De saint Rigobert.
Saint Rieul
eut pour successeur saint Rigobert son parent selon la
chair, et né d'une illustre famille au pays de Ribemont.
Son père, nommé Constantin, était du même pays; mais sa
mère était originaire du Portian. Ce Rigobert fut homme
de saintes mœurs, et orné de grandes vertus. A son
entrée à l'évêché il trouva beaucoup de choses à réparer
et le fit avec succès. Il réforma la règle des chanoines
leur assigna un entretien suffisant leur donna quelques
terres et leur forma un trésor commun pour leurs
nécessités. Pour le composer, il assigna les domaines de
Gernicourt, Muscy, Rosay, Wuffinerive, Courcelles,
l'église de Saint-Hilaire avec le faubourg lui
appartenant; et régla que chaque année, le jour
anniversaire de sa mort, ils prendraient d'abord sur ces
rentes tout ce qui serait nécessaire à leurs besoins, et
que le surplus serait partagé également entre eux. Il
affecta des serfs au service des chanoines, constitua
les pauvres de Jésus-Christ héritiers de ses biens, qui
pouvaient monter à quarante arpents ou plus. Il établit
des colons dans divers villages du diocèse et régla
leurs charges et services.

Il acheta
différents biens dont il enrichit l'évêché ainsi de
Gomnold, le domaine de Chartrève en Tardenois, qu'il
paya cinq cents sous d'or; de différentes personnes,
deux arpents au village de Tourbe, item; de Hosome,
partie du domaine de Champigny, sur la rivière de Vesle,
pour la somme de quarante sous d'or d'une de ses
cousines, nommée Gilsinde, partie du domaine de
Briquenay, sur la rivière de Retourne avec serfs,
maisons et autres dépendances, et de la même Gilsinde,
partie du domaine de Boul-sur-Suippe, avec les maisons,
serfs, prés, champs, et toutes dépendances y attenant,
pour la somme de cent sous d'or. Il acheta aussi, pour
une assez forte somme, quelques biens outre Loire et fit
plusieurs échanges avec diverses personnes, à l'avantage
des deux parties. Enfin il obtint du roi Dagobert des
lettres d'immunité pour son église lui remontrant que
sous tous les rois Francs ses prédécesseurs, depuis le
temps de saint Rémi et du roi Clovis par lui baptisé,
elle avait toujours été libre et exempte de toute
servitude et charge publique. Le roi donc, voulant
ratifier ou renouveler ce privilège, de l'avis des
seigneurs de son conseil et dans la même forme que les
rois ses prédécesseurs, ordonna que tous biens villages
et hommes appartenant à la sainte église de Reims ou à
celle de Saint-Rémi, situés ou demeurant tant en
Champagne, dans la ville ou les faubourgs de Reims,
qu'en Austrasie, Neustrie, Bourgogne, pays de Marseille
en Auvergne, Touraine, Poitou, Limoges, et partout
ailleurs dans ses pays et royaumes seraient à perpétuité
exempts de toute charge qu'aucun juge public n'osât
entrer sur les terres de ces deux saintes églises de
Dieu, pour y faire séjour, ni y rendre aucun jugement,
ou lever aucune taxe; enfin, qu'elles conserveraient à
toujours les immunités et privilèges à elles concédés
par les rois ses prédécesseurs. Rigobert obtint encore
confirmation de ces lettres, soit du fils même de
Dagobert, soit des autres rois qui régnèrent pendant son
épiscopat et du roi Théodoric une ordonnance spéciale
pour ratifier la donation que Grimoald, personnage
illustre avait faite à l'église de Reims de son village
de Chaumussy. Ces actes de l'autorité royale existent
encore aujourd'hui aux archives de la sainte église de
Reims.
Ce
vénérable évêque fut en fort grande amitié avec Pépin
maire du palais, auquel il avait coutume d'envoyer
fréquemment des eulogies, en signe de bénédiction. Etant
allé un jour visiter ce prince, Pépin lui demanda ce
qu'il pourrait faire qui lui fut agréable. Or, en ce
moment. Pépin séjournait au village de Gernicourt; et
ayant appris de l'évêque que cette demeure lui plaisait,
il la lui offrit, ajoutant qu'il lui donnerait en outre
tout le terrain qu'il pourrait enceindre en en faisant
le tour tandis qu'il prendrait son repos à l'heure de
midi. Rigobert; suivant donc l'exemple de saint Rémi se
mit en route, et fit poser de distance en distance les
limites qui se voient encore aujourd'hui et traça ainsi
l'enceinte pour obvier à toute contestation. A son
lever, Pépin le trouvant de retour, lui confirma la
donation de tout le terrain qu'il venait d'enclore et
pour indice mémorable du chemin qu'il a suivi on y voit
en toute saison l'herbe plus riche et plus verte qu'en
aucun autre lieu d'alentour. Il est encore un autre
miracle non moins digne d'attention que le Seigneur se
plaît à opérer sur ces terres, sans doute en vue des
mérites de son serviteur, c'est que depuis la concession
faite au saint évêque jamais tempête ni grêle ne font
dommage en son domaine; et, tandis que tous les lieux
d'alentour sont battus et ravagés, l'orage s'arrête aux
limites de l'église, et n'ose les franchir.
Enfin,
aucune vue de cupidité mondaine n'entra dans
l'acquisition de ces biens, ni de tous autres qui purent
lui être donnés. En tout il ne songea qu'à l'intérêt de
son église, qu'il institua son héritière et il a même
fait partager ses richesses à plusieurs églises, comme
nous l'attestent les chartes et titres encore
aujourd'hui existants. Sous son épiscopat, un abbé Adon
donna à l'église de Notre-Dame de Reims tout ce qu'il
possédait au pays de Laon consistant en maisons, serfs,
champs vignes, prés, forêts, piscines, eaux, cours d'eau
et autres dépendances. Il donna aussi à l'hôpital de
Saint-Rémi quelques biens situés en Tardenois.
Différentes autres personnes, en différents lieux
donnèrent leurs biens à l'église de Reims, pour le salut
de leurs âmes, sous le pontificat de ce saint évêque,
tels que Beroalde et Sairebert, qui donnèrent des
maisons, des champs, des serfs, des vignes et des bois,
à Mont-Belin et Tessender-Loo; Gairefrède et Austrebert,
plusieurs arpents avec vignes et serfs y attenant, dans
le pays de Laon Abbon, dans le district de Portian
Laudemar, au pays de Reims Rodemar, sur la Haute-Meuse;
et Austrebert, au même lieu comme il appert par les
actes et monuments qui nous restent aux archives.
De l'expulsion de Rigobert
hors de la ville de Reims.
LA guerre
ayant éclaté entre le roi Chilpéric, Charles-Martel,
fils de Pépin, et le maire du palais Rainfroi, Charles,
en passant près de Reims, somma, dit-on, saint Rigobert,
qui demeurait sur l'une des portes de la ville, de lui
faire ouvrir cette porte, afin qu'il pût aller faire sa
prière en l'église de Notre-Dame. A ses pressantes
sollicitations, l'homme de Dieu répondit qu'il ne lui
ouvrirait les portes que lorsqu'il aurait vu l'issue de
la querelle dans la crainte de livrer au pillage la
ville confiée à ses soins, comme déjà il était arrivé à
Charles en d'autres villes. Furieux de cette réponse,
Charles fit serment que, s'il revenait victorieux et en
paix, l'homme de Dieu ne serait pas en sûreté dans sa
ville. La tradition rapporte que ce saint, béni du
Seigneur, avait sa demeure sur la porte appelée
Basilicaire soit parce qu'elle est entourée de
basiliques, soit parce qu'elle sert de passage pour
aller aux basiliques du faubourg de Saint-Rémi. Des
fenêtres de son appartement il pouvait contempler les
églises de Saint-Rémi, et adresser à son gré ses
prières.
Il avait
fait construire sur la même porte un oratoire en
l'honneur de saint Michel archange, d'où il descendait
pour aller prier en l'église de Saint-Pierre, contiguë à
cette porte. Cet oratoire subsista de longues années,
jusqu'au temps où l'empereur Louis donna ce monastère de
Saint-Pierre à sa fille Alpaïde. Mais Beggon, mari de
cette princesse, le fit démolir parce que, comme il
était grand marchait toujours la tête élevée, et ne se
baissait jamais pour entrer, il donna un jour de la tête
contre le linteau de la porte, qui était basse, et se
blessa grièvement. Pour cacher son motif, il prétendit
que l'oratoire était trop élevé et offusquait la fenêtre
de l'église. Mais à peine eut-on commencé à démolir, que
Beggon, qui était au pays de Laon, fut aussitôt possédé
du démon des tourbillons de poussière et de vent se
précipitèrent par le passage de la porte et couvrirent
la ville de ténèbres profondes personne ne pouvait tenir
en chemin. Cet oratoire a été rétabli il n'y a pas
longtemps et relevé comme auparavant, sous l'invocation
de saint Michel.
Quand
Charles eut remporté la victoire et défait ses ennemis,
il chassa de son siège le pieux Rigobert son parrain qui
l'avait tenu sur les saints fonts de baptême, et donna
l'évêché de Reims à un nommé Milon, simple tonsuré, qui
l'avait suivi à la guerre. Ce Charles-Martel, né du
concubinage d'une esclave, comme on lit dans les Annales
des rois Francs, plus audacieux que tous les rois ses
prédécesseurs, donna non seulement l'évêché de Reims,
mais encore beaucoup d'autres du royaume de France, à
des laïques et à des comtes; en sorte qu'il ôta tout
pouvoir aux évêques sur les biens et les affaires de
l'Église. Mais par un juste jugement, le Seigneur fit
retomber sur sa tête tous les maux qu'il avait faits à
ce saint personnage et aux autres églises de
Jésus-Christ; car on lit dans les écrits des Pères, que
saint Euchère jadis évêque d'Orléans dont le corps est
déposé au monastère de Saint-Trudon s'étant mis un jour
en prières, et absorbé dans la méditation des choses
célestes, fut ravi dans l'autre vie, et là, par
révélation du Seigneur, vit Charles tourmenté au plus
bas des enfers. Comme il en demandait la cause à l'ange
qui le conduisait, celui-ci répondit que, par la
sentence des saints qui au futur, jugement tiendront la
balance avec le Seigneur, il était condamné aux peines
éternelles pour avoir envahi leurs biens. De retour en
ce monde, saint Euchère s'empressa de raconter ce qu'il
avait vu, à saint Boniface, que le saint siège avait
délégué en France pour y rétablir la discipline
canonique, et à Fulrad, abbé de Saint-Denis et grand
aumônier du roi Pépin, leur donnant pour preuve de la
vérité de ce qu'il rapportait sur Charles-Martel, que,
s'ils allaient à son tombeau, ils n'y trouveraient point
son corps. En effet, ceux-ci étant allés au lieu de la
sépulture de Charles, et ayant ouvert son tombeau, il en
sortit un serpent; et le tombeau fut trouvé tout-à-fait
vide, et noirci comme si le feu y avait pris. Quant à
l'usurpateur Milon, Zacharie, pape de Rome, écrivit à
son sujet au nonce saint Boniface Quant à Milon et à ses
pareils, qui causent, tant de mal aux églises de Dieu,
prêche les à propos et hors de propos, selon la parole
de l'apôtre, afin qu'ils cessent leurs criminelles
prévarications. S'ils obéissent à tes remontrances, ils
sauveront leur âme; sinon, ils mourront dans leur péché,
mais toi, qui prêches la justice, tu ne perdras point
ton salaire.
Obtempérant
aux commandements de Dieu, qui ordonne de fuir de ville
en ville au temps de persécution, saint Rigobert se
retira en Gascogne. Là, comme animé d'une sainte
ferveur, il employait ses loisirs de l'exil à visiter
les monuments et reliques des saints. Un jour qu'il
était entré dans une église et y faisait sa prière, on
essaya de sonner les cloches selon l'usage mais deux
d'entre elles, malgré tous les efforts, ne rendirent
aucun son. Les prêtres et les assistants, saisis
d'inquiétude, interrompent alors le saint personnage, et
lui demandent qui il est, et d'où il vient. Il déclare
qu'il est clerc, et vient de France. Ceux-ci insistent,
le questionnent sur l'événement qui les étonne, et
s'enquièrent pourquoi leurs cloches ne sonnent pas comme
à l'ordinaire. Rigobert leur répond que deux cloches ont
été enlevées furtivement d'une de ses églises, et qu'il
soupçonne que ce sont celles-là; on les lui montre, il
les reconnaît on le prie de les sonner pour faire
l'expérience. A peine les a-t-il touchées, qu'elles
rendent un son éclatant; et ainsi est prouvée la vérité
de sa parole. Les assistants s'étonnent et admirent on
lui rend ses cloches, et tous le tiennent digne
d'honneur et de révérence. Depuis, ces deux cloches
furent rapportées en France et rendues à l'église de
Gernicourt.
On raconte
que Milon à qui Charles-Martel avait donné l’évêché de
Reims, étant en ambassade en Gascogne rencontra
Rigobert, et lui conseilla de rentrer, avec promesse de
lui rendre son évêché. Mais quand celui-ci fut rentré,
Milon exigea qu'il lui donnât en propriété les biens
qu'il avait déjà donnés à l'église. Rigobert ayant
rejeté cette proposition, Milon révoqua sa promesse et
garda l'évêché. Alors l'homme de Dieu le supplia de lui
laisser seulement l'autel de Notre-Dame Marie mère de
Dieu, pour y célébrer la messe. Cette demande lui fut
accordée dès lors content et résigné, il demeura
longtemps au village de Gernicourt, vivant en humilité,
frugalité, veilles, prières, aumônes, et dans l'exercice
de toutes les bonnes œuvres. Il avait coutume de visiter
de temps en temps la ville de Reims, et d'aller dire la
messe à l'autel de la sainte Vierge comme il l'avait
désiré; puis, passant par l'église de Saint-Maurice, il
allait faire sa prière à Saint-Rémi de là, continuant sa
visite par le monastère de Saint-Thierri et l'église de
Saint-Cyrique de Cormicy il s'en retournait à
Saint-Pierre de Gernicourt.
Des miracles qu'il a
opérés pendant sa vie.
UN jour
qu'il était venu à Cormicy pour prier en l'église de
Saint-Cyrique, il s'entretint avec le vidame de Reims,
que le hasard avait amené dans le même lieu. Celui-ci
l'invita à dîner, mais il s'en excusa, parce qu'il avait
résolu de dire sa messe à Saint-Pierre de Gernicourt.
Sur ces entrefaites, une femme vint apporter une oie au
vidame et celui-ci l'offrit à l'évêque, en le pressant
de l'accepter, et de la faire emporter avec lui. Le
domestique de l'homme de Dieu la prit et l'emporta. Mais
tout-à-coup elle s'échappa de ses mains, et s'envola si
loin qu'il perdit tout espoir de la reprendre. Le pauvre
domestique se désolait mais le saint père le consolait,
avec sa bonté ordinaire, par des paroles pleines de
douceur, lui remontrant qu'il ne fallait pleurer ni
s'affliger de la perte des biens temporels, mais au
contraire, toujours espérer dans le Seigneur, qui donne
à tous en abondance selon leur besoin. Quelque temps
après, quand ils eurent fait quelque chemin, voilà que
tout-à-coup l'oiseau revint de lui-même s'abattit à
terre devant le saint évêque et se mit à marcher devant
lui comme pour lui servir de guide, suivant toujours la
route sans dévier, jusqu'à ce qu'ils arrivassent à
Gernicourt, où ils allaient. L'homme de Dieu ne souffrit
pas qu'on tuât l'oie, et depuis il ne cessa de l'avoir
pour avant-courrière car elle courait toujours devant
lui quand il allait à la ville ou en revenait. Le pape
Adrien fait mention de Rigobert dans une de ses lettres
à Tilpin qui fut dans la suite évêque de Reims, et le
plaint en ces termes des injustices qu'il avait
souffertes Votre fraternité nous a mandé qu'à l'occasion
de la guerre survenue entre les Francs, Rigobert,
archevêque de Reims a été, au mépris des saints canons,
déposé et chassé de son siège, sans avoir commis aucun
crime, sans aucun jugement des évêques ni aucun
consentement ou information du saint Siège apostolique;
mais seulement pour n’avoir pas embrassé le parti de
celui qui a conquis et réduit sous sa domination la
partie du royaume où se trouve la ville de Reims.
L'évêché a été usurpé, au mépris de Dieu et de son
autorité, par la puissance séculière, et donné par elle
avec un autre évêché et d'autres églises, à un nommé
Milon, simple tonsuré, tout-à-fait ignorant, de la règle
et de l'ordre ecclésiastiques; d'autres évêchés ont été
distraits de différentes manières de la métropole de
Reims; la plupart des sièges sont demeurés sans évêques,
ou bien les évêques et les clercs ont été contraints de
s'adresser à d'autres métropolitains pour recevoir
l'ordination des recours illégitimes ont été établis;
les clercs les prêtres, les moines, les religieuses, se
sont soustraits au jugement et à la censure de leurs
évêques, et ont vécu sans discipline au gré de leur
caprice, etc.
De la mort et de la
sépulture de saint Rigobert.
ENFIN le
saint évêque Rigobert distingué par tant d'actes
éclatants et par de si grandes vertus, vécut de longues
années dans ce pieux exercice et après avoir vaillamment
terminé le combat de la vie présente il mourut le 4e jour
de janvier. Il fut enterré avec tous les honneurs par le
clergé et les évêques du village de Gernicourt, son
habituelle demeure, dans l'église de Saint-Pierre, au
midi de l'autel. Après sa déposition en ce lieu, de
nombreux et éclatants miles ont fait assez connaître
quels étaient ses mérites auprès du Seigneur mais, soit
négligence ou disette d'écrivains très peu nous ont été
transmis.
Les
habitants racontent que trois boiteux ont été guéris par
ses mérites longtemps en témoignage de leur guérison,
leurs bâtons et béquilles ont été conservés dans
l'église, jusqu'à la translation des reliques du saint
évêque. Une femme aveugle du pays même nommée Ansilde
recouvra la vue par l'intercession du bienheureux
patron. Un petit garçon, qui allaita l'école chez le
curé du lieu s'amusait un jour à sauter sur la tombe du
saint, outrageant ainsi Dieu et son serviteur enfermé
dans cette tombe afin que les mérites de Rigobert
fussent connus, et qu'une pareille audace ne se
renouvelât plus à l'avenir, le pied de l'enfant fut
aussitôt frappé de mal; et devenu boiteux il perdit
l'usage d'un de ses pieds. C'est pourquoi le curé fit
placer une barrière autour de la tombe dans la crainte
que quelqu'un n'encourut par ignorance la même punition.
Depuis sa sépulture, on a souvent entendu dans l'église
des voix si douces et si harmonieuses qu'elles ne
peuvent être que celles des anges. On y a vu aussi au
milieu des nuits, des clartés si brillantes qu'elles
auraient fait pâlir le-soleil, et qu'une fois l'éclat
s'en réfléchit jusque dans la maison du curé voisine de
l'église. A cette vue, le prêtre fut frappé de terreur,
et depuis il a redoublé de respect et d'hommages pour ce
lieu miraculeux. Ajoutez que de nombreux malades
trouvent chaque jour leur guérison sur le tombeau de cet
homme de Dieu. Ceux qui sont affligés de la fièvre
viennent avec foi, offrent un cierge en vœu raclent la
poussière du sépulcre en prennent dans de l'eau, et sont
guéris. Ceux qui souffrent du mal de dents n'ont qu'à
embrasser le tombeau avec dévotion, et leur douleur
cesse.
De la translation du corps
de saint Rigobert.
Tandis que
les mérites de ce glorieux confesseur de Jésus-Christ
éclataient par mille miracles au lieu de sa sépulture,
l’archevêque Hincmar le fit transférer au monastère de
Saint-Thierri et déposer près du tombeau de ce grand
saint, jurant les quelques années qu'il a été exposé en
ce lieu à la vénération des fidèles, le. Seigneur, a
daigné opérer plusieurs miracles par son intervention.
Beaucoup de malades, les uns de la fièvre, les autres du
ma) de dents, qui ont imploré avec foi son assistance,
ont été heureusement guéris. Entre autres, une femme
nommée Audingue, du village de Courme, voisin du
monastère depuis longtemps épuisée et minée par la
fièvre fit chez elle, pour le rétablissement de sa
santé, l’épreuve suivante. Elle fit trois cierges
absolument de la même dimension; l'un pour saint
Thierri, l’autre pour saint Théodulphe, le troisième
pour saint Rigobert; puis elle les alluma tous trois
ensemble, pour voir lequel durerait le plus longtemps.
Celui qui, avait été voué à saint Rigobert resta le
dernier; elle jugea que Dieu approuvait sa dévotion, et
résolut d'adresser son vœu à ce saint. Prenant donc un
autre cierge seulement pour lui, elle se rendit à
l'église, et offrit son petit présent. Après avoir fait
sa prière devant les reliques qu'elle était venue
visiter, elle s'endormit, et, à son réveil, elle trouva
que la santé lui était revenue.
Neuf ans
après, les restes du bienheureux évêque furent
transportés dans la ville de Reims, et déposés dans
l'église de Saint-Denis qui était alors la sépulture des
chanoines de Reims. Or il y avait en ce temps-là au
village d'Aumnencourt une femme aveugle, laquelle
entendit en songe une voix qui lui disait Que fais-tu
ici? que ne te lèves-tu? demain l'évêque Hincmar et les
chanoines de Reims transfèrent en cette ville le corps
de saint Rigobert. Va à lui et il t'assistera. Et
celle-ci se leva à la pointe du jour, et se mit en
chemin en grande hâte, avec un cierge pour l'offrir. A
peine fut-elle arrivée au lieu où reposaient les
reliques saintes qu'elle recouvra la vue. De même un
sourd, venu au Ai le jour de la translation, fut guéri
de sa surdité aussitôt qu'il eut touché le cercueil du
saint; et il raconta qu'il avait été engagé à faire ce
voyage de la même manière que la femme aveugle. Il
dormait la nuit dans une hôtellerie, quand une personne
inconnue le toucha légèrement au côté, le réveilla et
l'appela. Il sentit bien qu'on le touchait, mais, étant
sourd, il ne s'entendit point appeler. Mais ceux qui
étaient avec lui dans la maison, quoiqu'ils ne vissent
personne, entendirent fort bien une voix qui l'engageait
à aller en toute bâte vers saint Rigobert. C'est
pourquoi il se mit en route sur-le-champ, et recouvra
ainsi la santé qu'il avait si longtemps désirée.
Quand les
païens infestèrent la France, il fallut abattre l'église
où reposaient les reliques du bienheureux évêque, pour
enceindre la ville de murailles. Lors l’archevêque
Foulques les transféra dans la cité et les fit placer au
milieu de l'église de Notre-Dame, derrière l'autel de la
Sainte-Croix. Et là, beaucoup qui sont venus avec foi
ont obtenu guérison. A peu près en ce temps, un moine de
l'abbaye de Saint-Rémi, nommé Sigloard, était tourmente
d'une fièvre si violente qu'il perdait presque la
raison. Un soir qu'il était allé se coucher sans souper,
et ne pouvait prendre aucun repos, se sentant agité et
tourmenté de quelque côté qu'il se tournât, il invoqua
saint Rigobert à son aide, et aussitôt il se trouva
guéri.
Quelque
temps après les saintes reliques furent, encore
transférées en Vermandois, au village de Neminque, que
le comte Odalric avait donné à l'église de Reims, et que
l'évêque Foulques avait assigné à l'entretien des
chanoines. Non loin de là habitait un prêtre, nommé
Signin, lequel souffrait d'un grand mal de dents.
Apprenant que le corps de saint Rigobert venait d'être
apporté en ce lieu comme il ne pouvait y aller lui-même
à cause de la violence du mal, il y fit porter un cierge
en son nom. Néanmoins, quoique absent de corps, il ne
laissa pas de prier le saint du Seigneur de lui procurer
guérison par son intercession. Aussi, à peine son
offrande eût-elle été déposée devant la châsse, qu'il
sentit la main du médecin céleste, et.la santé lui
revint incontinent. Aussitôt il partit pour aller offrir
son hommage à l'auteur de sa guérison; prosterné devant
la châsse miraculeuse, et se répandant en larmes et en
actions de grâces, il publia hautement la grâce que le
Seigneur venait de lui accorder par l'intervention de
son serviteur. Enfin, peu de temps après, les précieuses
reliques furent rapportées a Reims, l'église de
Saint-Denis fut rebâtie hors des murs de la ville par
les soins et aux frais des chanoines, et depuis le corps
de saint Rigobert y est exposé à la vénération des
fidèle avec celui de saint Théodulphe.
(FLODOARD : HISTOIRE DE L’ÉGLISE DE RHEIMS ; Chapitres
XI à XV) |