Polycarpe (dont le nom grec
signifie fruit abondant) est regardé par toute l'Eglise comme ayant
appartenu au groupe
des Pères apostoliques. Il fut un disciple immédiat
des apôtres, naquit au temps de Vespasien, vers l'an 70, fut converti à la
religion chrétienne dès son enfance, sous le règne de Titus. Attaché à l'Eglise
de Smyrne, il fut un disciple de l'apôtre saint Jean. Son biographe, Pionius,
l'a dit originaire des contrées du Levant, puis amené jeune encore à Smyrne par
des marchands qui le vendirent à une femme noble, nommée Callisto. Cette
généreuse chrétienne l'éleva dans la crainte du Seigneur, lui confia le soin de
sa maison. Héritier des biens de Callisto, Polycarpe n'en aurait usé que pour se
perfectionner dans la connaissance des Ecritures, s'avancer dans la pratique de
la piété, et aurait reçu le diaconat des mains de l'évêque de Smyrne, Buco-lus,
qui l'attacha à son Eglise. Cependant, des auto-rités, comme celle de saint
Irénée ( Adv. hæresses, 1. V, c. XXXIII), nous apprennent que Polycarpe
avec Papias suivit les leçons de Jean, l'apôtre bien-aimé de Jésus.
Au prêtre Florin qui était tombé
dans l'erreur de Valentin, Irénée écrivait (Eusèbe, Hist. eccl., 1. V, c.
XX, P. G., t. XX, col. 483) : Lorsque j'étais encore enfant, je vous
ai vu en compagnie de Polycarpe, heureux au palais et soucieux de partager ses
idées. Je me rappelle fort distinctement les événements de cette époque, car les
souvenirs d'enfance sont plus vivaces que ceux d'un âge avancé. Je pourrais
marquer distinctement la place où le très saint homme Polycarpe discourait,
étant assis ; je pourrais dépeindre son attitude, la forme de ses traits,
rappeler les enseignements qu'il donnait au peuple, exposer les entretiens qu'il
nous disait avoir avec saint Jean et les autres disciples qui avaient vu le
Seigneur ; je pourrais vous dire enfin comment il répétait leurs paroles et
celles qu'ils avaient recueillies de la bouche même de Jésus. J'en prends Dieu à
témoin, si ce saint et apostolique vieillard entendait ce que nous entendons
maintenant, il se boucherait les oreilles et répéterait cette parole qui lui
était familière : O Dieu bon ! pour quels temps m'avez-vous conservé jusqu'à ce
jour ! et il quitterait sans retard le lieu où il aurait entendu de pareils
propos.
Ce fut par les apôtres eux-mêmes
que Polycarpe fut établi évêque de Smyrne ; des auteurs ont même pensé que
l'apôtre saint Jean eut, en son disciple, plus d'égard au mérite qu'à l'âge, et
le sacra avant son exil dans l'île de Pathmos. A Polycarpe, dans ce cas,
s'appliqueraient les éloges de l'Apocalypse (II, 8-10) au sujet de l'ange de
l'Eglise de Smyrne, le seul de tous déclaré irrépréhensible. L'épiscopat de
Polycarpe fut assez tranquille sous le règne de Trajan, alors que la persécution
agitait l'église dans les autres provinces de l'empire. Ignace d'Antioche, l'ami
de Polycarpe, fut condamné à mort en Syrie et, de là, envoyé à Rome pour être
livré aux bêtes de l'amphithéâtre. Il passa par Smyrne, heureux de voir
Polycarpe et de l'embrasser avant de mourir. Arrivé à Troade, il lui adressa une
lettre pour le remercier de son hospitalité ; il se félicitait d'avoir pu
l'entretenir et lui donnait de sages conseils pour le gouvernement de son
Eglise ; il lui demandait de communiquer en son nom avec les Eglises de l'Asie
Mineure, notamment avec son Eglise d'Antioche.
Sur la demande des fidèles de
Philippes, Polycarpe leur écrivit pour les féliciter d'avoir reçu Ignace et ses
compagnons de captivité ; il leur exposait dans le détail les devoirs attachés
aux différents états, leur donnait des instructions sur la réalité de
l'incarnation et de la mort du Fils de Dieu ; il les félicitait d'avoir
l'intelligence des saintes Ecritures et les exhortait à prier pour tous les
saints. Il ajoutait en terminant : Quant aux lettres d'Ignace que j'ai pu me
procurer, je vous les envoie toutes, elles vous seront d'un grand profit,
respirant la foi, la patience, l'édification. L'évêque de Smyrne alla à Rome
et y séjourna, mais il est difficile de dire à quelle époque ; il devait
entretenir le pape de divers sujets, défense des vérités de la foi, union et
paix des fidèles, observances de discipline. L'accord n'existait pas entre Rome
et les Eglises d'Asie pour la célébration de la Pâque. Anicet et Polycarpe
estimèrent que le plus sage, sur ce dernier point, était de laisser jusqu'à
nouvel ordre l'Orient et l'Occident suivre leur coutume respective. Le séjour de
Polycarpe à Rome fut encore utile à beaucoup de personnes qui s'étaient laissé
infecter du venin de l'hérésie ; l'évêque rendit un public témoignage à la
vérité orthodoxe, fit rentrer dans le sein de l'Eglise des âmes séduites par les
erreurs de Valentin et de Marcion.
Rencontrant un jour ce dernier
dans les rues de Rome, Marcion lui avait dit : Ne me reconnaissez-vous pas ?
- Oui, répondit Polycarpe, je vous reconnais pour le fils aîné de Satan.
Simple parole qui marque l'inviolable attachement de l'évêque aux enseignements
de la foi.
Rentré dans son Eglise de Smyrne,
Polycarpe n'y jouit pas longtemps du calme et de la tranquillité. alors s'éleva
une grande persécution contre les chrétiens. L'Eglise de Smyrne, dans sa lettre
à l'Eglise de Philadelphie et à toutes les Eglises catholiques, a raconté en
quelles circonstances Polycarpe et ses compagnons endurèrent le martyre :
Frères, nous vous envoyons une révélation de la mort de quelques martyrs, et
particulièrement de la mort du bienheureux Polycarpe, qui, par son sang a mis
fin à la persécution. Tout ce qui s'est passé en cette rencontre est arrivé pour
vérifier ce que le Seigneur a prédit dans son Evangile, où il nous montre la
voie que nous devons suivre. Il a voulu être livré lui-même et être attaché à la
croix comme notre libérateur. Il veut que nous soyons ses imitateurs ; armé le
premier d'une vertu céleste, il s'est assujetti à la volonté des impies ; comme
un bon maître, il se fait le modèle de ses serviteurs pour n'être pas à charge à
ceux qu'il instruit. Il a souffert tout d'abord ce qu'il ordonne aux autres de
souffrir ; il nous apprend à tous à mourir utilement pour notre propre salut et
celui de nos frères.
Nous nous sentons saisis de
crainte au moment où nous nous préparons à vous raconter les combats des
généreux athlètes et à vous décrire les glorieux trophées de leur amour pour
Dieu et de leur invincible patience. Ils ont vu sans pâlir couler leur propre
sang ; le peuple, ému d'un si horrible spectacle, n'a pu retenir ses larmes.
Dieu, du haut du ciel, jetait des regards de complaisance sur ces illustres
combattants ; leur âme était attaquée de tous côtés ; il l'a soutenue par sa
force toute divine et l'a rendue victorieuse de la douleur malgré la faiblesse
de leur corps. Même il les excitait de la voix ; de là vinrent le mépris pour
leurs juges, le sage et judicieux discernement qui leur fit préférer la vérité
au mensonge, le ciel à la terre, l'éternité au temps. Une heure de souffrance
leur a acquis des joies sans fin.
La fermeté du martyr
Germanicus a rassuré les esprits que les artifices du démon commençaient à
ébranler. Quand ce confesseur eut été exposé aux bêtes, le proconsul, touché
d'un sentiment d'humanité, l'exhorta à prendre pitié de lui-même, à conserver du
moins ses jours. Regardant ce proconsul avec mépris, Germanicus lui dit : J'aime
mieux perdre mille fois la vie que de la recevoir de toi à un tel prix. Et,
s'avançant hardiment au-devant du lion, il chercha la mort dans les griffes et
les dents meurtrières de cet animal. Le peuple fut frappé de dépit plutôt que de
stupeur, car on entendit mille voix confuses s'écrier : Mort aux athées ! Qu'on
amène Polycarpe !
Sur ses entrefaites, un
chrétien de Phrygie, nommé Quintus, récemment arrivé à Smyrne, se présenta au
proconsul ; mais la faiblesse trahit sa volonté. A peine eut-il aperçu les bêtes
qu'il pâlit de frayeur, recula et demanda qu'on lui laissât la vie. Il était
venu pour abattre les idoles et il prêta la main pour les soutenir, car le
proconsul obtint de lui sans peine un sacrifice aux faux dieux. Tant il est vrai
qu'il faut éviter toute présomption téméraire, réserver ses louanges pour
ceux-là seuls qui se défient d'eux-mêmes, ne sortent de leur retraite que par
l'ordre de Dieu. Le sage Polycarpe, pour avoir tenu la conduite humble et
prudente que recommande l'Evangile, assura son propre triomphe. Apprenant qu'on
le cherchait, il se déroba à la poursuite de ses ennemis ; par la tranquillité
de son âme, il montrait qu'il ne fuyait pas la mort sous l'influence d'une
crainte lâche, mais qu'il en reculait le moment en vertu d'une humble défiance
de soi-même. Les fidèles qui lui donnaient asile le conjuraient de mettre sa vie
en sûreté sans perdre un seul instant ; quant à lui, il marchait lentement,
s'arrêtait volontiers là où il passait, ne semblait s'éloigner qu'à regret du
lieu où l'on avait résolu sa mort. Soudain, il s'arrêta et revint dans une
métairie peu distante de Smyrne ; il fit halte, adressa à Dieu de ferventes
prières en vue du combat qu'il allait bientôt soutenir pour sa gloire. trois
jours avant son supplice, il eut un songe dans lequel le chevet de son lit lui
parut tout en feu. A son réveil, il dit à ceux qui l'entouraient : Dans trois
jours, je serai brûlé vif !
On le fit alors changer de
retraite, mais à peine arrivé à celle qu'on lui avait choisie, il y rencontra
les émissaires du proconsul. Ceux-ci avaient eu bien de la peine à le découvrir,
mais, s'étant emparés de deux jeunes enfants, ils avaient fouetté cruellement
l'un d'eux et lui avaient arraché le secret de la retraite de Polycarpe.
L'intendant de la police, Hérode, en fut aussitôt informé et, dans son
impatience, il envoya aussitôt une escouade d'archers et de gens à cheval à la
suite de l'enfant, qui les conduisit à la métairie. Polycarpe, caché dans un
grenier, préféra se livrer lui-même. Il se présenta devant les archers surpris
de trouver en ce vieillard une vivacité extraordinaire ; il leur fit servir à
manger, leur demanda quelques heures de répit pour vaquer à la prière et enfin
se remit entre leurs mains. L'escorte qui l'emmenait rencontra aux portes de la
ville un char sur lequel étaient montés Hector et son père Nicétas. Hector
décida Polycarpe à prendre place à ses côtés sur le char, espérant gagner par
des promesses ce vieillard qui paraissait à l'épreuve des outrages et des
mauvais traitements : Quel mal, lui répétait-il, trouvez-vous à donner à César
le nom de Seigneur, puis à sacrifier pour sauver votre vie ? Fatigué de tant
d'importunités, Polycarpe finit par rompre le silence et dit avec force : Non,
non, je ne suis pas décidé à faire ce que vous me conseillez, rien ne sera
capable de me faire changer de résolution. Irrités à ces mots, ces hommes
jetèrent le masque, précipitèrent le saint évêque hors du char avec une telle
violence qu'il fut blessé à la jambe dans la chute. Polycarpe, cependant, put se
relever, continuer la route à pied et même se présenter allègrement dans
l'amphithéâtre. Quand il y entra, il entendit une voix qui lui disait :
Polycarpe, sois ferme ! Seuls les chrétiens de l'arène entendirent cette
voix.
Amené directement en face du
tribunal du proconsul, Polycarpe s'entendit exhorter à avoir égard à son grand
âge. Epargne ta vieillesse, disait le magistrat, rends hommage au génie de
César, dis avec nous : Plus d'athées ! Expression que le juge appliquait aux
chrétiens. Polycarpe promena un instant ses regards sur la multitude des païens
qui garnissaient les bancs de l'amphithéâtre et dit d'un air consterné, en lui
appliquant l'expression : Oui, certes, plus d'athées ! - Poursuis, lui dit le
proconsul, jure par le génie de César, et blasphème le Christ. - Il y a
quatre-vingt-six ans que je le sers, répliqua Polycarpe, et il ne m'a jamais
fait aucun mal ; comment pourrais-je blasphémer mon Sauveur et mon roi ? Que si
vous voulez que je jure par le génie de César, comme vous l'appelez, voici ma
confession sincère : Je suis chrétien ; si vous voulez apprendre de moi la
doctrine du Christ, accordez-moi un jour d'audience pour m'entendre. - Donne
satisfaction au peuple, dit le proconsul. A quoi Polycarpe répondit : Je vous ai
adressé la parole parce qu'on nous a appris la déférence aux princes tant que la
religion n'a pas à en souffrir ; quant au peuple, ce n'est pas un tribunal
compétent devant lequel j'ai à me justifier. De fait, la fureur d'un tel
auditoire le mettait bien dans l'incapacité d'écouter.
Mais le proconsul prit alors
un air sévère : Quoi ! dit-il, j'ai à ma disposition les bêtes sauvages ! -
Faites-les sortir, reprit l'évêque, qu'elles viennent assouvir leur rage. Je
suis absolument résolu à ne pas changer de bien en mal. Ce qu'il faut faire,
c'est de passer du mal au bien ! - Mais si tu méprises les morsures des bêtes,
ajouta le proconsul, je te ferai consumer par le feu ! Polycarpe dit alors :
Le feu dont tu menaces est un feu qui ne brûle qu'un moment ; au bout d'un
instant, son ardeur s'amortit ; ce que vous semblez ignorer, c'est qu'il est un
feu d'éternel punissement dont la flamme ne s'éteindra jamais pour le châtiment
des impies !
Au moment où Polycarpe
prononçait ces dernières paroles, son visage parut resplendir au milieu d'une
lumière céleste. Le proconsul lui-même en fut frappé d'admiration ; il fit crier
trois fois par un héraut : Polycarpe s'est déclaré chrétien !
A ces mots, toute la multitude
des païens et des juifs poussa un grand cri pour réclamer la mort de Polycarpe :
C'est le grand docteur de l'Asie, le père des chrétiens, le destructeur de nos
dieux ; il apprend au peuple à ne pas sacrifier ! On fit appel à Philippe
l'Asiarque ; on voulut l'obliger à lâcher un des lions contre Polycarpe. Il s'en
défendit en disant que cela n'était pas en son pouvoir, que l'heure des
spectacles était passée. Tous furent d'accord qu'il fallait brûler vif le saint
vieillard ; ils ne songeaient pas qu'ils réalisaient la prédiction de
Polycarpe ; lui-même interrompit sa prière pour le faire remarquer aux chrétiens
de son entourage.
Cependant, le peuple courait
aux bains publics, enfonçait les boutiques, enlevait tout ce qui pouvait servir
à construire un bûcher ; les juifs, selon leur coutume, se signalèrent en cette
occasion. Le bûcher préparé, on y mit le feu. Polycarpe ôta lui-même sa ceinture
et sa première robe, se baissa pour se déchausser, ce qu'il n'était pas
accoutumé de faire, car d'ordinaire les fidèles lui rendaient ce service pour
pouvoir baiser ses pieds. Comme on se disposait à l'attacher au bûcher avec des
chaînes de fer, il s'y opposa : Laissez-moi comme je suis, dit-il alors ; celui
qui m'a donné la volonté de souffrir pour lui m'en donnera la force ; il
adoucira la violence du feu et me fera la grâce d'en pouvoir supporter l'ardeur.
Alors, on se contenta de lui lier les mains derrière, le dos avec des
cordes ; il monta ainsi sur le bûcher comme sur l'autel de son sacrifice.
Elevant ensuite les yeux au ciel, il prononça cette prière : Dieu des anges,
Dieu des archanges qui avez détruit le péché et détruirez un jour la mort,
monarque souverain du ciel et de la terre, protecteur des justes et de tous ceux
qui marchent en votre présence, je vous bénis, moi, le moindre de vos
serviteurs, et je vous rends grâces de ce que vous m'avez jugé digne de
souffrir, de recevoir de votre main la couronne du martyre, de pouvoir approcher
mes lèvres du calice de la passion ; je vous rends grâces de tous ces bienfaits,
par Jésus-Christ dans l'unité du Saint-Esprit. voilà Seigneur, mon sacrifice
presque achevé ; avant que le jour finisse, je verrai l'accomplissement de vos
promesses. Soyez donc à jamais béni, Seigneur ; que votre nom adorable soit
glorifié dans tous les siècles, par Jésus-Christ, pontife éternel et
tout-puissant, et que tout honneur vous soit rendu avec lui et le Saint-Esprit
dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
Après la prière, la flamme
sortant de tous côtés du bûcher à gros tourbillons s'éleva dans les airs. Dieu,
pour honorer son serviteur devant les hommes, opéra un nouveau prodige ; tous
ceux que sa providence a choisis pour en être les témoins le répandront partout
comme un monument éclatant de sa puissance et de la gloire de son fidèle
ministre. Les tourbillons de flammes se courbèrent en arc, s'étendant à droite
et à gauche, et représentèrent une voile de navire enflée par le vent. Cette
voûte de feu, suspendue en l'air, couvrit le corps du saint martyr, sans que la
moindre étincelle osât pour ainsi dire en approcher ni toucher ses vêtements. Le
corps avait la couleur d'un pain nouvellement cuit, ou d'un mélange d'or et
d'argent en fusion ; l'éclat réjouissait la vue. On respirait comme un agréable
mélange d'encens, de myrrhe et de parfums Précieux qui dissipait la mauvaise
senteur du feu. Cette merveille a étonné les ennemis de notre religion ; ils ont
été convaincus par leurs propres yeux que le corps d'un chrétien était devenu
respectable au plus furieux des éléments. Un de ceux qui entretenaient le bûcher
reçut l'ordre de s'en approcher et de reconnaître de plus près la vérité du
prodige ; on lui dit ensuite d'aller enfoncer son poignard dans le corps du
martyr. Il le fit, et à l'heure même le sang sortit en grande abondance et
éteignit le feu ; en même temps, on vit une colombe sortir du milieu de ces
flots pour prendre son essor vers le ciel. Tout le peuple fut alors dans
l'étonnement et reconnut la différence entre la mort des chrétiens et celle des
autres hommes ; plusieurs furent contraints d'admettre la grandeur de notre
religion, sans avoir la force de l'embrasser. Ainsi Polycarpe, évêque et docteur
de la sainte Eglise de Smyrne, consomma son sacrifice ; ce qui lui avait été
révélé à ce sujet se réalisa pleinement.
Le démon, cet ennemi
irréconciliable des justes, reconnut lui-même que cette vie illustrée par tant
de vertus avait été couronnée par une mort pleine de merveilles. Mais il suggéra
à ses suppôts l'idée de soustraire aux chrétiens le corps du saint martyr. Déjà
plusieurs avaient tenté de recueillir ses cendres quand, à son instigation, les
juifs poussèrent Nicétas, père d'Hérode, à aller trouver le proconsul pour lui
dire : Refusez les cendre de Polycarpe aux chrétiens, car ceux-ci vont leur
rendre les honneurs dus à la divinité. Comme si les chrétiens pouvaient ne plus
reconnaître Jésus pour Seigneur et Maître, après ce qu'il a souffert pour eux,
et comme s'il leur était permis d'offrir à un autre qu'à lui leurs prières et
leurs vœux ! Le centurion envoyé par le proconsul pour apaiser le différend
entre les juifs et nous, touchant le corps du martyr, brûla ces saintes
dépouilles. Cependant, nous en avons recueilli quelques ossements ; nous les
conservons comme l'or et les pierres précieuses. Notre Eglise se réunit pour
célébrer avec une sainte allégresse le jour de cette heureuse naissance, le
Seigneur nous ayant fait connaître sa volonté sur ce point. Voilà ce qui s'est
passé à Smyrne au sujet du bienheureux Polycarpe. Il a souffert le martyre avec
douze autres chrétiens de Philadelphie ; mais sa mémoire est l'objet de plus de
vénération que celle des autres martyrs. toute l'Asie le nomme toujours le
Maître. Vous nous avez demandé plus d'une fois le récit détaillé des événements
nous vous envoyons cette relation par notre frère Marcien. Quand vous aurez lu
la lettre, faites-en part aux autres Eglises, pour que le Seigneur soit béni en
tous lieux du choix que sa grâce fait des élus. Il est puissant pour nous sauver
nous-mêmes par Jésus-Christ, notre Seigneur et Sauveur ; à lui et à Jésus-Christ
gloire, honneur, puissance, majesté dans les siècles des siècles ! Ainsi
soit-il. Evariste qui a écrit cela vous salue et toute sa famille avec lui.
Polycarpe a souffert le martyre
le VII des calendes de mars (22 février), le jour du grand samedi, à la huitième
heure. Il fut arrêté par Hérode l'Erénarque, Philippe de Tralles étant pontife,
et Statius Quadratus proconsul. On s'est beaucoup occupé en ces derniers temps
de l'année ; quelques dissidents optent pour l'année 166, mais le plus grand
nombre tient pour février 155 (ou 156). Une autre difficulté se présente ici,
qui tient à la chronologie des évêques de Rome, en raison de l'avènement du pape
Anicet en 155. Il faudrait mettre en 156 ou mieux en 155 la visite de Polycarpe
au pape Anicet.
Les fidèles de Smyrne ont apporté
un soin jaloux à établir un anniversaire pour célébrer la mémoire de Polycarpe.
L'histoire ne parle d'aucune translation des reliques en dehors de Smyrne ; on
prétend qu'il y en eut pourtant soit à Rhodes et à Malte, soit à Rome et enfin à
Paris. Les Grecs ont placé la fête du saint martyr au 12 mars, puis au 23
février. Les Latins ont bien, dans quelques exemplaires du martyrologe
hiéronymien, un saint Polycarpe au 23 février ; mais, depuis longtemps, la fête
est au 26 janvier. C'est la date où l'inscrit le martyrologe de Florus. A cause
de saint Irénée, évêque de Lyon, qui reçut une copie de la lettre de l'Eglise de
Smyrne, on peut faire remonter le culte de saint Polycarpe jusqu'à l'époque de
saint Irénée à Lyon. Mais pourquoi cet ajouté de Florus au 26 janvier :
reliquiæ ejus Lugduni in crypta habentur ?
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