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Saint François de Sales
(1567-1622)
Le chantre de l’Amour de
Dieu
Saint François de Sales, est issu d’une famille noble de Savoie. Aîné de treize
enfants, il naquit le 21 août
1567
à Thorens, petite ville située à une vingtaine de kilomètres d’Annecy. Dans ce
pays profondément touché par le protestantisme, les parents de François étaient
cependant restés très attachés à la foi catholique.
François fit d’excellentes études, d’abord à Annecy, puis à Paris au collège de
Clermont (devenu Collège Louis le Grand, en 1681). Il deviendra l’un des plus
grands écrivains français de la période préclassique. De 1588 à 1591, François
est à Padoue pour y faire des études de droit et de théologie. Il sera ordonné
prêtre le 18 décembre 1593. Commence alors pour lui la difficile mission
d’évangélisation de la province calviniste du Chablais. La tâche est immense,
mais François dispose des meilleures armes qui soient: l’oraison, l’aumône et le
jeûne...
Homme d’action, ardent missionnaire, écrivain de génie, François de Sales est
aussi un véritable mystique qui prêche une religion d’amour et d’union à Dieu.
C’est le 8 décembre 1602 qu’il sera sacré évêque de Genève. Pendant sa
consécration, il bénéficia d’une première extase intérieure: il lui semblait que
la “très adorable Trinité imprimait intérieurement en son âme ce que les
évêques faisaient extérieurement sur sa personne.”
Pendant 20 ans, François de Sales se consacra corps et âme à son apostolat et
s’efforça d’appliquer les décisions du Concile de Trente: catéchèse, prêches,
direction spirituelle, administration diocésaine, réforme du clergé et des
ordres religieux, rédaction d’ouvrages de spiritualité, et correspondance. C’est
au cours d’une retraite au château de Sales, avant de partir prêcher le Carême
de 1604, à Dijon, qu’il eut la révélation qu’il était destiné à fonder une
congrégation nouvelle. Le 5 mars 1604, il rencontrait pour la première fois
celle qui devait devenir Sainte Jeanne de Chantal, cofondatrice avec lui de
l’Ordre de la Visitation, dont le jour officiel de naissance fut le 6 juin 1610.
François de Sales publia l’Introduction à la Vie dévote en 1608, et le
Traité de l’Amour de Dieu en 1616. Il mourut saintement le 28 décembre
1622.
Canonisé en 1665, et nommé Docteur de l’Église en 1877, Saint François de Sales
est considéré comme le “Docteur de l’amour”. Ce titre que l’Église lui a
attribué le définit parfaitement. En effet, sa vie mouvementée fut constamment
illuminée par une charité débordante qui transparaît dans cet extrait d’une
lettre adressée à Jeanne de Chantal : “Quand sera-ce que nous serons tous
détrempés en douceur et charité envers notre prochain ? Quand verrons-nous les
âmes de nos prochains dans la sacrée poitrine du Sauveur ? Hélas! qui regarde le
prochain hors de là, il court fortune de ne l’aimer ni purement, ni constamment,
ni également; mais là, mais en ce lieu-là qui ne l’aimerait? Qui ne
supporterait ses imperfections ? Qui le trouverait de mauvaise grâce ? Qui le
trouverait ennuyeux ? Or, il y est ce prochain, ma très chère fille, il est dans
le sein et la poitrine du divin Sauveur; il y est comme très aimé et tant
aimable, que l’Amant meurt d’amour pour lui. Amant duquel l’amour est en sa mort
et la mort en son amour.”
Le Traité de l’Amour de
Dieu [2]
L’Amour de Dieu est la fin,
la perfection et l’excellence de l’univers
L’Amour de Dieu est l’Amour sans égal,
parce que la bonté de Dieu est la bonté non pareille
Alors que l’”Introduction à la Vie Dévote” est essentiellement un code de
vie chrétienne fervente destiné aux
personnes
vivant dans le monde, le “Traité de l’Amour de Dieu” est d’abord écrit
pour les Visitandines et les âmes spirituellement avancées. Les sentiments les
plus délicats de l’amour que nous devons avoir pour Dieu et les secrets de la
vie mystique sont abordés, mais avec beaucoup de bon sens, de prudence et
d’équilibre. Lorsque Saint François de Sales traite des relations intimes entre
Dieu et l’âme contemplative, on ne peut manquer d’évoquer Thérèse d’Avila, la
bienheureuse mère Thérèse de Jésus dont il fait mention à plusieurs reprises.
Une remarque doit être faite ici: c’est en lisant Saint François de Sales, après
avoir déjà rencontré beaucoup d’autres mystiques, certains plus anciens,
d’autres plus proches de nous, voire contemporains, que l’on prend conscience,
d’une manière presque sensible, de l’unité de pensée, et souvent d’expression,
entre tous les mystiques lorsqu’ils parlent de Dieu, de son amour, de son Cœur,
voire de leurs relations avec Dieu. Le style devient même comparable, sinon
identique, lorsque les mystiques rapportent les paroles de Dieu. Cela paraît
d’abord étrange, mais, en fait, c’est plutôt réconfortant car c’est toujours le
même Dieu qui parle à ses enfants et se révèle à eux, pour sa Gloire à Lui, et
leur salut, à eux.
Le “Traité de l’Amour de Dieu”, qui décrit les relations d’amour entre
Dieu et une âme privilégiée, n’est pas à proprement parler un ouvrage de
théologie sur l’Amour de Dieu, ni sur le Cœur de Jésus. Saint François de Sales
ne parle pas du Cœur de Jésus, ni du Cœur de Dieu, ou exceptionnellement. Le
traité de l’Amour de Dieu est comme la réponse d’amour de François à l’amour de
Dieu qu’il a connu à plusieurs reprises d’une manière sensible, comme d’ailleurs
tous les mystiques, même ceux qui furent comme lui de grands hommes d’action.
Cependant, le cœur de François est tellement débordant d’amour: l’Amour de Dieu
pour nous, et l’amour de nous pour Dieu, tellement amoureux de Dieu, qu’il est
impossible de ne pas découvrir la réalité du Cœur de Dieu, et surtout du Cœur du
Fils, tout au long des pages de ce traité, apparemment théologique, mais, en
fait, brûlant du feu de l’Amour.
Notons que chez François de Sales, Dieu Amour, Dieu Unique, est le plus souvent
considéré dans sa Trinité ou dans les relations Père et Fils.
Avertissements
importants
Saint François de Sales est un homme du XVIe siècle, début du XVIIe
siècle. La langue française n’a pas encore pris la forme définitive qu’on lui
connaîtra bientôt. Aussi le vocabulaire de François nous paraît-il parfois
désuet. Il convient donc, avec François de Sales, plus encore qu’avec d’autres
écrivains, de se resituer dans la mentalité de son époque. Cette difficulté du
vocabulaire, François l’avait peut-être ressentie, puisque, à plusieurs
reprises, il prend la peine d’expliquer ses mots, de préciser leur définition.
Nous donnerons plus loin des exemples caractéristiques. Dans les citations qui
sont rapportées dans cet ouvrage, le style de François de Sales a été, à
quelques rares exceptions près, intégralement respecté.
Le traité de l’Amour de Dieu est écrit pour des
âmes spirituellement avancées. “Ce
traité est fait pour aider l’âme déjà dévote à ce qu’elle puisse avancer en son
dessein, et pour cela il m’a été forcé de dire plusieurs choses un peu moins
connues au vulgaire et qui, par conséquent, sembleront plus obscures... Il se
trouve peu de plongeurs qui veuillent et sachent aller recueillir les perles et
autres pierres précieuses dans les entrailles de l’Océan...” [3]
François de Sales s’adresse d’abord à ses
Visitandines, notamment à Sainte Jeanne de Chantal, la cofondatrice :
“Je parle pour les âmes avancées en la dévotion,
car il faut que je te dise, Théotime, que nous avons en cette ville une
congrégation de filles et veuves qui, retirées du monde, vivent unanimement au
service de Dieu.” [4]
Ces âmes spirituellement avancées connaissent le
Saint Amour qui “fait son séjour sur la
plus haute et relevée région de l’esprit, où il fait ses sacrifices et
holocaustes à la Divinité ... car l’amour n’a point de forçats, ni d’esclaves,
mais réduit toutes choses à son obéissance avec une force si délicieuse que,
comme rien n’est fort comme l’amour, rien non plus n’est si aimable que sa
force.”
[5]
Questions de vocabulaire
La complaisance
“L’Amour n’est autre chose
que le mouvement du cœur qui se fait envers le bien, par le moyen de la
complaisance que l’on a en lui, de sorte que la complaisance est
le grand motif de l’amour.
[6] La
volonté apercevant et sentant le bien, par l’entremise de l’entendement
qui le lui représente, ressent à même temps une soudaine délectation et
complaisance en ce (sic) rencontre qui l’émeut et incline doucement,
mais puissamment vers cet objet aimable, afin de s’unir à lui....”
Cette complaisance qui
“est le premier ébranlement ou la première émotion que le bien fait
en la volonté... Le bien empoigne, saisit et lie par la complaisance;
mais par l’amour il l’attire, conduit et amène à soi; par la
complaisance il le fait sortir, mais par l’amour, il lui fait faire le
chemin et le voyage. La complaisance, c’est le réveil du cœur, mais
l’amour en est l’action; la complaisance le fait lever, mais l’amour le
fait marcher...”
[7]
La dilection
Saint François de Sales n’est pas toujours satisfait du mot “amour” qui, en
français, est trop galvaudé. Aussi, est-il tenté, comme l’avait fait avant lui
le Concile de Trente, d’utiliser le mot dilection.
“Le céleste commandement d’aimer est exprimé par le mot de “dilection”,
plutot que par celui d’aimer. Car bien que la dilection soit un amour,
cependant elle n’est pas un simple amour, mais un amour accompagné de “choix” et
“d’élection”, ainsi que la même parole le porte” (celle de 1 Cor 15,41)
“Ce commandement nous enjoint un amour élu entre mille, comme le Bien-aimé de
cet amour est “exquis entre mille”. (Cant 5, 10) “C’est ce que Dieu
requiert de nous, qu’entre tous nos amours, le sien soit le plus cordial,
dominant sur tout notre coeur; le plus affectionné, occupant toute notre âme; le
plus général, employant toutes nos puissances; le plus relevé, remplissant tout
notre esprit; et le plus ferme, exerçant toute notre force et vigueur. Et parce
que nous choisissons et élisons Dieu pour le souverain objet de notre esprit,
c’est un amour de souveraine élection ou une élection de souverain amour...
L’Amour de Dieu est l’Amour sans égal, parce que la bonté de Dieu est la bonté
non pareille... C’est l’Amour d’excellence ou l’excellence de l’Amour qui est
commandé à tous les mortels en général et à chacun d’eux en particulier...”
[8]
La dilection est liée à la beauté de Dieu : “Le beau est appelé beau
parce que sa connaissance délecte. Il faut, outre l’union et la distinction,
l’intégrité, l’ordre et la convenance de ses parties, qu’il ait beaucoup de
splendeur et clarté afin qu’il soit connaissable et visible... “
[9]
L’union à Dieu,
inhésion ou adhésion
L’union de l’âme avec Dieu est appelée “inhésion ou adhésion,
parce que par elle l’âme demeure prise, attachée et collée à la divine Majesté.”
Ou encore, parlant du ravissement : “l’union parvenue à la perfection n’est
point différente du ravissement, suspension ou pendement d’esprit.”
[10]
Par ailleurs, la conformité de notre cœur avec Celui de Dieu se fait “lorsque,
par la sainte “bienveillance” nous jetons toutes nos affections entre les
mains de la divine volonté afin qu’elles soient par elle, pliées et maniées à
son gré, moulées et formées selon son bon plaisir. Et en ce point consiste la
très profonde “obéissance d’amour”.
Au sujet de la compassion, Saint François
de Sales nous dit : “La compassion,
condoléance, commisération ou miséricorde, n’est autre chose qu’une
affection qui nous fait participer à la passion et douleur de celui que nous
aimons, tirant la misère qu’il souffre dans notre cœur: d’où elle est appelée
miséricorde, comme qui dirait une misère de cœur.”
[12]
[1] “Petite
vie de François de Sales” de Bernard Sesé.
Éditions Desclée de Brouwer.
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