CHAPITRE 29.

MÉTHODE DU BIENHEUREUX DANS SES MISSIONS.

Le vénérable père commençait par donner avis aux curés du jour de l'arrivée des missionnaires. Il leur écrivait à ce sujet des lettres pleines de respect et d'humilité qui respiraient en même temps le feu du zèle. Il partait avec ses compagnons à pieds nus; et arrivé à quelque distance du lieu de la mission, il envoyait en donner avis, pour que l'entrée eût lieu avec solennité, et qu'en mettant le pied dans la paroisse, il pût de suite annoncer au peuple la paix et le pardon. Cette entrée se faisait avec beaucoup de piété et d'ordre. Il commençait par faire connaître le but dé la mission, puis il faisait à l'église un sermon d'ouverture. Dans le cours de la mission, laissant de côté, les processions et autres cérémonies pieuses en usage chez certains missionnaires, et qu'il suivit quelque fois lui-même au commencement, il s'attachait principalement à instruire, à prêcher et à confesser. Il prescrivit deux catéchismes par jour : l'un, le matin de très bonne heure, pour ne pas empêcher les pauvres gens de la campagne, de gagner leur pain, et en même temps pour leur donner la nourriture si nécessaire de la parole divine. Ce premier catéchisme était employé à expliquer avec clarté, simplicité et onction les commandements du Décalogue. Il durait environ une heure. Après le dîner, avant le grand sermon, on faisait un second catéchisme d'environ une demi-heure, dans lequel on parlait des défauts les plus ordinaires des confessions, et on enseignait le moyen de se réconcilier avec Dieu ou de participer plus parfaitement aux fruits de ce sacrement. Ensuite, le père Paul montait sur l'estrade pour faire le sermon. Il s'y préparait non seulement par l'étude, mais encore, et surtout par, l'oraison. Avant de mettre le pied sur l'estrade, il avait coutume de visiter le Saint-Sacrement et de réciter là, à genoux, avec une foi vive, le symbole de saint Athanase, afin, par ce moyen de raviver sa foi et de prêcher selon l'avis de saint Paul : «Sicut ex Deo, coram Deo, in Christo» (2Co 2). Monté en chaire, il donnait au peuple quelque avis pratique, selon la lumière qu'il recevait du Seigneur, ou selon les besoins de ses auditeurs. Au commencement de son sermon, il observait les règles de l'éloquence sacrée; mais, entré en matière, il suivait l'impulsion de la grâce et se laissait conduire par l'Esprit de Dieu dont il discernait les mouvements avec facilité. Aussi, bien souvent sans perdre de vue le sujet principal, il faisait des digressions, et les effets admirables qui en étaient la suite, montraient bien que l'Esprit-Saint lui-même le dirigeait. Au témoignage d'un missionnaire qui fut souvent son compagnon, et ce témoignage pourrait être confirmé par tous ses auditeurs, sa diction était toujours pleine de feu et d'efficacité. Il s'élevait avec une grande puissance contre les vices, sans flatterie, sans respect humain. Son visage, pendant qu'il prêchait, paraissait tout enflammé. Ses reproches jetaient la terreur et l'épouvante dans l'âme de ses auditeurs. C'est à ce point qu'un brigand lui a dit plusieurs fois : «Père Paul, quand je vous vois sur l'estrade; je tremble de la tête aux pieds». Un officier supérieur qui s'était confessé à lui, lui disait aussi: «Père j'ai assisté à de sanglantes batailles, je me suis trouvé sous le canon, et je n'ai pas tremblé; mais vous, vous me faites trembler des pieds à la tête». Il prenait un tout autre ton vers la fin du sermon. Son âme et ses paroles ne respiraient plus alors que douceur et tendresse; il dilatait tellement les cœurs par la confiance et par l'amour, que les plus endurcis en étaient attendris, et que, touchés de componction, ils versaient des larmes abondantes.

Après le sermon, il faisait la méditation sur la passion de Jésus-Christ, mais avec tant d'onction et de ferveur, avec tant d'amour et de compassion pour l'innocent Rédempteur, que tout l'auditoire, partageant ses sentiments, ne pouvait plus contenir ses pleurs. Tel était le don admirable qu'avait reçu ce saint missionnaire, pour faire connaître au monde l'amour crucifié. On pouvait donc dire que la prédiction du saint prophète Zacharie se vérifiait encore une fois : «In die illá magnus erit planctus in Jerusalem...et dicetur : quid sunt plagae istae in medio manuum tuarum»? (Za 12,2- 13,6). «En ce jour-là, Jérusalem retentira de gémissements... et l'on dira: Que signifient ces plaies au milieu de vos mains?

Notre Bienheureux savait les grands avantages que procurent les oratoires de pénitence, en disposant les hommes à faire de bonnes et saintes confessions. C'est pourquoi il les faisait réunir dans quelque église, le soir, une demi-heure environ après l'Ave Maria. Là, un des missionnaires leur pro posait de la manière la plus convaincante les motifs de pénitence. Puis, les lumières étaient éteintes, et chacun avait la liberté d'offrir à Dieu un sacrifice de mortification pour l'expiation de ses péchés. Paul défendait rigoureusement qu'aucune femme n'approchât même de la porte de l'église; il voulait que pendant ce temps toutes restassent à la maison et priassent le Seigneur pour la conversion des pécheurs, en récitant cinq Pater et cinq Ave. La même chose se répétait cinq ou six fois dans le cours de la mission. Il faisait aussi sonner les cloches de toutes les paroisses, chaque soir, une heure après le coucher du soleil, pour engager tout le monde à prier la divine Miséricorde en faveur des pauvres pécheurs, et à dire cinq Pater et cinq Ave à cette fin en l'honneur des plaies sacrées de Jésus-Christ. On les sonnait d'une manière lugubre, afin d'avertir les pécheurs eux-mêmes qu'ils étaient morts devant Dieu et à la grâce. Mais, parce que de la sainteté et du bon exemple du clergé dépend d'ordinaire la sanctification des peuples, il faisait donner les exercices spirituels aux ecclésiastiques dans un lieu séparé et convenable. On les exhortait vivement à répondre à la sublimité de leur vocation. Cet office était ordinairement réservé au père Jean-Baptiste, son frère, qui s'en acquittait avec un grand fond de doctrine et de sagesse et avec un zèle admirable. Paul voulait que le reste du temps fût employé à entendre les confessions. Il y avait des heures pour les hommes et d'autres pour les femmes, le tout sagement distribué.

Mais bien que le serviteur de Dieu multipliât les exercices et les pratiques, il ne faut pas croire qu'il ait négligé, dans sa méthode de mission, de prescrire cette discrétion si nécessaire pour conduire à bonne fin une entreprise quelconque, et particulièrement celles qui exigent de la fatigue. Il est vrai que, dans les premières années, il confessait même pendant la journée, avant le sermon; mais depuis, les forces commençant à lui manquer, il dut se modérer sur ce point. Il employait donc la matinée à entendre les confessions, il commençait de très bonne heure, et terminait vers midi. Il s'y remettait le soir, quand il pouvait, le sermon fini, après avoir pris quelques moments de repos, ou pour mieux dire, après s'être recueilli quelque temps pour recommander à Dieu le succès de la prédication.

Tout le temps qui lui restait ensuite, il l'employait à donner audience à tous ceux qui recouraient à lui pour leurs besoins spirituels. Ces audiences le fatiguaient beaucoup, ce qui lui fit dire à son compagnon, qui depuis fut son confesseur: «Si je pouvais faire comme un certain missionnaire qui ne donnait audience qu'au confessionnal, il me semble que le reste ne serait qu'un jeu; mais il faut entendre ceux qui viennent: je sens que je ne puis m'y refuser». Le vénérable père n'exigeait pas non plus de ses enfants les travaux et les pénitences extrêmes qu'il s'imposait à lui-même, surtout dans les premiers temps. Il voulait, au contraire, qu'on usât des adoucissements marqués par le pape et qu'on suivit l'avis donné par Jésus-Christ à ses Apôtres : «Manducate quae apponuntur vobis». «Mangez ce qu'on vous présentera». (Lc 10,8). II ne permettait à cet égard aucune singularité, mais il exigeait que chacun se conformât à la pratique commune. Un jour, le père Marc-Aurèle du Saint-Sacrement lui ayant demandé ce qu'il ferait, si quelqu'un des nôtres voulait faire maigre en temps de mission, comme faisait un certain missionnaire de grande vertu et de grand renom : «Je lui interdirais les missions, répondit Paul, attendu que la règle est claire là-dessus; si les autres le font, leur règle ne leur prescrit rien à ce sujet, mais la notre, bien». Il ajouta: «En se réglant sur les prescriptions de la règle, on conserve l'humilité et la santé; dans le cas contraire, on risque de perdre l'une et l'autre». Aussi avait-il coutume de recommander à ceux qu'il envoyait en mission de prendre la réfection nécessaire. «Si le Seigneur, leur disait-il, trouvait bon de vous communiquer une force extraordinaire, vous resteriez plusieurs jours sans manger; mais puisqu'il ne vous fait pas cette grâce, il faut vous gouverner d'après la prudence, car les fatigues sont grandes». Il répétait assez souvent cette parole: «Honestavit illum in laboribus, et puis le Seigneur complevit labores illius », c'est-à-dire qu'il faut commencer par se rendre capable de travailler et qu'ensuite le Seigneur bénira notre travail. Pour lui, il prenait toujours peu d'aliments, même en mission, et au bout de quelques jours, la fatigue lui ôtait même tout à fait l'appétit, si bien qu'il ne mangeait plus qu'avec répugnance et effort. C'est ainsi qu'il croissait à tous égards en mérites et en perfection.

Les missions duraient un temps convenable. Paul en déterminait la durée avec cette prudence qui sait discerner les besoins des peuples et le profit qu'ils retirent des exercices. Dès qu'elles étaient terminées, il partait aussitôt; mais il emportait avec lui une ardeur toujours égale pour le bien des âmes qu'il avait aidées dans le chemin de la perfection, et le Seigneur fit plusieurs fois des prodiges en faveur de ce zèle. Il avait terminé sa mission à Piombino par la bénédiction papale; il s'était ensuite embarqué au port, à la vue de tout le peuple, de plusieurs personnages distingués et en particulier du docteur Gherardini qui l'accompagnait avec d'autres; déjà l'embarcation, favorisée par le temps, était hors de vue, lorsque ce même Gherardini étant rentré immédiatement dans la ville, et se rendant chez un gentilhomme pour traiter d'affaires, voit sortir d'une chambre le père Paul. Étonné et comme hors de lui-même à cette vue, Gherardini voulut s'assurer de la vision : «Comment, père Paul, lui dit-il, c'est vous? Je vous ai accompagné au port, je vous ai vu partir au loin en mer, et maintenant je vous trouve ici»? «Silence, seigneur Gherardini, répondit le libre Paul, ne dites rien». Il ajouta qu'il était venu là miraculeusement pour un acte, de charité dont quelqu'un avait besoin.

   

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