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[3. FIGURE BIBLIQUE DE CETTE PARFAITE DEVOTION: REBECCA ET
JACOB]
183. De toutes les vérités que je viens de décrire par
rapport
à la Très Sainte Vierge et à ses enfants et serviteurs, le
Saint-Esprit nous donne, dans l'Écriture Sainte, une figure
admirable dans l'histoire de Jacob, qui reçut la bénédiction
de son père Isaac par les soins et l'industrie de Rébecca sa
mère.
La voici comme le Saint-Esprit la rapporte. Ensuite j'y
ajouterai son explication.
[Histoire de Jacob]
184.
Ésaü ayant vendu à Jacob son droit d'aînesse,
Rébecca,
mère des deux frères, qui aimait tendrement Jacob, lui assura
cet avantage, plusieurs années après, par une adresse toute
sainte et toute pleine de mystères. Car Isaac, se sentant fort
vieux et voulant bénir ses enfants avant de mourir, appela son
fils Ésaü qu'il aimait, lui commanda d'aller à la chasse pour
avoir de quoi manger, afin qu'il le bénit ensuite. Rébecca
avertit promptement Jacob de ce qui se passait et lui commanda
d'aller prendre deux chevreaux dans le troupeau. Lorsqu'il les
eut donné à sa mère, elle en prépara à Isaac, ce qu'elle
savait qu'il aimait; elle revêtit Jacob des habits d'Ésaü,
qu'elle gardait, et couvrit ses mains et son cou de la peau
des chevreaux, a fin que son père, qui ne voyait plus, pût, en
entendant la parole de Jacob, croire au moins, par le poil de
ses mains, que c'était Ésaü son frère. Isaac, en effet, ayant
été surpris de sa voix, qu'il croyait être la voix de Jacob,
le fit approcher de lui, et ayant touché le poil des peaux
dont il s'était couvert les mains, il dit que la voix, à la
vérité, était la voix de Jacob, mais que les mains étaient les
mains d'Ésaü. Après qu'il eut mangé et qu'il eut senti, en
baisant Jacob, l'odeur de ses habits parfumés, il le bénit et
lui souhaita la rosée du ciel et la fécondité de la terre; il
l'établit le maître de tous ses frères, et finit sa
bénédiction par ces paroles: "Que celui qui vous maudira soit
maudit lui-même, et que celui qui vous bénira soit comblé de
bénédictions".
A peine Isaac avait achevé ces paroles qu'Ésaü entre et
apporte à manger ce qu'il avait pris à la chasse, afin que son
père le bénît ensuite. Ce saint patriarche fut surpris d'un
étonnement incroyable lorsqu'il reconnut ce qui venait de se
passer; mais bien loin de rétracter ce qu'il avait fait, il le
confirma, au contraire, parce qu'il voyait trop sensiblement
le doigt de Dieu en cette conduite. Ésaü alors jeta des
rugissements, comme marque l'Écriture Sainte, et, accusant
hautement la tromperie de don frère, il demanda à son père
s'il n'avait qu'une seule bénédiction: étant en ce point,
comme le remarquent les saint Pères, l'image de ceux qui,
étant bien aises d'allier Dieu avec le monde, veulent jouir
tout ensemble des consolations du ciel et de celles de la
terre. Isaac, touché des cris d'Ésaü, le bénit enfin, mais
d'une bénédiction de la terre, et en l'assujettissant à son
frère: ce qui lui fit concevoir une haine si envenimée contre
Jacob, qu'il n'attendait plus que la mort de son père pour le
tuer et Jacob n'aurait pu éviter la mort si sa chère mère
Rébecca ne l'en eût garanti par ses industries et les bons
conseils qu'elle lui donna et qu'il suivit.
[Interprétation de l'histoire de Jacob]
185. Auparavant d'expliquer cette histoire, qui est si
belle,
il faut remarquer que, selon tous les saints Pères et les
interprètes de l'Écriture Sainte, Jacob est la figure de
Jésus-Christ et des prédestinés, et Ésaü celle des réprouvés.
Il ne faut qu'examiner les actions et la conduite de l'un et
de l'autre pour en juger.
1 Ésaü, l'aîné, était fort et robuste de corps et
industrieux à tirer de l'arc et à prendre beaucoup de gibier à
la chasse.
2 Il ne restait quasi point à la maison, et, ne mettant
sa confiance qu'en sa force et son adresse, il ne travaillait
qu'au dehors.
3 Il ne se mettait pas beaucoup en peine de plaire à sa
mère Rébecca, et il ne faisait rien pour cela.
4 Il était si gourmand, et aimait tant sa bouche, qu'il
vendit son droit d'aînesse pour un plat de lentilles.
5 Il était, comme Caïn, plein d'envie contre son frère
Jacob et il le persécutait à outrance.
186. Voilà la conduite que gardent les réprouvés tous les
jours.
1 Ils se fient en leur force et leurs industries pour
les affaires temporelles; ils sont très forts, très habiles et
très éclairés pour les choses de la terre, mais très faibles
et très ignorants dans les choses du ciel: In terrenis fortes,
in coelestibus debiles. C'est pourquoi:
187. 2 Ils ne demeurent point ou très peu chez eux, dans
leur
maison propre, c'est-à-dire dans leur intérieur, qui est la
maison intérieure et essentielle que Dieu a donné à chaque
homme pour y demeurer à son exemple: car Dieu demeure toujours
chez soi. Les réprouvés n'aiment point la retraite, ni la
spiritualité, ni la dévotion intérieure, et ils traitent de
petits esprits, de bigots et de sauvages ceux qui sont
intérieurs et retirés du monde, et qui travaillent plus au
dedans qu'au dehors.
188. 3 Les réprouvés ne se soucient guère de la dévotion à
la
Sainte Vierge, la Mère des prédestinés; il est vrai qu'ils ne
la haïssent pas formellement, ils lui donnent quelquefois des
louanges, ils disent qu'ils l'aiment et ils pratiquent même
quelque dévotion en son honneur; mais, au reste, ils ne
sauraient souffrir qu'on l'aime tendrement, parce qu'ils n'ont
point pour elle les tendresses de Jacob; ils trouvent à redire
aux pratiques de dévotion auxquelles ses bons enfants et
serviteurs se rendent fidèles pour gagner son affection, parce
qu'ils ne croient pas que cette dévotion leur soit nécessaire
au salut, et que, pourvu qu'ils ne haïssent pas formellement
la Sainte Vierge, ou qu'ils ne méprisent pas ouvertement sa
dévotion, c'en est assez, et ils ont gagné les bonnes grâces
de la Sainte Vierge, ils sont ses serviteurs, en récitant et
marmottant quelques oraisons en son honneur, sans tendresse
pour elle ni amendement pour eux-mêmes.
189. 4 Les réprouvés vendent leur droit d'aînesse,
c'est-à-dire les plaisirs du paradis pour un plat de lentilles, c'est-à-dire pour les plaisirs de la terre. Ils rient, ils boivent,
ils mangent, ils se divertissent, ils jouent, ils dansent,
etc., sans se mettre en peine, comme Ésaü, de se rendre dignes
de la bénédiction du Père céleste. En trois mots, ils ne
pensent qu'à la terre, ils n'aiment que la terre, ils ne
parlent et n'agissent que pour la terre et ses plaisirs,
vendant pour un petit moment de plaisir, pour une vaine fumée
d'honneur, et pour un morceau de terre dure, jaune ou blanche,
la grâce baptismale, leur robe d'innocence, leur héritage
céleste.
190. 5 Enfin, les réprouvés haïssent et persécutent tous
les
jours les prédestinés, ouvertement ou secrètement; ils les
méprisent, ils les critiquent, ils les contrefont, ils les
injurient, ils les volent, ils les trompent, ils les
appauvrissent, ils les chassent, ils les réduisent dans la
poussière; tandis qu'ils font fortune, qu'ils prennent leurs
plaisirs, qu'ils sont en belle passe, qu'ils s'enrichissent,
qu'ils s'agrandissent et vivent à leur aise.
191. 1 Jacob, le cadet, était d'une faible complexion,
doux
et paisible, et demeurait ordinairement à la maison pour
gagner les bonnes grâces de sa mère Rébecca, qu'il aimait
tendrement; s'il sortait dehors, ce n'était pas par sa propre
volonté, ni par la confiance qu'il eût en son industrie, mais
pour obéir à sa mère.
192. 2 Il aimait et honorait sa mère: c'est pourquoi il se
tenait à la maison auprès d'elle; il n'était pas plus content
que lorsqu'il la voyait; il évitait tout ce qui pouvait lui
déplaire: ce qui augmentait en Rébecca l'amour qu'elle lui
portait.
193. 3 Il était soumis en toutes choses à sa chère mère,
il
lui obéissait entièrement en toutes choses, promptement sans
tarder, et amoureusement sans se plaindre; au moindre signe de
sa volonté, le petit Jacob courait et travaillait. Il croyait
tout ce qu'elle lui disait, sans raisonner: par exemple, quand
elle lui dit qu'il allât chercher deux chevreaux, et qu'il les
lui apportât pour apprêter à manger à son père Isaac, Jacob ne
lui répliqua point qu'il y en avait assez d'un pour apprêter
une fois à manger à un seul homme; mais, sans raisonner, il
fit ce qu'elle lui avait dit.
194. 4 Il avait une grande confiance en sa chère mère;
comme
il ne s'appuyait point du tout sur son savoir-faire, il
s'appuyait uniquement sur les soins et la protection de sa
mère; il la réclamait en tous ses besoins, et il la consultait
en tous ses doutes: par exemple, quand il lui demanda si, au
lieu de la bénédiction, il ne recevrait point la malédiction
de son père, il la crut et se confia en elle, quand elle lui
dit qu'elle prenait sur elle cette malédiction.
195. 5 Enfin, il imitait selon sa portée les vertus qu'il
voyait en sa mère; et il semble qu'une des raisons pourquoi il
demeurait sédentaire à la maison, c'était pour imiter sa chère
mère, qui était si vertueuse, et pour s'éloigner des mauvaises
compagnies, qui corrompent les moeurs. Par ce moyen, il se
rendit digne de recevoir la double bénédiction de son père.
196. Voilà aussi la conduite que gardent tous les jours
les
prédestinés:
1 Ils sont sédentaires à la maison avec leur mère,
c'est-à-dire, ils aiment la retraite, ils sont intérieurs, ils
s'appliquent à l'oraison, mais à l'exemple et dans la
compagnie de leur Mère, la Sainte Vierge, dont toute la
gloire est au-dedans, et qui, pendant toute sa vie, a aimé la
retraite et l'oraison. Il est vrai qu'ils paraissent
quelquefois au dehors dans le monde; mais c'est par obéissance
à la volonté de Dieu et à celle de leur chère Mère, pour
remplir les devoirs de leur état. Quelques grandes choses en
apparence qu'ils fassent au dehors, ils estiment encore
beaucoup plus celles qu'ils font au dedans d'eux-mêmes, dans
leur intérieur, en compagnie de la Très Sainte Vierge, parce
qu'ils y font le grand ouvrage de leur perfection, auprès
duquel tous les autres ouvrages ne sont que des jeux
d'enfants. C'est pourquoi, tandis quelquefois que leurs frères
et soeurs travaillent pour le dehors avec beaucoup de force,
d'industrie et de succès, dans la louange et approbation du
monde, ils connaissent, par la lumière du Saint-Esprit, qu'il y a beaucoup plus
de gloire, de bien et de plaisir à demeurer
caché dans la retraite avec Jésus-Christ, leur modèle, dans
une entière et parfaite soumission à leur Mère, que de faire
par soi-même des merveilles de nature et de grâce dans le
monde, comme tant d'Ésaü et de réprouvés. Gloria et divitiae
in domo ejus: la gloire pour Dieu et les richesses pour
l'homme se trouvent dans la maison de Marie.
Seigneur Jésus, que vos tabernacles sont aimables! Le
passereau a trouvé une maison pour se loger et la tourterelle
un nid pour mettre ses petits. Oh! qu'heureux est l'homme qui
demeure dans la maison de Marie, où vous avez le premier fait
votre demeure! C'est en cette maison des prédestinés qu'il
reçoit son secours de vous seul, et qu'il a disposé des
montées et des degrés de toutes les vertus dans son coeur,
pour s'élever à la perfection dans cette vallée de larmes!
Quam dilecta tabernacula, etc.
197. 2 Ils aiment tendrement et honorent véritablement la
Très Sainte Vierge comme leur bonne Mère et Maîtresse. Ils
l'aiment non seulement de bouche, mais en vérité; ils
l'honorent non seulement à l'extérieur, mais dans le fond du
coeur; ils évitent, comme Jacob, tout ce qui lui peut
déplaire, et pratiquent avec ferveur tout ce qu'ils croient
pouvoir leur acquérir sa bienveillance. Ils lui apportent et
lui donnent, non deux chevreaux, comme Jacob à Rébecca, mais
leur corps et leur âme, avec tout ce qui en dépend, figurés
par les deux chevreaux de Jacob, afin: 1 qu'elle les reçoive
comme une chose qui lui appartient; 2 afin qu'elle les tue et
les fasse mourir au péché et à eux-mêmes, en les écorchant et
dépouillant de leur propre peau et de leur amour-propre, et,
par ce moyen, pour plaire à Jésus, son Fils, qui ne veut pour
ses amis et disciples que des morts à eux-mêmes; 3 afin
qu'elle les apprête au goût du Père céleste, et à sa plus
grande gloire, qu'elle connaît mieux qu'aucune créature; 4
afin que, par ses soins et ses intercessions, ce corps et
cette âme, bien purifiés de toute tache, bien morts, bien
dépouillés et bien apprêtés, soient un mets délicat, digne de
la bouche et de la bénédiction du Père céleste. N'est-ce pas
ce que feront les personnes prédestinées qui goûteront et
pratiqueront la consécration parfaite à Jésus-Christ par les
mains de Marie, que nous leur enseignons, pour témoigner à
Jésus et à Marie un amour effectif et courageux?
Les réprouvés disent assez qu'ils aiment Jésus, qu'ils
aiment et qu'ils honorent Marie, mais non pas de leur
substance, mais non pas jusqu'à leur sacrifier leurs corps
avec ses sens et leur âme avec ses passions, comme les
prédestinés.
198. 3 Ils sont soumis et obéissants à la Sainte Vierge,
comme à leur bonne Mère à l'exemple de Jésus-Christ, qui, de
trente et trois ans qu'il a vécu sur la terre, en a employé
trente à glorifier Dieu son Père, par une parfaite et entière
soumission à sa sainte Mère. Ils lui obéissent en suivant
exactement ses conseils, comme le petit Jacob ceux de Rébecca,
à qui elle dit: Acquiesce consiliis meis. Mon fils suivez mes
conseils; ou comme les conviés des noces de Cana, auxquels la
Sainte Vierge dit: Quodcumque dixerit vobis facite: Faites
tout ce que mon Fils vous dira. Jacob, pour avoir obéi à sa
mère, reçut la bénédiction comme par miracle, quoique
naturellement il ne dût pas l'avoir; les conviés aux noces de
Cana, pour avoir suivi le conseil de la Sainte Vierge, furent
honorés du premier miracle de Jésus-Christ, qui y convertit
l'eau en vin, à la prière de sa sainte Mère. De même, tous
ceux qui, jusqu'à la fin des siècles, recevront la bénédiction
du Père céleste et seront honorés des merveilles de Dieu, ne
recevront ces grâces qu'en conséquence de leur parfaite
obéissance à Marie. Les Ésaü, au contraire, perdent leur
bénédiction, faute de soumission à la Sainte Vierge.
199. 4 Ils ont une grande confiance dans la bonté et la
puissance de la Très Sainte Vierge, leur bonne Mère; ils
réclament sans cesse son secours; ils la regardent comme leur
étoile polaire, pour arriver à bon port; ils lui découvrent
leurs peines et leurs besoins avec beaucoup d'ouverture de
coeur; ils s'attachent à ses mamelles de miséricorde et de
douceur, pour avoir le pardon de leurs péchés par son
intercession ou pour goûter ses douceurs maternelles dans
leurs peines et leurs ennuis. Ils se jettent même, se cachent
et se perdent d'une manière admirable dans son sein amoureux
et virginal, pour y être embrasés du pur amour, pour y être
purifiés des moindres taches et pour y trouver pleinement
Jésus, qui y réside comme dans son plus glorieux trône. Oh!
quel bonheur! Ne croyez pas, dit l'abbé Guerric, qu'il y ait
plus de bonheur d'habiter dans le sein d'Abraham que dans le
sein de Marie, puisque le Seigneur y a placé son trône: Ne
credideris majoris esse felicitatis habitare in sinu Abrahae
quam in sinu Mariae, cum in eo Dominus posuerit thronum suum.
Les réprouvés, au contraire, mettent tout leur confiance
en eux-mêmes, ne mangeant, avec l'enfant prodigue, que ce que
mangent les cochons, ne se nourrissant avec les crapauds que
de la terre et n'aimant que les choses visibles et
extérieures, avec les mondains, ils ne goûtent point les
douceurs du sein et des mamelles de Marie; ils ne sentent
point un certain appui et une certaine confiance que les
prédestinés sentent pour la Sainte Vierge, leur bonne Mère.
Ils aiment misérablement leur faim au dehors, comme dit saint
Grégoire, parce qu'ils ne veulent pas goûter la douceur qui
est toute préparée au dedans d'eux-mêmes et au dedans de Jésus
et de Marie.
200. 5 Enfin, les prédestinés gardent les voies de la
Sainte
Vierge, leur bonne Mère, c'est-à-dire: ils l'imitent, et c'est
en cela qu'ils sont vraiment heureux et dévots, et qu'ils
portent la marque infaillible de leur prédestination, comme
leur dit cette bonne Mère: Beati qui custodiunt vias meas:
c'est-à-dire, bienheureux ceux qui pratiquent mes vertus et
qui marchent sur les traces de ma vie, avec le secours de la
divine grâce. Ils sont heureux dans ce monde, pendant leur
vie, par l'abondance des grâces et des douceurs que je leur
communique de ma plénitude, et plus abondamment qu'aux autres
qui ne m'imitent pas de si près; ils sont heureux dans leur
mort, qui est douce et tranquille, et à laquelle j'assiste
ordinairement, pour les conduire moi-même dans les joies de
l'éternité; enfin, ils seront heureux dans l'éternité, parce
que jamais aucun de mes bons serviteurs, qui a imité mes
vertus pendant sa vie, n'a été perdu.
Les réprouvés, au contraire, sont malheureux pendant leur
vie, à leur mort et dans l'éternité, parce qu'ils n'imitent
point la Très Sainte Vierge dans ses vertus, se contentant de
se mettre quelquefois de ses confréries, de réciter quelques
prières en son honneur ou de faire quelque autre dévotion
extérieure.
O Sainte Vierge, ma bonne Mère, qu'heureux sont ceux, je
le répète avec les transports de mon coeur, qu'heureux sont
ceux et celles qui, ne se laissant point séduire par une
fausse dévotion envers vous, gardent fidèlement vos voies, vos
conseils et vos ordres! Mais que malheureux et maudits sont
ceux qui, abusant de votre dévotion, ne gardent pas les
commandements de votre Fils: Maledicti omnes qui declinant a
mandatis tuis.
[Devoirs charitables que la Saine Vierge rend à ses
fidèles
serviteurs]
201. Voici présentement les devoirs charitables que la
Sainte
Vierge, comme la meilleure de toutes les mères, rend à ces
fidèles serviteurs, qui se sont donnés à elle de la manière
que j'ai dit, et selon la figure de Jacob.
1. Elle les aime.
Ego diligentes me diligo: J'aime ceux qui m'aiment. Elle
les aime: 1. parce qu'elle est leur Mère véritable: or, une
mère aime toujours son enfant, le fruit de ses entrailles; 2.
elle les aime par reconnaissance, parce qu'effectivement ils
l'aiment comme leur bonne Mère; 3. elle les aime parce
qu'étant prédestinés, Dieu les aime: Jacob dilexi, Esau autem
odio habui, 4. elle les aime parce qu'ils se sont tout
consacrés à elle, et qu'ils sont sa portion et son héritage:
In Israel haereditare.
202. Elle les aime tendrement, et plus tendrement que
toutes
les mères ensemble. Mettez, si vous pouvez, tout l'amour
naturel que les mères de tout le monde ont pour leurs enfants,
dans un même coeur d'une mère pour un enfant unique:
certainement cette mère aimera beaucoup cet enfant; cependant,
il est vrai que Marie aime encore plus tendrement ses enfants
que cette mère n'aimerait le sien.
Elle ne les aime pas seulement avec affection, mais avec
efficace. Son amour pour eux est actif et effectif, comme
celui et plus que celui de Rébecca pour Jacob. Voici ce que
cette bonne Mère, dont Rébecca n'était que la figure, fait
pour obtenir à ses enfants la bénédiction du Père céleste:
203. 1 Elle épie, comme Rébecca, les occasions favorables
de
leur faire du bien, de les agrandir et enrichir. Comme elle
voit clairement en Dieu tous les biens et tous les maux, les
bonnes et les mauvaises fortunes, elle dispose de loin les
choses pour exempter de toutes sortes de maux ses serviteurs
et les combler de toutes sortes de biens; en sorte que, s'il y
a une bonne fortune à faire en Dieu, par la fidélité d'une
créature à quelque haut emploi, il est sûr que Marie procurera
cette bonne fortune à quelqu'un de ses bons enfants et
serviteurs, et leur donnera la grâce pour en venir à bout avec
fidélité: Ipsa procurat negocia nostra, dit un saint.
204. 2 Elle leur donne de bons conseils, comme Rébecca à
Jacob: Fili mio, acquiesce consiliis meis: Mon fils, suis mes
conseils. Et, entre autres conseils, elle leur inspire de lui
apporter deux chevreaux, c'est-à-dire leur corps et leur âme,
de les lui consacrer pour en faire un ragoût qui soit agréable
à Dieu, et de faire tout ce que Jésus-Christ, son Fils, a
enseigné par ses paroles et ses exemples. Si ce n'est pas par
elle-même qu'elle leur donne ces conseils, c'est par le
ministère des anges, qui n'ont pas de plus grand honneur et
plaisir que d'obéir à quelqu'un de ses commandements pour
descendre sur terre et secourir quelqu'un de ses serviteurs.
205. 3 Quand on lui a apporté et consacré son corps et son
âme et tout ce qui en dépend, sans rien excepter, que fait
cette bonne Mère? Ce que fit autrefois Rébecca aux deux
chevreaux que lui apporta Jacob: 1. elle les tue et fait
mourir à la vie du vieil Adam; 2. elle les écorche et
dépouille de leur peau naturelle, de leurs inclinations
naturelles, de leur amour-propre et propre volonté et de toute
attache à la créature; 3. elle les purifie de leurs taches et
ordures et péchés; 4. elle les apprête au goût de Dieu et à sa
plus grande gloire. Comme il n'y a qu'elle qui sait
parfaitement ce goût divin et cette plus grande gloire du
Très-Haut, il n'y a qu'elle qui, sans se tromper, peut
accommoder et apprêter notre corps et notre âme à ce goût
infiniment relevé et à cette gloire infiniment cachée.
206. 4 Cette bonne Mère, ayant reçu l'offrande parfaite
que
nous lui avons faite de nous-mêmes et de nos propres mérites
et satisfactions, par la dévotion dont j'ai parlé, et nous
ayant dépouillés de nos vieux habits, elle nous approprie et
nous rend dignes de paraître devant notre Père céleste. 1.
Elle nous revêt des habits propres, neufs, précieux et
parfumés d'Ésaü l'aîné, c'est-à-dire de Jésus-Christ, son
Fils, qu'elle garde dans sa maison, c'est-à-dire qu'elle a
dans sa puissance, étant la trésorière et la dispensatrice
unique et éternelle des mérites et des vertus de son Fils,
Jésus-Christ, qu'elle donne et communique à qui elle veut,
quand elle veut, comme elle veut et autant qu'elle veut, comme
nous avons vu ci-devant. 2. Elle entoure le cou et les mains
de ses serviteurs des peaux de chevreaux tués et écorchés;
c'est-à-dire, elle les orne des mérites et de la valeur de
leurs propres actions. Elle tue et mortifie, à la vérité, tout
ce qu'il y a d'impur et d'imparfait en leurs personnes; mais
elle ne perd et ne dissipe pas tout le bien que la grâce y a
fait; elle le garde et l'augmente pour en faire l'ornement et
la force de leur cou et de leurs mains; c'est-à-dire pour les
fortifier à porter le joug du Seigneur, qui se porte sur le
cou, et opérer de grandes choses pour la gloire de Dieu et le
salut de leurs pauvres frères. 3. Elle donne un nouveau parfum
et une nouvelle grâce à ces habits et ornements en leur
communiquant ses propres habits; ses mérites et ses vertus,
qu'elle leur a légués en mourant, par testament, comme dit un
sainte religieuse du siècle dernier, morte en odeur de
sainteté, et qui l'a su par révélation; en sorte que tous ses
domestiques, ses fidèles serviteurs et esclaves sont
doublement vêtus, des habits de son Fils et des siens propres:
Omnes domestici ejus vestiti sunt duplicibus: c'est pourquoi
ils n'ont rien à craindre du froid de Jésus-Christ, blanc,
comme la neige, que les réprouvés tout nus et dépouillés des
mérites de Jésus-Christ et de la Sainte Vierge ne pourront
soutenir.
207. 5 Elle leur fait enfin obtenir la bénédiction du Père
céleste, quoique, n'étant que les puînés et les enfants
adoptifs, ils ne dussent pas naturellement l'avoir. Avec ces
habits tout neufs, très précieux et de très bonne odeur, et
avec leur corps et leur âme bien préparés et apprêtés, ils
s'approchent en confiance du lit de repos de leur Père
céleste. Il entend et distingue leur voix, qui est celle du
pécheur; il touche leurs mains couvertes de peaux; il sent la
bonne odeur de leurs habits; il mange avec joie de ce que
Marie, leur Mère, lui a apprêté; et reconnaissant en eux les
mérites et la bonne odeur de son Fils et de sa sainte Mère: 1.
il leur donne sa double bénédiction; bénédiction de la rosée
du ciel: De rore coelesti, c'est-à-dire de la grâce divine qui
est semence de la gloire: Benedixit nos omni benedictione
spirituali in Christo Jesu; bénédiction de la graisse de la
terre: De pinguedine terrae, c'est-à-dire que ce bon Père leur
donne leur pain quotidien et une suffisante abondance des
biens de ce monde; 2. il les rend maîtres de leurs autres
frères, les réprouvés: non pas que cette primauté paraisse
toujours dans ce monde qui passe en un instant, où souvent les
réprouvés dominent: Peccatores effabuntur et gloriabuntur.
Vidi impium superexaltatum et elevatum; mais elle est pourtant
véritable, et elle paraîtra manifestement dans l'autre monde,
à toute éternité, où les justes, comme dit le Saint-Esprit,
domineront et commanderont aux mations: Dominabuntur populis.
3. Sa Majesté, non contente de les bénir en leurs personnes et
en leurs biens, bénit encore tous ceux qui les béniront, et
maudit tout ceux qui les maudiront et persécuteront.
[Elle les entretient de tout]
208. Le second devoir de charité que la Sainte Vierge exerce
envers ses fidèles serviteurs, c'est qu'elle les entretient de
tout pour le corps et pour l'âme. Elle leur donne des habits
doublés, comme nous venons de voir; elle leur donne à manger
les mets les plus excellents de la table de Dieu; elle leur
donne à manger le pain de vie, qu'elle a formé; A
generationibus meis implemini: mes chers enfants, leur dit-elle, sous le nom de la Sagesse, remplissez-vous de mes
générations, c'est-à-dire de Jésus, le fruit de vie, que j'ai
mis au monde pour vous. - Venite, comedite panem meum et
bibite vinum quod miscui vobis; comedite, et bibite, et
inebriamini, carissimi: Venez, leur répète-t-elle en un autre
endroit, manger mon pain, qui est Jésus, et buvez le vin de
son amour, que je vous ai mêlé avec le lait de mes mamelles.
Comme c'est elle qui est la trésorière et la dispensatrice des
dons et des grâces du Très-Haut, elle en donne une bonne
portion, et la meilleure, pour nourrir et entretenir ses
enfants et serviteurs. Ils sont engraissés du pain vivant, ils
sont enivrés du vin qui germe les vierges. Ils sont portés à
la mamelle: Ad ubera portabimini. Ils ont tant de facilité à
porter le joug de Jésus-Christ qu'ils n'en sentent pas la
pesanteur, à cause de l'huile de la dévotion dont elle le fait
pourrir: Jugum eorum putrescere faciet a facie olei.
[3. Elle les conduit et dirige]
209. Le troisième bien que la Sainte Vierge fait à ses fidèles
serviteurs, c'est qu'elle les conduit et dirige selon la
volonté de son Fils. Rébecca conduisait son petit Jacob et lui
donnait de temps en temps de bons avis, soit pour attirer sur
lui la bénédiction de son père, soit pour éviter la haine et
la persécution de son frère Ésaü. Marie, qui est l'étoile de
la mer, conduit tous ses fidèles serviteurs à bon port; elle
leur montre les chemins de la vie éternelle; elle leur fait
éviter les pas dangereux; elle les conduit par la main dans
les sentiers de la justice; elle les soutient quand ils sont
prêts de tomber; elle les relève quand ils sont tombés; elle
les reprend, en mère charitable, quand ils manquent; et
quelquefois même, elle les châtie amoureusement. Un enfant
obéissant à Marie, sa mère nourrice et sa directrice
éclairée, peut-il s'égarer dans les chemins de l'éternité?
Ipsam sequens, non devias. En la suivant, dit saint Bernard,
vous ne vous égarez point. Ne craignez pas qu'un véritable
enfant de Marie soit trompé par le malin et tombe en quelque
hérésie formelle. Là où est la conduite de Marie, là ni le
malin esprit avec ses illusions, ni les hérétiques avec leurs
finesses ne se trouvent: Ipsa tenente, non corruis.
[4. Elle les défend et protège]
210. Le quatrième bon office que la Sainte Vierge rend à ses
enfants et fidèles serviteurs, c'est qu'elle les défend et
protège contre leurs ennemis. Rébecca, par ses soins et ses
industries, délivra Jacob de tous les dangers où il se trouva,
et particulièrement de la mort que son frère Ésaü lui aurait
apparemment donnée par la haine et l'envie qu'il lui portait,
comme autrefois Caïn à son frère Abel. Marie, la bonne Mère
des prédestinés, les cache sous les ailes de sa protection,
comme une poule ses poussins; elle parle, elle s'abaisse à
eux, elle condescend à toutes leurs faiblesses; elle se met
autour d'eux et les accompagne comme une armée rangée en
bataille: ut castrorum acies ordinata. Un homme entouré d'une
armée bien rangée de cent mille hommes, peut-il craindre ses
ennemis? Un fidèle serviteur de Marie, entouré de sa
protection et de sa puissance impériale, a encore moins à
craindre. Cette bonne Mère et Princesse puissante des cieux
dépêcherait plutôt des bataillons de millions d'anges pour
secourir un de ses serviteurs qu'il ne fût jamais dit qu'un
fidèle serviteur de Marie, qui s'est confié en elle, a
succombé à la malice, au nombre et à la force de ses ennemis.
[5. Elle intercède pour eux]
211. Enfin, le cinquième et le plus grand bien que l'aimable
Marie procure à ses fidèles dévots, c'est qu'elle intercède
pour eux auprès de son Fils, et l'apaise par ses prières, et
elle les unit à lui d'un lien très intime et les y conserve.
Rébecca fit approcher Jacob du lit de son père; et le bon
homme le toucha, l'embrassa, et le baisa même avec joie, étant
content et rassasié des viandes bien apprêtées qu'il lui avait
apportées; et ayant senti avec beaucoup de contentement les
parfums exquis de ses vêtements, il s'écria: Ecce odor filii
mei sicut odor agri pleni, cui benedixit Dominus: Voici
l'odeur de mon fils, qui est comme l'odeur d'un champ plein,
que le Seigneur a béni. Ce champ plein, dont l'odeur charma le
coeur du père, n'est autre que l'odeur des vertus et des
mérites de Marie, qui est un champ plein de grâce, où Dieu le
Père a semé, comme un grain de froment des élus, son Fils
unique.
Oh! qu'un enfant parfumé de la bonne odeur de Marie est
bienvenu auprès de Jésus-Christ, qui est le Père du siècle à
venir! Oh! qu'il lui est promptement et parfaitement uni! Nous
l'avons montré plus au long ci-devant. [152-168]
212. De plus, après qu'elle a comblé ses enfants et ses
fidèles serviteurs de ses faveurs, qu'elle leur a obtenu la
bénédiction du Père céleste et l'union avec Jésus-Christ, elle
les conserve en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en eux; elle les
garde et elle les veille toujours, de peur qu'ils ne perdent
la grâce de Dieu et ne tombent dans les pièges de leurs
ennemis: In plenitudine sanctos detinet: Elle retient les
saints dans leur plénitude, et les y fait persévérer jusqu'à
la fin, comme nous avons vu. [173-182]
Voilà l'explication de cette grande et ancienne figure de
la prédestination et réprobation, si inconnue et si pleine de
mystères.
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