CHAPITRE 34.

VISITES DU PÈRE PAUL AUX RETRAITES DÉJÀ FONDÉES.

Il est difficile de fonder; il n'est pas moins difficile de conserver et de perfectionner ce qui a été heureusement commencé. Que de fois en effet n'a-t-on pas vu les meilleurs commencements avoir une fin déplorable par suite de quelque négligence? Le père Paul redoutait extrêmement les péchés d'omission. Sa conviction était qu'un grand nombre de ceux qui sont élevés en dignité, se damnent misérablement pour ces sortes de péchés. Aussi ne négligeait-il pas d'aller inspecter avec tout le soin possible les nouvelles retraites. Semblable à un jardinier attentif, il observait les nouvelles plantations qu'il avait faites au prix de tant de travaux, pour voir comment elles germaient et fleurissaient dans les parvis de la maison du Seigneur. Il visitait les retraites tant du patrimoine de saint Pierre que de la Campagne romaine, quand celles-ci eurent été fondées; et, sans nul égard pour la fatigue, il s'y rendait en personne, afin d'y établir toujours plus solidement le bon ordre et la discipline régulière. Les vues saintes dont il était animé furent souvent récompensées par de grandes consolations. Pendant le voyage, il était continuellement recueilli, et goûtait les délices divines. Quelquefois on voyait à certains signes plus sensibles combien son âme était unie à Dieu pendant que le corps marchait, et comment, par ses douces communications avec lui, il puisait en abondance à la source de la vie, de la sagesse et de l'amour. Se rendant un jour à la retraite de Saint-Eutice, lorsqu'il fut dans les champs de Gallesse, il se retourna vers son compagnon et se mit à lui dire : «A qui appartiennent ces campagnes»? Son compagnon lui répondit que c'étaient les champs de Gallesse. Paul, élevant la voix : «A qui appartiennent ces campagnes, vous dis-je»? L'autre ne comprit pas encore cette fois le sens de sa demande. Quelques pas plus loin, Paul se tourne de nouveau vers lui; il avait un visage éclatant comme le soleil : «A qui appartiennent ces campagnes»?.... Ah! Vous ne comprenez pas? Elles appartiennent à notre grand Dieu». A ces mots, transporté d'amour, il fait un bond de six à huit pas. Son compagnon ne fut pas moins surpris qu'édifié du fait.

Une autre fois, il allait de Terracine à Ceccano ; arrivé au bois de Fossanova, il alla visiter l'église du monastère, où mourut l'angélique docteur saint Thomas; puis, s'étant engagé dans un sentier, il se mit à dire avec une ardeur extraordinaire à son compagnon: «Ah! N'entendez-vous pas que ces arbres, que ces feuilles nous crient: amour de Dieu, aimez Dieu»! Là dessus, il lui dit de le précéder; cependant l'amour divin l'enflamme tellement que, lorsque son compagnon s'arrêta pour le considérer, il vit son visage resplendissant comme le soleil. Ce spectacle était une exhortation des plus efficaces à l'amour de Dieu. Son compagnon en ressentit une consolation extraordinaire. Le Bienheureux marchait en lui répétant: «Et comment n'aimeriez-vous pas Dieu! Et comment n'aimeriez-vous pas Dieu»! Comme s'il avait voulu par ces paroles jeter des charbons ardents dans le cœur de son compagnon et y allumer un vaste incendie.

Comme le propre de l'amour est de vouloir que tout le monde soit épris du Bien-Aimé, Paul, ayant repris la voie romaine, disait à tous ceux qu'il rencontrait : «Mes frères, aimez Dieu! Aimez Dieu, qui mérite tant d'être aimé! Ne voyez-vous pas que les feuilles mêmes des arbres vous disent d'aimer Dieu? O amour de Dieu! Ô amour de Dieu»! Et ces paroles, il les proférait avec tant d'ardeur et de vivacité que son compagnon et les étrangers mêmes en étaient tout extasiés. Plusieurs ne purent retenir leurs larmes et se mirent à sangloter. C'est ainsi que, par ses célestes consolations, le Seigneur donnait au père Paul, dès l'exil même de cette vie, un avant-goût de la récompense qu'il réservait à ses travaux.

A son arrivée dans les monastères, le bon père éprouvait la plus douce satisfaction, en voyant que les religieux, contents dans leur grande pauvreté, servaient le Seigneur dans la simplicité et la joie de leur cœur. Il était d'autant plus heureux, qu'il voyait mieux avec quel soin la bonne Providence les soutenait, dans les années même les plus calamiteuses. Plus d'une fois en effet ce soin parut tenir du prodige. Le père Paul faisait la visite de Sainte Marie-de-Corniano, près de Ceccano, où le père Thomas Struzzeri du Côté de Jésus était alors recteur. Un jour, l'heure du repas étant venue, on se rendit au réfectoire. Tout ce qui restait de pain dans la maison suffisait à peine pour que chaque religieux en eût deux ou trois bouchées. Mais à l'instant même où le père Paul, plein de confiance, se mettait à table, tout d'un coup on entend sonner à la porte. Le portier s'empresse, et voit un inconnu qui lui présente un panier de pains. Le frère le reçoit avec beaucoup de joie et de reconnaissance, le porte au père Paul qui lui dit d'aller sur-le-champ remercier la personne qui était venue les approvisionner si à propos. Le portier retourne à la porte, pensant rendre le panier; mais la personne avait disparu. On voit par là que ce Dieu de bonté qui nourrit les petits oiseaux n'abandonne jamais celui qui espère en sa bonté.

Quant à la méthode que le père Paul suivait dans ses visites, quant à l'esprit dont il les animait, et à la prudence avec laquelle il réglait toutes ses mesures, le lecteur l'a déjà remarqué, d'après ce que nous avons commencé à lui en dire. Nous donnerons plus de détails sur ce sujet, en parlant de la prudence dont Dieu avait doué son serviteur.

   

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