La Foi Chrétienne

INTRODUCTION

LA FOI CHE-RETIENNE - PROLOGUE

1 Je crois en Dieu, créateur de toutes choses

2 Je crois en Jésus-Christ

3 Je crois au Saint-Esprit

4 Notre jugement et notre résurrection

5 La vie éternelle

6 Que serons-nous après notre résurrection ?

7 Vers les plus hautes sphères spirituelles

8 Le jugement

9 L'enfer

10 Conclusion

 

Introduction

Autant que les traducteurs des ouvrages de Ruysbrœck et de ceux qui les ont étudiés longuement après sa mort[1] aient pu en juger, il semble que ce petit traité consacré à la Foi Chrétienne ait été rédigé entre 1336 et 1343, à l'époque où Ruysbrœck était encore prêtre séculier et chapelain assistant d'un chanoine de la cathédrale Sainte-Gudule de Bruxelles, depuis au moins une vingtaine d'années.

Ce traité de La foi Chrétienne avait été très apprécié, et une lettre de Gérard Groot en recommandait la lecture. Ce petit traité de la foi et du jugement, traite essentiellement du  symbole du Concile de Nicée, notre "Je crois en Dieu" un peu développé. Ruysbrœck s'appuie sur des textes empruntés à l'Écriture sainte et s'adresse à tous les fidèles, de quelque condition qu'ils soient. Il insiste sur la nécessité de la foi pour être sauvé.

Curieusement, et contrairement à ce que croit notre société du XXIème siècle, Ruysbrœck insiste beaucoup sur l'enfer. Son principal souci, en effet, est le salut de toutes les âmes, donc même des âmes des plus grands pécheurs et spécialement des membres de la secte du Libre Esprit. Cette secte, en effet, se croyait faussement mystique et faisait des ravages dans la société contemporaine de Ruysbrœck.

Quand Ruysbrœck voulut exposer, dans son  Livre sur La foi chrétienne, ce que nous serons après notre résurrection, il se laissa aller, comme malgré lui, à entrer dans les plus hautes sphères de la vie spirituelle et mystique. Son langage devint alors difficile à cerner. Plus tard, notre auteur se rendit compte de ces difficultés, et, dans son livre De la plus Haute Vérité, il s'appliqua à préciser et à expliquer son vocabulaire. Bien que cet ouvrage ait été composé, probablement, aux dires des spécialistes, vers la fin de la vie de Ruysbrœck, nous le présenterons immédiatement après celui-ci consacré à La Foi Chrétienne.

Remarque importante

Toutes les traductions en français, des textes de Ruysbrœck que nous avons utilisés pour les présenter d'une manière plus adaptée aux lecteurs du XXIème siècle, peuvent être retrouvés sur le site Internet suivant:

 

http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Ruysbroek/Ruysbroeck/table.html

 

La Foi Chrétienne

Prologue

Dans un court prologue, Ruysbrœck exprime son principal souci: le salut des âmes. Il écrit: "Quiconque veut être sauvé et atteindre la vie éternelle, doit nécessairement posséder et garder jusqu'à la mort la foi chrétienne, puisque par la foi l'âme est attachée à Dieu et lui est unie comme l'épouse à son époux. La foi conduit l'âme à la confiance en Dieu et lui donne une bienheureuse connaissance de Dieu et des choses éternelles.

Aussi sans la vraie foi, nul ne peut-il vivre comme il faut, ni plaire à Dieu, ni enfin se sauver, quelques bonnes œuvres qu'il eût accomplies par ailleurs.

 

1
Je crois en Dieu, créateur de toutes choses

 

Le croyant doit d'abord confesser de sa bouche cette vérité première: "Je crois en un seul Dieu, Père tout-puissant, qui a fait le ciel et la terre, toutes les choses visibles et invisibles c'est-à-dire les choses matérielles ou corporelles, et les êtres spirituels, anges et âmes: tout a été créé et fait par Dieu de rien, sans matière préalable."

 

2
Je crois en Jésus-Christ

 

2-1-Jésus-Christ, Fils du Père

Ruysbrœck aborde ensuite le mystère de la sainte Trinité, sans cependant la nommer. Ainsi, quand le symbole de Nicée dit: "Je crois en Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, c'est-à-dire sans commencement, de toute éternité, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non pas fait," il précise: "une seule substance une seule nature indistincte avec lui." Pourtant le Fils est distinct du Père; il y a véritablement "altérité et distinction de personnes," mais "une nature unique pour le Père et le Fils."

Et voici la grande merveille: "Nous croyons que ce même Fils unique de Dieu est descendu des cieux pour nous autres hommes et pour notre salut. Le Fils qui a assumé notre nature humaine, a été conçu du Saint-Esprit; il est né de la vierge Marie et est devenu véritablement homme: car de même que l'âme et le corps font ensemble un seul homme, ainsi le Fils de Dieu et le fils de Marie, ce n'est qu'un seul Christ."

2-2-La vie humaine de Jésus-Christ jusqu'à sa Résurrection

Comment le Christ, Dieu fait homme, a-t-il vécu au milieu des hommes? Comme tous les hommes, nous laisse entendre Ruysbrœck qui répond avec les paroles du Credo: "Mais pour notre salut, il a souffert et enduré des peines, a été crucifié, est mort et a été enseveli, sous le juge qui était alors à Jérusalem et qui s'appelait Ponce Pilate. Et aussitôt son âme descendit aux enfers avec grande puissance et grande joie, pour délivrer les patriarches et les prophètes, qui avaient cru en lui et qui l'avaient attendu avec un grand désir. Il délivra encore tous ceux qui l'avaient servi fidèlement, depuis le commencement du monde, et étaient morts sans péché mortel; mais nul autre ne fut délivré par lui."

Ici nous nous cabrons un peu: est-ce possible que tous les hommes ne soient pas sauvés? Ruysbrœck n'a aucun doute, et il ne craint pas d'affirmer: "Car ceux qui n'aimaient pas Dieu et qui avaient été mauvais et infidèles comme les démons, devaient être laissés éternellement aux enfers."

Ruysbrœck continue le récit de la vie de Jésus: "Le troisième jour le Christ se leva d'entre les morts, de sa propre vertu, ce que nul autre ne peut faire. C'est que son âme glorieuse et vivante était unie à Dieu aux limbes, tandis que son corps inanimé conservait la même union dans le sépulcre. Et lorsque l'âme et le corps se rejoignirent, il ressuscita glorieux...

Ensuite, le quarantième jour, il monta au ciel, c'est-à-dire, selon l'Apôtre, au-dessus de tous les cieux matériels, jusqu'aux cieux spirituels que sont les anges; et même au-dessus de tous les anges dans le ciel caché, en cette sublimité impénétrable où il a été élevé bien au-dessus de tous les esprits. Ainsi selon son humanité il est assis à la droite de Dieu, son Père Tout-Puissant..." Ici, dit Ruysbrœck, il s'agit de "la glorieuse nature humaine du Christ qui a été élevée au-dessus de toute nature créée... Puis, au dernier jour, il viendra en gloire et en vertu divine, avec les chœurs immenses de tous les anges et de tous les saints, pour juger les vivants et les morts, c'est-à-dire les bons et les méchants. Et jamais son règne n'aura de fin.

Nous devons croire encore que le Père et le Fils ont envoyé le Saint-Esprit, leur amour mutuel, cinquante jours après la Résurrection de Notre-Seigneur. Les apôtres le reçurent et, avec lui, tant de force et de sagesse que depuis lors ils ne craignirent plus personne...

 

3
Je crois au Saint-Esprit

 

En union avec la sainte Église, chaque chrétien doit affirmer: "Je crois au Saint-Esprit qui est Seigneur et qui vivifie. Il est l'amour éternel du Père et du Fils, qui procède du Père et du Fils, et qui avec le Père et le Fils est adoré et honoré. Car les trois personnes sont un seul Dieu, une seule substance, dans l'unité de nature... Comme le Verbe de Dieu est le Fils de Dieu, ainsi l'Amour de Dieu est le Saint-Esprit. Dès lors tout homme de bien qui aime Dieu, a le Saint-Esprit en lui... Il nous faut croire que le Saint-Esprit est un amour qui s'écoule et qui a rempli de tout bien le ciel et la terre. Grâce à cet amour la sainte Église est une et universelle par tout l'univers. Elle est dite apostolique, parce que le souverain prince saint Pierre et les autres apôtres l'ont fondée et basée sur une pierre inébranlable, Jésus-Christ..."

Ruysbrœck médite: "La vraie foi, ornée de l'amour, est la joie la plus intime et la plus haute que je connaisse ici-bas. L'union de tous les fidèles est sainte, puisque tous ont été lavés du sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu'ils ont été oints de la grâce du Saint-Esprit, et sanctifiés par l'inhabitation de la sainte Trinité. L'unité de la sainte Église est comme l'arche de Noé: tous ceux qui demeurèrent hors de l'arche, durent périr..."

Soudain Ruysbrœck se souvient de tous ceux, probablement adeptes de la secte du Libre esprit, qui se perdent, tout autour de lui et il gémit: "Quiconque met son espoir et sa consolation en des pratiques de divination, dans les songes, la magie, l'invocation du démon; tous ceux encore qui honorent, craignent ou aiment une créature quelconque au-dessus de Dieu, et qui ont plus de confiance et plus d'espoir en quelque créature qu'en Dieu, sont des membres séparés et corrompus, qui ne vivent plus dans l'unité de l'Église..."

La communion des saints

Heureusement la communion des saints existe, et "les œuvres de tel saint ou de tel homme vertueux, certes, lui sont propres et personnelles quant à la gloire et quant à la récompense, néanmoins ces œuvres atteignent aussi tous les membres de la sainte Église, puisque tous les saints et tous les fidèles sont un en Notre Seigneur Jésus-Christ, et tous sont membres les uns des autres. Le Christ est le membre principal de la sainte Église ; il forme la tête et nous sommes ses membres, et la tête donne vie à tous les membres..." Oui, il nous faut croire à la communion des saints.

"Tous les saints, en effet, forment une seule Église, la communion des saints, selon laquelle tous les biens sont communs. Et afin que personne ne demeure en dehors de cette communion sainte, le Saint-Esprit nous dit par les apôtres de croire à la rémission de tous nos péchés qui se fait en premier lieu au baptême..." En effet, le Saint-Esprit ne veut pas nous perdre, et, si nous avons souillé par nos péchés notre premier baptême, "il a préparé un second baptême pour tous les pécheurs qui regrettent leur péché, cherchent grâce et désirent rentrer dans la communion des saints et de la sainte chrétienté..."

Ainsi nous pourrons attendre dans la paix, avec tous les saints la résurrection universelle de tous les corps.

 

4
Notre jugement et notre résurrection

 

"Dieu qui peut tout, qui créa toutes choses de rien quant à la matière première et qui forma le corps d'Adam du limon de la terre, a pouvoir aussi de refaire notre corps de cette même poussière de terre, qui est venue de lui, fût-elle dispersée aux extrémités du monde... Ainsi au dernier jour, au jour du jugement, quand la trompette sonnera, tous les morts ressusciteront, nous dit saint Paul, et le Christ, le Fils de Dieu, descendra du ciel dans les airs avec tous les anges et les saints, en gloire et grande puissance."

Influencé par les croyances, et peut-être les espérances de son époque, Ruysbrœck ajoute quelques lignes sur le lieu où se passera la résurrection des morts, lignes qui ne manqueront pas de nous faire sourire. Nous ne les présentons ici que pour détendre un peu notre lecteur.

Ainsi, Ruysbrœck écrit: "Ceci se passera près de Jérusalem, là où fut créé le premier homme et où, par sa sainte mort, le Christ répara autant qu'il était en lui, l'homme déchu. C'est là qu'il descendra, là qu'il fera entendre la voix de son commandement, en seigneur et juge souverain du monde entier: et de par sa puissance et son ordre, les corps de tous les hommes seront rétablis et ressusciteront en un instant, différents quant à l'ordre et à la récompense, mais tous égaux quant à l'âge, qui sera celui qu'avait Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsqu'il mourut pour nous. Un homme de cent ans et l'enfant d'une seule nuit auront un corps d'égale grandeur..."

Mais voici beaucoup plus sérieux et plus conforme à notre foi: "De nos yeux de chair nous verrons Dieu, ce qui s'entend de Notre-Seigneur Jésus-Christ selon son humanité, qui se manifestera à tous les hommes dans ce même corps dans lequel il vécut et est mort pour nous...

Alors par la justice et la sagesse de Dieu qui voit clairement toutes choses, chacun recevra un jugement équitable, selon ses paroles et ses œuvres et tout ce qu'il aura jamais fait. Et ce jugement demeurera immuable car les méchants seront éternellement condamnés et perdus, et les bons sauvés éternellement."

 

5
La vie éternelle

 

Oui, nos corps ressuscités vivront éternellement. Ruysbrœck nous le rappelle par les mots de notre Credo: "Ensuite le Saint-Esprit nous apprend, par la bouche des apôtres, que nous devons croire à la vie éternelle..." Nous devons tous attendre et désirer la béatitude que Dieu nous a promise, car c'est là la réalisation de tout ce que nous croyons maintenant. Mais que sera cette béatitude? Ruysbrœck nous répond: "Après cet exil nous serons élevés, âme et corps, dans la gloire divine, et nous verrons Dieu clairement, l'aimant et le possédant dans une fruition sans fin. Car au-dessus de toute chose notre récompense essentielle sera Dieu lui-même; alors nous verrons Dieu éternellement, nous l'aimerons avec ardeur et nous lui rendrons grâces...

Nous posséderons la sagesse... notre richesse sera si grande, que nous en serons inondés et en aurons plus que nous ne pourrons en saisir: beauté éternelle et impérissable, paix sans fin et inaltérable, richesses surabondantes, affluence de toute béatitude, de bonté et de jeunesse immortelle..."  Tout ce que nous pouvons penser ou souhaiter aujourd'hui sera infiniment dépassé. "C'est que Dieu lui-même, incompréhensible et infini veut être notre récompense, notre joie et notre allégresse...

Et dans le Christ Jésus nous serons élevés vers notre Père céleste dans une révérence et une louange éternelles... Auprès de nous seront dans la gloire les anges et les saints qui, avec nous, aimeront et loueront Dieu sans fin."

 

6
Que serons-nous après notre résurrection ?

 

Il apparaît parfois évident que Ruysbrœck a lu les œuvres de saint Thomas d'Aquin. (1225-1274) S'en inspirant il n'hésite pas à écrire: "Nous aurons dans notre corps glorieux une âme vivante, ornée de toutes les vertus. Nos corps seront sept fois plus clairs que le soleil et transparents comme le cristal ou le verre, si impassibles que ni le feu d'enfer, ni tous les glaives tranchants ne sauraient en aucune manière nous blesser ou nous nuire. L'agilité et la légèreté de notre corps seront telles, que notre âme pourra, en un instant, le mener où elle voudra. Il sera si subtil, qu'un mur de métal épais de cent milles pourrait être traversé par lui comme le verre par un rayon de soleil..."

Nos yeux de chair contempleront Notre-Seigneur Jésus-Christ et sa glorieuse Mère; nos yeux intérieurs fixeront le miroir de la Sagesse; notre   oreille extérieure percevra les mélodies célestes et les chants suaves des anges et des saint... Le parfum très noble de l'Esprit divin, plus suave que tout baume ou toutes herbes odoriférantes, s'exhalera devant nous et nous ravira hors de nous-mêmes jusqu'en l'amour éternel de Dieu... Par l'amour nous saisirons l'amour, et l'amour nous saisira. Possédant Dieu, nous serons possédés par lui en unité, et jouissant de lui, nous nous reposerons avec lui dans la béatitude."

 

7
Vers les plus hautes sphères spirituelles

 

Le grand mystique qu'est Ruysbrœck quitte soudain notre monde terrestre et rejoint de plus hautes sphères spirituelles, celles qui sont souvent les siennes et où nous avons parfois du mal à le suivre. Il écrit: "Cette fruition sans mode et ce repos superessentiel constituent le plus haut sommet de la béatitude. On y est englouti dans la satiété au-dessus de toute faim, qui n'y peut pénétrer, car il n'y a plus là qu'unité. Là tous les esprits aimants s'endormiront dans la ténèbre superessentielle, toujours vivants néanmoins et éveillés à la lumière de gloire, chacun en particulier, à sa place et à son rang, avec toute la beauté et l'activité glorieuse dont je viens de vous parler..."

Ce thème lui permet d'aborder tout naturellement les problèmes liés à la secte du Libre Esprit.

"Que personne donc ne vous trompe, en parlant de fausse oisiveté, car ce que je vous dis maintenant est attesté par notre foi et par la sainte Écriture c'est une vérité éternelle. Nous aimerons et nous jouirons, nous agirons et nous reposerons, nous nous exercerons et posséderons, tout cela en même temps dans un éternel présent sans avant ni après. Et si l'on vous dit le contraire, n'y ajoutez pas foi..."

 

8
Le jugement

 

Ruysbrœck passe maintenant au sujet qui lui tient le plus à cœur, celui qui concerne le salut de tous les hommes: le jugement final, la damnation et l'enfer.[2] Concernant le jugement, il évoque les paroles du Christ: "Venez les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé depuis le commencement du monde."

Et Ruysbrœck continue sa lecture de l'Évangile: "Puis se tournant à gauche, il dira à tous les infidèles et à ceux qui, depuis le commencement du monde jusqu'au dernier jour, seront morts en péché mortel: 'Retirez-vous de moi, maudits, et allez au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et pour ses anges...' Parce que les damnés ont péché dans leur vie contre un Dieu éternel et infini, et que leur volonté perverse avec la tache du péché demeure éternellement, la peine qui répond au péché est éternelle. Volontairement et sciemment ils ont repoussé d'eux la grâce divine, et ils ont préféré les choses temporelles aux choses éternelles. C'est parce qu'ils ont méprisé Dieu et ses grâces, qu'ils doivent être privés de lui pour toujours..."

 

9
L'enfer

 

Ruysbrœck peut aborder maintenant un sujet délicat: la peine du dam: "cette privation éternelle de Dieu et de toute béatitude... Cette peine est spirituelle, et plus terrible qu'aucun mal qu'on puisse éprouver dans le corps." Mais ce n'est pas tout; à cela Ruysbrœck ajoute: "Ensuite vient la troisième peine, qui est encore plus intérieure, et c'est le froid infernal sans fin. Car celui qui n'aime pas Dieu porte avec lui une grande froideur, et dans ce froid il doit éternellement périr."

En effet, pour Ruysbrœck, de même que "celui qui a un amour désordonné des créatures doit brûler, car il porte lui-même le feu qui est l'amour mauvais, ceux qui viennent au jugement de Dieu, sans l'amour divin, auront l'intérieur de l'âme tremblant de froid infernal." Car leur conscience ne mourra pas mais continuera toujours à leur reprocher leurs péchés et leurs manques d'amour. "Dans leur grande angoisse ils gémiront et soupireront, non pas par regret ou par haine du péché, mais par l'horreur des peines éternelles. Sans cesse ils subiront la mort, et jamais ils ne mourront complètement; et de là vient que la peine infernale est appelée une mort éternelle... Car de même que la gloire de Dieu nourrit les saints de joie, de même la peine infernale consume les damnés dans une tristesse éternelle. Il y aura là un désespoir sans fin car ils seront sûrs que la peine ne se terminera jamais.

Comme maintenant les péchés sont multiples et de différentes espèces, une peine spéciale répondra à chacun des péchés..."

Tout cela nous semble terrible et difficile à comprendre et à supporter; aussi Ruysbrœck va-t-il donner quelques explications. Il dira, entre autres: "La haine mutuelle et l'envie de l'un contre l'autre seront là plus grandes que jamais elles ne furent dans ce monde; cependant les damnés devront rester éternellement ensemble, comme une masse compacte qui bout dans une marmite. L'insolence, la colère et le courroux y seront si grands, que les damnés seront comme des chiens enragés, prêts à se déchirer et à s'entre-dévorer."

Oui, tout cela est terrifiant; pourtant c'est la vérité, et Ruysbrœck nous le prouve. Il raconte: "Que je vous conte, à ce propos, un fait qui s'est passé dans un monastère, situé près du Rhin. Là vivaient trois moines gourmands, qui, avides de bonne chère, la cherchaient souvent hors du cloître. Deux d'entre eux moururent subitement et à l'improviste, l'un étouffé et l'autre noyé au bain. Le survivant vit un de ces malheureux lui apparaître et lui déclarer qu'il était damné. Comme il lui demandait quelle était sa peine, celui-ci laissa tomber de sa main une goutte de sueur sur un chandelier de bronze qui fondit aussitôt comme graisse ou cire au feu. Et après que le damné eut disparu, il laissa après lui puanteur si grande que les moines durent quitter le monastère pour trois jours. Celui à qui est arrivé ce fait abandonna son cloître, pour se faire frère mineur, et celui qui me l'a raconté est devenu frère prêcheur.

Je pourrais vous dire encore un autre exemple, touchant le sort réservé à ceux qui vivent et meurent dans le désordre, sans avoir pu ni s'en repentir, ni s'en confesser. Mais il est mieux de taire ces choses peu édifiantes. Qu'il vous suffise de savoir, en toute certitude, que la mesure des tourments correspondra à celle des jouissances que l'on aura recherchées, en opposition avec la loi divine et les préceptes de la sainte Église", c'est-à-dire, selon saint Matthieu, "pour celui qui vient au festin sans la robe nuptiale, c'est-à-dire qui se présente au jugement divin sans la charité... Telle est la peine infernale. Au jour du jugement, l'enfer engloutira tous les damnés, d'où qu'ils viennent..."

 

10
Conclusion

 

Nous savons que le but, -et probablement aussi la vocation de Ruysbrœck- n'était pas de faire peur à ses lecteurs, mais de sauver les âmes. Aussi conseille-t-il, et ce sera sa conclusion:

"À vous tous donc, qui êtes encore dans le temps de la grâce, je dis de choisir et de vous approprier dès maintenant la société où vous voulez vivre et mourir. Si la gloire de Dieu ne suffit pas à vous attirer, qu'au moins la crainte de l'enfer vous fasse trembler, vous préserve du péché, et vous engage dans la vertu

Priez Dieu que nous gardions la foi chrétienne et que nous soyons si ornés de vertus, qu'au jugement divin nous puissions entendre les paroles du Christ: 'Venez les bénis de mon Père, possédez le royaume, qui vous est préparé depuis le commencement du monde.' Puissions-nous le recevoir du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen."

Et nous, gens du XXIème siècle, nous qui récitons notre Credo chaque dimanche, mais trop souvent sans y penser, nous souvenons-nous que nous serons jugés à la fin des temps ? Notre Seigneur est plein de miséricorde, mais Il est juste aussi. Il nous aime de tout son Amour, c'est vrai, mais nous, est-ce que nous aimons notre Dieu, est-ce que nous répondons à son Amour? Si ces questions nous font réfléchir, Ruysbrœck aura également travaillé pour le salut des âmes de notre XXIème siècle.


[1] Notamment Surius, le traducteur des œuvres complètes de Ruysbroeck en latin, au XVIè siècle.
[2] Nous savons que ces sujets sont le plus souvent rejetés par nos contemporains, mais les éviter ici eut été malhonnête de notre part.

VOIR : B - Les quatre tentations

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