L'ornement des Noces spirituelles

LIVRE III

La Vie contemplative - Avertissement

Introduction

1 Les conditions requises pour contempler Dieu dans la lumière divine

2 La contemplation

3 La génération du Christ, Fils de Dieu

4 La rencontre avec Dieu

Bibliographie

 

LIVRE 3

La vie contemplative

Avertissement

Nous venons de voir que le Livre 2 des Noces Spirituelles se termine par une mise en garde très ferme sur ce que Ruysbrœck appelle "le repos mensonger des faux mystiques, et il lui oppose le repos véritable qui est celui du Christ et de tous les saints[1]." Dès le prologue des Noces, Ruysbrœck nous avait avertis que, pour presque tous les hommes, posséder une vraie vie intérieure dans toute sa perfection, est possible grâce à la pratique des vertus et au zèle intérieur.  Mais il n'en est pas de même pour la vie contemplative superessentielle, selon le mode divin, à laquelle, affirme Ruysbroeck, peu d'hommes peuvent parvenir en raison du mystère de la lumière où elle se fait.

De plus, une longue préparation est indispensable pour que l'on puisse d'abord voir dans la lumière divine, "contempler Dieu par Dieu même." Ensuite il y a la venue de l'Époux, et l'âme est mise "en possession du sein du Père". Alors, dit Ruysbrœck "l'âme est transformée en la clarté divine et toute pénétrée par elle... Enfin a lieu la rencontre divine dans le secret le plus profond de l'esprit et elle se consomme en un embrassement amoureux, dans les liens imbrisables de l'Esprit-Saint..."

Ruysbrœck revient sans cesse sur ce sujet, car sa vie "ne fut qu'une expérience continue des grâces les plus hautes par lesquelles Dieu daigne dès ici-bas s'unir les âmes privilégiées." Et incontestablement, Ruysbrœck fut l'une de ces âmes privilégiées: il devait, bien plus tard, influencer de très grands saints mystiques comme saint Jean de la Croix, sainte Thérèse d'Avila et tant d'autres plus proches de nous, comme la Bienheureuse Élisabeth de la Trinité.

Introduction

L'homme intérieur, profondément uni à Dieu, peut parvenir à la véritable contemplation. Ruysbroeck écrit: "Lorsque l'amant intime possède Dieu dans le repos de jouissance, tout en maintenant en lui-même un amour actif toujours en éveil et une vie tout entière adonnée aux vertus selon la justice, grâce à ces trois éléments et à la révélation secrète de Dieu, il parvient, vrai homme intérieur, à une vie de contemplation divine... Dieu veut l'élever jusqu'à une contemplation superessentielle, en pleine lumière divine et selon le mode divin. Or, cette contemplation nous établit dans une pureté et une limpidité qui nous élèvent au-dessus de toute notre intelligence... Seul, nul ne saurait y parvenir... mais celui que Dieu veut unir à son esprit et éclairer par lui-même est seul capable de cette contemplation divine et nul autre."

Le Père céleste est la seule source et le seul principe de toute œuvre accomplie au ciel et sur la terre. Et dans le secret le plus profond de notre esprit, il dit: "Voyez, l'Époux vient, sortez à sa rencontre."

Qu'est-ce que la contemplation divine ?

Peu d'hommes parviennent à la contemplation divine "en raison du mystère de la lumière où elle se fait..."  Et peu d'hommes peuvent la comprendre, car, insiste Ruysbroeck, "tout ce que l'on peut dire, apprendre ou comprendre, selon le mode des créatures, est étranger à la vérité que j'ai en vue et demeure bien en dessous... Car saisir et comprendre Dieu, au-dessus de toutes comparaisons, tel qu'il est en lui-même, c'est être Dieu avec Dieu[2]..." En conséquence, Ruysbroeck peut nous consoler: "Que quiconque qui ne comprend ni ne ressent, en l'unité fruitive de son esprit, ce que je dis, ne se scandalise pas et laisse être ce qui est... Celui donc qui veut comprendre ces choses doit être mort à lui-même et vivre en Dieu..." Cependant: "le Père céleste, veut que nous soyons des voyants, car il est un Père de lumières: et c'est pourquoi il prononce éternellement dans le secret de notre esprit, sans intermédiaire et sans cesser jamais, une parole unique profonde comme l'abîme, et rien de plus. Et en cette parole il se dit lui-même et il dit toutes choses. Et cette parole ne dit rien d'autre que: 'Voyez!' Et c'est ainsi qu'est exprimé et que naît le Fils d'éternelle lumière, en qui l'on connaît et l'on voit toute béatitude..."  (Livre 3-La vie contemplative-Chapitre 1)

1
Les conditions requises pour contempler Dieu
dans la lumière divine

– Prem!ère condition: être aussi dégagé que possible des œuvres extérieures et pas préoccupé intérieurement.

– Seconde condition: adhérer à Dieu intérieurement avec un amour ardent comme du feu.

– Troisième condition: il faut s'être perdu soi-même en une ténèbre où tous les esprits contemplatifs sont engloutis et incapables de se retrouver eux-mêmes selon le mode de créature... "C'est là que brille et qu'est engendrée une lumière incompréhensible, le Fils de Dieu même, en qui l'on contemple la vie sans fin. En cette lumière l'on devient voyant... et l'on est transformé en cette clarté même que l'on reçoit... Cette clarté est si grande que le contemplateur aimant n'aperçoit et n'éprouve en son propre fond, où il se repose, rien qu'une lumière incompréhensible..."     (Livre 3-Chapitre 2)

2
La contemplation

2-1-La venue de Dieu

"Devenus voyants, nous pouvons contempler avec joie l'éternelle venue de notre Époux... C'est comme une génération nouvelle du Verbe, une illumination qui se fait toujours de nouveau; car le fonds d'où brille cette clarté et qui est la clarté même est vivant et fécond; aussi la révélation de la lumière éternelle se renouvelle-t-elle sans cesse dans le secret de l'esprit.... Désormais il ne s'agit plus que de contempler et de fixer éternellement la lumière par elle-même et en elle-même... Venir pour lui se fait en dehors du temps, en un éternel maintenant... Et pour l'esprit qui reçoit la révélation secrète de Dieu, contempler et fixer durent éternellement... C'est là embrasser et voir Dieu par Dieu même, ce en quoi consiste toute notre béatitude..."  (Livre 3-Chapitre 3)

2-2-Sortir pour contempler

Il s'agit maintenant de sortir pour une contemplation éternelle selon le mode divin. Sous l'action de l'Esprit-Saint qui est Amour, "nous sommes morts à nous-mêmes et nous sommes sortis...  dans une ténèbre qui est lumière. Là l'esprit, tout embrasé de la Sainte Trinité, demeure à jamais en l'unité superessentielle, dans le repos et la jouissance. Or, en cette même unité, en tant que féconde, le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père, et toutes les créatures sont en eux."

Ruysbroeck en arrive à une véritable perception de la Sainte Trinité: "Et ceci est au-dessus de la distinction personnelle; car l'on ne considère ici paternité et filiation, dans la fécondité vivante de la nature, que par distinction de raison."  (Livre 3-Chapitre 4)

3
La génération du Christ, Fils de Dieu

3-1-La création

Comme dans la plupart de ses œuvres, Ruysbrœck revient sur la création qui le conduit à la Trinité. "Le Père tout-puissant, dans l'abîme de sa fécondité, se comprend totalement lui-même; le Fils, le Verbe éternel du Père, est engendré, seconde personne dans la divinité. Et par cette génération éternelle, toutes les créatures sont nées éternellement avant d'avoir été créées dans le temps... Cette origine et cette vie éternelle... c'est le principe de notre être créé dans le temps... Cet être ou cette vie, que nous possédons éternellement et que nous sommes dans la Sagesse éternelle de Dieu, est identique à Dieu; car il demeure éternellement sans distinction dans l'essence divine. Et d'autre part, il s'écoule éternellement en la génération du Fils, et il est autre et distinct selon l'idée éternelle.

Et du fait de ces deux caractéristiques, notre être éternel est si semblable à Dieu que Dieu se reconnaît et se reflète sans cesse en cette ressemblance, selon l'essence et selon les personnes. Car bien qu'il y ait ici distinction et altérité de raison, ce qui est semblable à Dieu ne fait qu'un néanmoins avec l'image même de la Sainte Trinité, la Sagesse divine, en qui Dieu se contemple lui-même avec toutes choses, en un éternel maintenant, sans avant ni après... Cette Sagesse divine est image et ressemblance de Dieu... Dieu se reflète lui-même avec toutes choses. En cette image divine toutes les créatures ont une vie éternelle, en dehors d'elles-mêmes, comme en leur exemplaire éternel; et c'est à cette image éternelle et à cette ressemblance que nous a créés la Sainte Trinité. C'est pourquoi Dieu veut que nous sortions de nous-mêmes à la lumière divine, et que nous nous efforcions d'atteindre surnaturellement cette image, qui est notre vie propre... C'est pourquoi les hommes intimement contemplatifs doivent sortir, selon le mode de la contemplation, en dépassant la raison et ce qu'elle distingue, ainsi que leur être créé, d'un regard toujours tourné vers l'intérieur. C'est la contemplation la plus noble et la plus fructueuse qui puisse être atteinte en cette vie.

Et tous ceux qui, au-dessus de leur être créé, sont élevés jusqu'à une vie contemplative, sont un avec cette clarté divine... Sous l'action de la lumière qui naît en eux, ils sont transformés et deviennent un avec cette lumière même qui leur permet de voir et qu'ils contemplent... La vie contemplative est une vie céleste... La sortie du contemplatif se fait aussi selon l'amour, car par l'amour de fruition il dépasse son être créé, il découvre et goûte la richesse et les délices que Dieu est lui-même et qu'il fait couler sans arrêt dans le secret de l'esprit, où le contemplatif porte la ressemblance de la sublimité divine."   (Livre 3-Chapitre 5)

3-2-Notre génération dans le Fils

"Le Père tout-puissant, dans l'abîme de sa fécondité, se comprend totalement lui-même; le Fils, le Verbe éternel du Père, est engendré, seconde personne dans la divinité. Et par cette génération éternelle, toutes les créatures sont nées éternellement avant d'avoir été créées dans le temps..." Le Père est notre fond propre. "De ce fond qui nous est propre, c'est-à-dire du sein du Père et de tout ce qui vit en lui, brille une clarté éternelle, la génération du Fils. Et en cette clarté, qui est le Fils, Dieu se voit lui-même à découvert, avec tout ce qui vit en lui; car tout ce qu'il est et tout ce qu'il a, il le donne au Fils, à la seule exception de la propriété de paternité... tout ce qui vit en le Père, dans le secret de l'unité, vit en le Fils... Et tous ceux qui, au-dessus de leur être créé, sont élevés jusqu'à une vie contemplative, sont un avec cette clarté divine." (Livre 3-Chapitre 5)

4
La rencontre avec Dieu

La rencontre avec Dieu se fait toujours dans le secret de notre esprit. "Quand le contemplatif intime a atteint son image éternelle et, en cette pureté, a été mis par le Fils en possession du sein du Père, il est éclairé de la lumière divine; il reçoit à toute heure de nouveau l'éternelle génération et il sort, selon le mode de la lumière, en une contemplation divine... La Sagesse du Fils avec tout ce qui vit en elle, fait activement retour vers le Père... Et de cette rencontre du Père et du Fils procède la troisième personne, qui est le Saint-Esprit, leur mutuel amour, ne faisant qu'un avec eux dans l'identité de nature..."

Tout cela surpasse l'entendement des créatures, "lorsque l'on peut, sans étonnement, percevoir et goûter cette merveille, l'esprit[3] est au-dessus de lui-même et un avec l'Esprit de Dieu... Il goûte et voit comme Dieu, sans mesure, la richesse qu'est Dieu même... Cette rencontre délicieuse, selon le mode divin, se renouvelant sans cesse en nous d'une manière active... de même toutes choses sont de nouveau aimées du Père et du Fils dans l'émanation du Saint-Esprit. Et ceci est la rencontre active du Père et du Fils, en laquelle nous sommes embrasés amoureusement par le Saint-Esprit en éternel amour.

Cette rencontre active et cet embrasement amoureux sont au fond de la nature divine fruitifs et sans mode. En effet, l'abîme insondable de Dieu est si ténébreux et si dépourvu de modes qu'il engloutit en lui tous les modes divins... dans le riche embrassement de l'unité essentielle; c'est la jouissance divine... dans l'abîme de celui qu'on ne peut nommer. C'est ici[4] une sorte de trépas, une immersion qui fait disparaître dans la nudité essentielle, où tous les noms divins, tous les modes, toutes les raisons vivantes qui se reflètent dans le miroir de la vérité éternelle sont plongés dans le simple abîme innommé, sans modes ni raisons. Dans ce gouffre sans fond de la simplicité toutes choses sont englouties en béatitude fruitive; mais le fond lui-même demeure totalement incompris, si ce n'est de l'unité essentielle...

Il n'y a ici autre chose qu'un repos éternel en un embrassement de jouissance où l'on se perd amoureusement... C'est le silence ténébreux où se perdent tous les esprits aimants."

Ruysbroeck termine son Livre 3 de L'Ornement des Noces spirituelles par ces mots: "Que l'amour divin, qui ne rebute aucun mendiant, nous fasse posséder la jouissance de l'unité essentielle et contempler clairement l'Unité en la Trinité. Amen."  (Livre 3-Chapitre 6)

Bibliographie

Documents et traductions de l'Abbaye de Saint Paul de Wisques,

Oosterhout  (22 novembre 1919) 

http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Ruysbroek/Ruysbroeck/table.html


[1] tiré des commentaires des moines de Wisques.
[2] Par cette expression très forte et néanmoins exacte, Ruysbroeck veut dire, sans aucun doute, que la connaissance de Dieu, tel qu'il est en lui-même, ne peut être donnée à l'homme que dans la lumière divine. Alors l'on connaît Dieu comme Dieu se connaît lui-même, et c'est, d'une certaine façon, être Dieu avec Dieu. (note des moines de Wisques).
[3] L'esprit de l'homme.
[4] pour le contemplatif.

VOIR : H - La Pierre brillante

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