avec
les anges, parmi lesquels les saints sont placés selon les différentes
vertus qu'ils ont eues dans le monde avant d'être liés dans les liens de la
charité.
3. Ils participent surtout d'une manière particulière
au bonheur de ceux qu'ils aimaient plus étroitement sur terre. Cet amour
était un moyen d'augmenter en eux la vertu ; ils étaient les uns pour les
autres des occasions de glorifier mon nom en eux et dans leur prochain, et
comme l'amour qui les unissait n'est pas détruit dans le ciel, ils en
jouissent avec plus d'abondance, et cet amour augmente leur bonheur.
4. Ne crois pas que les élus jouissent seuls, de
leur bonheur particulier ; il est partagé par tous les heureux habitants du
ciel, par les anges et par mes enfants bien-aimés. Dès qu'une âme parvient à
la vie éternelle, tous participent au bonheur de cette âme, et cette âme
participe au bonheur de tous. La coupe de leur bonheur ne s'agrandit pas et
elle n'a pas besoin d'être remplie, car elle est pleine et ne peut plus
dilater ses bords ; mais leur joie, leur félicité, leur ivresse s'augmentent
à la vue de cette âme ; ils voient que ma miséricorde l'a sauvée de la terre
par la plénitude de la grâce, et ils se réjouissent en moi du bonheur que
cette âme a reçu de ma bonté.
5. Cette âme est heureuse en moi, dans les âmes et
dans les esprits bienheureux, parce qu'elle voit et goûte en eux la bonté et
la douceur de ma charité. Leurs désirs s'élèvent toujours vers moi pour le
salut du monde ; leur vie a fini dans l'amour du prochain, et cet amour ne
les a pas quittés ; ils ont passé avec lui par la porte de mon Fils
Bien-aimé, en prenant le moyen dont je te parlerai bientôt. Remarque qu'ils
conservent et conserveront ce lien de l'amour, que n'a pas brisé la mort.
6. Ils sont unis à ma volonté, et ils ne peuvent
vouloir que ce que je veux, parce que leur libre arbitre est enchaîné par la
charité, de sorte que la créature raisonnable qui se sépare du temps et
meurt en état de grâce un peut plus pécher. Sa volonté est si unie à la
mienne, qu'en voyant un père, une mère, un fils dans l'enfer, — elle ne peut
en souffrir : elle est même heureuse de les voir punis, parce que ce sont
mes ennemis ; elle ne peut être en désaccord avec moi en la moindre chose,
et tous ses désirs sont satisfaits.
7. Le désir des bienheureux est de me voir honoré en
vous, pèlerins voyageurs qui précipitez sans cesse vos pas vers la mort. Le
désir de ma gloire leur fait désirer votre salut, qu'ils me demandent
toujours pour vous. Je satisfais ce désir, pourvu que dans votre aveuglement
vous ne résistiez pas à ma miséricorde. Ils désirent aussi avoir la
récompense de leurs corps, et ce désir n'est pas une peine quoiqu'il ne soit
pas satisfait sur-le-champ, parce qu'ils jouissent de la certitude qu'il le
sera un jour ; et ils ne souffrent pas d'attendre, car rien ne manque à leur
félicité.
8. Ne crois pas que la béatitude du corps, après la
résurrection, ajoute à la béatitude de l'âme ; car il s'ensuivrait que tant
qu'elle n'aurait pas son corps, l'âme n'aurait qu'une béatitude imparfaite,
ce qui ne peut être, parce que rien ne manque à sa perfection. Ce n'est pas
le corps qui donne la béatitude à l'âme, mais c'est l'âme qui donne la
béatitude au corps ; elle l'enrichira de son abondance, lorsqu'au jour du
jugement, elle se revêtira de la chair dont elle s'était séparée.
9. L'âme est devenue immortelle et immuable en moi ;
le corps, par cette union, deviendra immortel ; il perdra sa pesanteur et
sera subtil et léger. Le corps glorifié passera à travers tous les obstacles
et ne craindra ni l'eau ni le feu, non par sa vertu, mais par la vertu de
l'âme, qui est ma vertu communiquée par la grâce et par cet amour ineffable
avec lequel je l'ai créée à mon image et à ma ressemblance. Non, l’œil de
ton intelligence ne peut voir, l'oreille entendre, la langue raconter et le
cœur comprendre la félicité des bienheureux.
10. Quel bonheur ils ont de me voir, moi qui suis le
souverain bien ! Quel bonheur ils auront quand leur corps sera glorifié !
Ils n'en jouiront qu'au jugement dernier, mais ils ne souffrent pas
d'attendre, parce que rien ne manque à la béatitude dont l'âme déborde et
qu'elle épanchera sur son corps.
11. Que te dire de cette joie ineffable des corps
glorifiés dans l'humanité glorifiée de mon Fils unique, qui vous a donné la
certitude de votre résurrection ! Ils tressailliront dans ses plaies, qui
sont restées fraîches et ouvertes sur son corps, afin de crier sans cesse
miséricorde pour vous, vers moi le Père éternel et souverain ; et tous
seront conformes à lui dans la joie et l'allégresse. Oui, par vos yeux, vos
mains, votre corps tout entier, vous serez unis aux yeux, aux mains, au
corps de l'aimable Verbe, mon Fils bien-aimé. Étant en moi, vous serez en
lui, parce qu'il est une même chose avec moi. L’œil de votre corps se
dilatera dans l'humanité glorifiée du Verbe mon Fils unique : pourquoi ?
parce que la vie qui finit dans les liens de ma charité durera
éternellement.
12. Les bienheureux ne peuvent faire aucun bien, mais
ils jouissent de celui qu'ils ont fait ; le temps de mériter est passé pour
eux, car c'est sur la terre seulement qu'on mérite ou qu'on pèche, selon
l'usage que la volonté fait du libre arbitre. Les bienheureux attendent le
jugement général, non dans la crainte, mais dans la joie. Le visage de mon
Fils ne leur paraîtra pas terrible et plein de haine, parce qu'ils sont
morts dans mon- amour et dans l'amour du prochain. Le visage du juge qui
viendra dans ma majesté ne changera pas, mais il sera différent pour ceux
qui seront jugés : ceux qui seront damnés le verront dans la haine et la
justice, ceux qui seront sauvés le contempleront dans l'amour et la
miséricorde.
1. Je t'ai parlé de la gloire des justes pour te
faire mieux comprendre le malheur des damnés. Une de leurs peines sera de
voir la béatitude des justes ; ce spectacle augmentera leurs tourments,
comme la vue des damnés augmentera, dans les justes, la jouissance de ma
honte : car la lumière se connaît mieux par les ténèbres et les ténèbres par
la lumière. La vue du bonheur sera un supplice pour les damnés, et ils
attendent avec effroi le jugement -dernier, parce qu'ils comprennent qu'il
augmentera leur malheur.
2. En effet, à cette parole terrible : Levez-vous,
morts ; venez au jugement ! l'âme se réunira au corps pour le glorifier dans
les justes et le torturer éternellement dans les méchants. Les damnés seront
couverts de honte et de confusion en présence de ma Vérité et de tous les
bienheureux.
3. Alors le ver de la conscience rongera la moelle de
l'arbre, c'est-à-dire l'âme, et sort écorce, c'est-à-dire le corps. Contre
eux s'élèvera le sang précieux répandu pour les racheter et leur acquérir
les miséricordes spirituelles et temporelles que je leur ai faites par mon
Fils. Il leur sera demandé compte des obligations que l'Évangile leur
imposait envers le prochain ; ils seront convaincus de cruauté pour les
autres, d'orgueil, d'amour-propre et de débauche. La vue de la miséricorde
dont ils étaient l'objet rendra leur condamnation plus terrible. Au moment
de la mort, elle n'attaquait, que leur âme ; mais au jugement dernier, elle
frappera à la fois leur âme et leur corps. Car le corps est le compagnon,
l'instrument de l'âme pour le bien ou le mal, selon le bon plaisir de sa
volonté.
4. Tout acte, bon ou mauvais, s'accomplit par
l'intermédiaire du corps. Il est donc juste, ma chère fille, que mes élus
jouissent de la gloire et du souverain bien avec leur corps glorifié, pour
que le corps et l'âme soient récompensés tous les deux des fatigues qu'ils
ont supportées ensemble pour moi. De même, le corps des méchants partagera
leurs peines éternelles, parce qu'il a été l'instrument du mal leur supplice
se renouvellera et augmentera lorsqu ils reprendront leur corps en présence
de mon Fils.
5. Leur misérable sensualité et leurs débauches
seront condamnées en voyant la nature humaine unie en Jésus-Christ à la
pureté de la Divinité, en apercevant la chair d'Adam au dessus de tous les
chœurs des anges, tandis qu'eux, par leur faute, sont plongés dans les
profondeurs de l'enfer, ils verront la grandeur de ma miséricorde briller
dans les bienheureux qui ont profité du sang de l'Agneau, et ils
reconnaîtront que les peines souffertes par amour pour moi sont devenues
pour le corps comme une belle frange sur un vêtement ; et cela non par la
vertu du corps, mais par l'exubérance de l'âme qui donne aux corps le prix
de sa peine, parce qu'il l'a aidée à pratiquer la vertu. Cette récompense
est visible ; elle apparaît sur le corps comme le visage de l'homme se
reflète dans un miroir.
6. En présence de tant de gloire dont ils sont
privés, les damnés sentiront augmenter leur peine et leur confusion. Dans
leur corps apparaîtront les marques des péchés qu'ils ont commis, et les
supplices qu'ils ont mérités. Quand retentira pour eux cette parole
épouvantable : Allez, maudits, au feu éternel, l'âme et le corps iront
demeurer avec les démons, sans aucune lueur d'espérance, dans cette sentine
du monde, où chacun apportera l'infection de ses iniquités.
7. L'avare y brûlera, avec les trésors de la terre
qu'il a tant aimés ; le cruel y sera avec ses cruautés, le débauché avec ses
excès, l'envieux avec son envie, et celui qui hait son prochain avec sa
haine. Ceux qui se seront aimés de cet amour déréglé qui cause tous les
maux, parce qu'il est avec l'orgueil le principe de tous les vices, ceux-là
seront dévorés par un feu insupportable ; tous, selon leurs fautes, seront
punis à la fois dans leur âme et dans leur corps.
8. Voilà la fin déplorable de ceux qui .vont par la
route inférieure, et qui suivent le fleuve du monde, sans vouloir se
reconnaître et recourir à la miséricorde. Ainsi que je te l'ai dit, ils
arrivent à la porte du mensonge, parce qu'ils suivent la doctrine du démon,
qui est le père du mensonge ; et le démon est la porte par laquelle ils
arrivent à la damnation éternelle.
9. Mes élus, mes enfants bien-aimés, prennent la
route supérieure, celle du pont ; ils suivent la voie de la vérité, et la
vérité est la porte de ,la vie ; car mon Fils a dit : “Personne ne peut
aller à mon Père, si ce n'est par moi” ; il est la porte et la voie qu'il
faut prendre pour entrer en moi, l'Océan de la paix.
10. Les réprouvés, au contraire, qui suivent la voie
ténébreuse du mensonge, n'arrivent qu'à une eau morte ; le démon les y
appelle, comme s'il disait : Que celui qui a soif d'eau morte vienne à moi,
et je lui en donnerai. Les aveugles et les insensés ne s'en aperçoivent pas,
car ils ont perdu la lumière de la foi.
1. Le démon est le bourreau que ma justice a chargé
de tourmenter les âmes qui m'ont misérablement offensé. Je lui permets
pendant cette vie de tenter et d'inquiéter mes créatures, non pas pour
qu'elles soient vaincues, mais au contraire pour qu'elles triomphent et
qu'elles reçoivent de moi la palme de la victoire qu'elles auront gagnée par
la vertu. Personne ne doit craindre de combattre et d'être vaincu par les
tentations du démon, parce que j'ai fait l'homme fort, en lui donnant la
force de la volonté fortifiée dans le sang de mon Fils.
2. Cette volonté, ni le démon, ni la créature ne
peuvent la changer, parce qu'elle est à vous et que je vous l'ai donnée.
Vous pouvez donc, avec le libre arbitre, résister ou céder, selon votre bon
plaisir. La volonté est une arme que vous livrez au démon pour vous frapper
et vous tuer. Mais si l'homme ne met pas cette arme entre les mains du
démon, c'est-à-dire s'il ne cède pas à ses tentations et à ses attaques, il
ne sera jamais blessé par le péché dans aucune tentation ; il sera fortifié,
au contraire, parce que l’œil de son intelligence verra que ma charité
permet la tentation pour éprouver et augmenter la vertu.
3. L'homme acquiert la vertu en connaissant sa
faiblesse et ma bonté. Cette connaissance est plus parfaite au temps de la
tentation, parce qu'alors il comprend qu'il n'a pas l'être par lui-même,
puisqu'il ne peut éviter les peines et les tentations qu'il voudrait fuir.
Il me connaît dans sa volonté, à laquelle ma bonté donne la force de
résister à ses tentations. Il comprend pourquoi ma charité les envoie. Le
démon est impuissant ; il ne peut rien sans mon consentement, et si je le
donne, c'est par amour, non par haine ; c'est pour que vous soyez vainqueur
et non vaincu ; c'est pour que vous parveniez à une connaissance plus
parfaite de vous-même et de moi, et que votre vertu soit éprouvée, car elle
n'est éprouvée que par son contraire.
4. Tu vois donc que les démons sont mes ministres
chargés de tourmenter les damnés en enfer, et d'exercer, d'éprouver la vertu
des âmes en cette vie. Leur intention n'est certainement pas d'éprouver la
vertu, car ils n'ont pas la charité ; ils veulent la détruire en vous, mais
ils ne pourront jamais le faire, si vous ne voulez pas y consentir.
5. Maintenant, considère la folie de l'homme qui se
rend faible par le moyen que je lui avais donné pour être fort, et qui se
livre lui-même aux mains du démon. Aussi je veux que tu saches ce qui arrive
au moment de la mort à ceux qui, pendant leur vie, ont volontairement
accepté le joug du démon qui ne pouvait les y contraindre. Quand la mort les
surprend dans ce honteux esclavage, ils n'ont d'autres juges qu'eux-mêmes ;
l'arrêt de leur conscience suffit, et ils se précipitent avec désespoir dans
l'éternelle damnation. Avant d'en passer les limites, ils l'acceptent par
haine de la vertu et choisissent l'enfer pour le partager avec les démons,
leurs maîtres.
6. Les justes, au contraire, qui ont vécu dans la
charité meurent dans l'amour. Quand vient leur dernier instant, s'ils ont
pratiqué parfaitement la vertu, éclairés par la lumière de la foi et
soutenus par l'espérance du sang de l'Agneau, ils voient le bien que je leur
ai préparé ; ils l'embrassent avec amour et m'attirent à eux avec tendresse,
moi, l'éternel et souverain Bonheur. Ils jouissent ainsi du ciel même avant
que leur âme se sépare de leur corps.
7. Pour ceux qui ont passe leur vie dans une charité
moins parfaite, lorsqu'ils arrivent à la mort, ils se jettent dans les bras
de ma miséricorde avec la même lumière de la foi et la même espérance qu ils
ont eue a un degré inférieur. Malgré leur imperfection, ils embrassent ma
miséricorde, parce qu'ils la trouvent plus grande que leurs fautes. Les
pécheurs font le contraire : ils voient avec désespoir la place qui les
attend, et ils l'acceptent avec haine.
8. Les uns et les autres n'attendent pas leur
jugement. Chacun, au sortir de la vie, prend lui-même possession de son
sort ; il l'éprouve même avant de quitter son corps. Les damnés suivent la
haine et le désespoir ; les parfaits suivent l'amour, la lumière de la foi,
l'espérance du sang de l'Agneau ; les imparfaits se confient à ma
miséricorde et vont en purgatoire.
1. Je t'ai dit que le démon invite les hommes à boire
l'eau morte qui est son partage ; il les trompe avec les délices et les
honneurs du monde, il les séduit par l'apparence de quelque bien. Il ne
pourrait réussir autrement, car ils ne se laisseraient pas attirer s'ils ne
trouvaient quelque avantage personnel, quelque jouissance.
2. L'âme, par sa nature, recherche toujours le
bien ; mais comme elle est aveuglée par l'amour-propre, elle ne connaît et
ne discerne pas le vrai bien, ce qui est utile à l'âme et au corps. Et alors
le démon, dans sa méchanceté, voyant l'homme aveuglé par l'amour-propre
sensitif, lui propose des fautes qui sont colorées de quelque utilité et de
quelque bien, il les propose selon l'état de chacun et selon les vices
auxquels il paraît le plus enclin. Il tente diversement le séculier, le
religieux et ceux qui ont des dignités spirituelles ou temporelles.
3. Je t'ai déjà parlé de ceux qui se noient dans le
fleuve, parce qu'ils ne pensent qu'à eux et m'outragent par leur coupable
amour-propre. Tu verras combien ils se trompent. En voulant fuir la peine,
ils tombent en de plus grandes. Il leur semble qu'il est bien dur de me
suivre par la voie que mon Fils vous a tracée ; ils reculent devant quelques
épines. Qu'ils sont aveugles! ils ne voient pas la vérité et la
méconnaissent. Je te l'ai expliquée au commencement de ta vie, quand tu me
priais de faire, miséricorde ,au monde et de le retirer des ténèbres du
péché mortel.
4. Tu sais que je me suis révélé à toi sous la
figure d'un arbre dont tu n'apercevais pas le principe et la fin ; tu voyais
seulement que sa racine s'unissait à la terre. C'était la nature divine unie
à la terre de votre humanité. Au pied de l'arbre, s'il t'en souvient, il y
avait quelques épines qui éloignaient tous ceux qui aiment leur sensualité ;
ceux-là couraient à une montagne d'épis battus, qui représentait tous les
plaisirs du monde. Ces épis paraissaient contenir du bon grain, mais ils
étaient vides ; et les pauvres âmes périssaient de faim. Beaucoup
reconnaissaient les tromperies du monde ; ils retournaient à l'arbre et
traversaient les épines, c'est-à-dire les résolutions de la volonté.
5. Ces résolutions, avant d'être prises, semblent des
épices qui embarrassent le chemin de la vérité, parce qu'il y a un combat
entre la conscience et la sensualité ; mais dès que la haine et le mépris de
soi-même font dire avec courage : Je veux suivre Jésus crucifié, aussitôt
ces épines s'émoussent et deviennent d'une douceur extrême. Chacun les sent
plus ou moins, selon ses dispositions particulières.
6. Je te disais alors : Je suis votre Dieu
immuable ; je ne change pas, et je ne me retire jamais de la créature qui
veut venir à moi. Je montre à tous la vérité ; je me rends visible, quoique
je sois invisible ; et je fais voir ce que c'est que d'aimer quelque chose
sans moi. Mais ceux qu'aveuglent les ténèbres de l'amour-propre ne me
connaissent pas et ne se connaissent pas. Vois combien ils sont dans
l'erreur, puisqu'ils aiment mieux mourir de faim que de traverser quelques
épines. Et pourtant, ils ne peuvent éviter de souffrir des peines ; car, en
cette vie, personne ne peut vivre sans souffrir, excepté ceux qui suivent le
chemin d'en haut ; ceux-là rencontrent aussi la souffrance, mais cette
souffrance leur devient une consolation.
7. C'est le péché d'Adam qui a fait naître dans le
monde les épines et les ronces ; c'est lui qui est la source de ce fleuve
qui se précipite comme une mer orageuse ; et je vous ai donné un pont pour
que vous n'y soyez pas engloutis. Ainsi, tu vois combien se trompent ceux
qui craignent sans raison. Je suis votre Dieu, et je ne change pas ; je ne
m'arrête pas aux personnes, mais aux saints désirs. C'est ce que je t'ai
fait comprendre par la figure de cet arbre.
1. Je veux maintenant te montrer ceux que blessent ou
que ne blessent pas les épines et les ronces que la terre produit à cause du
péché. Je t'ai fait voir jusqu'à présent ma bonté et la damnation des
méchants qui sont trompés par leurs sens ; je te dis maintenant qu'eux seuls
sont blessés par les épines du monde.
2. Quiconque naît à la vie ne peut être exempt de
peines corporelles ou spirituelles. Mes serviteurs ont des peines
corporelles, mais leur âme est toujours libre. ils ne souffrent pas de la
souffrance, parce que leur volonté est unie à la mienne ; et c'est par la
volonté que l'homme souffre. Ils souffrent au contraire de l'esprit et du
corps, ceux qui ont, dès cette vie, un avant-goût de l'enfer, comme mes
serviteurs ont un avant-goût de la vie éternelle. Tu sais que le bonheur
principal des bienheureux est d'avoir leur volonté pleine de ce qu'ils
désirent. Ils me désirent ; en me désirant, ils me possèdent et me goûtent
sans aucun obstacle, car ils ont laissé le poids de leur corps, qui était
une force opposée à l'esprit.
3. Le corps était un intermédiaire qui les empêchait
de connaître la vérité ; ils ne pouvaient me voir face à face parce que le
corps ne leur permettait pas de me contempler. Mais dès que l'âme est
délivrée du corps, sa volonté est satisfaite ; elle désirait me voir, elle
me voit, et c'est cette vision qui fait sa béatitude. Qui me voit me
connaît, qui me connaît m'aime, et qui m'aime me possède, moi le bien
suprême, éternel. Cette possession apaise et remplit sa volonté, qui était
le désir de me voir et de me connaître. Dès lors il me désire et il me
possède ; il me possède et il me désire ; et, comme je te l'ai dit, ce désir
est sans peine et cette possession sans satiété.
4. Ainsi, tu le vois, la grande cause de la
béatitude de mes serviteurs est de me voir et de rue connaître. Cette vision
et cette connaissance remplissent la volonté de ce qu'elle désire ; elle est
donc heureuse. Jouir de la vie éternelle, c'est surtout posséder ce que la
volonté désire. Me voir, me connaître et m'aimer, donne la félicité
parfaite.
5. Ceux qui, dans cette vie, ont un avant-goût de la
vie éternelle, jouissent de ce qui fait le bonheur des bienheureux. Comment
ont-ils cet avant-goût ? Par la vue de ma bonté envers eux et par la
connaissance de ma vérité. Cette connaissance est dans l'entendement qui est
l’œil de l'âme éclairé par moi. La pupille de cet oeil est la sainte foi,
dont la lumière fait discerner, connaître et suivre la voie et la doctrine
de ma Vérité, le Verbe incarné. Sans la foi, l'âme ne saurait voir : elle
est comme celui dont un voile obscurcit la pupille, qui est la partie
lumineuse de l’œil. La pupille de l’œil de l'âme ,est la foi. Si
l'amour-propre la couvre du voile de l'infidélité, elle ne peut plus voir.
Elle possède bien un oeil, mais non pas la lumière, dont elle s'est
elle-même privée.
6. Ainsi, tu le comprends, mes serviteurs en me
voyant me connaissent, en me connaissant m'aiment, en m'aimant
s'anéantissent et perdent toute volonté propre. Dès qu'ils ont perdu leur
volonté, ils revêtent la mienne ; et moi, je ne veux que votre
sanctification. Ils quittent aussitôt le chemin d'en bas et commencent à
gravir le pont ; ils ne craignent plus les épines. Leurs pieds ne peuvent
pas en être blessés, car ils sont garantis par l'amour de ma volonté. Ils
souffrent du corps et non de l'esprit, parce que leur volonté sensitive est
morte ; et c'est celle qui afflige et tourmente l'âme de la créature. Dès
que la volonté n'existe plus, la peine disparaît ; ils supportent tout avec
reconnaissance et se réjouissent d'être éprouvés pour moi, parce qu'ils ne
désirent que ce que je veux.
7. Je permets que le démon les tourmente et que les
tentations éprouvent leur vertu ; ils résistent par leur volonté qui est
affermie en moi. Ils s'humilient et se reconnaissent indignes de la paix, du
repos de l'âme ; ils pensent qu'ils méritent la tribulation, et ils vivent
ainsi dans la joie et la connaissance d'eux-mêmes, sans éprouver de
véritables afflictions. Si l'épreuve leur vient des hommes, de la maladie,
de la pauvreté, d'un revers de fortune, de la privation de leurs enfants ou
des personnes qui leur sont chères, ils supportent ces épines que le péché a
fait naître sur la terre, avec, la lumière de la raison et de la sainte foi.
Leurs yeux sont fixés sur moi, qui suis la bonté suprême et qui ne peux
vouloir que leur bien ; tout ce qui leur arrive, c'est l'amour et non la
haine qui le leur envoie.
8. Dès qu'ils voient que je les aime, ils
s'examinent et reconnaissent leurs défauts ; ils voient à la lumière de la
foi que tout bien doit être récompensé et toute faute punie. Ils comprennent
que la moindre faute mérite une peine infinie, parce qu'elle est faite
contre moi, qui suis le bien infini. Ils regardent comme une faveur d'en
être punis pendant cette vie, qui passe si rapidement. Ils se purifient
ainsi du péché par la contrition du cœur, et acquièrent des mérites par la
perfection de leur patience. Leurs peines sont récompensées par un bien sans
mesure ; ils savent que toute souffrance dans cette vie est fugitive comme
le temps.
9. Le temps n'est qu'un point ; le temps passe comme
un éclair ; la souffrance passe avec lui, elle est donc bien petite. Ils la
supportent avec patience et marchent sur les épines de la terre sans être
blessés ; elles n'atteignent pas leur cœur, parce que leur cœur n'est plus à
eux ; il en a été ôté avec l'amour sensitif pour m'être étroitement uni par
les liens de l'amour, Il est donc bien vrai qu'il jouissent de la vie
éternelle, qu'ils en ont un avant-goût dès cette vie ; ils traversent l'eau
sans être mouillés ; ils marchent sur les épines sans être blessés, parce
qu'ils me connaissent, moi le souverain bien, parce qu'ils le cherchent là
où il se trouve, c'est-à-dire dans le Verbe, mon Fils bien-aimé.
1. Je t'ai dit ces choses pour que tu comprennes
mieux comment ceux dont je t'ai fait connaître l'erreur ont un avant-goût de
l'enfer. Je te dirai maintenant d'où vient leur erreur et comment ils
reçoivent cet avant-goût de l'enfer. C'est parce qu'ils ont aveuglé leur
intelligence par l'infidélité de leur amour-propre. La vérité s'acquiert par
la lumière de la foi et le mensonge par l'infidélité. Je parle de
l'infidélité de ceux qui ont reçu le saine baptême, dans lequel la pupille
de la foi est donnée à l’œil de l'intelligence.
2. Lorsque vient l'âge de raison, ceux qui
s'exercent à la vertu conservent la lumière de la foi et enfantent des
vertus vivantes qui profitent au prochain. De même qu'une femme qui donne le
jour à un enfant le présente avec joie à son époux, ils m'offrent leurs
vertus vivantes, à moi qui suis l'époux de leur âme. Mais au contraire, les
malheureux qui, à l'âge de raison, ne profitent pas de la lumière de la foi,
n'enfantent pas les vertus de la vie de la grâce, et ne produisent que des
œuvres mortes. Elles sont mortes, parce qu'elles sont faites dans la mort du
péché, et sans la lumière de la foi. Ils ont. la forme du baptême, mais ils
n'en ont plus la lumière, parce qu'ils en sont privés par les ténèbres de la
faute que fait commettre l'amour-propre, qui couvre entièrement leur vue.
3. On dit que ceux-là ont la foi sans les œuvres et
que leur foi est morte. De même qu'un mort ne voit pas, de même l’œil de
l'intelligence dont la pupille est obscurcie ne voit pas. L'âme ne se
connaît pas et ne connaît pas les péchés qu'elle a commis ; elle ne connaît.
pas ma bonté envers elle en lui donnant l'être et les grâces que j'y ai
ajoutées. M'ignorant et s'ignorant elle-même, elle ne hait pas sa propre
sensualité, mais elle l'aime et cherche à satisfaire ses désirs. Elle
enfante ainsi les oeuvres mortes du péché. Elle ne m'aime pas, et ne
m'aimant pas, elle n'aime pas ce que j'aime, c'est-à-dire le prochain, et
elle ne se plaît point à faire ce qui peut m'être agréable.
4. Ce sont les vraies et solides vertus qu'il m'est
agréable de voir en vous, et ce n'est pas à cause de moi. De quelle utilité
pouvez-vous être polir moi ? Je suis Celui qui agit, et rien ne se fait sans
moi, excepté le péché, qui n'est que néant, puisqu'il prive l'âme de moi,
qui suis le bien suprême, en la privant de la grâce. Les vertus me plaisent
à cause de vous, parce que je puis les récompenser en moi, qui suis la vie
éternelle.
5. Tu vois que leur foi est morte, puisqu'elle est
sans les oeuvres : les œuvres qu'ils font ne servent point pour la vie
éternelle, puisqu'ils n'ont pas la vie de la grâce. Cependant on ne doit
jamais cesser de faire le bien, qu'on soit en état de grâce ou qu'on n'y
soit pas, parce que le bien est toujours récompensé comme la faute est
toujours punie. Le bien qui se fait en état de grâce sert à la vie
éternelle ; le bien qui se fait en état de péché mortel ne sert pas à la vie
éternelle, mais il est récompensé de différentes manières, comme je te l'ai
expliqué.
6. Je le récompense quelquefois en accordant le
temps nécessaire pour se reconnaître ; quelquefois en mettant au cœur, de
mes serviteurs de ferventes prières qui retirent les coupables du mal et les
sauvent de leur misère. D'autres fois je ne leur accorde ni temps ni
prières, mais je les récompense par l'abondance des choses temporelles. Ils
sont comme les animaux qu'on engraisse pour les mener à la boucherie, et
cela arrive à ceux qui résistent de toute manière à ma bonté, et qui font
cependant quelque bien en dehors de la grâce et dans le péché. Ils n'ont pas
voulu profiter du temps qui leur était accordé, des prières qu'on faisait
pour eux, et de tous les moyens que j'employais pour les attirer. Je les
repousse à cause de leurs vices, mais ma bonté veut récompenser ce. qu'ils
peuvent avoir fait d'utile ; je leur accorde des biens temporels qui les
engraissent, et, s'ils ne se convertissent pas, ils vont ainsi au supplice
de l'enfer.
7. Tu vois quelle est leur erreur ; mais, s'ils y
tombent, n'est-ce pas leur faute ? Ils se sont privés de la lumière de la
foi, et ils marchent à tâtons comme des aveugles, s'attachant à tout, ce
qu'ils touchent. Parce que leur vue est obscurcie, ils ne placent leur
affection que dans des choses transitoires ; ils se trompent comme ces fous
que séduit l'or, sans prendre garde au poison qu'il cache. Toutes les choses
du monde, ses joies, ses plaisirs, si on les possède, si on les goûte sans
moi, avec un amour déréglé, sont comme ces scorpions que je te montrais dans
les commencements,, après la figure de l'arbre : ils portaient de l'or
devant eux et du poison par derrière ; il n'y avait pas de poison sans or ni
d'or sans poison ; mais c'était l'or qu'on voyait le premier, et personne
n'évitait le poison, à moins d'être éclairé par la lumière de la foi.
1. Je t'ai dit que ceux qui sont éclairés par la
lumière de la foi, retranchaient le poison des sens avec le glaive à deux
tranchants de la haine du vice et de l'amour de la vertu ; ceux qu'éclaire
seulement la lumière de la raison acquièrent et possèdent l'or des choses
terrestres qu'ils veulent conserver ; mais ceux qui veulent atteindre la
perfection méprisent ces biens réellement et spirituellement, ils observent
les conseils de ma Vérité.
2. Les autres possèdent et observent les
commandements et ne suivent les conseils que spirituellement ; mais comme
les conseils sont liés aux commandements, personne ne peut observer les
commandements sans observer les conseils, non pas réellement, mais
spirituellement. En possédant les richesses du monde, on doit les posséder
avec humilité, et non pas avec orgueil ; on doit les posséder comme une
chose prêtée, car ma bonté ne vous les donne que pour votre usage. Vous ne
les avez qu'autant que je vous les donne ; vous ne les conservez qu'autant
que je vous les laisse, et je ne vous les laisse qu'autant que je vois
qu'elles servent à votre salut. C'est ainsi que vous devez en user.
3. Si l'homme en use de la sorte, il observe les
commandements, puisqu'il m'aime par-dessus toutes choses et qu'il aime le
prochain comme lui-même. Il vit avec un cœur libre, il ne s'attache pas aux
richesses par le désir, il ne les aime pas et ne les tient que de ma
volonté ; et, s'il les possède matériellement, il n'en observe pas moins le
conseil dans son cœur, parce qu'il s'est purifié du poison de l'amour
déréglé.
4. Ceux qui agissent ainsi sont dans la charité
commune, mais ceux qui observent les commandements et les conseils
spirituellement et réellement sont dans la charité parfaite ; ils observent
dans toute sa simplicité le conseil que ma Vérité, le Verbe incarné,
donnait, à ce jeune homme qui lui demandait : Maître, que puis-je faire pour
avoir la vie éternelle ? Mon Fils lui dit : Observez les commandements de la
loi. Le jeune homme répondit : Je les observe ; et mon Fils lui dit : C'est
bien. Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez et
donnez-le aux pauvres (Mt, XIX, 16-21). Alors ce jeune homme devint
triste, parce que les richesses qu'il avait, il les possédait encore avec
trop d'amour : c'est ce qui causait sa peine. Mais les parfaits suivent le
conseil ; ils abandonnent le monde et ses délices ; ils affligent leur corps
par la pénitence, par les veilles, par d'humbles et continuelles prières.
5. Ceux qui restent dans la charité commune ne
perdent pas la vie éternelle en ne se séparant pas matériellement des
richesses, parce qu'ils n'y sont pas obligés ; mais, s'ils veulent garder
les choses du monde, ils doivent le faire comme je te l'ai enseigné. En les
possédant ils ne pèchent pas ; car toutes ces choses sont bonnes,
excellentes, parfaites et créées par moi, qui suis la bonté souveraine,
elles sont faites pour servir à mes créatures raisonnables, mais non pas
pour que mes créatures deviennent les esclaves des délices du monde. Ceux
qui veulent les garder renoncent à la perfection ; ils doivent s'en servir,
non pas comme des maîtres, mais comme des serviteurs. Tous leurs désirs
doivent être pour moi ; il faut aimer et posséder le reste comme des choses
qui leur sont prêtées et qui ne leur appartiennent pas.
6. Je ne tiens aucun compte des personnes et des
positions, je ne m'arrête qu'aux saints désirs. Dans tout état que l'homme
choisit, qu'il ait une volonté bonne et sainte, et il me sera agréable. Qui
pourra réussir ? Ceux qui détruiront le venin de l'amour-propre par la haine
des sens et l'amour de la vertu. Dès que la volonté est purifiée de ce venin
et réglée par l'amour et la sainte crainte de Dieu, l'homme peut choisir
l'état qui lui plaît et y gagner la vie éternelle.
7. Quoique la plus grande perfection, celle qui m'est
le plus agréable, soit de se détacher spirituellement et matériellement de
toutes les choses du monde, celui qui ne se sent pas capable d'atteindre
cette perfection à cause de sa fragilité, peut rester dans la charité
commune selon son état. Ma bonté l'a décidé, afin que personne ne puisse
excuser son péché dans aucune condition. Y a-t-il en effet une excuse
possible, puisque j'accorde aux passions et à la faiblesse de l'homme de
pouvoir rester dans le monde, posséder la richesse, tenir un rang, vivre
dans le mariage et travailler à établir ses enfants ? L'homme peut choisir
l'état qu'il veut, pourvu qu'il se purifie du venin de la sensualité, qui
donne la mort éternelle.
8. La sensualité tue l'âme comme un poison qui
tourmente le corps et le fait enfin mourir, si on ne le rejette pas et si on
ne prend aucune médecine. Le monde est un scorpion qui empoisonne par ses
jouissances. Ce ne sont pas les choses temporelles qui tuent par
elles-mêmes, car elles sont bonnes et faites par moi, qui suis la bonté
suprême ; on peut en user avec amour et crainte : le poison vient de la
volonté perverse de l'homme. Il empoisonne l'âme et lui donne la mort, si
elle ne le rejette par une sainte confession qui délivre le cœur. La
confession est une médecine qui guérit de ce poison, mais ce remède paraît
amer à la sensualité.
9. Tu vois donc combien sont dans l'erreur ceux qui
pourraient me posséder, fuir la tristesse et goûter la joie, la consolation.
Ceux-là veulent le mal qui a l'apparence du bien, et ils s'attachent à l'or
avec un amour déréglés Parce qu'ils sont aveuglés par de nombreuses
infidélités, ils, ne reconnaissent pas le poison ; ils voient qu'ils sont
empoisonnés, et ne prennent pas de remède ; ils portent la croix du démon et
ils ont un avant-goût de l'enfer.
1. Je t'ai dit que de la volonté venaient les peines
de l'homme. Comme mes serviteurs se sont dépouillés de leur volonté et
revêtus de la mienne, ils n'éprouvent aucune affliction ; ils sont toujours
satisfaits, parce qu'ils sentent que je suis dans leur âme par la grâce.
Ceux qui ne m'ont pas ne peuvent être satisfaits, lors même qu'ils
possèderaient le monde tout entier car les choses créées sont moindres que
l'homme, puisqu'elles sont faites pour l'homme, et non l'homme pour elles.
L'homme ne peut s'en contenter ; moi seul je puis le satisfaire ; et
pourtant ces malheureux sont si aveugles qu'ils se fatiguent inutilement à
poursuivre ce qu'ils ne peuvent avoir, parce qu'ils ne s'adressent point à
moi qui pourrais tout leur donner.
2. Veux-tu connaître leur tourment ? Tu sais que
l'amour souffre quand il perd la chose à laquelle il s'est identifié. Ceux
qui s'identifient à la terre par l'amour deviennent semblables à la terre :
les autres s'identifient à leurs richesses, à leurs honneurs, à leurs
enfants ; les autres me perdent pour se donner aux créatures, d'autres font
de leur corps un animal immonde ; tous ainsi désirent la terre et s'en
repaissent. Ils voudraient que ces choses fussent durables, mais elles ne le
sont pas ; elles passent comme le vent. La mort leur enlève ce qu'ils
aiment, ou ma volonté les en prive.
3. Cette privation est pour eux une peine
intolérable ; leur douleur est aussi grande que leur amour avait été
déréglé. S'ils avaient possédé ces choses comme des choses prêtées et qui ne
leur appartenaient pas, ils les ,auraient quittées sans regret. Ils les
regrettent, parce qu'ils n'ont plus ce qu'ils désirent ; car le monde, je te
l'ai dit, ne peut les rassasier, et ils souffrent de ne pas l'être.
4. Quel supplice cause les remords de la
conscience ! quelle torture éprouve celui qui a soif de vengeance ! Il se
dévore lui-même et tue son âme avant de tuer son ennemi, il se suicide avec
le poignard de la haine. Que ne souffre pas l'avare qui par avarice se
réduit à l'extrémité ? et l'envieux dont le cœur se ronge à la vue du
bonheur d'autrui ? Toutes les choses qu'on aime d'un amour déréglé
engendrent des peines et des frayeurs sans nombre. Ces infortunés portent la
croix du démon et ont un avant-goût de l'enfer ; cette vie est pour eux
pleine d'infirmités et de malheurs, et, s'ils ne se convertissent, ils n'ont
à attendre que la mort éternelle.
5. Ce sont ceux-là qui sont blessés par les épines de
la tribulation, et qui se tourmentent eux-mêmes par leur volonté déréglée.
Ils souffrent à l'intérieur et à l'extérieur ; leur âme et leur corps
endurent des peines sans aucun mérite, parce qu'ils les reçoivent sans
patience et avec colère. Ils possèdent l'or des délices du monde avec un
amour déréglé ; ils sont privés de la vie de la grâce et de l'ardeur rie la
charité. Ils deviennent des arbres de mort, toutes leurs actions sont mortes
et ils s'en vont péniblement se noyer dans le fleuve, dont les eaux
empoisonnées les engloutissent. Ils passent pleins de haine par la porte du
démon, et reçoivent la damnation éternelle. Tu vois donc quelle est leur
erreur, avec quelle peine ils arrivent à l'enfer et se font les martyrs du
démon ; ce qui les aveugle, c'est le nuage de l'amour-propre qui intercepte
la lumière de la foi.
6. Les tribulations du monde qui entourent de toute
part mes serviteurs, ne les atteignent qu'extérieurement. Ils sont
persécutés, mais leur âme est tranquille parce qu'ils sont unis à ma volonté
et qu'ils sont contents de souffrir pour moi. Les serviteurs du monde au
contraire sont frappés au dedans et au dehors ; ils sont surtout tourmentés
intérieurement par la crainte de perdre ce qu'ils possèdent, et par l'amour
de ce qu'ils ne peuvent avoir. Les autres peines qui sont causées par ces
deux peines principales sont innombrables, et ta langue ne pourrait les
dire. Ainsi donc, même en cette vie, il vaut mieux être juste que pécheur ;
tu connais maintenant la route et la fin des uns et des autres.
1. Quelques-uns se sentent éprouvés par les
tribulations du monde, que j'envoie pour apprendre à l'âme que sa fin n'est
pas en cette vie, que toutes ces choses étant imparfaites et transitoires,
elle doit les prendre comme telles, et ne désirer que moi, qui suis sa fin
véritable. Ils commencent à écarter le nuage de leurs yeux, à cause des
peines qu'ils souffrent, et à cause de celles qui doivent punir leur péché.
Cette crainte servile les fait sortir du fleuve et vomir le venin que le
scorpion leur avait communiqué par l'appât de l'or qu'ils aimaient sans
mesure. Ils aperçoivent ce qui donne la mort, et ils commencent à faire des
efforts pour gagner la rive et atteindre le pont ; mais la crainte servile
ne suffit pas pour arriver.
2. Purifier du péché mortel sa demeure, sans la
remplir des vertus fondées sur l'amour et non sur la crainte, ce n'est pas
mériter la vie éternelle ; il faut placer les deux pieds sur le premier
degré du pont, c'est-à-dire y parvenir par l'amour et le désir, qui sont les
pieds de l'âme, pour atteindre la Vérité, dont je vous ai fait un pont. Il
faut monter le premier degré que je t'ai fait voir, en te présentant comme
un pont le corps de mon Fils.
3. Il est vrai que presque toujours les serviteurs du
monde commencent à se convertir par la crainte de la punition : les
tribulations leur rendent souvent la vie insupportable et les détachent du
monde. Si la lumière de la foi éclaire leur crainte, ils peuvent arriver à
l'amour des vertus ; mais il y en a qui marchent avec tant de tiédeur,
qu'ils retombent souvent dans leurs fautes. Lorsqu'ils sont sur la rive, ils
rencontrent des vents contraires et sont battus par les flots orageux de
cette vie ténébreuse.
4. Le vent de la prospérité surtout les éprouve
avant qu'ils aient monté le premier degré par l'amour ,des vertus ; ils
retournent en arrière et s'attachent encore d'une manière déréglée aux
jouissances du monde. Si c'est, le vent de l'adversité qui souffle, ils
reculent par l'impatience, parce qu'ils ne détestent pas leurs fautes comme
une offense qui m'est faite, mais par crainte de la punition qu'elle mérite.
Sans cette crainte ils ne sel-aient pas convertis ; mais toute vertu veut la
persévérance, et dès qu'ils ne persévèrent pas, ils ne peuvent atteindre le
but de leurs désirs, ils abandonnent ce qu'ils avaient commencé ; la
persévérance seule obtiendrait la récompense de leurs efforts.
5. Ainsi les rechutes viennent de causes
différentes : les uns succombent dans les combats de la chair contre
l'esprit ; les autres sont vaincus par les créatures qu'ils aiment hors de
moi, ou par l'impatience que leur cause les injures reçues ; d'autres par
les attaques variées et nombreuses du démon, qui les décourage en dépréciant
leurs œuvres. Ce bien que vous entreprenez, leur dit-il, ne sert à rien, à
cause de vos fautes et de vos vices ; et il les fait ainsi retourner en
arrière et abandonner le peu qu'ils avaient entrepris.
6. Quelquefois il les abuse en leur donnant une
fausse confiance dans ma miséricorde. Pourquoi, leur dit-il, tant vous
fatiguer? Jouissez de la vie, et au dernier moment vous vous reconnaîtrez et
vous obtiendrez miséricorde. Par ce moyen le démon leur fait perdre cette
crainte par laquelle ils avaient commencé. Toutes ces ruses, ces attaques
les empochent de persévérer, et cela arrive parce que la racine de
l'amour-propre n'est pas arrachée de leur cœur ; c'est ce qui cause leur
chute. Ils présument de ma miséricorde ; ils n'ont qu'une injuste et
coupable espérance, puisqu'ils comptent sur ma miséricorde pour m'outrager
sans cesse.
7. La miséricorde ne leur est pas donnée pour
m'offenser, mais pour les défendre de la malice du démon et les préserver du
désespoir. ils font tout le contraire, puisqu'ils m'offensent en s'appuyant
sur ma miséricorde elle-même. Il en est ainsi, parce qu'ils n'ont pas
complété ce premier changement, qu'ils avaient opéré en se retirant du péché
mortel par crainte du châtiment, lorsqu'ils avaient senti l'aiguillon de la
tribulation. En s'arrêtant, ils n'arrivent pas à l'amour de la vertu et ils
manquent de persévérance. L'âme ne peut rester immobile, il faut qu'elle
avance ou qu'elle recule. Quand on avance dans la vertu, on abandonne
l'imperfection de la crainte ; quand on n'arrive pas à l'amour, on retourne
en arrière.
1. Alors cette âme tourmentée de désirs considérait
son imperfection et celle des autres ; elle souffrait d'entendre et de voir
tant d'aveuglement dans les créatures, parce qu'elle savait combien grande
était la bonté de Dieu, qui n'a rien mis dans cette vie qui puisse empêcher
le salut et qui ne serve au contraire à exercer et à éprouver la vertu. Et
malgré cela, elle voyait que l'amour-propre et les affections déréglées
entraînent les hommes dans le fleuve, et causent, quand ils ne s'en
corrigent pas, leur damnation éternelle.
2. Beaucoup de ceux qui avaient bien commencé
retournaient en arrière pour les raisons que l'ineffable bonté de Dieu avait
daigné lui révéler, et cette vue la plongeait dans une douleur profonde ;
elle fixait ses regards en Dieu le Père, et, elle lui disait : O amour
inexprimable, combien grande est l'erreur de vos créatures ! Qu'il plaise à
votre bonté de m'expliquer plus particulièrement les trois degrés figurés
sur le corps de votre Fils bien-aimé, comment on doit faire pour sortir
entièrement de ces flots et pour suivre la voie de votre vérité, et quels
sont ceux qui montent ces degrés.
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