INDEX

XI

La pénitence doit être le moyen d'acquérir la vertu et non le but principal de l'âme. Des lumières de la discrétion en diverses circonstances.

XII

Dieu promet aux souffrances de ses serviteurs le repos et la réforme de l'Église.

XIII

L'âme consolée dans sa peine, et fortifiée dans ses espérances par les paroles de Dieu, prie pour la sainte Église et pour tous les hommes.

XIV

Dieu se plaint des péchés des chrétiens, et particulièrement de ceux de ses ministres. - Du sacrement de l'Eucharistie et des bienfaits de l'Incarnation.

XV

Le péché est plus gravement puni depuis la Passion de Jésus-Christ. Dieu promet de faire miséricorde, en considération des prières et des souffrances de ses serviteurs.

XVI

L'âme, à la vue de la bonté divine, prie pour l'Église et pour le monde.

XVII

Dieu se plaint de ses créatures raisonnables et surtout de leur amour-propre.

XVIII

Personne ne peut échapper aux mains de Dieu : tous éprouvent sa miséricorde ou sa justice.

XIX

L'âme, de plus en plus embrasée d'amour, désire répandre son sang. Elle s'accuse elle-même, et prie particulièrement pour son père spirituel.

XX

On ne peut plaire à Dieu qu'en supportant les tribulations avec patience.

XXI

Le chemin du ciel ayant été Interrompu par la désobéissance d'Adam, Dieu a fait de son Fils un pont par lequel on peut passer.

XXII

Dieu invite l'âme à regarder la grandeur de ce pont, et comment il va de la terre au Ciel.

XXIII

Tous sont des travailleurs que Dieu envoie travailler à la vigne de la sainte Église.

XXIV

Dieu taille les rameaux unis à la vigne véritable. La vigne de chacun est tellement unie à celle du prochain, que personne ne peut cultiver ou endommager la sienne sans cultiver ou endommager celle du prochains

XXV

L'âme rend grâces à Dieu, et le prie de lui montrer ceux qui passent sur le pont et ceux qui n'y passent pas.

 

 

 

XI

La pénitence doit être le moyen d'acquérir la vertu et non le but principal de l'âme. Des lumières de la discrétion en diverses circonstances.

1.     Les fruits que je demande d'une âme doivent prouver la réalité de la vertu au temps de l'épreuve. Souviens-toi de ce que je t'enseignais autrefois, lorsque tu désirais faire de grandes pénitences ; tu me disais : “Que pourrais-je faire, que pourrais-je endurer pour vous ?” Je te répondais intérieurement : “J'aime peu de paroles, mais beaucoup d’œuvres” afin de te faire comprendre que je m'attache peu à celui dont la bouche me dit : “Seigneur, Seigneur, que puis-je faire pour vous ?” et qui désire par amour pour moi mortifier son corps par la pénitence, sans vaincre et tuer sa volonté. Ce que je préfère, ce sont les actes d'une courageuse patience et les oeuvres d'une vertu intérieure, qui agit toujours sous' l'influence de la grâce ; tout ce qu'on fait en dehors de ce principe, je le regarde comme de simples paroles, parce que ce sont des actes bornés, et moi, qui suis l'infini, je veux des actes et un amour sans borne.

2.      Je veux que les œuvres de pénitence et les autres pratiques corporelles soient le moyen et non pas le but de l'âme ; si c'était le but, ce serait un acte borné, comme la parole qui sort des lèvres et qui n'existe plus, quand elle ne sort pas avec l'amour de l'âme qui conçoit et enfante véritablement la vertu. Si ce que j'appelle une parole est uni à l'ardeur de la charité, alors cette parole me devient agréable, parce qu'elle n'est pas seule, mais qu'elle est accompagnée d'une discrétion véritable, et que l'acte du corps est un moyen et non pas le but principal.

3.     Il ne convient pas que le but principal de l'âme soit dans la pénitence et dans les autres œuvres extérieures, car ces oeuvres sont finies et s'accomplissent dans le temps ; il faut quelquefois que la créature les abandonne ou qu'on les lui défende. Les circonstances et l'ordre des supérieurs peuvent l'exiger : les accomplir alors serait, non pas un mérite, mais une grande offense. Tu vois donc que ce sont des œuvres bornées, qu'il faut prendre pour moyen et non pour but ; car, en les prenant pour but, l'âme serait vide lorsqu'il faudrait les laisser.

4.      Aussi mon Apôtre, le glorieux saint Paul, dit dans son Épître, de mortifier le corps et de tuer. la volonté, c'est-à-dire de dompter le corps en macérant la chair lorsqu'elle veut se révolter contra l'esprit. Mais la volonté a besoin d'être entièrement vaincue, détruite et soumise à ma volonté. On triomphe ainsi de la volonté par le moyen de la vertu de discrétion, qui fait que l'âme déteste ses fautes et sa sensualité en acquérant la connaissance d'elle-même ; c'est là l'arme victorieuse qui tue l'amour-propre né de la volonté.

5.     Ceux qui agissent ainsi m'offrent non seulement des paroles, mais encore beaucoup d'œuvres, et en disant beaucoup, je n'en fixe pas le nombre, parce que la charité fait naître toutes les vertus, et l'âme qui y est affermie ne doit pas connaître de limites. Je n'exclus pas non plus les paroles, mais je dis qu'elles doivent être peu nombreuses, parce que les œuvres extérieures sont bornées. Elles me sont agréables cependant, lorsqu'elles sont le moyen de la vertu et non pas le but principal.

6.      Il faut bien se garder de mesurer la perfection sur la pénitence. Celui qui tue son corps par la mortification peut être moins parfait que celui qui le traite plus doucement. La vertu et le mérite ne consistent pas dans l'acte ; car que deviendrait celui qui, pour une cause légitime, ne pourrait l'accomplir ? La vertu et le mérite sont dans la charité unie à la discrétion, et la discrétion ne met pas de bornes à la charité, parce que je suis la souveraine et éternelle Vérité.

7.     Il ne peut y avoir de mesure à mon amour, mais il y en a à l'amour du prochain : c'est la lumière de la discrétion, née de la charité, qui le règle ; car il n'est jamais permis de commettre une faute dans l'intérêt même du prochain. Si l'on pouvait par un seul péché retirer le monde entier de l'enfer ou produire un grand bien, il ne faudrait pas commettre ce péché, parce que la charité ne serait pas discrète, et qu'on ne doit pas faire le mal pour le bien et l'utilité du prochain.

8.      Une sainte discrétion apprend aux puissances de l'âme à me servir avec courage ; elle enseigne à aimer le prochain avec ardeur et à donner la vie du corps pour le salut des âmes, si l'occasion s'en présente. Elle fait souffrir mille tourments pour procurer aux autres la vie de la grâce, et elle sacrifie le nécessaire même pour les assister et les secourir dans leurs nécessités corporelles.

9.     C'est ainsi qu'agit la discrétion dans la lumière que lui donne la charité. Toute âme qui veut vivre de ma grâce doit avoir pour moi un amour sans borne et sans mesure, et avec cet amour aimer le prochain selon les règles de la charité, sans jamais commettre de faute pour lui être utile.

10.    C'est l'enseignement de saint Paul lorsqu'il dit que la charité bien ordonnée est de commencer par soi-même ; autrement on ne servirait pas parfaitement le prochain ; car lorsque la perfection n'est pas dans l'âme, tout ce qu'elle fait pour elle et pour les autres est imparfait. Serait-il convenable que, pour sauver des créatures qui sont finies et créées, on m'offensât, moi qui sais le Bien éternel et infini ? La faute ne pourrait jamais être compensée par le bien qu'elle procurerait ; ainsi on ne doit jamais la commettre.

11.   La véritable charité le comprend, parce qu'elle porte avec elle la lumière d'une sainte discrétion. Cette lumière dissipe les ténèbres, détruit l'ignorance, prépare toutes les vertus et devient le principal moyen. Elle est une prudence qui ne peut s'égarer, une force qui est invincible, une persévérance qui unit les extrêmes, le ciel à la terre, parce qu'elle conduit de ma connaissance à la connaissance de soi-même, et de mon amour à l'amour du prochain.

12.    Elle échappe par l'humilité à tous les pièges du tentateur, et par la prudence à toutes les séductions des créatures. Sa main, qui n'a d'autre arme que la patience, triomphe du démon et de la chair avec l'aide de cette douce et bonne lumière, parce qu'elle connaît sa fragilité, et que, la connaissant, elle a pour elle la haine qu'elle mérite. Dès lors elle dédaigne, méprise et foule aux pieds le monde ; elle en reste maîtresse.

13.   Tous les tyrans de la terre ne peuvent ôter la vertu d'une âme ; leurs persécutions, au contraire, la fortifient et l'augmentent. Cette vertu que mon amour a fait naître s'éprouve et se développe par le prochain ; car si elle ne se manifestait pas dans l'occasion, si elle ne répandait pas ses clartés sur les créatures, ce serait une preuve qu'elle ne viendrait pas de la vérité. La vertu ne peut être parfaite et utile que par l'intermédiaire du prochain.

14.    L'âme est comme une femme qui conçoit un fils si elle ne le met pas au monde, si elle ne le montre pas aux hommes, son époux ne peut pas dire qu'il a un fils. Et moi qui suis l'époux de l'âme, si elle n'enfante pas ce fils de la vertu dans la charité du prochain, si elle ne le montre pas .quand l'occasion le demande, ne peut-on pas dire qu'elle est stérile ? Ce que j'ai dit des vertus, on peut le dire des vices ; ils s'exercent tous par l'intermédiaire du prochain.

XII

Dieu promet aux souffrances de ses serviteurs le repos et la réforme de l'Église.

1.     Ma souveraine bonté t'a montré la vérité et la doctrine par laquelle tu peux acquérir une grande perfection et la conserver. Je t'ai dit comment tu devais satisfaire à la faute et à la peine, en toi et en ton prochain. La souffrance que supporte une créature attachée à un corps mortel ne peut satisfaire à la faute et à la peine, si elle n'est pas unie à une charité sincère, à une contrition véritable et à une haine profonde du péché. La souffrance, lorsqu'elle est unie à la charité, ne satisfait pas par sa propre vertu, mais par la vertu de la charité et du regret qu'on a de ses péchés. La charité s'acquiert par la lumière de l'intelligence et par la sincérité du cœur qui se fixe en moi, qui suis la Charité. Je t'ai expliqué ces choses lorsque tu m'as demandé de souffrir.

2.      Je t'ai enseigné comment mes serviteurs doivent s'offrir à moi en sacrifice ; ce sacrifice doit être à la fois et corporel et spirituel. Le vase n'est pas séparé de l'eau quand on la présente au maître. L'eau sans le vase ne pourrait lui être présentée, et le vase sans l'eau lui serait inutile. Vous devez donc m'offrir le vase de toutes les peines que je vous envoie, sans en choisir le lieu, le temps et la mesure, qui dépendent de mon bon plaisir. Mais ce vase doit être plein, c'est-à-dire que vous devez endurer les peines avec amour, avec résignation, et supporter avec patience les défauts du prochain, ne haïssant que le péché. Votre vase alors est plein de l'eau de ma grâce qui donne la vie, et je reçois avec délices ce présent que me font mes épouses, les âmes fidèles. J'accepte leurs ardents désirs, leurs larmes, leurs soupirs, leurs ferventes prières et ces preuves de leur amour apaisent ma colère contre mes ennemis et les hommes pervers, qui commettent contre moi tant d'offenses.

3.     Ainsi donc, souffrez avec courage jusqu'à la mort ; œ sera le signe évident de votre amour pour moi. Après avoir mis la main à la charrue, ne regardez pas en arrière par crainte de quelque créature ou de quelque tribulation. Réjouissez-vous au contraire dans vos épreuves ; le monde se complaît dans ses injustices ; pleurez-les, et celles qui m'offensent vous offensent, et celles qui vous offensent m'offensent. Ne suis-je pas .devenu une seule chose avec vous ?

4.      Je vous ai donné mon image et ma ressemblance. Lorsque vous avez perdit la grâce par le péché, pour vous rendre la vie, j'ai uni ma nature à la vôtre en revêtant votre humanité. Vous avez mon image, et j'ai pris la vôtre en me faisant homme. Je suis donc une même chose avec vous, et si l'âme veut bien m'aimer, si elle ne me quitte pas par le péché mortel, elle est en moi, et moi en elle. C'est pour cela que le monde la persécute, parce que le monde n'a pas ma ressemblance et qu'il a persécuté mon Fils unique jusqu'à la mort ignominieuse de la Croix. Il agit de même envers vous ; il vous poursuit et vous poursuivra jusqu'à la mort, parce qu'il ne m'aime pas ; si le monde m'avait aimé, il vous aimerait ; mais réjouissez-vous, car votre joie sera grande dans le ciel.

5.     En vérité, je vous le dis, plus la tribulation abondera dans le corps mystique de la sainte Église, plus aussi abondera la douceur de la consolation. Et quelle sera cette douceur ? Ce sera la réforme et la sainteté de ses ministres qui fleuriront pour la gloire et l'honneur de mon nom, et qui élèveront vers moi le parfum de toutes les vertus. Ce sont les ministres de mon Église qui seront réformés, et non pas mon Église, car la pureté de mon épouse ne peut être diminuée et détruite par les fautes de ses serviteurs.

6.      Réjouis-toi donc, ma fille, avec le directeur de ton âme et avec mes autres serviteurs ; réjouissez-vous dans votre douleur. Moi qui suis la Vérité éternelle, je vous promets de vous soulager. Après la douleur viendra la consolation, parce que vous aurez beaucoup souffert pour la réforme de la sainte Église.

XIII

L'âme consolée dans sa peine, et fortifiée dans ses espérances par les paroles de Dieu, prie pour la sainte Église et pour tous les hommes.

1.     Alors cette âme se sentit embrasée d'un ardent désir et d'un amour ineffable pour la bonté infinie de Dieu. Elle voyait et connaissait l'étendue de cette charité, qui avait bien voulu répondre avec tant de douceur à ses demandes et les exaucer, en adoucissant par l'espérance la douleur que lui avaient causée les offenses contre Dieu, le malheur de l'Église et la connaissance de sa propre misère. Elle cessait ses larmes, mais elle en versait bientôt de nouvelles lorsque Dieu lui montrait la voie de la perfection, les péchés commis contre lui, et le danger que couraient les âmes.

2.      La connaissance que cette âme avait d'elle-même lui faisait mieux connaître Dieu, parce qu'elle lui montrait sa bonté ; et elle voyait dans la douce connaissance de Dieu, comme dans un miroir, sa dignité et son indignité sa dignité, car la création l'avait faite à l'image de Dieu, et cela par grâce et non par mérite ; son indignité, car elle était tombée d'elle-même dans le péché. L'âme apercevait ses souillures dans la pureté divine, et elle désirait les effacer. Plus cette lumière et cette connaissance augmentaient, plus sa douleur augmentait ; mais plus aussi elle diminuait par l'espérance que lui donnait la vérité.

3.     Ainsi que le feu s'accroît à mesure qu'on l'alimente, l'ardeur de cette âme grandissait au point qu'il eût été impossible au corps de la supporter, et que la mort serait venue, si elle n'avait puisé sa force en celui qui est la force suprême. Purifiée par les flammes de la charité qu'elle trouvait dans la connaissance de Dieu et d'elle-même, de plus en plus excitée par l'espérance du salut du monde et de la réforme de l'Église, dont elle voyait la lèpre et les misères, elle s'éleva avec confiance devant le Seigneur, et lui dit comme autrefois Moïse : Seigneur, jetez les regards de votre miséricorde sur votre peuple et sur le corps mystique de la sainte Église. Si vous pardonnez à tant de créatures, si votre bonté infinie les retire du péché mortel et de l'éternelle damnation, vous serez plus glorifié que si vous ne pardonnez qu'à moi, misérable, qui vous ai tant offensé, qui suis l'occasion et l'instrument de tant de mal.

4.      Je vous en conjure, ineffable Charité, vengez-vous sur moi et faites miséricorde à votre peuple. Je gémirai en votre présence jusqu'à ce que vous m'ayez exaucée. A quoi me sert d'avoir la vie, si votre peuple est dans la mort, si votre épouse, qui doit être la lumière, reste dans les ténèbres, et cela par ma faute plutôt que par celle des autres créatures ? Aussi je vous en conjure, faites miséricorde à votre peuple, au nom de cet amour qui vous a porté à créer l'homme à votre image et à votre ressemblance.

5.     En disant cette ineffable parole : “Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance”, et en l'accomplissant, vous avez voulu faire participer l'homme à votre adorable Trinité. Vous lui avez donné la mémoire, pour qu'il retînt vos bienfaits et qu'il participât à votre puissance. O Père éternel, vous lui avez donné l'intelligence, pour qu'il comprit votre bonté et qu'il participât à la sagesse de votre Fils unique ; vous lui avez donné la volonté, pour qu'il aimât ce que l'intelligence verrait et connaîtrait de la vérité, et qu'il participât à l'ardeur du Saint-Esprit. Et qu'est-ce qui vous a fait élever l'homme à une si haute dignité ? C'est cet amour, incompréhensible avec lequel vous avez regardé en vous-même votre créature ; vous, vous êtes passionné pour elle, ,vous l'avez créée, vous lui avez donné l'être, afin de la faire jouir de vous, qui êtes le Bien suprême.

6.      Le péché qu'elle a commis l'a fait déchoir du rang où vous l'aviez placée ; sa révolte l'a mise en opposition avec votre bonté, et nous sommes devenus vos ennemis. Alors le même amour qui vous avait porté à nous créer, vous a porté à relever le genre humain de l'abîme où il était tombé. La paix a remplacé la guerre ; vous nous avez donné le Verbe, votre Fils unique, qui nous a réconciliés avec vous. Il a été notre justice, parce qu'Il a pris sur lui nos injustices ; il s'est fait obéissant pour nous, en revêtant, lorsque vous le lui avez ordonné, la chair de notre humanité.

7.     O abîme de charité, comment le cœur ne se brise-t-il pas en voyant tant de grandeur unie à tant de bassesse ? Nous étions faits à votre image, et vous vous faites à la nôtre, en vous unissant à l'homme, en cachant votre divinité sous la chair misérable et corrompue d'Adam ; et pourquoi ? par amour. Dieu se fait homme, et l'homme devient Dieu. Au nom de cet amour qui vous presse, faites miséricorde, je vous en supplie, à toutes vos créatures.

XIV

Dieu se plaint des péchés des chrétiens, et particulièrement de ceux de ses ministres. - Du sacrement de l'Eucharistie et des bienfaits de l'Incarnation.

1.     Alors Dieu jeta un regard miséricordieux sur cette âme qui l'invoquait avec des larmes si ferventes ; il se laissa vaincre par l'ardeur de ses désirs, et il lui dit : Ma bien douce fille, tes larmes sont toutes puissantes, parce qu'elles sont unies à ma charité et qu'elles sont répandues par amour pour moi. Je ne puis résister à tes désirs. Mais regarde les souillures qui déshonorent le visage de mon épouse. Elle porte comme une lèpre affreuse l'impureté, l'amour-propre, l'orgueil et l'avarice de ceux qui vivent dans leurs péchés. Tous les chrétiens en sont infectés, et le corps mystique de la sainte Église n'en est point exempt !

2.      Oui, mes ministres, qui se nourrissent du lait de son sein, ne songent pas qu'ils doivent le distribuer à tous les fidèles et à ceux qui veulent quitter les ténèbres de l'erreur et s'attacher à I'Église. Vois avec quelle ignorance, avec quelle ingratitude ils me servent. Combien sont indignes et irrespectueuses les mains qui reçoivent le lait de mon Épouse et le sang de mon Fils ! Ce qui donne la vie leur cause la mort, parce qu'ils abusent de ce sang, qui doit vaincre les ténèbres, répandre la lumière et confondre le mensonge.

3.     Ce sang précieux est la source de tout bien ; il sauve et rend parfait tout homme qui s'applique à le recevoir ; il donne la vie et la grâce avec plus ou moins d'abondance, selon les dispositions de l'âme ; mais il n'apporte que la mort à celui qui vit dans le péché. C'est la faute de celui qui vit dans le péché. C'est la faute de celui qui reçoit, et non pas la faute du sang ou la faute de ceux qui l'administrent ; ils pourraient être plus coupables sans en altérer la vertu ; leur péché ne peut nuire à celui qui reçoit, mais à eux seulement, s'ils ne se purifient pas dans la contrition et le repentir.

4.      Oui, c'est un grand malheur de recevoir indignement le sang de mon Fils ; c'est souiller son âme et son corps ; c'est être bien cruel envers soi-même et envers le prochain ; car c'est se priver de la grâce ; c'est fouler aux pieds le bénéfice du sang reçu dans le baptême qui a lavé la tache originelle. Je vous ai donné le Verbe, mon Fils unique, parce que le genre humain tout entier était corrompu par le péché du premier homme, et que, sortis de la chair viciée d'Adam, vous ne pouviez plus acquérir la vie éternelle.

5.     J'ai voulu unir ma grandeur infinie à la bassesse de votre humanité, afin de guérir votre corruption et votre mort, et de vous rendre la grâce qu'avait détruite le péché. Je ne pouvais souffrir comme Dieu la peine que ma justice réclamait pour le péché, et l'homme était incapable d'y satisfaire. S'il le pouvait dans une certaine mesure pour lui, il ne le pouvait pas pour les autres créatures raisonnables ; et d'ailleurs sa satisfaction ne pouvait être complète, puisque l'offense était commise contre moi, qui suis la bonté infinie.

6.      Il fallait racheter l'homme malgré sa faiblesse et sa misère, et c'est pour cela que j'ai envoyé le Verbe mon Fils, revêtu de votre nature déchue, afin qu'il souffrît dans la chair même qui m'avait offensé, et qu'il apaisât ma colère en endurant la douleur jusqu'à la mort ignominieuse de la croix. Il satisfit ainsi à ma justice, et ma miséricorde put pardonner à l'homme, et lui rendre encore accessible la félicité suprême pour laquelle il avait été créé. La nature humaine unie à la nature divine racheta le genre humain, non seulement par la peine qu'elle supporta dans la chair d'Adam, mais par la vertu de la Divinité, dont la puissance est infinie.

7.     Cette union des deux natures m'a rendu agréable le sacrifice de mon Fils, et j'ai accepté son sang, mêlé à la Divinité et tout embrasé du feu de cette charité, qui l'attachait et le clouait à la croix. La nature humaine satisfit au péché par le mérite de la nature divine : la tache originelle d'Adam disparut, et il n'en resta qu'un penchant au mal, et une faiblesse des sens qui est dans l'homme comme la cicatrice d'une plaie.

8.      La chute d'Adam vous avait mortellement blessés ; mais le grand médecin, mon Fils unique, est venu pour vous guérir ; il a bu le breuvage amer que l'homme ne pouvait boire à cause de sa faiblesse ; il a fait comme la nourrice qui prend une médecine pour guérir son enfant, parce qu'elle est grande et forte, et que son enfant ne peut en supporter l'amertume. Mon Fils a pris aussi, dans la grandeur et la force de la Divinité unie à votre nature, l'amère médecine du Calvaire, la mort douloureuse de la croix, pour guérir ses enfants et leur rendre la vie que le péché avait détruite.

9.     Il reste seulement une trace du péché originel que vous a donné la naissance ; cette trace même est effacée presque entièrement par le baptême, qui contient et donne la vie de la grâce que lui communique le glorieux et précieux sang de mon Fils. Dès que l'âme reçoit le saint baptême, le péché originel disparaît, et la grâce y entre. Le penchant au mal, qui est la cicatrice du péché originel, s'affaiblit même, et l'âme peut le vaincre si elle le veut. Elle peut recevoir et augmenter la grâce dans la mesure du désir qu'elle aura de m'aimer et de me servir.

10.    La grâce du saint baptême lui laisse toute sa liberté pour le bien et pour le mal... Quand vient le moment de jouir du libre arbitre, elle peut en user dans toute la plénitude de sa volonté ; et cette liberté, conquise par le sang glorieux de mon Fils, est si grande, que ni le démon ni les créatures ne peuvent lui faire commettre la moindre faute sans son consentement. La servitude du péché est détruite, et l'homme peut dominer ses sens et acquérir le bonheur pour lequel il a été créé.

11.   O homme misérable, qui te délectes dans la boue comme le fait l'animal, et qui méconnais la grandeur du bienfait que tu as reçu de ma bonté ! O malheureuse créature, tu ne pouvais recevoir davantage au milieu des ténèbres épaisses de ton ignorance.

XV

Le péché est plus gravement puni depuis la Passion de Jésus-Christ. Dieu promet de faire miséricorde, en considération des prières et des souffrances de ses serviteurs.

1.     Tu le vois, ma fille bien-aimée, les hommes ont été régénérés dans le sang de mon Fils et rétablis dans la grâce, mais ils la méconnaissent et s'enfoncent de plus en plus dans le mal ; ils me poursuivent de leurs outrages et méprisent mes bienfaits. Non seulement ils repoussent ma grâce, mais ils me la reprochent, comme si j'avais d'autre but que leur sanctification. Plus ils s'endurciront, et plus ils seront punis ; et leur châtiment sera plus terrible qu'il ne l'aurait été avant la Rédemption, qui a effacé la tache du péché originel. N'est-il pas juste que celui qui a beaucoup reçu doive beaucoup ?

2.      L'homme a reçu beaucoup. Il a reçu l'être, il a été fait à mon image et à ma ressemblance, il devait m'en rendre gloire, et il ne l'a pas fait pour se glorifier lui-même. Il a violé les ordres que je lui avais donnés, et il est devenu mon ennemi. J'ai détruit par l'humilité son orgueil ; j'ai abaissé ma divinité jusqu'à revêtir votre humanité ; je vous ai délivrés de l'esclavage du démon ; je vous ai rendus libres. Non seulement je vous ai donné la liberté, mais j'ai fait l'homme Dieu, comme j'ai fait Dieu homme, en unissant la nature divine à la nature humaine.

3.     Ne me doivent-ils donc rien, ceux qui ont reçu le trésor de ce sang précieux qui les a rachetés, et la dette n'est-elle pas plus grande après la Rédemption qu'avant ?

        Les hommes sont obligés de me rendre gloire et honneur en suivant la parole incarnée de mon Fils : ils me doivent l'amour envers moi et envers le prochain. Ils me doivent des vertus sincères et véritables, et s'ils ne s'acquittent pas, plus ils me doivent et plus ils m'offensent.

4.      Ma justice alors demande que je proportionne la peine à l'offense et que je les frappe d'une damnation éternelle. Aussi le mauvais chrétien est-il beaucoup plus puni que le païen. Le feu terrible de ma vengeance, qui brûle sans consumer, le torture davantage, et le ver rongeur de la conscience le dévore plus profondément. Quels que soient leurs tourments, les damnés ne peuvent perdre l'être ; ils demandent la mort sans pouvoir l'obtenir, le péché ne leur ôte que la vie de la grâce. Oui, le péché est plus puni depuis la Rédemption qu'avant, parce que les hommes ont plus reçu. Les malheureux n'y pensent pas, et se font mes ennemis après avoir été réconciliés dans le sang précieux de mon Fils.

5.     Il y a cependant un moyen d'apaiser ma colère ; mes serviteurs peuvent l'arrêter par leurs larmes et la vaincre par l'ardeur de leurs désirs : c'est ainsi que tu en as triomphé, parce que je t'en ai donné la puissance, afin de pouvoir faire miséricorde au monde. Oui, j'excite moi-même dans mes serviteurs une faim et une soif dévorantes du salut des âmes, parce que leurs larmes tempèrent les rigueurs de ma Justice. Versez donc des larmes abondantes ; puisez-les dans l'océan de ma charité, et lavez avec des larmes la face de mon épouse bien-aimée. Vous lui rendrez cette beauté que ne donnent pas la guerre et la violence, mais que procurent les humbles et douces prières de mes serviteurs et les larmes qu'ils répandent dans l'ardeur de leurs désirs. Oui, je satisferai ces désirs ; j'éclairerai avec la lumière de votre patience les ténèbres des méchants. Ne craignez pas les persécutions du monde ; je serai toujours avec vous, et ma providence ne vous manquera jamais.

XVI

L'âme, à la vue de la bonté divine, prie pour l'Église et pour le monde.

1.     Alors cette âme, excitée par ces paroles qui l'éclairaient, se présenta pleine de joie devant la Majesté divine. Elle se confiait dans sa miséricorde, et l'amour ineffable qu'elle ressentait lui faisait comprendre que Dieu désirait pardonner aux hommes, malgré tous leurs outrages. C'était pour le pouvoir qu'il demandait à ses amis de lui faire une sainte violence, et qu'il leur apprenait le moyen d'apaiser les rigueurs de sa justice.

2.      Alors toute crainte se dissipait ; elle ne redoutait plus les persécutions du monde, puisque le Seigneur devait l'assister et combattre pour elle. L'ardeur de ses désirs augmentait, et ses prières s'étendaient au monde tout entier. Non seulement elle priait pour le salut des chrétiens et des infidèles qui tiennent à l'Église, mais encore comme Dieu l'y poussait pour la conversion de tous les hommes. Miséricorde, criait-elle, ô Père éternel ! miséricorde pour ces pauvres brebis dont vous êtes le bon pasteur. Ne tardez pas à faire miséricorde au monde ; hâtez-vous, car il se meurt, parce que les hommes n'ont pas l'union de la charité envers vous ni envers eux-mêmes ; ils ne s'aiment pas d'un amour fondé sur vous, ô éternelle Vérité !

XVII

Dieu se plaint de ses créatures raisonnables et surtout de leur amour-propre.

1.     Dieu, tout embrasé d'amour pour notre salut, excitait de plus en plus l'amour et la douleur dans cette âme, en lui montrant avec quelle passion il avait cherché l'homme, et il lui disait : Ma fille, ne vois-tu pas que l'homme me frappe et m'offense, moi qui l'ai créé avec tant d'amour, moi qui l'ai comblé de dons presque infinis, que je lui ai accordés par grâce et non par mérite. Tu vois combien de péchés différents il commet contre moi et combien il m'offense surtout par ce misérable et abominable amour-propre d'où vient tout le mal.

2.      C'est cet amour qui empoisonne le monde entier ; car si mon amour produit toutes les vertus qui s'appliquent au prochain, l'amour-propre renferme en lui tout mal, parce qu'il vient de l'orgueil, comme le mien vient de la charité. Ce mal s'accomplit par le moyen de la créature et détruit la charité du prochain, parce que celui qui ne m'aime pas, n'aime pas le prochain : ces deux amours sont unis ensemble. Je t'ai dit que tout bien et tout mal se faisaient par le prochain.

3.     N'ai-je pas raison de me plaindre de l'homme, qui n'a reçu de moi que des bienfaits, et qui ne me rend que de la haine et des offenses? Cependant, je te l'ai dit et je- te le répète, les larmes de mes serviteurs peuvent apaiser ma colère ; oui, vous tous qui me servez, répandez sans cesse en ma présence Vos ferventes prières et vos ardents désirs : pleurez amèrement les offenses qui me sont faites et le malheur des âmes qui se perdent, et vous adoucirez la rigueur de mes divins jugements.

XVIII

Personne ne peut échapper aux mains de Dieu : tous éprouvent sa miséricorde ou sa justice.

1.     Apprends, ma fille, que personne ne peut échapper à mes mains, parce que je suis celui qui suis. Vous n'avez pas l'être par vous-mêmes, mais vous êtes faits par moi, qui suis le créateur de toutes les choses qui participent à l'être, excepté du péché, qui n'est pas, car il n'à pas été fait par moi, et comme il n'est pas en moi, il n'est pas digne d'être aimé.

2.      La créature se rend coupable parce qu'elle aime le péché, qu'elle ne devrait pas aimer, et parce qu'elle me hait, moi qu'elle devrait tant aimer, puisque je suis le souverain Bien, et que je lui ai donné l'être avec tant d'amour. Mais elle ne peut m'échapper : ou elle est punie par ma justice pour ses fautes, ou elle est sauvée par ma miséricorde. Ouvre donc l’œil de ton intelligence et regarde ma main, et tu verras la vérité de ce que je te dis.

3.     Cette âme, pour obéir à l'ordre du Père suprême, regarda, et vit dans sa main l'univers tout entier. Et Dieu lui disait : Ma fille, vois et comprends que personne ne peut m'échapper ; tous sont les sujets de ma justice ou de ma miséricorde, car tous ont été créés par moi, et je les aime d'un amour ineffable ; malgré toutes leurs iniquités, je leur ferai miséricorde, et je t'accorderai ce que tu m'as demandé avec tant de larmes et d'ardeur.

XIX

L'âme, de plus en plus embrasée d'amour, désire répandre son sang. Elle s'accuse elle-même, et prie particulièrement pour son père spirituel.

1.     Alors cette âme, ivre d'amour et tout hors d'elle-même, dans l'ardeur toujours croissante de ses saints désirs, était à la fois heureuse et pleine de douleur. Elle était heureuse parce qu'elle était unie à Dieu, jouissant des largesses de sa bonté et tout anéantie dans sa miséricorde ; elle était pleine de douleur parce qu'elle voyait offenser cette bonté infinie. Elle rendait grâces à la Majesté divine en comprenant que Dieu lui avait manifesté les défauts de ses créatures pour la contraindre à s'adresser à lui avec plus de zèle et de désir.

2.      Elle sentait son amour se renouveler au sein de Dieu, et cette sainte flamme de l'amour devenait si ardente, qu'elle désirait changer en sueurs de sang ces sueurs que causaient à son corps les violences de son âme, parce que l'union de son âme avec Dieu était plus grande que l'union de son âme et de son corps. La force de l'amour la baignait de sueurs, mais elle en avait honte, car c'était son sang qu'elle aurait voulu voir couler. Elle se disait à elle-même : O ma pauvre âme, tu as perdu tous les instants de ta vie ; il y a tant de péchés dans le monde et dans l'Église, tant de malheurs généraux et particuliers ! Je voudrais te les voir réparer par une sueur de sang.

3.     C'est que cette âme avait bien compris les enseignements de l'éternelle Vérité, le besoin de se connaître, la bonté de Dieu à son égard, et le moyen de réparer le mal dans le monde et d'apaiser la justice irritée du Ciel par d'humbles et continuelles prières. Elle excitait de plus en plus ses désirs et appliquait davantage son intelligence à la contemplation de la charité divine ; elle voyait et sentait combien nous sommes tenus d'aimer et de chercher la gloire et la louange du nom de Dieu dans le salut des âmes. Elle comprenait que c'était la vocation des serviteurs de Dieu. C'était surtout celle à laquelle la Vérité éternelle appelait le père de son âme, et elle l'offrait à la bonté divine, demandant avec ferveur pour lui la lumière de la grâce, afin qu'il accomplit véritablement la volonté de Dieu en toutes choses.

XX

On ne peut plaire à Dieu qu'en supportant les tribulations avec patience.

1.     Alors Dieu répondit à cette demande que lui inspirait l'ardent désir qu'elle avait du salut de son père spirituel. Il lui disait : Ma fille, ma volonté est qu'il cherche à me plaire par sa faim et son zèle pour le salut des âmes ; mais ni toi ni lui ne pourrez y parvenir sans souffrir les nombreuses persécutions que je jugerai utile de vous accorder.

2.      Si vous désirez me voir honorer dans l'Église, vous devez vouloir et aimer souffrir avec patience : ce sera la preuve que toi, ton père spirituel, et mes autres serviteurs, vous cherchez véritablement ma gloire. Vous mériterez ainsi ma tendresse paternelle ; vous reposerez sur la poitrine de mon Fils bien-aimé, que je vous ai donné comme un pont, pour que tous vous puissiez atteindre votre fin dernière, et recevoir le fruit des peines que vous aurez supportées courageusement par amour pour moi.

XXI

Le chemin du ciel ayant été Interrompu par la désobéissance d'Adam, Dieu a fait de son Fils un pont par lequel on peut passer.

1.     Je t'ai dit que j'avais fait du Verbe, mon Fils unique, un pont, et c'est la vérité. Je veux que vous sachiez, vous qui êtes mes enfants, que la route a été rompue par le péché et la désobéissance d'Adam. Personne ne pouvait arriver à la vie éternelle, l'homme ne rendait plus la gloire qu'il me devait et ne recevait plus le bien pour lequel je l'avais créé à mon image et ressemblance, et dès lors ma vérité ne s'accomplissait pas.

2.      Cette vérité était que je l'avais créé pour qu'il eût la vie éternelle, et qu'en participant à moi, il goûtât les ineffables douceurs de ma bonté suprême. Le péché l'empêchait d'arriver à ce but, et ainsi ma vérité n'était pas accomplie, parce que la faute avait fermé le ciel et la porte de la miséricorde. Cette faute produisit pour l'homme les épines, les souffrances et les tribulations.

3.     La créature trouva la révolte en elle-même, dès qu'elle se fut révoltée contre moi : la chair combattit l'esprit. L'homme, en perdant l'état d'innocence, devint un être immonde contre lequel toutes les choses créées se révoltèrent, tandis qu'elles lui auraient été toujours soumises, s'il se fût conservé dans l'état où je l'avais placé. En ne s'y conservant pas, il a violé l'obéissance et mérité la mort éternelle de l'âme et du corps. Dès qu'il eut péché ; un fleuve plein de tempêtes se précipita sur lui et l'inonda de peines et de persécutions qui venaient de lui-même, du démon et du monde.

4.      Vous périssiez tous dans ce fleuve, car personne, par son propre mérite, ne pouvait atteindre la vie éternelle. Pour vous préserver de ce malheur, je vous ai donné mon Fils comme un pont sur lequel vous pouvez passer sans danger le fleuve et les orages de cette vie. Vois combien la créature me doit, et combien elle est aveugle en voulant toujours se noyer dans ce fleuve et en ne prenant pas le remède que je lui ai donné.

XXII

Dieu invite l'âme à regarder la grandeur de ce pont, et comment il va de la terre au Ciel.

1.     Ouvre l’œil de ton intelligence, ma fille, et tu verras les pauvres aveugles, tu verras aussi les imparfaits et les parfaits qui me suivent dans la vérité ; tu pleureras sur la perte des aveugles, et tu te réjouiras de la perfection de mes enfants bien-aimés. Tu verras comment font ceux qui marchent dans la lumière et ceux qui marchent dans les ténèbres ; mais avant, je veux que tu regardes ce pont de mon Fils unique, et que tu voies sa grandeur qui s'étend du ciel à la terre, car il comble la distance qui est entre l'infini et votre humanité, il unit le ciel et la terre par l'union que j'ai faite des deux natures.

2.      Il fallait bien rétablir la route qui était rompue, comme je te l'ai dit, afin que vous arriviez à la vie, et que vous traversiez les flots amers du monde. La terre ne pouvait suffire à ce grand travail, qui devait vous faire passer le fleuve et vous procurer la vie éternelle. La nature de l'homme était incapable de satisfaire à la faute, et d'effacer la souillure du péché d'Adam qui corrompait et infectait tout le genre humain ; il fallait l'unir à la grandeur de ma nature divine, afin qu'elle pût satisfaire pour tous les hommes ; il fallait que la nature humaine souffrît la peine, et que la nature divine unie à cette nature humaine acceptât le sacrifice de mon Fils qui m'était offert pour vous, pour vous délivrer de la mort et vous donner la vie.

3.     La grandeur de la Divinité s'abaissa jusqu'à la terre de votre humanité, et c'est cette union qui fit ce pont et rétablit la route. Pourquoi mon Fils s'est-il fait lui-même le chemin ? C'est pour que vous puissiez jouir de la vie éternelle avec les anges. Mais pour acquérir le bonheur, il ne suffit pas que mon Fils soit devenu un pont, il faut encore vous en servir.

XXIII

Tous sont des travailleurs que Dieu envoie travailler à la vigne de la sainte Église.

1.     L'éternelle Vérité montrait à cette âme qu'elle nous avait créés sans nous, mais qu'elle ne pouvait nous sauver sans nous. Il faut pour cela faire un bon usage du libre arbitre et employer le temps à la pratique des vertus. Elle ajoutait : Vous devez tous passer sur ce pont ; en cherchant sans cesse la gloire de mon nom dans le salut des âmes et en supportant toutes sortes de fatigues, à la suite du doux et tendre Verbe ; sans cela vous ne pourrez jamais venir à moi.

2.      Vous êtes les ouvriers que j'ai envoyés travailler à la vigne de la sainte Église. Vous travaillez dans le corps universel de la religion chrétienne. Je vous y ai conduits par ma grâce lorsque je vous ai donné la lumière du saint baptême. Vous recevez ce baptême dans le corps mystique de l'Église, par les mains de ses ministres que j'ai envoyés travailler avec vous.

3.     Vous êtes dans le corps universel, et eux sont dans le corps mystique pour nourrir vos âmes et vous administrer le sang de mon Fils dans les sacrements que vous recevez d'eux, lorsqu'ils vous délivrent des épines du péché mortel et qu'ils sèment en vous la grâce. Ce sont les ouvriers qui travaillent à la vigne de vos âmes unie à la vigne de la sainte Église.

4.      Toute créature qui a la raison possède une vigne en elle-même : c'est la vigne de son âme, dont le libre arbitre est le vigneron tant que dure la vie. Dès que le temps est plissé, personne ne peut travailler ni bien ni mal ; mais tant qu'il vit, il peut cultiver la vigne que je lui ai confiée. Chaque vigneron a reçu une force si grande, que le démon ni aucune créature ne peut le dépouiller sans son consentement. Il est devenu fort par le saint baptême, et il a reçu comme instruments l'amour de la vertu et la haine du péché. Cet amour et cette haine, il les trouve dans le sang, parce que, par amour pour vous et par haine pour le péché, mon Fils unique est mort et vous a donné son sang, qui vous communique la vie dans le baptême.

5.     Puisque vous êtes armés, votre libre arbitre doit se servir de ce fer, pendant qu'il est temps, pour arracher les épines du péché mortel et pour cultiver la vertu ; sans cela vous ne recevriez pas le fruit du sang que doivent vous donner les ouvriers que j'ai mis dans la sainte Église pour ôter le péché mortel de la vigne de l'âme, et distribuer la grâce en administrant le sang dans les Sacrements établis par l'Église.

6.      Il faut donc exciter d'abord en vous la contrition du cœur, l'horreur du péché, l'amour de la vertu ; et alors vous recevrez le fruit du sang. Mais vous ne le pouvez recevoir, si de votre côté vous n'êtes pas comme les rameaux de mon Fils unique, qui est Fa vigne ; car il a dit : “Je suis la vigne véritable, mon Père est le vigneron et vous êtes les rameaux” (S. Jean, XV, 1-5) ; et cela est vrai.

7.     Je suis le vigneron, car tout ce qui a l'être est venu ou vient par moi. Ma puissance est infinie, c'est elle qui gouverne l'univers, et rien n'est fait ni ordonné sans moi. Je suis le vigneron qui ai mis mon Fils unique, la vigne véritable, dans la terre de votre humanité, afin que vous en soyez les rameaux qui portent le fruit.

8.      Celui qui ne portera pas le fruit de saintes et bonnes œuvres sera retranché de la vigne et se dessèchera ; car, dès qu'il est séparé de la vigne, il perd la vie de la grâce et est jeté au feu éternel. Ainsi le rameau qui ne porte pas de fruit est retranché de la vigne et mise au feu ; il ne peut servir à autre chose. Ceux qui sont retranchés par leur faute, et qui meurent dans le péché mortel, sont jetés par la justice divine, parce qu'ils sont inutiles, dans le feu qui dure éternellement.

9.     Ceux-là n'ont pas cultivé leur vigne ; ils l'ont au contraire détruite ainsi que celle des autres. Non seulement ils ont négligé de produire des rejetons de vertus, mais encore ils ont ôté la semence de la grâce qu'ils avaient reçue dans la lumière du saint baptême, en participant au sang de mon Fils, qui est le vin que porte cette vigne vérItable, ils ont enlevé cette semence, et ils l'ont donnée en pâture aux animaux, c'est-à-dire à leurs nombreuses iniquités. Ils l'ont foulée aux pieds de I'amour déréglé avec lequel ils m'ont offensé, et ils ont nui à eux-mêmes et à leur prochain.

10.    Mes serviteurs n'agissent pas ainsi, et vous devez faire comme eux, c'est-à-dire être unis et greffés sur la vigne véritable, et alors vous porterez des fruits abondants, parce que vous participerez à la sève de la vigne.

11.   Si vous êtes dans mon Fils bien-aimé, vous êtes en moi, parce que je suis une même chose avec lui, et lui avec moi. En étant avec lui, vous suivrez sa doctrine, et en suivant sa doctrine, vous participerez à la substance du Verbe ; c'est-à-dire vous participerez à la divinité unie à l'humanité, et vous puiserez un amour divin qui enivre l'âme fidèle. En vérité, je vous le dis, vous participerez à la substance de la vigne véritable.

XXIV

Dieu taille les rameaux unis à la vigne véritable. La vigne de chacun est tellement unie à celle du prochain, que personne ne peut cultiver ou endommager la sienne sans cultiver ou endommager celle du prochains

1.     Apprends, ma fille, ma conduite envers mes serviteurs qui sont unis à mon Fils bien-aimé par leur fidélité à suivre sa doctrine. Je les taille pour qu'ils portent beaucoup de fruits, et que ce fruit soit excellent et non pas sauvage. Les rameaux de la vigne sont coupés par le vigneron, pour que le vin soit meilleur et plus abondant ; et les branches qui ne portent pas de fruits sont retranchées et mises au feu. Je ferai de même, moi qui suis le vigneron véritable ; je taille par la tribulation les serviteurs qui sont en moi, afin que leur vertu soit éprouvée et donne des fruits plus abondants et plus parfaits. Ceux qui sont stériles sont retranchés et jetés au feu.

2.      Les vrais ouvriers sont ceux qui cultivent bien leurs âmes ; ils en arrachent l'amour-propre et retournent en moi la terre de leur cœur, pour y nourrir et y développer la semence de la grâce qu'ils ont reçue au saint baptême. En, cultivant leur vigne, ils cultivent celle du prochain ; et ils ne peuvent cultiver l'une sans l'autre ; car, je l'ai dit, tout le bien et le mal se fait par le moyen du prochain. Vous êtes mes ouvriers ; je vous ai choisis ; moi, je suis l'ouvrier éternel et suprême ; et je vous ai unis et greffés à la vigne véritable par l'union que j'ai faite avec vous.

3.     Remarque, ma fille, que toutes les créatures raisonnables ont en elles une vigne naturellement unie à la vigne de leur prochain. Ces vignes sont tellement unies, qu'elles ne peuvent agir sans que le bien ou le mal qu'elles font ne leur soit commun. Vous formez tous la vigne universelle, qui est la société des fidèles unie à la vigne mystique de la sainte Église, où vous puisez la vie.

4.      Dans cette vigne est plantée la vigne de mon Fils unique, sur lequel vous devez être greffés. Si vous ne l'êtes pas, vous êtes rebelles à la sainte Église, et vous êtes comme les membres retranchés qui se corrompent sur-le-champ. Vous avez, il est vrai, le temps pour détruire cette corruption du péché par une contrition véritable et par le secours de mes ministres, qui sont les ouvriers chargés de distribuer le vin, c'est-à-dire le sang sorti de la vigne véritable. Ce sang est si pur et si parfait, qu'aucun défaut de celui qui l'administre ne peut en altérer la vertu.

5.     C'est la charité qui lie les rameaux avec les liens d'une humilité sincère, acquise par la connaissance de soi-même et de moi. Tu vois que je vous ai tous envoyés travailler, et je vous y invite de nouveau, parce que le monde décline, et que les épines s'y sont tellement multipliées, qu'elles étouffent la semence, et que les hommes ne veulent plus porter les fruits de la grâce.

6.      Je veux donc que vous soyez mes ouvriers, et que vous alliez avec zèle travailler aux âmes dans le corps mystique de la sainte Église. Je vous ai choisis pour cela, parce que je veux faire miséricorde au monde, pour lequel tu m'adresses de si ferventes prières.

XXV

L'âme rend grâces à Dieu, et le prie de lui montrer ceux qui passent sur le pont et ceux qui n'y passent pas.

1.     Alors cette âme, dans son ardent amour, s'écriait : O douce et ineffable Charité, qui ne s'enflammerait pas à tant d'amour ? Quel cœur pourrait se défendre d'en être consumé ? O abîme de charité, vous aimez si éperdument vos créatures, qu'il semble que vous ne pouvez vivre sans elles ; et cependant vous êtes notre Dieu, qui n'a pas besoin de nous. Notre bien n'ajoute rien à votre grandeur, car vous êtes immuable ; notre mal ne peut vous atteindre, car vous êtes l'éternelle et souveraine bonté. Qui vous porte donc à tant de miséricorde ? L'amour, et non pas le devoir, ni le besoin que vous avez de nous. Nous ne sommes que des enfants coupables et de mauvais débiteurs.

2.      Oui, je ne m'aveugle pas, ô souveraine Vérité, j'ai fait le mal, et vous êtes puni pour moi ; je vois le Verbe, votre Fils, attaché et cloué à la croix, et vous m'en avez fait un pont, ainsi que vous me l'avez montré à moi votre misérable servante. C'est pour cela que mon cœur se brise, et il ne se brise pas autant que le voudrait l'ardent désir qui m'enflamme pour vous. Je me rappelle que vous vouliez me montrer quels sont ceux qui passent sur ce pont et ceux qui n'y passent pas. Qu'il plaise à votre bonté de le faire. Je serai bienheureuse de le voir et de l'entendre.

   

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