Autant que les
traducteurs des ouvrages de Ruysbrœck et de ceux qui les ont étudiés
longuement après sa mort
aient pu en juger, il semble que ce petit traité consacré à la Foi
Chrétienne ait été rédigé entre 1336 et 1343, à l'époque où
Ruysbrœck était encore prêtre séculier et
chapelain assistant d'un chanoine de la cathédrale Sainte-Gudule de
Bruxelles, depuis au moins une vingtaine d'années.
Ce traité de La foi Chrétienne avait été
très apprécié, et une lettre de Gérard Groot en recommandait la
lecture. Ce petit traité de la foi et du jugement, traite
essentiellement du symbole du Concile de Nicée, notre "Je crois en
Dieu" un peu développé. Ruysbrœck s'appuie sur des textes empruntés
à l'Écriture sainte et s'adresse à tous les fidèles, de quelque
condition qu'ils soient. Il insiste sur la nécessité de la foi pour
être sauvé.
Curieusement, et contrairement à ce que
croit notre société du XXIème siècle, Ruysbrœck insiste beaucoup sur
l'enfer. Son principal souci, en effet, est le salut de toutes les
âmes, donc même des âmes des plus grands pécheurs et spécialement
des membres de la secte du Libre Esprit. Cette secte, en effet, se
croyait faussement mystique et faisait des ravages dans la société
contemporaine de Ruysbrœck.
Quand Ruysbrœck voulut exposer, dans son
Livre sur La foi chrétienne, ce que nous serons après notre
résurrection, il se laissa aller, comme malgré lui, à entrer dans
les plus hautes sphères de la vie spirituelle et mystique. Son
langage devint alors difficile à cerner. Plus tard, notre auteur se
rendit compte de ces difficultés, et, dans son livre De la plus
Haute Vérité, il s'appliqua à préciser et à expliquer son
vocabulaire. Bien que cet ouvrage ait été composé, probablement, aux
dires des spécialistes, vers la fin de la vie de Ruysbrœck, nous le
présenterons immédiatement après celui-ci consacré à La Foi
Chrétienne.
Toutes les traductions en français, des
textes de Ruysbrœck que nous avons utilisés pour les présenter d'une
manière plus adaptée aux lecteurs du XXIème siècle, peuvent être
retrouvés sur le site Internet suivant:
http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Ruysbroek/Ruysbroeck/table.html
La Foi
Chrétienne

Dans un court prologue, Ruysbrœck exprime
son principal souci: le salut des âmes. Il écrit: "Quiconque veut
être sauvé et atteindre la vie éternelle, doit nécessairement
posséder et garder jusqu'à la mort la foi chrétienne, puisque par la
foi l'âme est attachée à Dieu et lui est unie comme l'épouse à son
époux. La foi conduit l'âme à la confiance en Dieu et lui donne une
bienheureuse connaissance de Dieu et des choses éternelles.
Aussi sans la vraie foi, nul ne peut-il
vivre comme il faut, ni plaire à Dieu, ni enfin se sauver, quelques
bonnes œuvres qu'il eût accomplies par ailleurs.
Le croyant doit d'abord confesser de sa
bouche cette vérité première: "Je crois en un seul Dieu, Père
tout-puissant, qui a fait le ciel et la terre, toutes les choses
visibles et invisibles c'est-à-dire les choses matérielles ou
corporelles, et les êtres spirituels, anges et âmes: tout a été créé
et fait par Dieu de rien, sans matière préalable."
Ruysbrœck aborde ensuite le mystère de la
sainte Trinité, sans cependant la nommer. Ainsi, quand le symbole de
Nicée dit: "Je crois en Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils
unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, c'est-à-dire sans
commencement, de toute éternité, Dieu de Dieu, lumière de lumière,
vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non pas fait," il précise: "une
seule substance une seule nature indistincte avec lui." Pourtant
le Fils est distinct du Père; il y a véritablement "altérité et
distinction de personnes," mais "une nature unique pour le
Père et le Fils."
Et voici la grande merveille: "Nous
croyons que ce même Fils unique de Dieu est descendu des cieux pour
nous autres hommes et pour notre salut. Le Fils qui a assumé notre
nature humaine, a été conçu du Saint-Esprit; il est né de la vierge
Marie et est devenu véritablement homme: car de même que l'âme et le
corps font ensemble un seul homme, ainsi le Fils de Dieu et le fils
de Marie, ce n'est qu'un seul Christ."
Comment le Christ, Dieu fait homme,
a-t-il vécu au milieu des hommes? Comme tous les hommes, nous laisse
entendre Ruysbrœck qui répond avec les paroles du Credo: "Mais
pour notre salut, il a souffert et enduré des peines, a été
crucifié, est mort et a été enseveli, sous le juge qui était alors à
Jérusalem et qui s'appelait Ponce Pilate. Et aussitôt son âme
descendit aux enfers avec grande puissance et grande joie, pour
délivrer les patriarches et les prophètes, qui avaient cru en lui et
qui l'avaient attendu avec un grand désir. Il délivra encore tous
ceux qui l'avaient servi fidèlement, depuis le commencement du
monde, et étaient morts sans péché mortel; mais nul autre ne fut
délivré par lui."
Ici nous nous cabrons
un peu: est-ce possible que tous les hommes ne soient pas sauvés?
Ruysbrœck n'a aucun doute, et il ne craint pas d'affirmer: "Car
ceux qui n'aimaient pas Dieu et qui avaient été mauvais et infidèles
comme les démons, devaient être laissés éternellement aux enfers."
Ruysbrœck continue le récit de la vie de
Jésus: "Le troisième jour le Christ se leva d'entre les morts, de
sa propre vertu, ce que nul autre ne peut faire. C'est que son âme
glorieuse et vivante était unie à Dieu aux limbes, tandis que son
corps inanimé conservait la même union dans le sépulcre. Et lorsque
l'âme et le corps se rejoignirent, il ressuscita glorieux...
Ensuite, le quarantième jour, il monta au
ciel, c'est-à-dire, selon l'Apôtre, au-dessus de tous les cieux
matériels, jusqu'aux cieux spirituels que sont les anges; et même
au-dessus de tous les anges dans le ciel caché, en cette sublimité
impénétrable où il a été élevé bien au-dessus de tous les esprits.
Ainsi selon son humanité il est assis à la droite de Dieu, son Père
Tout-Puissant..." Ici, dit
Ruysbrœck, il s'agit de "la glorieuse nature humaine du Christ
qui a été élevée au-dessus de toute nature créée... Puis, au dernier
jour, il viendra en gloire et en vertu divine, avec les chœurs
immenses de tous les anges et de tous les saints, pour juger les
vivants et les morts, c'est-à-dire les bons et les méchants. Et
jamais son règne n'aura de fin.
Nous devons croire encore que le Père et
le Fils ont envoyé le Saint-Esprit, leur amour mutuel, cinquante
jours après la Résurrection de Notre-Seigneur. Les apôtres le
reçurent et, avec lui, tant de force et de sagesse que depuis lors
ils ne craignirent plus personne...
En union avec la sainte Église, chaque
chrétien doit affirmer: "Je crois au Saint-Esprit qui est
Seigneur et qui vivifie. Il est l'amour éternel du Père et du Fils,
qui procède du Père et du Fils, et qui avec le Père et le Fils est
adoré et honoré. Car les trois personnes sont un seul Dieu, une
seule substance, dans l'unité de nature... Comme le Verbe de Dieu
est le Fils de Dieu, ainsi l'Amour de Dieu est le Saint-Esprit. Dès
lors tout homme de bien qui aime Dieu, a le Saint-Esprit en lui...
Il nous faut croire que le Saint-Esprit est un amour qui s'écoule et
qui a rempli de tout bien le ciel et la terre. Grâce à cet amour la
sainte Église est une et universelle par tout l'univers. Elle est
dite apostolique, parce que le souverain prince saint Pierre et les
autres apôtres l'ont fondée et basée sur une pierre inébranlable,
Jésus-Christ..."
Ruysbrœck médite: "La vraie foi, ornée
de l'amour, est la joie la plus intime et la plus haute que je
connaisse ici-bas. L'union de tous les fidèles est sainte, puisque
tous ont été lavés du sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu'ils
ont été oints de la grâce du Saint-Esprit, et sanctifiés par
l'inhabitation de la sainte Trinité. L'unité de la sainte Église est
comme l'arche de Noé: tous ceux qui demeurèrent hors de l'arche,
durent périr..."
Soudain Ruysbrœck se souvient de tous
ceux, probablement adeptes de la secte du Libre esprit, qui se
perdent, tout autour de lui et il gémit: "Quiconque met son
espoir et sa consolation en des pratiques de divination, dans les
songes, la magie, l'invocation du démon; tous ceux encore qui
honorent, craignent ou aiment une créature quelconque au-dessus de
Dieu, et qui ont plus de confiance et plus d'espoir en quelque
créature qu'en Dieu, sont des membres séparés et corrompus, qui ne
vivent plus dans l'unité de l'Église..."
Heureusement la communion des saints
existe, et "les œuvres de tel saint ou de tel homme vertueux,
certes, lui sont propres et personnelles quant à la gloire et quant
à la récompense, néanmoins ces œuvres atteignent aussi tous les
membres de la sainte Église, puisque tous les saints et tous les
fidèles sont un en Notre Seigneur Jésus-Christ, et tous sont membres
les uns des autres. Le Christ est le membre principal de la sainte
Église ; il forme la tête et nous sommes ses membres, et la tête
donne vie à tous les membres..." Oui, il nous faut croire à la
communion des saints.
"Tous les saints, en effet, forment une
seule Église, la communion des saints, selon laquelle tous les biens
sont communs. Et afin que personne ne demeure en dehors de cette
communion sainte, le Saint-Esprit nous dit par les apôtres de croire
à la rémission de tous nos péchés qui se fait en premier lieu au
baptême..." En effet, le
Saint-Esprit ne veut pas nous perdre, et, si nous avons souillé par
nos péchés notre premier baptême, "il a préparé un second baptême
pour tous les pécheurs qui regrettent leur péché, cherchent grâce et
désirent rentrer dans la communion des saints et de la sainte
chrétienté..."
Ainsi nous pourrons attendre dans la
paix, avec tous les saints la résurrection universelle de tous les
corps.
"Dieu qui peut tout, qui créa toutes
choses de rien quant à la matière première et qui forma le corps
d'Adam du limon de la terre, a pouvoir aussi de refaire notre corps
de cette même poussière de terre, qui est venue de lui, fût-elle
dispersée aux extrémités du monde... Ainsi au dernier jour, au jour
du jugement, quand la trompette sonnera, tous les morts
ressusciteront, nous dit saint Paul, et le Christ, le Fils de Dieu,
descendra du ciel dans les airs avec tous les anges et les saints,
en gloire et grande puissance."
Influencé par les croyances, et peut-être
les espérances de son époque, Ruysbrœck ajoute quelques lignes sur
le lieu où se passera la résurrection des morts, lignes qui ne
manqueront pas de nous faire sourire. Nous ne les présentons ici que
pour détendre un peu notre lecteur.
Ainsi, Ruysbrœck écrit: "Ceci se
passera près de Jérusalem, là où fut créé le premier homme et où,
par sa sainte mort, le Christ répara autant qu'il était en lui,
l'homme déchu. C'est là qu'il descendra, là qu'il fera entendre la
voix de son commandement, en seigneur et juge souverain du monde
entier: et de par sa puissance et son ordre, les corps de tous les
hommes seront rétablis et ressusciteront en un instant, différents
quant à l'ordre et à la récompense, mais tous égaux quant à l'âge,
qui sera celui qu'avait Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsqu'il
mourut pour nous. Un homme de cent ans et l'enfant d'une seule nuit
auront un corps d'égale grandeur..."
Mais voici beaucoup plus sérieux et plus
conforme à notre foi: "De nos yeux de chair nous verrons Dieu, ce
qui s'entend de Notre-Seigneur Jésus-Christ selon son humanité, qui
se manifestera à tous les hommes dans ce même corps dans lequel il
vécut et est mort pour nous...
Alors par la justice et la sagesse de
Dieu qui voit clairement toutes choses, chacun recevra un jugement
équitable, selon ses paroles et ses œuvres et tout ce qu'il aura
jamais fait. Et ce jugement demeurera immuable car les méchants
seront éternellement condamnés et perdus, et les bons sauvés
éternellement."
Oui, nos corps ressuscités vivront
éternellement. Ruysbrœck nous le rappelle par les mots de notre
Credo: "Ensuite le Saint-Esprit nous apprend, par la bouche des
apôtres, que nous devons croire à la vie éternelle..." Nous
devons tous attendre et désirer la béatitude que Dieu nous a
promise, car c'est là la réalisation de tout ce que nous croyons
maintenant. Mais que sera cette béatitude? Ruysbrœck nous répond:
"Après cet exil nous serons élevés, âme et corps, dans la gloire
divine, et nous verrons Dieu clairement, l'aimant et le possédant
dans une fruition sans fin. Car au-dessus de toute chose notre
récompense essentielle sera Dieu lui-même; alors nous verrons Dieu
éternellement, nous l'aimerons avec ardeur et nous lui rendrons
grâces...
Nous posséderons la sagesse... notre
richesse sera si grande, que nous en serons inondés et en aurons
plus que nous ne pourrons en saisir: beauté éternelle et
impérissable, paix sans fin et inaltérable, richesses surabondantes,
affluence de toute béatitude, de bonté et de jeunesse immortelle..."
Tout ce que nous pouvons penser ou souhaiter aujourd'hui sera
infiniment dépassé. "C'est que Dieu lui-même, incompréhensible et
infini veut être notre récompense, notre joie et notre allégresse...
Et dans le Christ Jésus nous serons
élevés vers notre Père céleste dans une révérence et une louange
éternelles... Auprès de nous seront dans la gloire les anges et les
saints qui, avec nous, aimeront et loueront Dieu sans fin."
Il apparaît parfois évident que Ruysbrœck
a lu les œuvres de saint Thomas d'Aquin. (1225-1274) S'en inspirant
il n'hésite pas à écrire: "Nous aurons dans notre corps glorieux
une âme vivante, ornée de toutes les vertus. Nos corps seront
sept fois plus clairs que le soleil et transparents comme le cristal
ou le verre, si impassibles que ni le feu d'enfer, ni tous
les glaives tranchants ne sauraient en aucune manière nous blesser
ou nous nuire. L'agilité et la légèreté de notre corps seront
telles, que notre âme pourra, en un instant, le mener où elle
voudra. Il sera si subtil, qu'un mur de métal épais de cent
milles pourrait être traversé par lui comme le verre par un rayon de
soleil..."
Nos yeux de chair contempleront
Notre-Seigneur Jésus-Christ et sa glorieuse Mère; nos yeux
intérieurs fixeront le miroir de la Sagesse; notre oreille
extérieure percevra les mélodies célestes et les chants suaves des
anges et des saint... Le parfum très noble de l'Esprit divin, plus
suave que tout baume ou toutes herbes odoriférantes, s'exhalera
devant nous et nous ravira hors de nous-mêmes jusqu'en l'amour
éternel de Dieu... Par l'amour nous saisirons l'amour, et l'amour
nous saisira. Possédant Dieu, nous serons possédés par lui en unité,
et jouissant de lui, nous nous reposerons avec lui dans la
béatitude."
Le grand mystique qu'est Ruysbrœck quitte
soudain notre monde terrestre et rejoint de plus hautes sphères
spirituelles, celles qui sont souvent les siennes et où nous avons
parfois du mal à le suivre. Il écrit: "Cette fruition sans mode
et ce repos superessentiel constituent le plus haut sommet de la
béatitude. On y est englouti dans la satiété au-dessus de toute
faim, qui n'y peut pénétrer, car il n'y a plus là qu'unité. Là tous
les esprits aimants s'endormiront dans la ténèbre superessentielle,
toujours vivants néanmoins et éveillés à la lumière de gloire,
chacun en particulier, à sa place et à son rang, avec toute la
beauté et l'activité glorieuse dont je viens de vous parler..."
Ce thème lui permet d'aborder tout
naturellement les problèmes liés à la secte du Libre Esprit.
"Que personne donc ne vous trompe, en
parlant de fausse oisiveté, car ce que je vous dis maintenant est
attesté par notre foi et par la sainte Écriture c'est une vérité
éternelle. Nous aimerons et nous jouirons, nous agirons et nous
reposerons, nous nous exercerons et posséderons, tout cela en même
temps dans un éternel présent sans avant ni après. Et si l'on vous
dit le contraire, n'y ajoutez pas foi..."
Ruysbrœck passe
maintenant au sujet qui lui tient le plus à cœur, celui qui concerne
le salut de tous les hommes: le jugement final, la damnation et
l'enfer.
Concernant le jugement, il évoque les paroles du Christ: "Venez
les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé
depuis le commencement du monde."
Et Ruysbrœck continue sa lecture de
l'Évangile: "Puis se tournant à gauche, il dira à tous les
infidèles et à ceux qui, depuis le commencement du monde jusqu'au
dernier jour, seront morts en péché mortel: 'Retirez-vous de moi,
maudits, et allez au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et
pour ses anges...' Parce que les damnés ont péché dans leur vie
contre un Dieu éternel et infini, et que leur volonté perverse avec
la tache du péché demeure éternellement, la peine qui répond au
péché est éternelle. Volontairement et sciemment ils ont repoussé
d'eux la grâce divine, et ils ont préféré les choses temporelles aux
choses éternelles. C'est parce qu'ils ont méprisé Dieu et ses
grâces, qu'ils doivent être privés de lui pour toujours..."
Ruysbrœck peut aborder maintenant un
sujet délicat: la peine du dam: "cette privation éternelle de
Dieu et de toute béatitude... Cette peine est spirituelle, et plus
terrible qu'aucun mal qu'on puisse éprouver dans le corps." Mais
ce n'est pas tout; à cela Ruysbrœck ajoute:
"Ensuite vient la troisième peine, qui
est encore plus intérieure, et c'est le froid infernal sans fin. Car
celui qui n'aime pas Dieu porte avec lui une grande froideur, et
dans ce froid il doit éternellement périr."
En effet, pour Ruysbrœck, de même que
"celui qui a un amour désordonné des créatures doit brûler, car il
porte lui-même le feu qui est l'amour mauvais, ceux qui viennent au
jugement de Dieu, sans l'amour divin, auront l'intérieur de l'âme
tremblant de froid infernal." Car leur conscience ne mourra pas
mais continuera toujours à leur reprocher leurs péchés et leurs
manques d'amour. "Dans leur grande angoisse ils gémiront et
soupireront, non pas par regret ou par haine du péché, mais par
l'horreur des peines éternelles. Sans cesse ils subiront la mort, et
jamais ils ne mourront complètement; et de là vient que la peine
infernale est appelée une mort éternelle... Car de même que la
gloire de Dieu nourrit les saints de joie, de même la peine
infernale consume les damnés dans une tristesse éternelle. Il y aura
là un désespoir sans fin car ils seront sûrs que la peine ne se
terminera jamais.
Comme maintenant les péchés sont
multiples et de différentes espèces, une peine spéciale répondra à
chacun des péchés..."
Tout cela nous semble terrible et
difficile à comprendre et à supporter; aussi Ruysbrœck va-t-il
donner quelques explications. Il dira, entre autres: "La haine
mutuelle et l'envie de l'un contre l'autre seront là plus grandes
que jamais elles ne furent dans ce monde; cependant les damnés
devront rester éternellement ensemble, comme une masse compacte qui
bout dans une marmite. L'insolence, la colère et le courroux y
seront si grands, que les damnés seront comme des chiens enragés,
prêts à se déchirer et à s'entre-dévorer."
Oui, tout cela est terrifiant; pourtant
c'est la vérité, et Ruysbrœck nous le prouve. Il raconte: "Que je
vous conte, à ce propos, un fait qui s'est passé dans un monastère,
situé près du Rhin. Là vivaient trois moines gourmands, qui, avides
de bonne chère, la cherchaient souvent hors du cloître. Deux d'entre
eux moururent subitement et à l'improviste, l'un étouffé et l'autre
noyé au bain. Le survivant vit un de ces malheureux lui apparaître
et lui déclarer qu'il était damné. Comme il lui demandait quelle
était sa peine, celui-ci laissa tomber de sa main une goutte de
sueur sur un chandelier de bronze qui fondit aussitôt comme graisse
ou cire au feu. Et après que le damné eut disparu, il laissa après
lui puanteur si grande que les moines durent quitter le monastère
pour trois jours. Celui à qui est arrivé ce fait abandonna son
cloître, pour se faire frère mineur, et celui qui me l'a raconté est
devenu frère prêcheur.
Je pourrais vous dire encore un autre
exemple, touchant le sort réservé à ceux qui vivent et meurent dans
le désordre, sans avoir pu ni s'en repentir, ni s'en confesser. Mais
il est mieux de taire ces choses peu édifiantes. Qu'il vous suffise
de savoir, en toute certitude, que la mesure des tourments
correspondra à celle des jouissances que l'on aura recherchées, en
opposition avec la loi divine et les préceptes de la sainte Église",
c'est-à-dire, selon saint Matthieu, "pour celui qui vient au
festin sans la robe nuptiale, c'est-à-dire qui se présente au
jugement divin sans la charité... Telle est la peine infernale. Au
jour du jugement, l'enfer engloutira tous les damnés, d'où qu'ils
viennent..."
Nous savons que le but, -et probablement
aussi la vocation de Ruysbrœck- n'était pas de faire peur à ses
lecteurs, mais de sauver les âmes. Aussi conseille-t-il, et ce sera
sa conclusion:
"À vous tous donc, qui êtes encore dans
le temps de la grâce, je dis de choisir et de vous approprier dès
maintenant la société où vous voulez vivre et mourir. Si la gloire
de Dieu ne suffit pas à vous attirer, qu'au moins la crainte de
l'enfer vous fasse trembler, vous préserve du péché, et vous engage
dans la vertu
Priez Dieu que nous gardions la foi
chrétienne et que nous soyons si ornés de vertus, qu'au jugement
divin nous puissions entendre les paroles du Christ: 'Venez les
bénis de mon Père, possédez le royaume, qui vous est préparé depuis
le commencement du monde.' Puissions-nous le recevoir du Père, du
Fils et du Saint-Esprit. Amen."
Et nous, gens du XXIème siècle, nous qui
récitons notre Credo chaque dimanche, mais trop souvent sans y
penser, nous souvenons-nous que nous serons jugés à la fin des
temps ? Notre Seigneur est plein de miséricorde, mais Il est juste
aussi. Il nous aime de tout son Amour, c'est vrai, mais nous, est-ce
que nous aimons notre Dieu, est-ce que nous répondons à son Amour?
Si ces questions nous font réfléchir, Ruysbrœck aura également
travaillé pour le salut des âmes de notre XXIème siècle.
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