Le dévot Prieur de Groenendael [1]

Table des matières

Avertissement

Introduction

1-L'enfance et la jeunesse

2-Le prêtre

3-Le moine

4-Quelques faits étonnants

4-1-Dans un rayon de feu
4-2-La lévitation
4-3-Des apparitions du Christ, de la Vierge Marie et des saints

5-Les bons exemples donnés par Ruysbroeck

5-1-Ruysbroeck et Tauler
5-2-Une vocation religieuse

6-Les dernières années de la vie de Ruysbroeck

7-Ce qui se passa après la mort de Ruysbroeck

7-1-Apparition à un médecin
7-2-Guérison d'un cruel mal de dents
7-3-La translation du corps

8-La béatification

9-Les attaques dirigées contre les textes de Ruysbroeck

10-Présentation rapide des écrits de Jean de Ruysbroeck

Annexe 1

Quelques “fioretti”

Annexe 2

L'orthodoxie des écrits de Ruysbroeck

Bibliographie

 

Avertissement

Maître spirituel dont les leçons inspireront de nombreux mystiques, Jean de Ruysbrœck a donné ses lettres de noblesse à la littérature néerlandaise. Pourtant, la pauvreté de ses vêtements et son humilité étaient telles, qu'il fut longtemps considéré par ses contemporains comme un illettré. Ses premiers biographes continuèrent à accréditer cette "légende" quoique son érudition théologique et patristique ainsi que sa maîtrise du latin eussent été remarquables. Son talent littéraire lui permit de rédiger en moyen néerlandais[1] des ouvrages qui contribuèrent beaucoup à la formation de la langue des Pays-Bas. Ainsi, notamment avec L’Ornement des Noces Spirituelles, un de ses premiers ouvrages et l'un des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature mystique chrétienne, il adopta, autant que possible, malgré les difficultés considérables liées aux expériences mystiques, un vocabulaire courant, qu'il voulait compréhensible par les simples laïcs comme par les ecclésiastiques.

Jean de Ruysbrœck a été surnommé, à cause de la sublimité de sa doctrine, le divin Contemplateur  ou encore l'Admirable.

Les documents dont nous sous sommes servis peuvent en partie être retrouvés sur le site:

 

http://livres-mystiques.com/index.htm

ou, plus rapidement, dans la rubrique :

http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Ruysbroek/Ruysbrœck/table.html

 

La vie
de
Jan van Ruysbrœck

(Jean de Ruysbrœck)
(1293-1381)

Introduction

La vie de Jan van Ruysbrœck nous est connue grâce à Henri Pomerius (1382-1431) qui fut bien placé pour obtenir des renseignements sûrs. En effet, né en 1382, un an seulement après la mort de Ruysbrœck, il entra au monastère des chanoines réguliers de Groenendael, où Ruysbrœck avait passé toute sa vie religieuse. Devenu prieur, Pomerius vit mourir deux disciples immédiats de Ruysbrœck: Jean de Hoelaere († 16 mars 1431) et Jean de Scoonhoven († 22 janvier 1431). Ce dernier se rendit célèbre en défendant la doctrine de son maître Ruysbrœck, contre les attaques de Gerson.

Pomerius mourut le 2 juin 1469; il avait écrit son ouvrage avant 1420, soit moins de quarante ans après la mort de Ruysbrœck, le saint Prieur de Groenendael.

L'ouvrage de Pomerius comprend trois parties :

1°L'histoire de la fondation de Groenendael,

2°La biographie de Ruysbrœck,

3°La biographie de Jean van Leeuwen, le « bon cuisinier ».

 

Un autre document précieux sur la vie de Ruysbrœck est un prologue inséré en tête du manuscrit le plus complet de ses œuvres. Ce prologue est d'un contemporain de Ruysbrœck, Maître Gérard[2], prieur d'une Chartreuse proche de Groenendael. Ce manuscrit, datant de 1461, et qui appartenait jadis au prieuré même de Groenendael, se trouve aujourd'hui à Bruxelles.

1-L'enfance et la jeunesse de Jean de Ruysbrœck

Jean de Ruysbrœck (Jan van Ruusbroec) est né en 1293 dans le petit village de Ruusbroeck, situé entre Bruxelles et Halle. Ce village du Brabant est aujourd’hui englobé dans l’agglomération bruxelloise. Sa famille était très honorable et très aisée. Dès sa plus tendre enfance il aima s'isoler dans la nature. À l'âge de 11 ans, il fut confié à un oncle, Maître Jean Hinckaert, chanoine de Sainte-Gudule, qui l'éveilla très tôt aux vérités de l'Evangile, et le mit dans une école pour y apprendre les lettres, la philosophie, puis les sciences: humaine et divine.

2-Le prêtre

Jean de Ruysbrœck devint prêtre à 24 ans, en 1317, et exerça son ministère durant vingt-cinq ans à Bruxelles, comme chapelain de Sainte Gudule, en compagnie de Maître Hinckaert et de Franco van Coudenberg, chapelains de la même église et animés des mêmes désirs de vie vertueuse. C'est pendant sa présence à Bruxelles qu'il rédigea ses premiers ouvrages, écrits en flamand[3], en réalité, en dialecte brabançon. Ces ouvrages, parus entre 1330 et 1336, constituent l'essence même de sa doctrine fondée essentiellement sur son expérience mystique. On peut citer:

– Le Royaume des Amants de Dieu,

– L'Ornement des Noces Spirituelles. Ce livre commente une citation évangélique: Voici l’Époux qui vient, allez à sa rencontre. (Mat, XV, 6) C’est surtout par Les Noces Spirituelles que la doctrine Ruysbrœckienne se répandit dans les pays germaniques.

– L'Anneau de la Pierre Brillante

– La foi chrétienne et Les quatre Tentations virent le jour entre 1336 et 1343

La sainteté de Jean de Ruysbrœck était telle que ses hagiographes rapportèrent de nombreux miracles et légendes, destinés à montrer les faveurs que Dieu lui réserverait tout au long  de sa vie. Évidemment il faut prendre ces légendes avec précaution et nous ne nous y attarderons jamais. Cependant pour notre divertissement, nous rapportons ici un fait étonnant raconté par un religieux[4] anonyme, son premier biographe:

"À peine l'enfant avait-il sept jours, comme sa nourrice allait le laver dans un bassin, il se tint debout sans aucun autre appui que celui d'une grâce particulière de Dieu."

On raconte aussi que lorsque sa maman fut décédée, elle lui apparut à plusieurs reprises pour lui demander un soulagement à ses peines du Purgatoire. Et l'on dit que, dès la fin de sa première Messe, le jeune prêtre "apprit, dans une apparition certaine de sa mère, qu'elle était enfin délivrée de toute peine."

Revenons maintenant à des choses plus terre à terre.

Prêtre séculier, Jean décida de suivre le Christ humble dans la voie de l'humilité, et de se conformer autant qu'il le pourrait à ce modèle, au point de passer même pour méprisable et sans valeur aux yeux de tous ceux qui ignoraient sa vie très sainte. Cependant, il eut l'occasion, à Bruxelles, de s'opposer fortement à Bloemardinne, une femme qui fut l'initiatrice d'une secte, satanique dirions-nous aujourd'hui, secte qui attirait de nombreux adeptes. Il semble que Bloemardinne dirigea la secte "du libre esprit" vers 1307.

L'homme de Dieu s'opposa avec vigueur à ces erreurs néfastes qui se multipliaient, et bien qu'il eût à soutenir un grand nombre d'adversaires, il put démontrer pleinement la fausseté des écrits de cette femme perverse.

3-Le moine

En 1343, Jan van Ruysbrœck, que nous appellerons le plus souvent Ruysbrœck,  ou encore le dévot Prieur, décida de vivre dans la solitude, avec son oncle et Franco van Coudenberg, dans l'ermitage[5] de Groenendael[6] (Viridis Vallis, ou le Vauvert). Le frère Jean van Leeuwen, surnommé "le bon cuisinier", devait bientôt rejoindre la petite communauté naissante, qui, en 1350, adopta l'habit des chanoines réguliers de saint Augustin, ainsi que la règle. Ruysbrœck put alors s'adonner tout entier à la contemplation et se livrer à l'influence divine.

Lorsqu'il se sentait envahi par l'inspiration, Ruysbrœck s'enfonçait dans la forêt toute proche, et se mettait à écrire tout ce qui lui venait à la pensée. Puis, il retournait au monastère et partageait avec ses frères les enseignements merveilleux qu'il avait reçus. Son influence bénéfique était telle qu'on lui donna le surnom d'Admirable. Pèlerins et fidèles affluaient pour l'écouter et prier avec lui.

Le prieur de Groenendael

Ruysbrœck avait déjà été prieur pour les quelques compagnons qui, d’abord groupés autour de lui, dans la maison de son oncle, l’accompagnèrent à Groenendael dans la forêt de Soignes, mise à leur disposition par le duc Jean III de Brabant en 1343. Là, leur retraite était mieux protégée, La communauté qu’il entendait former ne devait pas être cloîtrée: sans règle, ni supérieur, avec très peu d’observances, elle devait cependant permettre la réalisation d’une vie intérieure intense, et permettre une vie commune, telle qu’elle sera plus tard décrite dans le livre, La Pierre brillante. Cependant, la communauté d’abord informelle, évolua vers la vie canoniale augustinienne, embrassée le 10 mars 1350. En effet, en 1349, l'évêque de Cambrai avait vêtu les membres de la petite communauté de la tunique blanche et de la chape noire des chanoines de saint Augustin. Le prévôt de la communauté fut Franco van Coudenberg à qui Ruysbrœck, prieur, voulut demeurer soumis.

La production littéraire de Ruysbrœck pendant cette période reflète l’activité d’un conseiller spirituel attentif, discret et retiré: ses ouvrages, surtout des opuscules, sont souvent de nature explicative. On a parlé d'une mystique essentialiste sur la nature de laquelle les erreurs d’interprétation sont aisées.

4-Quelques faits étonnants

4-1-Dans un rayon de feu

Du vivant de Ruysbrœck, des hommes témoignèrent: nous savons que très souvent le dévot Prieur se hâtait vers le bois, et, retrouvant sa retraite solitaire, s'asseyait sous un arbre. Un jour qu'il y était resté plus longtemps que d'habitude, les frères, inquiets, se mirent à le chercher à travers les chemins de la vaste forêt.

"Par hasard, un frère, qui lui était assez intime, le cherchant avec soin, remarqua de loin un arbre qui semblait par en haut tout enveloppé d'un rayon de feu. S'approchant alors en silence, il trouva l'homme de Dieu assis sous cet arbre, encore tout ravi hors de lui par la grande ferveur de la douceur divine. De ceci il apparaît clairement de quelle ferveur intérieure d'esprit et de quelle splendeur il était enflammé en même temps qu'illuminé, alors que le rayonnement en paraissait au dehors d'une façon si manifeste."

4-2-La lévitation

À force de méditer la Passion du Seigneur, Ruysbrœck "parvint à une telle abondance de la divine grâce, que souvent il s'élevait dans le ravissement divin au-dessus de lui-même." Les lévitations de Ruysbrœck ont souvent été constatées par ceux qui vivaient proches de lui.

4-3-Des apparitions du Christ, de la Vierge Marie et des saints

Les hagiographes de Ruysbrœck racontent que souvent Notre-Seigneur Jésus-Christ visitait son fidèle serviteur avec une douceur très intime, et l'enrichissait de multiples grâces; ainsi, un jour il lui apparut visiblement avec la bienheureuse Vierge Marie, sa glorieuse Mère, et tous les saints de la cour céleste. Jésus lui parla:

— Tu es mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis ma complaisance.

Et l'embrassant, il dit à sa Mère et aux chœurs des saints présents:

— Voici mon enfant d'élection.

En retour, le dévot Prieur manifestait pour le Seigneur Jésus, une grande familiarité et un amour hors du commun. De plus, en plusieurs circonstances il eut avec le Seigneur Jésus des entretiens cachés, dont il n'est pas permis aux hommes de parler". Cela, le dévot Prieur le fait entendre parfois en ses livres et le "Bon Cuisinier" le rapporte lui aussi; "car ce dernier[7] le vit un jour élevé en une telle gloire, qu'à ce moment, personne parmi les vivants ne le surpassait en mérites."

5-Les bons exemples donnés par Ruysbrœck

Beaucoup d'hommes remarquables de Flandre, de Strasbourg, de Bâle et principalement des villes du Rhin, souvent élevés en dignité, venaient à Ruysbrœck, désireux de le voir et de bénéficier de ses conseils. Et le bon Prieur se montrait si prévenant envers eux, qu'il semblait avoir été prévenu par avance de leur venue.

5-1-Ruysbrœck et Tauler

Parmi les nombreux visiteurs qui vinrent trouver le bon Prieur, l'un des principaux fut un certain dominicain, docteur en théologie, du nom de Jean Tauler, très célèbre, tant à cause de sa rare érudition que de sa grande sainteté de vie. Tauler visitait fréquemment J. Ruysbrœck, car il l'avait en grande vénération. Cela transparaît fréquemment dans les écrits de Tauler, dans lesquels on peut remarquer bien des points empruntés, sans aucun doute, au vénérable Ruysbrœck. Cela montre aussi combien Tauler, comme de nombreux visiteurs du dévot Prieur, progressa auprès de lui dans la connaissance de la vie intérieure et contemplative.

5-2-Une vocation religieuse

Une femme, d'une haute naissance, avait coutume de venir visiter le dévot prieur, malgré l'éloignement, faisant jusqu'à deux milles, pieds nus. Elle fut confirmée par Ruysbrœck dans le mépris du monde et l'amour de Dieu: abandonnant tous ses biens, elle se rendit à Cologne où elle embrassa la vie monastique dans l'ordre des Clarisses.

6-Les dernières années de la vie de Ruysbrœck

Durant les dernières années de sa vie, le dévot Prieur, devenu presque aveugle, emmenait fréquemment avec lui, dans la forêt, un frère chargé de transcrire sur des tablettes ce qu'il dictait sous l'action de l'Esprit-Saint. Il agissait également souvent ainsi pour échapper au nombre grandissant des visiteurs. Réfugié dans la forêt il dictait de nouveaux ouvrages.

Déjà ses livres se répandaient, ainsi que nous l'apprend Maître Gérard, le prieur des Chartreux qui écrit: "Et moi, frère Gérard, de l'ordre des Chartreux, de la maison de Notre-Dame de la Chapelle près Hérinnes, toutes les fois que je rencontrais de ces livres, je les annotais soigneusement, selon la force de mon intelligence." Frère Gérard "en avait lui-même pris une copie[8] et comme il y trouvait certains passages obscurs, il pria Ruysbrœck de venir lui en donner l'explication. C'est ce que fit le saint prieur..."

Gérard Groot[9] fréquentait également Groenendael et profitait de l'influence et des enseignements du prieur.

La mort de Ruysbrœck

Quand il eût atteint sa quatre-vingt-huitième année, Ruysbrœck commença à voir ses forces décliner. Il comprit qu'il allait mourir bientôt. En effet, lorsque sa mère fut délivrée des peines du Purgatoire après l'ordination de son fils, elle lui apparut plusieurs fois et lui prédit qu'il s'endormirait joyeusement pendant le temps de l'Avent du Seigneur.

Le dévot prieur, très avancé en âge, se disposa donc à mourir saintement. Il demanda à être transporté par les frères à l'infirmerie commune des frères. "Là, atteint d'une grave attaque de fièvre et souffrant en même temps de dysenterie, il passa sur son lit presque quinze jours, dans une grande faiblesse. Enfin au milieu de ses frères en prière, et après s'être recommandé dévotement à eux, tout présent d'esprit et le visage radieux, il s'endormit heureusement dans la paix en un très doux soupir et sans les signes ordinaires des agonisants." Il avait plus de quatre-vingt-huit ans et était prêtre depuis soixante-quatre ans.

7-Ce qui se passa après la mort de Ruysbrœck

7-1-Apparition à un médecin

Un médecin, ami de Ruysbrœck, ayant appris que son ami était très malade se rendit aussitôt à Groenendael. Ayant constaté la faiblesse du serviteur de Dieu, il voulut rester pendant quelque temps auprès de lui. Après la mort de son ami, le médecin fut pris d'un léger sommeil, et il vit le saint Prieur, revêtu des habits sacerdotaux, s'avancer vers l'autel, comme pour témoigner, par cette vision, de son affection envers lui, et de la grâce singulière qui l'animait durant la célébration de la Messe.

7-2-Guérison d'un cruel mal de dents

À l'époque de Ruysbrœck, la médecine était peu efficace et il n'existait aucun remède pour soulager les maux de dents. Une religieuse béguine de Malines, tourmentée depuis longtemps par un cruel mal de dents, recouvra soudainement la santé après avoir approché de sa bouche une relique, une dent[10]  du saint prieur.

7-3-La translation du corps

Environ cinq ans après la mort du dévot Prieur, Monseigneur Jean Tserclaes, alors évêque de Cambrai, voulut que les ossements du prieur fussent enlevés de son tombeau et transportés par les frères dans un nouveau sépulcre. Lorsque le tombeau fut ouvert, les frères y  découvrirent le corps et les ornements qui l'enveloppaient: tout était intact.  Alors on exhuma le corps, saint et vénérable, et on l'exposa pendant trois jours dans l'enceinte du monastère de Groenendael afin qu'il pût être vénéré par tous ceux qui le souhaitaient. Il s'exhalait du corps un parfum si agréable, qu'on aurait pu croire que ce n'était pas le corps d'un mort, mais bien plutôt quelque onguent d'une merveilleuse suavité.

8-La béatification

Nous savons que Jan van Ruysbroeck est mort en 1381, en odeur de sainteté. Lors de la suppression du monastère (1783) son corps fut transféré à Sainte-Gudule de Bruxelles. Il fut béatifié par le pape Pie X en 1908. L'Église voulait, en effet, reconnaître d'une façon officielle le "culte rendu de temps immémorial au vénérable serviteur de Dieu, Jean de  Ruysbrœck, chanoine régulier. Le décret de la Sacrée Congrégation des Rites est du 1er décembre 1908; il a été approuvé par  Pie X, le 9 du même mois.

Historique de cette béatification

La cause de béatification de Ruysbrœck avait été introduite grâce à Jacques Boonen, archevêque de Malines en 1624; elle dut être suspendue en 1627, en raison des guerres qui affligeaient les Pays-Bas.

En 1783, le chapitre de Sainte-Gudule de Bruxelles obtint un office et une messe en l'honneur de Jean Ruysbrœck, puis tout fut de nouveau interrompu par la Révolution française.

Enfin, en 1883, le cardinal Goossens put réintroduire la cause, et obtenir la reconnaissance du culte, ce qui équivaut à une béatification. L'office et la messe propres du Bienheureux ont été accordés le 29 août 1909 au diocèse de Malines.

9-Les attaques dirigées contre les textes de Ruysbrœck

Démêlés avec Gérard Groot et Jean Gerson (1363-1429)  

Un grand maître de l'époque, Gérard Groot (Gérard le Grand) rencontra plusieurs fois le Prieur de Groenendael. Un jour, il crut trouver dans ses écrits des éléments qui ne lui semblèrent pas conformes à la foi catholique, et il exprima ses doutes. Ruysbrœck lui aurait répondu:

— Maître Gérard, sachez vraiment, que jamais je n'ai écrit une parole dans mes livres, que sous la motion de l'Esprit-Saint.

On sera étonné d'apprendre qu'après la mort de Ruysbrœck, ses écrits, toujours si fidèles à la doctrine catholique, rencontrèrent quelques difficultés avec Jean Gerson, le célèbre docteur en sainte Écriture et Chancelier de Paris. C'est une lettre de Gérard Groot aux moines de Groenendael, qui nous fait connaître les premières critiques dirigées contre le livre de Ruysbrœck intitulé "L'Ornement des Noces spirituelles". En effet, ayant examiné ce livre et n'ayant pas vraiment compris la pensée de l'auteur exprimée dans la troisième partie du livre, Jean Gerson le déclara d'abord suspect d'hérésie. Mais, ayant mieux approfondi la doctrine de Ruysbrœck, Jean Gerson revint sur sa déclaration et reconnut l'inspiration divine de ses œuvres. Toutefois, dans une seconde lettre, il redit que les expressions, dont Ruysbrœck s'était servi pour exprimer sa pensée, étaient parfois défectueuses. Gérard Groot ne précise pas les griefs formulés contre Ruysbrœck: mais il ajoute "qu'il prit à partie le docteur en question[11] et qu'il le mit à la raison."

Une autre attaque, rapportée par Gérard Groot, vint d'Allemagne. "Un des nôtres, écrit-il, nous a fait savoir qu'un autre savant et vénérable docteur, maître Henri de Hesse, a dit publiquement que le livre des Noces contient beaucoup d'erreurs. Pour ma part, comme je vous l'ai déjà dit ailleurs, j'avoue qu'il y a des expressions qui seraient à modifier: si on les prenait au pied de la lettre, elles seraient fautives; mais pour ce qui regarde le fond même de la doctrine je suis fermement convaincu de sa parfaite orthodoxie..." Il est certain "que Ruysbrœck n'a pas toujours employé les formules théologiques usitées alors, et Gerson était en droit de le faire remarquer", affirme Gérard Groot. Mais il ne faut pas oublier que Ruysbrœck écrivait pour le peuple et en langue vulgaire.

Par ailleurs, et il importe de le faire remarquer, la matière qui est traitée dans Le Livre des Noces, concerne les plus hauts sommets de l'union mystique. Les termes utilisés pour exprimer cette union mystique échappent parfois à la terminologie technique habituelle en théologie.

10-Présentation rapide des écrits de Jean de Ruysbrœck

Une certaine personne, ayant vécu à Groenendael, peu de temps après la mort du Maître, proposa un ordre suivant lequel la lecture de ses œuvres lui semblait le plus profitable. Dans la suite de notre étude nous approfondirons les œuvres de Ruysbrœck pour tenter d'en dégager la spiritualité. Nous ne suivrons pas dans notre étude des œuvres de Ruysbrœck l'ordre indiqué par cette personne, mais pour l'information de nos lecteurs, nous présentons ici, en quelques mots et selon cet ordre, le contenu des œuvres de Ruysbrœck:

– Le livre des Douze vertus insiste particulièrement sur l'humilité, inspirée par la contemplation de la puissance de Dieu et de sa souveraine bonté. À partir de là, le lecteur peut, par l'obéissance et la pauvreté d'esprit, embrasser totalement la volonté du Seigneur.

– Le livre des Douze points de la vraie foi est essentiellement une paraphrase du Credo.

– Le Miroir du salut éternel, résume la doctrine de Ruysbrœck.

– Les Sept degrés de l'échelle d'amour spirituel présentent l'échelle mystérieuse par laquelle on s'élève jusqu'à l'intimité amoureuse avec Dieu. Cette échelle indiquée par Ruysbrœck a très certainement inspiré sainte Thérèse d'Avila.

– Les Sept clôtures énumèrent les enceintes dans lesquelles une âme doit s'enfermer pour arriver à la cohabitation avec les trois personnes de la Sainte Trinité.

– Le livre des Quatre tentations, très court, s'élève contre les principales tendances de toutes les époques: l'amour de ses aises et du confort, l'esprit d'hypocrisie, l'orgueil de l'esprit qui veut tout comprendre, et la fausse liberté, qui, déjà au temps de Ruysbrœck, inspirait la secte des Frères et des Sœurs du libre esprit, comme le font, de nos jours,  la plupart des sectes.

– Le livre du Tabernacle Spirituel, décrit le Tabernacle de l'Ancien Testament, avec les prescriptions données par Dieu pour sa construction. Il en fait l'application aux sept demeures spirituelles, celles que les âmes doivent habiter pour posséder Dieu. Ces demeures indiquées par Ruysbrœck ont, également, inspiré sainte Thérèse d'Avila.

– Le Royaume des Amants, explique comment Dieu, après avoir créé et racheté l'homme, le conduit par ses voies et au moyen des sept dons du Saint-Esprit, jusqu'à la contemplation et la possession de son Royaume. Ce traité peut être considéré comme un véritable traité de théologie ascétique et mystique.

– Les Noces spirituelles, ouvrage écrit par Ruysbrœck probablement vers 1335 ou 1336, expose les diverses formes de vie spirituelle: la vie active, la vie intime et la vie contemplative, étapes indispensables par lesquelles l'âme aboutit à l'union avec Dieu.

– La Pierre brillante, serait le résultat d'un entretien de Ruysbrœck avec un ermite. Appliquant aux justes un texte de l'Apocalypse, l'auteur distingue trois catégories d'hommes qui reçoivent et possèdent la grâce de Dieu. Il les appelle les serviteurs fidèles, les amis intimes et les fils cachés.

– Le Livre de la plus haute vérité, est une explication de quelques passages difficiles du Royaume des amants.

– Le Livre des Douze Béguines est formé de divers traités qui se suivent sans ordre apparent.

 

Annexe 1

Quelques fioretti

Le bonheur en Dieu

"Un jour tandis qu'il[12] passait dans les rues de Bruxelles, l'esprit occupé des choses célestes, deux séculiers considérant la simplicité de son habit, l'un d'eux se prit à dire: 'Plût à Dieu que je fusse doué d'une sainteté de vie aussi grande que celle de ce prêtre!' A quoi l'autre répondit: 'Pour tout l'or du monde, je ne voudrais certes pas être à sa place; car alors, je n'aurais pas un seul jour de bonheur!' Ce que le saint homme entendant par hasard, pensait au fond de son âme: Ah! Tu connais peu de quelle suavité sont pénétrés ceux qui ont goûté l'esprit de Dieu!"

La sainteté

"On raconte du dévot Prieur qu'une fois il fit comprendre brièvement ces choses à deux clercs de Paris, qui étaient avides de recevoir de lui un mot d'édification. Il leur dit en effet entre autres choses:

— Vous pouvez être aussi saints que vous le voulez.

Ce que ceux-ci ne comprenant guère, ils se détournèrent de lui scandalisés, et lui absent, ils racontèrent à quelques frères du monastère, d'un esprit troublé, ce que le dévot prieur leur avait répondu. Car ils voyaient en ces paroles plutôt une ironie qu'une réponse aimable et paternelle. C'est pourquoi les frères susdits les ramenant vers leur père, lui demandèrent humblement d'exposer à ces clercs sa pensée. Alors il leur dit :

— N'est-ce pas vrai, comme je l'ai dit, que vous êtes aussi saints que vous le voulez? Oui, assurément. Car la mesure de votre sainteté dépend de la bonté de votre volonté. Considérez donc en vous-mêmes à quel degré votre volonté est bonne, et la mesure de votre sainteté vous sera manifeste. Car chacun est saint dans la mesure même où il est attaché au bien.

Ce qu'ayant entendu, ils se retirèrent avec un grand profit d'édification."

 

Annexe 2

L'orthodoxie des écrits de Ruysbrœck

"Gérard Magne[13] qui était fort docte, commença à interpeller de cette manière le très Saint Père, à propos de certains de ses écrit :

-J'admire, Père Prieur, que vous écriviez des œuvres sublimes; toutefois vous vous préparez par elles de nombreux émules, et de multiples détracteurs pour vous et votre doctrine.

Entendant ces paroles, l'homme très humble répondit avec beaucoup de mansuétude :

— Maître Gérard, prenez pour certain et avéré, que je n'ai jamais mis un seul mot dans mes écrits, si ce n'est sous l'inspiration du Saint-Esprit, et la présence singulière et très douce de la Très Sainte Trinité."

Conseils enflammés et conférences silencieuses

Ruysbrœck, le dévot Prieur devait parfois faire des conférences dans des monastères ou ailleurs. Beaucoup de monde venait à lui, pour lui demander des conseils et le dévot Prieur s'appliquait à répondre à toutes leurs demandes. Parfois, il était si plein de l'Esprit qu'il se répandait en paroles enflammées. Ce qui était merveilleux c'est que, rempli des dons de la grâce, il aurait pu faire jaillir le feu de la pierre en pénétrant les cœurs endurcis. Pourtant, il arrivait que devant des personnes d'un rang élevé et noble, "il oubliait tout ce qu'il savait et demeurait silencieux et muet, comme s'il n'avait jamais goûté le témoignage de l'Esprit. Chaque fois que cela lui arrivait, il se mettait humblement la tête entre les mains pour recueillir son esprit. Lorsqu'il reconnaissait que cette absence se prolongeait, il disait à ses auditeurs:

— Mes enfants, il n'y a rien à faire pour le moment.

Et leur disant adieu, il partait aussitôt..."

Ruysbrœck tourmenté par Satan

Le diable, antique rival du salut des hommes, s'efforçait de lui susciter de grandes tentations. Il venait souvent sous la forme d'un crapaud ou de toute autre bête malfaisante : c'est lui-même qui le rapportait à ses frères les plus familiers. Très souvent, quand il prévoyait la venue du diable, il se prémunissait contre lui avec des armes spirituelles. "Ainsi il arriva un jour qu'étant couché dans une petite chambre en compagnie du supérieur du monastère, en raison de sa vieillesse, il perçut l'approche de l'ennemi et s'écria, de sorte que le supérieur l'entendit :

— Mon Père, voilà qu'il vient, mon Père, voilà qu'il vient."

 

Bibliographie

Nous indiquons ci-dessous quelques sites Internet où l'on peut lire les textes de Ruysbrœck traduits en français.

 

http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Ruysbroek/Ruysbrœck/tome6/frere.html

http://alexandrina.balasar.free.fr/jean_de_Ruysbrœck_extrait.htm

http://voiemystique.free.fr/

On peut aussi consulter :

1997 Encyclopædia Universalis France S.A.


[1] Le néerlandais populaire.

[2] En relations fréquentes avec Ruysbrœck dont il lisait les écrits, et qu'il avait reçu chez lui, cet auteur nous a laissé de son ami un portrait plein de vie et d'amour.

[3] Bien que beaucoup de ses contemporains aient cru le contraire, en raison de sa très grande humilité, Ruysbrœck bénéficiait d’une vaste érudition théologique et patristique, et d’une grande maîtrise du latin qui lui permit de traduire ses sources en langue vulgaire. Son talent littéraire lui fit choisir de rédiger en moyen néerlandais des ouvrages qui marquent une date dans la formation de la langue des Pays-Bas.

[4] Chanoine régulier anonyme qui vécut quelque temps dans le village natal de Ruysbrœck: Ruysbrœck ou Ruusbroec, en flamand

[5]C'était la résidence d'un pieux personnage, appelé Lambert, qui succédait lui-même en ce lieu à deux autres ermites, Jean de Busco et Arnold de Diest. Sur la demande de Franco van Coudenberg, Lambert consentit à aller fixer un peu plus loin sa cellule, au désert de Boetendael, afin de faire place à Ruysbrœck et à ses compagnons.

[6] Situé dans la forêt de Soignies, près de Bruxelles

[7] Le bon cuisinier

[8] L'imprimerie n'existait pas encore.

[9] Gérard le Grand.

[10] Un certain frère avait cherché à se procurer une des dents de son prieur, et il conservait précieusement cette relique.

[11] Jean Gerson

[12] Jean de Ruysbrœck, le dévot Prieur

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