CHAPITRE VIII

GUÉRISONS MIRACULEUSES OPERÉES PAR CATHERINE PENDANT SA VIE.

Je vais vous raconter, bien-aimé lecteur, un prodige bien surprenant pour notre temps, mais d'exécution facile, pour Celui qui ne connaît rien d'impossible. La mère de notre sainte, Lapa, dont nous avons souvent parlé, était, comme nous l'avons dit tout d'abord, une femme de grande innocence et simplicité; mais, à cette époque de sa vie, elle connaissait et désirait peu les biens invisibles et avait une grande répugnance à quitter ce monde, comme le récit qui va suivre vous l'apprendra. Après la mort de son mari, elle tomba elle-même malade, et son mal paraissait empirer de jour en jour. Catherine, s'en apercevant, se hâta de recourir comme d'habitude à l'oraison et ne cessa plus de prier le Seigneur, pour qu'il voulût bien accorder à celle qui l'avait enfantée et nourrie les secours nécessaires au salut. Il lui fut répondu du ciel que Lapa serait plus sûrement sauvée, si elle mourait à ce moment, avant de voir tous les malheurs dont l'avenir la menaçait. Après avoir entendu et compris cette réponse, notre vierge alla trouver sa mère et lui fit les plus douces exhortations, pour la disposer à répondre à l'appel du Seigneur et à accepter sans regret les arrêts de la volonté divine. Mais Lapa, trop attachée encore aux choses de ce monde, refusait de les quitter et, dans sa frayeur de mourir, elle conjurait sa fille de faire auprès de Dieu de nouvelles instances pour sa guérison et de ne plus lui parler de mort.

L'épouse du Christ fut tellement affligée de ces dispositions de la malade que son âme entra dans une sorte d'agonie. Sa prière devint alors extrêmement fervente. La vierge demandait à voir l'âme de sa mère parfaitement soumise à la volonté divine, avant que Dieu ne permît à cette âme de quitter ce monde. Le Seigneur obéit, si je puis parler ainsi, à la voix de cette humanité virginale. La maladie de Lapa put encore s'aggraver pendant quelques jours; mais la mort n'osait pas approcher. Catherine s'était interposée comme médiatrice entre Dieu et sa mère. Elle priait Dieu et exhortait sa mère. Elle priait Dieu d'attendre le consentement de Lapa pour l'enlever de ce monde, et elle demandait avec instance à sa mère de consentir au bon plaisir de Dieu. Mais, tandis que ses prières liaient en quelque sorte l'action du Tout-Puissant, ses exhortations ne purent fléchir l'obstination de la malade. Le Seigneur dit alors à son épouse: " Annonce à ta mère, qui ne veut pas aujourd'hui quitter son corps, qu'un temps viendra, où elle demandera la mort à grands cris, sans pouvoir l'obtenir. " Cette prophétie, je puis l'attester et bien d'autres avec moi, s'est si bien réalisée qu'on ne peut soulever contre sa vérité aucune objection. Lapa parvint à une extrême vieillesse, et eut tant à souffrir à l'occasion de tout ce qu'elle aimait, aussi bien des personnes que des choses, qu'elle disait à qui voulait l'entendre: " Dieu m'a-t-il donc chevillé l'âme au corps, pour qu'elle n'en puisse pas sortir! J'ai déjà perdu tant de fils et de filles! Tant de petits-enfants de tout âge! Moi seule je ne puis mourir, et dois souffrir et porter les douleurs de tous ! "

Mais continuons le récit commencé. Le coeur de Lapa était tellement endurci qu'elle ne voulut ni se confesser, ni songer au salut de son âme. C'est alors que le Seigneur, dans le dessein de faire éclater davantage ses merveilles en son épouse, refusa à celle-ci ce qu'il lui avait tout d'abord accordé. Après avoir longtemps retardé, sur les instances de la sainte, la mort de Lapa, il permit que la malade mourût sans se confesser, mais ce n'était que pour montrer le crédit qu'avait Catherine auprès de Lui. Quand cette sainte fille eut vu sa mère expirer, elle leva vers le ciel ses yeux pleins de larmes et s'écria : " Ah! Seigneur mon Dieu, est-ce donc là ce que vous m'aviez promis, quand vous m'aviez assuré que personne de cette maison ne périrait! Dans votre miséricorde, ne vous étiez-vous pas engagé vis-à-vis de moi à ne pas retirer ma mère de ce monde sans qu'elle y consentît ! Et voilà que je l'ai vue mourir sans les sacrements de l'Eglise! Je vous en conjure et j'en appelle à toutes vos bontés, ne souffrez pas que mes espérances soient ainsi trompées! Non, je ne sortirai pas d'ici vivante, avant que vous ne m'ayiez rendu ma mère! " Trois femmes de Sienne, dont nous donnerons les noms plus bas, furent les témoins de cette mort et de cette prière. Elles virent, à n'en pas douter, Lapa rendre le dernier soupir, elles examinèrent et palpèrent son corps, qui n'offrait plus aucun signe de vie, et elles lui auraient donné les soins qu'on donne aux cadavres en pareille circonstance, si elles n'avaient attendu que la vierge eût fini son oraison. Mais, en voyant prier Catherine, elles firent comme les porteurs qui s'étaient arrêtés, quand Notre-Seigneur toucha le cercueil du fils de la veuve, et, laissant agir la puissance du même Sauveur, elles n'osèrent commencer aucun des préparatifs de l'ensevelissement. Pourquoi m'attarder davantage à ce récit?

La sainte priait toujours, les grandes clameurs de son âme montaient jusqu'au plus haut des cieux, l'anxiété de son cœur et les larmes humbles et ferventes qu'elle répandait en abondance arrivaient jusqu'en présence du Très-Haut. Une pareille prière ne pouvait rester sans effet; elle fat donc exaucée par le Dieu de toute consolation et de toute miséricorde. En présence, et sous les yeux des témoins dont je viens de parler, et que je nommerai tout à l'heure, le corps de Lapa commença de se ranimer. Il revint en un instant complètement à la vie et put en exercer librement tous les actes. Lapa vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingt-neuf ans, au milieu de bien des chagrins, car elle eut à souffrir toutes les indigences et toutes les épreuves, que sa fille lui avait annoncées sur l'ordre du Seigneur.

Les témoins de ce miracle furent Catherine Gelli et Angelina Vannini, maintenant Soeur de la Pénitence du bienheureux Dominique, puis, Lysa, parente de la sainte et belle-fille de Lapa. Elles ont vu Lapa expirer, après plusieurs jours de maladie grave, son corps était sans mouvement, sa fille priait; elles ont entendu distinctement les paroles de Catherine disant au Seigneur: " Est-ce là ce que vous m'aviez-promis? " Au bout d'un instant assez court, elles ont constaté que le corps inanimé s'agitait et reprenait, avec la vie, l'usage de tous ses sens. Quant au resto de l'histoire de Lapa, nous sommes plus d'un millier à en témoigner. Vous pouvez voir par tout ceci, ô bon lecteur, quel était, auprès du Seigneur tout-puissant, le crédit de cette vierge, qui a pu épargner à l'âme de son père les peines du purgatoire, et rappeler si miraculeusement à la vie le corps de sa mère déjà morte. Mais notez bien les faits qui ont suivi cette résurrection, afin de ne pas vous imaginer que ce dernier prodige n'a eu pour objet que la santé du corps; et, pour que vous accordiez plus de créance encore à mon récit, sachez que j'ai appris de notre vierge elle-même, dans un entretien confidentiel, les paroles prophétiques que lui a dites le Seigneur. J'ai trouvé tous les autres détails dans les écrits de Frère Thomas, le confesseur déjà si souvent nommé. Il raconte que ce miracle est arrivé en l'année 1370, au mois d'octobre, en présence des témoins que j'ai cités.

Et maintenant je passe au récit d'un fait, que je rapporte avant les autres, non pas à cause de sa date, mais parce qu'il m'est plus connu. Personne même ne l'a mieux connu que moi, si ce n'est celui qui a été l'objet de ce prodige. C'était dix-sept ans à peu près avant cette année 1390, en laquelle nous sommes aujourd'hui. L'obéissance religieuse que j'ai promise m'avait appelé au couvent de mon Ordre à Sienne, où j'exerçais la charge de Lecteur. J'y servais Dieu bien lâchement, quand arriva cette maladie épidémique de l'intestin, qui a si souvent, de nos jours, ravagé le monde entier et cruellement sévi en cette même ville de Sienne. La mort frappait de ses traits des personnes de tout sexe et de tout âge, et le poison de sa blessure était si violent qu'il lui suffisait quelquefois d'un seul jour, et ordinairement de deux ou trois seulement, pour conduire au trépas des victimes atteintes en pleine santé. La terreur et l'épouvante étaient générales. Le zèle des âmes, raison d'être de l'Ordre où j'ai fait profession, m'obligea d'exposer alors ma vie, pour venir au secours des âmes de mes frères. Je parcourais donc nuit et jour les maisons des malades, et, pour me reposer un peu le corps et l'esprit, je m'arrêtais souvent à la Maison de Sainte-Marie de la Miséricorde, qui est aussi à Sienne. J'y allais surtout, parce que cette maison avait, comme Recteur et Président, un certain Matthieu qui vit encore, homme de vie fort recommandable et d'excellente réputation, qui avait pour notre sainte une affection très vive et toute de charité. Je l'aimais et je l'aime encore tendrement, à cause des vertus que le Ciel lui a données. J'avais donc l'habitude de lui rendre visite une fois le jour, pour le motif que j'ai dit, et aussi pour veiller aux besoins de quelques-uns des pauvres de sa maison.

Un matin que j'étais sorti, après la messe conventuelle, pour visiter les malades, je m'arrêtai, en passant, à cet hospice de la Miséricorde, afin de m'informer si le mal si terrible de la peste avait atteint quelqu'un de ceux qui y habitaient. Tout en entrant, je trouvai le recteur Matthieu, que les Frères et clercs de l'hospice emportaient dans leurs bras, comme un mort, depuis l'église jusqu'à sa chambre. Son visage paraissait tout décoloré, ses forces l'avaient tellement, abandonné qu'il ne parlait plus et ne put me répondre quand je lui demandai ce qu'il souffrait. M'adressant alors à ceux qui le portaient et l'accompagnaient, je les questionnai, tout effrayé, sur ce qui était arrivé à mon cher Matthieu : "Cette nuit même, me dirent-ils, vers onze heures, il a été frappé de la peste, tandis qu'il veillait un malade, et il a été bien vite réduit à cet état de faiblesse où vous le voyez. " Cette réponse me rendit bien triste. Je les suivis jusqu'au lit sur lequel on étendit le malade. Une fois couché, il reprit connaissance, m'appela et se confessa comme il le faisait souvent. Après l'avoir absous, je lui demandai ce qu'il souffrait: " Je ressens, me dit-il, une affreuse douleur à l'aine, comme si le haut de la jambe allait se briser, et je souffre tellement de la tête qu'elle me semble être fendue en quatre. Je lui tâtai alors le pouls et constatai, à n'en pas douter, qu'il avait une fièvre brûlante. Je fis donc signe à ceux qui le soignaient de porter au plus tôt de ses unies à son médecin, qui était aussi de ses amis, très habile docteur, qu'on appelait et qu'on appelle encore Maître Senso; et j'allai moi-même lui rendre visite peu de temps après ces gens. Le médecin, après avoir examiné les urines, me déclara bientôt que son ami était atteint de la peste, et m'assura que le malade offrait tous les symptômes d'une mort prochaine: " Cette eau, me dit-il, vous indique que le sang est en fermentation dans le foie. C'est le caractère commun de tous les accès épidémiques. Aussi je crains fort que la Maison de la Miséricorde ne soit bientôt veuve de son bon Recteur. - Ne croyez-vous pas, lui répondis-je, que l'art de la médecine ne puisse trouver quelque remède à ce mal. " Il me dit alors : " Nous essaierons, la nuit prochaine, de purger ce sang avec du suc de cannelle; mais j'ai peu confiance en ce remède, car le mal est trop grave. "

Sur cette réponse du médecin, je me retirai bien triste, et je me dirigeai vers la maison du malade, ne cessant d'invoquer en mon âme le Seigneur et lui demandant de vouloir bien laisser encore en ce monde un homme dont l'exemple était si profitable au salut de ses frères. Entre temps la sainte avait appris la maladie de son ami Matthieu. Sa charité en fut grandement émue; elle parut tout irritée contre ce mal et accourut aussitôt vers le malade. Avant même d'être arrivée près de lui, elle commença à lui crier de loin : " Levez-vous, seigneur Matthieu, levez-vous, car ce n'est pas le temps de vous reposer sur ce lit de paresse. " A cet appel de Catherine, immédiatement, la fièvre et les bubons de la peste disparurent instantanément, Matthieu ne souffrait pas plus que s'il n'eût jamais été atteint par le mal. " La nature avait obéi à l'ordre de Dieu, notifié par la bouche de la sainte; et, à cette voix, le corps de l'infirme avait recouvré parfaite santé. Matthieu se leva souriant de son lit et le quitta tout joyeux, ayant bien senti que la vertu divine habitait en Catherine. Celle-ci s'en alla bien vite afin de fuir les félicitations des hommes; mais, au moment où elle sortait de la maison, j'y entrais moi-même tout chagrin, ignorant ce qui s'était passé, et croyant que mon ami souffrait encore de la peste. Sous l'impression de la tristesse qui me serrait le cœur, je dus à la sainte, tout en la voyant, et sur un ton mécontent: " Laisserez-vous donc, ma Mère, mourir cet homme qui nous est si cher et si utile? " Elle savait bien ce qu'elle venait de faire; mais, dans sa profonde humilité, elle parut très fâchée de ma façon de parler et me répondit : " Que dites-vous là? suis-je donc comme Dieu, pour délivrer un mortel de la mort? " Et moi, qui ne me possédais plus de douleur, je répliquai: " Dites cela à qui vous voudrez, mais ne me le dites pas à moi, qui connais vos secrets; je sais fort bien que vous obtenez de Dieu tout ce que vous lui demandez du fond du coeur. " Baissant la tête, elle eut alors un léger sourire, et, me regardant d'un air joyeux, elle me dit : "Ayez bon espoir, il ne mourra pas cette fois-ci."

Cette assurance m'enleva toute tristesse, car j'avais compris que le Ciel avait accordé à la sainte un miracle; je la laissai continuer son chemin et, sans plus m'inquiéter, j'entrai vers le malade. Je le trouvai assis sur son lit et racontant avec grande joie le prodige que la vierge venait d'opérer. Je lui dis qu'elle m'avait promis qu'il ne mourrait pas de cette maladie. " Vous ignorez donc, me dit-il, le résultat de sa visite? " Je lui répondis que je l'ignorais, que la sainte ne m'en avait pas parlé. Alors il se leva tout joyeux et parfaitement dispos, et me raconta ce que j'ai écrit plus haut. Que dire encore? Afin de mieux constater le miracle, on prépare la table, nous nous asseyons pour le repas et Matthieu avec nous; on nous sert des légumes et de l’oignon cru, mets qui ne sont pas à l'usage des malades, mais seulement des estomacs sains et bien portants. Matthieu en mange comme nous, alors que peu de temps avant il ne pouvait prendre la nourriture la plus délicate. Il est gai, il rit, alors que, le matin même, il arrivait à peine à proférer quelques paroles. Nous en sommes tous dans l'admiration et dans la joie, nous louons le Seigneur qui nous a accordé par son épouse une grâce si merveilleuse, et dans notre étonnement nous nous redisons les uns aux autres les louanges de la sainte.

J'ai avec moi, pour témoin de ce miracle, Frère Nicolas André de Sienne, qui est encore vivant, et qui, ce matin-là, m'a accompagné partout. D'ailleurs, tous les gens de l'hospice, clercs, prêtres et autres, c'est-à-dire une vingtaine de personnes et plus, ont vu de leurs yeux tout ce que je raconte. Et cependant je vous prie, lecteur, de veiller à ne pas vous laisser circonvenir par le manque de foi de ceux dont les oreilles et le cœur incirconcis (Actes 7,51) ne veulent rien entendre.

Ceux dont Dieu n'a point touché le cœur diront peut-être en effet : - " Qu'y a-t-il de merveilleux à ce qu'un homme guérisse d'une maladie, si grave qu'elle soit? La nature fait cela tous les jours. " Je leur répondrai, en leur demandant ce qu'il y eut de merveilleux à ce que le Seigneur guérît la belle-mère de Simon, de la forte fièvre dont elle souffrait, comme nous le raconte l’Evangéliste. C'est un fait tout naturel que les hommes soient guéris de la fièvre, même de la plus violente. Pourquoi l'Évangéliste nous donne-t-il cela comme un miracle? Un peu d'attention, ô homme sans foi, qui ne voyez rien au-delà de ce que perçoivent vos sens, considérez ce qu'a voulu nous signaler l'Evangéliste. Il nous dit: " Et debout auprès du lit, le Seigneur commanda à la fièvre, et la fièvre quitta la malade, qui, se levant aussitôt, les servait (Lc 4,39). " La fièvre a donc disparu instantanément, sans remède naturel, au seul commandement du Seigneur, dont la parole a suffi pour réconforter et faire lever immédiatement celle qui était alitée, toute fiévreuse, et sans force. Voilà où est le miracle. Or ce même caractère miraculeux vous apparaîtra clairement dans le fait qui nous occupe, à moins que votre esprit ne soit complètement aveuglé. Elle était aussi debout, la vierge dont la poitrine était l'habitacle du Seigneur. Il était donc présent, ce même Seigneur qui avait guéri la belle-mère de Simon; seulement, pour cette fois, il ne se tenait pas tout près du malade, mais à distance; il commanda en même temps à la fièvre et à la peste, et à l'instant même, sans le secours d'aucun remède, Matthieu fut délivré de ce double mal. Il se leva immédiatement, et put manger avec nous, sans en être incommodé, des légumes et de l'oignon cru, comme s'il n'avait jamais souffert de cette maladie. Ouvrez donc les yeux de votre esprit et ne soyez pas incrédule, mais fidèle (Jn 20,27).

Et puisque nous parlons de la Maison de la Miséricorde, laissez-moi vous dire un autre miracle, antérieur, il est vrai, à celui que nous venons de rapporter, mais accompli par notre vierge dans le voisinage de ce même hospice. Je l'ai appris dans une conversation avec Matthieu. Voici donc ce qu'il m'a raconté, et son récit m'a été confirmé par Frère Thomas, déjà si souvent nommé, et par tous ceux qui étaient au courant des actes de Catherine. Près de la Maison de la Miséricorde, habitait une femme très pieuse, qui portait, si ma mémoire n'est pas infidèle, l'habit des Sœurs de la Pénitence du bienheureux Dominique. Cette femme ayant connu, peut-être par son expérience personnelle, les vertus de Catherine, devint une dés familières de notre sainte. Elle écoutait volontiers ses avis, était attentive à ses exemples et avait pour elle une pieuse Vénération. Or, un jour qu'elle était sur la terrasse de sa maison, les murs croulèrent et la terrasse s'effondra, entraînant avec elle la pauvre femme, qui eut les muscles et les os tout froissés, et fut très gravement blessée et contusionnée. Les voisins accoururent et, l'ayant retirée de dessous le bois et les pierres, ils annoncèrent dans tout le quartier qu'elle était morte ou mourante. Cependant, grâce à Dieu, elle vivait encore, quand on la plaça sur son lit. S'étant ranimée peu à peu, elle sentit alors la douleur de ses contusions, et ses cris et ses sanglots disaient assez aux personnes présentes tout ce qu'elle souffrait. On appela les médecins et on lui donna tous les soins possibles; mais, malgré ces soins, elle n'arrivait pas à pouvoir se remuer seule dans son lit, et elle endurait dans tous ses membres un vrai martyre.

Notre sainte ayant appris cet accident sentit son cœur ému de compassion pour celle qui était sa sœur et sa familière. Elle vint la visiter et lui apporter de saintes paroles, pour l'exhorter à la patience; mais voyant que l'affliction de la malade dépassait toute mesure, elle se mit à toucher les membres endoloris, comme pour panser et adoucir leurs plaies. La pauvre femme la laissa faire volontiers, sachant bien que pareil attouchement ne pouvait être que bienfaisant. En effet la main de la vierge eut à peine effleuré une des parties blessées que toute douleur en disparut. La malade, se sentant soulagée, pria Catherine de toucher une autre plaie. Dans son grand désir de consoler. son amie, la sainte y consentit de bon cœur, et voilà que, cette fois encore, la douleur cessa. Mais pourquoi en dire davantage? Notre vierge, se prêtant à tous les désirs de la malade, toucha successivement toutes les parties endolories, et guérit complètement ce corps brisé. Dès ce moment, celle qui tout à l'heure ne pouvait remuer d'elle-même, ni ses membres, ni son corps, commença à se tourner et à se retourner, donnant ainsi aux personnes présentes des signes manifestes de sa guérison. Elle garda cependant le silence, jusqu'au départ de Catherine, pour ne pas froisser l'humilité de la sainte; mais elle dit ensuite à tous ceux qui étaient là, médecins et voisins : " Catherine, la fille de dame Lapa, ma guérie en me touchant. " L'admiration fut générale, et tous louèrent le Créateur, qui avait accordé la grâce d'un tel pouvoir à la vierge Catherine, car il leur était manifeste que cette guérison ne pouvait être que l'œuvre de la puissance divine. J'ai appris ce miracle par le récit qu'on m'en a fait, car il est arrivé, alors que je ne connaissais pas la sainte et n'habitais pas encore à Sienne. Mais, pour la gloire de Dieu et de nôtre vierge, passons maintenant à des faits, dont j'ai été le témoin oculaire.

Durant la peste dont nous avons parlé, la contagion de atteignit un anachorète, qu'on appelait saint et qui l'était de fait, ayant longtemps mené dans la ville de Sienne une vie pauvre et fort louable. Catherine, l'ayant appris, le fit transférer, de son ermitage, à la Maison de la Miséricorde, vint avec ses compagnes le visiter, s'occupa de lui faire donner tous les soins nécessaires, et, s'approchant du malade, lui dit tout bas à l'oreille: " Si grave que vous sentiez votre mal, ne craignez pas, vous ne mourrez pas cette fois-ci. " Mais elle ne nous dit rien à nous, qui lui demandions cependant de prier pour la guérison du bon ermite. Elle paraissait même craindre sa mort avec nous, ce qui augmentait notre tristesse, car notre amitié pour le saint homme nous faisait partager ses souffrances. Son mal s'aggravant d'heure en heure, nous commençâmes à désespérer du salut de son corps et à ne plus songer qu'à celui de son âme. Bientôt il fut à bout de forces et nous attendions tristement son trépas. A ce moment, la vierge du Seigneur revint, et, s'étant approchée de l'agonisant, lui dit encore à l'oreille: " Ne craignez pas, car vous ne mourrez pas. " Quoiqu'il semblât privé de l'usage de ses sens, il la comprit parfaitement et crut bien plus à ses paroles qu'à la mort, dont il sentait déjà les atteintes. Et en effet la parole de la sainte triompha des lois de la nature; et la vertu divine, plus sûre dans son action que toutes les inventions de nos expériences, ressuscita, contre toute espérance humaine, ce corps qui semblait déjà mort. Tandis que nous attendions son dernier soupir, et que nous préparions ce qu'il fallait pour les funérailles, l'agonie se prolongea au-delà du terme au bout duquel meurent ordinairement de pareils malades et nous tint plusieurs jours en suspens. Enfin, dans une dernière visite, Catherine dit à l'oreille du mourant: " Je vous commande, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de ne pas mourir. " Aussitôt l'âme du malade ranima son corps, et le saint, reprenant vigueur, se leva sur son lit et demanda à manger. Quelques instants avaient suffi pour le guérir complètement, et il vécut encore longtemps après. Il assista à la mort de Catherine et lui survécut plusieurs années. Ce saint, de fait et de nom, que tous appelaient " Frate Santo ", nous raconta après sa guérison ce que notre vierge lui avait dit à l'oreille, et comment il avait senti que son âme, prête à s'en aller, avait été retenue par la vertu du pouvoir de la sainte. Il affirmait à tout le monde qu'il ne devait son salut à aucune cause naturelle, mais à la seule intervention de la puissance divine, et il ajoutait que ce miracle ne lui paraissait pas moins grand qu'une résurrection. La sainte vie et la prudence naturelle de cet homme ne permettent pas de récuser son témoignage. Pendant les trente-six ans qu'il a mené la vie d'anachorète à Sienne, personne n'a eu à s'en plaindre, et tous ceux qui le connaissaient l'avaient en grande vénération, à cause de ses vertus.

Mais après avoir parlé des autres, je ne dois pas taire les miracles que notre vierge a opérés pour moi-même. J'ai déjà dit qu'au moment où la peste éclata à Sienne, je n'hésitai pas à exposer mon corps à la mort pour le salut des âmes et ne voulus fuir le contact d'aucun pestiféré. Il était évident que ce mal était contagieux, qu'il viciait l'atmosphère des malades, et menaçait tous ceux qui vivaient autour d'eux. Mais je considérai que le Christ était plus puissant que Gallien et la grâce plus forte que la nature. D'ailleurs, les autres s'enfuyaient et les âmes des mourants allaient rester sans conseil et sans secours. La charité ne m'obligeait-elle pas dès lors à préférer l'âme du prochain à mon propre corps? Obéissant à son inspiration et aussi aux conseils de Catherine, je pris la ferme résolution de voir, d'encourager et d'instruire tous les malades que je pourrais visiter, et avec l'aide de Dieu j'ai tenu cette résolution dans la mesure où la grâce m'en a été donnée. Mais, comme j'étais presque seul pour une si grande ville, je pouvais à peine respirer un peu aux heures des repas et du sommeil, tellement étaient nombreux les envoyés des malades qui m'appelaient en dehors du couvent. Or une nuit où, après avoir pris mon repos habituel, je voulais me lever pour réciter l'office divin, je sentis une grande douleur à l'aine. J'y portai la main et pus constater l'enflure de l'abcès pestilentiel. J'en fus fort effrayé et, n'osant plus me lever, je commençai à penser à la mort. Je désirais que le jour vînt bien vite, afin de pouvoir aller trouver la sainte, avant que le mal ne s'aggravât; mais je fus presqu'aussitôt pris de la fièvre et des maux de tête, qui accompagnent ordinairement l'accès épidémique. Mon abattement était extrême; je m'efforçai quand même d'achever la récitation du l'office divin, et, dès qu'il fit jour, j'appelai un compagnon et me rendis, comme je pus, à la maison de Catherine. Je n'y trouvai pas notre vierge à ce moment, elle s'était absentée pour aller visiter un malade. Absolument décidé à l'attendre, et ne pouvant plus me soutenir, je fus obligé de m'étendre sur un lit qui se trouvait là, et je priai les gens de la maison d'envoyer chercher la sainte, ce qu'ils firent aussitôt. Quand elle fut arrivée et m'eut trouvé dans cet état d'accablement, ayant appris ce que je souffrais, elle s'agenouilla devant le lit, couvrit mon front de sa main, et se mit à prier mentalement, selon son habitude. Je la vis bientôt entrer en ravissement pendant son oraison, ainsi que je l'avais vue souvent d'autres fois; et je m'attendais à en recevoir quelque bienfait extraordinaire, pour mon âme et pour mon corps. Quand elle eut ainsi prié pendant une demi-heure ou à peu près, je sentis, dans tous mes membres, une vive commotion, et je crus être pris de vomissements, comme plusieurs de ceux qui étaient morts de cette maladie. Mais il n'en fut rien, il me sembla, au contraire, qu'on m'arrachait violemment quelque chose de toutes les extrémités du corps; et je commençai à éprouver une amélioration, qui augmentait à chaque instant. Que dire encore? avant que la sainte n'eût recouvré l'usage de ses sens, j'étais complètement guéri. Il ne me restait qu'un peu de faiblesse, témoignage du mal, dont je venais d'être délivré, ou effet de mon peu de foi. La vierge du Seigneur, ayant ainsi obtenu de son Époux la grâce qu'elle demandait et sachant que je devais être guéri, sortit alors de son ravissement, et me fit préparer de la nourriture, comme on en donne habituellement aux malades. Quand ces aliments furent prêts, elle me les servit elle-même, et m'ordonna ensuite de me reposer un peu. Je lui obéis, puis je me levai, aussi fort que si je n'eusse rien souffert. En me voyant ainsi rétabli, elle me dit: " Allez travailler au salut des âmes, et rendez grâces au Très-Haut, qui vous a délivré de ce danger. " Voilà comment je repris mes travaux ordinaires, en glorifiant le Seigneur, qui avait donné un tel pouvoir à cette vierge, fille d'un homme.

Durant cette même peste. Catherine a encore fait un miracle semblable, en faveur de Frère Dominique Barthélemy de Sienne, qui était alors et est encore aujourd'hui mon compagnon, et qui gouverne actuellement la Province Romaine. Cette guérison est d'autant plus merveilleuse que ce religieux avait été plus gravement et plus longtemps malade. Cependant, pour abréger, je ne raconterai pas au long ce prodige, car je dois passer à des œuvres plus éclatantes encore, et, à mon avis, plus grandes. Encore en devrai-je omettre beaucoup, pour cette même raison d'être bref. Je veux du moins que vous sachiez, ô bien-aimé lecteur, que la vierge du Seigneur n'a pas seulement opéré des guérisons miraculeuses, au temps de l'épidémie et dans la seule ville de Sienne, mais qu'elle en a obtenu encore ailleurs et à d'autres époques. Je vais de suite vous en raconter une, qui pourra suffire, si vous êtes attentif, à vous apprendre ce que furent beaucoup d'autres faits du même genre.

C'était après la peste dont nous venons de parler. Beaucoup de Pisans, hommes et femmes, religieux ou laïcs, et en particulier certaines religieuses, ayant entendu célébrer les louanges de Catherine, brûlaient d'un ardent désir de la voir et d'entendre ses enseignements qu'on disait et qui étaient admirables. Comme beaucoup de ces personnes n'avaient ni la permission, ni la possibilité de venir trouver notre vierge, elles lui envoyèrent à maintes reprises des lettres et des messagers, pour la prier de bien vouloir se rendre à Pise. Elles lui promettaient, dans leurs lettres, que nombre d'âmes étaient disposées à tirer grand fruit de Sa présence, et que le Seigneur en recueillerait un grand honneur. La sainte avait toujours évité les voyages; mais pressée par tant de prières si souvent répétées, elle fut obligée de recourir à son Époux et de lui demander humblement, comme d'habitude, ce qu'elle devait faire, car certaines personnes de sa famille lui conseillaient ce voyage, tandis que d'autres l'en dissuadaient complètement. Au bout de quelques jours, ainsi qu'elle me l'a secrètement avoué, le Seigneur lui apparut et lui ordonna de répondre sans retard aux désirs des serviteurs et des servantes qu'il avait dans la ville de Pise. Catherine, en vraie fille d'obéissance, reçut humblement cet ordre, et, après me l'avoir communiqué, se mit en route avec ma permission et se rendit à Pise. Je l'y suivis moi-même avec quelques Frères de mon Ordre, pour entendre les confessions; car beaucoup de ceux qui venaient la trouver avaient le cœur tout contrit en entendant ses ferventes exhortations ; et, pour ne pas laisser l'antique ennemi les lui arracher des mains, elle leur ordonnait d'aller sans retard trouver un prêtre et de faire immédiatement leur confession. Comme le manque de confesseur aurait pu différer et empêcher quelquefois la réalisation de son désir, elle aimait à avoir auprès d’elle des prêtres qui pussent donner à ses visiteurs ce remède du sacrement de Pénitence. Voilà pourquoi le seigneur pape Grégoire XI, d'heureuse mémoire, nous avait accordé, à moi et à mes deux compagnons, une Bulle apostolique, qui nous conférait tous les pouvoirs des évêques et prélats diocésains, pour absoudre tous ceux que les exhortations de la sainte auraient décidés à se confesser.

Arrivés à Pise, nous reçûmes l'hospitalité dans la maison d'un nommé Gérard de Buonconti. Un jour, ce Gérard, hôte de Catherine, lui amena un jeune homme d'une vingtaine d'années, et le lui présenta, en la suppliant de vouloir bien prier pour sa santé. Il lui raconta en effet, que, pendant dix-huit mois, ce jeune homme n'avait pas été un seul jour sans souffrir de la fièvre. Il n'en souffrait plus, il est vrai, à ce moment. Mais ces fièvres avaient été si longues et si continues qu'elles avaient épuisé complètement les forces du malade, qui auparavant était cependant très robuste. Aucune médecine ne pouvait le faire sortir d'un état de délabrement' qu'indiquait assez son visage pâle et défait. Le cœur de la vierge eut compassion de ce jeune homme. Elle lui demanda depuis combien de temps il n'avait pas lavé ses péchés dans le bain sacramentel de la confession, et, sur sa réponse qu'il y avait déjà plusieurs années: "Voilà pourquoi dit-elle, le Seigneur vous a envoyé cette épreuve, vous êtes resté trop longtemps sans purifier votre âme. Allez donc vite vous confesser, mon fils bien-aimé, et vomir la pourriture des, péchés, qui vous ont empoisonné le corps et l'âme. " Cela dit, elle fit appeler Frère Thomas son premier confesseur, et lui confia le malade, pour qu'il lui donnât l'absolution après avoir entendu l'aveu de ses fautes. Ce devoir accompli, le jeune homme revint vers Catherine, qui lui mit la main sur l'épaule en disant: " Allez, mon fils, avec la paix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je ne veux plus que vous souffriez désormais de ces fièvres. " Et il en arriva comme elle avait dit. Depuis cette heure, le jeune homme ne sentit plus le moindre mouvement de fièvre. En Catherine se trouvait cachée la vertu mystérieuse de Celui qui n'a eu qu'à parler, pour tout faire, à commander, pour tout créer (Ps 158,5). Plusieurs jours après, le malade guéri vint remercier la sainte et il nous assura que, depuis sa première visite, il n'avait pas en la moindre indisposition. J'ai été moi-même un des témoins de cette guérison, et je puis dire comme Jean: " Celui qui a vu, en rend témoignage (Jn 14,35). " Je puis citer avec moi, comme autres témoins, l'hôte de la sainte, ainsi que la mère de cet homme et tout le personnel de la maison, puis Frère Thomas confesseur de Catherine et du malade, Frère Barthélemy Dominique, qui était alors comme aujourd'hui mon compagnon, et enfin toutes les femmes qui étaient venues de Sienne avec notre vierge. Le miraculé lui-même a publié ce prodige dans toute la ville. Quand je passai à Pise, quelques années après, il vint me voir, et j'eus peine à le reconnaître, tant il était devenu gros et fort. De nouveau il rendit grâces à Dieu et à la sainte devant plusieurs personnes qui m'accompagnaient et raconta le miracle, comme je viens de le rapporter.

Pareil prodige avait eu lieu à Sienne quelque temps avant, avec un caractère d'autant plus merveilleux que le mal guéri était plus dangereux. Une Sœur de la Pénitence du bienheureux Dominique, nommée Gemma, et intimement liée avec Catherine, fut un jour atteinte à la gorge, de ce mal que les médecins appellent esquinancie. Cette esquinancie, suite d'un rhume de cerveau négligé, devint si grave que les remèdes, qui eussent été utiles au début, ne pouvaient plus la guérir. Les parties malades de la gorge se contractaient chaque jour davantage, Si bien qu'un étouffement complet et prochain était fort à craindre. Gemma, se rendant compte de son état, réunit tout ce qui lui restait de force et, violentant sa faiblesse, s'en vint trouver Catherine, qui pour lors n'habitait pas très loin. Dès qu'elle vit notre sainte, elle lui dit comme elle put: " Ma Mère, je meurs, si vous ne venez à mon aide. " Catherine, ayant vu la gravité du mal, eut compassion de cette Sœur, qui pouvait à peine respirer. Pleine de confiance, elle lui mit aussitôt la main sur la gorge et, y traçant le signe de la Croix, elle chassa et dissipa instantanément toute douleur. Celle qui était venue dans la tristesse et dans l'angoisse s'en retourna donc joyeuse et complètement guérie, et, pour ne point paraître ingrate, elle s'en alla raconter à Frère Thomas ce miracle qu'il consigna par écrit. C'est dans cet écrit, que j'ai pris ce que je viens de raconter brièvement en cette page.

Mais puisque j'en suis aux miracles opérés par Catherine sur les corps des personnes de sa famille et de son intimité, il m'en revient en mémoire quelques-uns de fort notables, dont j'ai été moi-même témoin avec d'autres personnes encore vivantes, ainsi que je le dirai plus loin. C'était au temps où le seigneur pape Grégoire XI, d'heureuse mémoire, revint d'Avignon à Rome. La sainte, précédant le Pontife, vint à Gênes avec les personnes de sa suite, dont j'étais, et y demeura quelques jours pour se reposer, jusqu'à ce que le Pontife lui-même fût arrivé dans cette ville avec la Cour romaine. Ce séjour à Gênes fut d'un peu plus d'un mois. Nous avions alors en notre compagnie, comme secrétaires de l'aimable vierge, deux jeunes Siennois très pieux, qui vivent encore aujourd'hui religieusement et vertueusement. L'un s'appelle Néri Landoccio de Pagliaresi; il a méprisé le monde et ses vanités et mène la vie solitaire des anachorètes. L'autre, Etienne Corradi de Maconi, est entré dans l'Ordre des Chartreux, ainsi que la sainte le lui a ordonné quand elle s'en est allée de ce monde au sein du Père. La grâce de Dieu lui a fait faire tant de progrès dans la vie spirituelle qu'il dirige et gouverne par ses visites, ses avis et ses exemples, une grande partie de son Ordre en Italie. Il a été successivement Prieur de plusieurs monastères, et il l'est actuellement de la Chartreuse de Milan; partout il est considéré comme un homme de grandes œuvres et de grand renom. Ces deux témoins peuvent attester avec moi et avec toutes les personnes déjà citées, la plus grande partie des faits merveilleux que j'ai rapportés jusqu'ici, et tous ceux que j'ai racontés dans cette seconde partie. Mais, à l'époque où nous en sommes, dans cette ville de Gênes, l'un et l'autre furent personnellement l'objet d'un prodige mémorable que le Seigneur opéra par l'intermédiaire de la sainte, son Epouse.

Il arriva donc que, pendant notre séjour à Gênes, Néri fut pris d'un mal affreux qui n'a pas tourmenté que lui, mais nous a tous fait souffrir d'incroyable façon. Il était torturé jour et nuit de douleurs d'entrailles qui lui arrachaient des cris et des gémissements continuels. Il ne pouvait ni rester tranquillement couché, ni se tenir debout, mais, rampant sur les mains et sur les genoux, il se traînait d'un lit à l'autre à travers toute la chambre, comme pour fuir ses douleurs, et nous rendait aussi malheureux que lui. J'en parlai à Catherine, et les autres aussi; elle parut émue de compassion; mais elle ne pria pas, comme elle le faisait en pareil cas, pour demander un adoucissement à ces souffrances; elle ne donna même aucune de ces promesses de guérison qui lui étaient ordinaires. Au contraire, elle m'ordonna de faire venir es médecins et de recourir aux remèdes. Je mis tous mes soins à exécuter ses ordres, et j'appelai deux médecins auxquels on obéit ponctuellement. Le malade n'en fut en rien soulagé, il allait même plus mal. Le Seigneur permettait tout cela, je pense, pour faire éclater davantage ses merveilles en son épouse. Les médecins, se retirant sans avoir obtenu aucune amélioration, me dirent qu'ils n'avaient plus d'espoir de sauver le jeune homme.

Je fis part du résultat de cette consultation aux Frères et compagnons pendant que nous étions à table. A cette nouvelle, Étienne Maconi, tout hors de lui et l'âme pleine d'amertume, se leva de table, entra dans la chambre de la sainte, se prosterna en pleurant à ses pieds et lui demanda humblement et instamment de ne pas laisser mourir et ensevelir en terre étrangère un Frère et compagnon de route qu'elle avait emmené au nom de Dieu et de son amour. La vierge, doucement compatissante, lui répondit avec une charité toute maternelle : " Pourquoi vous troubler et vous désoler, mon fils? Si Dieu veut donner à Néri, votre frère, la récompense de ses travaux, vous ne devez pas vous en affliger, mais vous en réjouir. " A quoi Étienne répartit : " Très douce Mère, je vous en prie, écoutez ma voix et secourez-le ; je suis sûr que si vous le voulez, vous le pouvez. " Catherine ne put contenir plus longtemps sa tendresse de mère. " Je vous exhortais, dit-elle, à vous conformer à la volonté divine; mais, puisque je vous vois si désolé, rappelez-moi votre prière, demain, quand j'irai à la messe pour recevoir la sainte Communion, et je vous promets de présenter votre demande au Seigneur. Quant à vous, priez Dieu qu'il m'exauce." Étienne, satisfait et joyeux de cette promesse, revint trouver la sainte le lendemain matin, au moment où elle allait à la messe et, fléchissant humblement le genou devant elle : " Ma Mère, lui dit-il, je vous supplie de ne pas tromper mon attente. " Catherine communia donc à cette messe et y resta assez longtemps en extase comme d'habitude; mais, dès qu'elle eut recouvré l'usage de ses sens, elle sourit à Étienne qui attendait auprès d'elle, et elle lui dit : " Vous avez la grâce que vous demandez. " - " Ma Mère, repartit Étienne, Néri sera-t-il sauvé? - Certainement, répondit-elle, il sera sauvé, car le Seigneur nous l'a rendu. " Étienne s'en vint alors d'un pas rapide trouver le malade et lui porter cet encouragement du Seigneur. Les médecins étant revenus quelque temps après et ayant examiné à plusieurs reprises l'état de Néri, commencèrent à dire qu'on pourrait le guérir, alors que la veille ils en désespéraient absolument. Et, en effet, ainsi que l'avait annoncé Catherine, la convalescence alla se continuant jusqu'à complète guérison.

Mais quand Néri fut rétabli, Étienne, accablé par les fatigues corporelles et les souffrances morales qu'il avait endurées en soignant son ami, fut pris à son tour de violents accès de fièvre, accompagnés de vomissements et d'insupportables maux de tête. Il fut donc obligé de garder le lit, et, comme nous avions tous beaucoup d'affection pour lui, nous lui prodiguions nos soins et nos consolations. La nouvelle de cette maladie affligea vivement notre vierge, qui vint aussitôt visiter Étienne, s'informa de la nature de son mal, et s'aperçut, rien qu'en le touchant, qu'il avait une fièvre brûlante. Sous l'impulsion d'un mouvement surnaturel, elle lui dit alors: " Je vous commande, au nom de la sainte obéissance, de n'avoir plus cette fièvre. " O prodige la nature obéit à la voix de la vierge, comme si du haut du ciel eût retenti la voix du Créateur de toutes choses. Sans aucun remède naturel, et avant même que la sainte eût quitté le lit du malade, la fièvre avait disparu et Etienne était guéri. Nous faisions tous joyeuse fête à notre Étienne rétabli, et nous rendions grâces au Seigneur qui, en quelques jours, avait ainsi fait deux miracles sous nos yeux, par l'intermédiaire de son épouse.

A ces deux miracles, j'en ajoute un troisième dont je n'ai pas été témoin oculaire; mais la personne qui en a été l'objet vit encore et l'atteste publiquement. C'est d'elle-même que j'ai appris ce que j'écris, et son témoignage est absolument confirmé par d'autres femmes qui étaient alors les compagnes de la sainte. Ce récit me vient donc d'une Sœur de la Pénitence du bienheureux Dominique, Siennoise d'origine, mais qui n'habite plus la ville et qu'on appelle Jeanne de Capo. Le seigneur pape Grégoire XI, d'heureuse mémoire, étant de retour à Rome, avait chargé la sainte d'aller à Florence négocier la paix entre le Père des pères et ses enfants rebelles. Catherine y réussit, comme nous l'exposerons plus au long dans un chapitre particulier. Mais l'infernal dragon, qui sème et nourrit la discorde, et qui est l'ennemi de toute union, fit éclater- à cette occasion bien des scandales dans la cité florentine, et l'épouse de Jésus-Christ, qui travaillait à la paix, ne fut pas épargnée. Le récit de ces désordres serait bien long et nous entraînerait, pour le moment, trop loin de notre sujet; nous y consacrerons d'ailleurs un chapitre spécial, en réponse aux détracteurs de la sainte. Se trouvant donc à Florence par ordre du Pape, elle se vit menacée par des soulèvements populaires que l'antique ennemi excitait contre elle; et ses amis les plus fidèles et les plus dévoués lui conseillèrent, en conséquence, d'aller habiter pendant un certain temps à quelque distance de la ville, en attendant que cette sédition s'apaisât. Catherine, toujours humble et discrète, se rendit à leurs raisons; mais elle affirma en même temps que, par ordre de Dieu, elle ne sortirait des limites du territoire florentin qu’après la publication du traité de paix entre le Souverain Pontife et ce peuple, et l’événement justifia cette assurance. Elle se préparait donc à quitter momentanément la ville pour se retirer dans un lieu qui se voit encore sur le territoire de la république. Mais, à ce moment, Jeanne de Capo se trouva gravement indisposée. Depuis qu’elle était à Florence, son pied avait considérablement enflé et, de plus, elle souffrait d’une assez forte fièvre: en cet état, il lui était absolument impossible de se mettre en route. Catherine, qui se rendait bien compte de cette impossibilité, ne voulut cependant pas laisser Jeanne seule en ville, exposée aux mauvais traitements des impies. Elle eut donc recours comme d’habitude à la prière, et, invoquant le secours de son l’époux, elle le supplia de pourvoir miséricordieusement à cet accident. Le Seigneur, très clément, ne laissa pas longtemps son épouse dans cette douloureuse perplexité. Pendant l’oraison de Catherine, Jeanne s’endormit doucement. Quand on la réveilla, elle se trouva si parfaitement guérie qu’il lui semblait n’avoir rien souffert. Elle se leva immédiatement, fit ses préparatifs de voyage, et, le matin même, elle suivait la sainte et ses autres compagnes, en marchant avec l’agilité de ses meilleurs jours de jeunesse. Les autres, qui l’avaient vue si souffrante, en étaient dans la stupéfaction, et toutes ensemble louaient le Seigneur de ce qu’il donnait à son épouse le pouvoir de soulager miraculeusement les corps de ses suivantes.

A ce miracle, j’en ajoute un autre que Dieu a opéré par l’intermédiaire de Catherine à Toulon, ville du comté de Provence. C’était pendant notre retour d’Avignon, au temps ou le pape Grégoire XI se rendait à Rome. En arrivant à Toulon, nous avions été reçus dans un hospice, avec notre vierge, qui s’était aussitôt retirée dans sa chambre, selon son habitude. Mais, alors que nous nous taisions, les pierres elles-mêmes, si je puis ainsi parler, crièrent qu’une sainte venait d’arriver dans la ville ~. Les femmes d’abord, puis les hommes, commencèrent d’affluer audit hospice, demandant où était la sainte dame, qui revenait de la Cour Romaine. L’hôte le leur ayant dit, nous ne pouvions plus le cacher, et il fallut au moins laisser entrer les femmes. Une de ces femmes introduisit alors avec elle un enfant, dont le corps et surtout le ventre était tellement enflé qu’il avait un aspect de monstre. Les visiteuses prièrent la vierge du Seigneur de vouloir bien prendre ce pauvre enfant dans ses bras. Catherine refusa d’abord, pour fuir les louanges humaines; mais, cédant enfin à un sentiment de compassion, et voyant la foi de ces femmes, elle se prêta à leurs désirs. A peine eût-elle pris l’enfant dans ses mains virginales, que le corps du malade rejeta les gaz qui le gonflaient, tous les assistants virent l’enflure disparaître, et l’infirme fut bientôt complètement guéri. Je n’assistais pas à cette guérison miraculeuse et ne l’ai pas vue; mais le fait en est si certain et a eu tant d’éclat que l’Évêque de Toulon lui-même, m’ayant envoyé chercher, m’a raconté ce prodige, en m’affirmant que cet enfant était le neveu de son vicaire général, et m’a prié de lui obtenir une entrevue avec la sainte, ce qui lui a été accordé.

Le Seigneur Jésus s’est encore servi de son épouse pour opérer sur les corps des hommes beaucoup d’autres miracles, qui ne sont pas consignés dans ce livre. Mais le peu que j’en ai écrit, bon lecteur, doit suffire à vous donner juste motif de croire qu’en notre sainte habitait Jésus Fils de Dieu et de la Vierge. C’est lui qui était l’agent principal de toutes ces merveilles. Avec ces guérisons corporelles, je devrais raconter les délivrances de possédés; mais, la sainte ayant eu pour ce genre de prodiges une grâce toute spéciale, et notre chapitre étant déjà bien long, je le finis ici et remets au chapitre suivant le récit de ces délivrances de possédé du démon.

   

pour toute suggestion ou demande d'informations