CHAPITRE 4.

PAUL RENONCE A UNE ALLIANCE HONORABLE, A L'HÉRITAGE
QUI LUI EST LAISSÉ PAR SON ONCLE, ET A D'AUTRES AVANTAGES
QUI LUI SONT OFFERTS.

Paul s'appliquait de la sorte à se détacher chaque jour davantage des choses de la terre, pour mieux s'unir à Dieu. Cependant un de ses oncles qui était prêtre, désirant lui ménager une alliance honorable, avait tout disposé, à son insu, pour le marier à une jeune personne douée des plus belles qualités. Il ne s'agissait plus pour Paul que de voir la personne dont on avait fait choix pour lui, et de ratifier ce choix par son consentement. A la première ouverture, le saint jeune homme qui nourrissait des pensées bien différentes et qui voulait à tout prix garder la virginité, refusa d'obtempérer aux ordres de son oncle; mais celui-ci, se prévalant, un peu trop peut-être, de l'ascendant qu'il avait sur l'esprit de son neveu, insista avec force pour le faire entrer dans ses vues; les autres membres de la famille joignirent leurs instances aux siennes, dans l'espoir qu'une alliance avantageuse les relèverait de l'état de gêne où ils étaient tombés. Pressé de toutes parts, et ne sachant comment se tirer d'affaire, Paul n'eut d'autre ressource que de recourir à Dieu, qui sait, quand il lui plaît, nous dégager des épreuves les plus critiques. Malgré sa répugnance, il ne put se dispenser d'aller avec son oncle au lieu où demeurait sa future. Son oncle voulait qu'il y conclût le mariage. Alors on vit se renouveler le bel exemple donné jadis par saint François de Sales dans une conjoncture également embarrassante et délicate : notre saint jeune homme ne leva pas même les yeux pour voir la personne. Mais comme son oncle s'obstinait dans son projet, Paul, de retour dans sa famille, adressa les plus ferventes prières à Dieu, afin de sortir victorieux d'un si grand péril. La divine Bonté ne tarda pas à l'exaucer, mais d'une manière tout à fait inattendue pour Paul. En effet, peu de temps après, son oncle tomba malade et mourut; ainsi fut-il délivré de ses importunités. Il est bien vrai que ce même oncle, pour faciliter la réussite de cette affaire, le laissa héritier de tous ses biens ; mais Paul, qui regardait tous les biens de la terre comme de la poussière, en comparaison du trésor de la pureté et de la virginité, renonça généreusement à la succession de son oncle en présence du vicaire Forain, et ne se réserva autre chose qu'un bréviaire pour réciter l'office divin. Se tournant en ce moment vers le crucifix, il dit avec ferveur en versant des larmes : «Mon Seigneur Jésus-Christ crucifié, je proteste que je ne veux rien de cet héritage, sinon ce bréviaire; car vous me suffisez seul, vous, mon Dieu et mon bien»! Les exécuteurs testamentaires voulaient le rhabiller à neuf pour remplir les intentions du testateur qui l'avait ainsi ordonné, et déjà ils étaient au moment d'acheter une étoffe convenable ; mais Paul s'y opposa et se contenta de recevoir par charité un vêtement d'étoffe grossière, qui suffisait pour le couvrir décemment. Mais plus il se négligea lui-même, par amour de la sainte pauvreté, plus il songea aux pauvres qu'il aimait tant. Sa foi vive lui montrant en eux la personne même de Jésus-Christ, souvent il leur faisait l'aumône, à genoux, avec une grande humilité.

Pendant que Paul s'avançait ainsi dans la vie spirituelle, tout occupé de saintes pratiques qui l'unissaient de plus en plus à Dieu, il apprit que la République de Venise levait une armée considérable contre les Turcs. A cette nouvelle, il sentit s'allumer en lui le désir de combattre les ennemis de la Foi, et dans l'ardeur de son zèle, il alla s'enrôler en qualité de volontaire. Mais Dieu ne demande pas de chacun tout ce qui est bien. Sa providence avait destiné Paul à combattre dans une autre milice contre les vices et le péché. Un jour donc qu'ayant endossé l'habit militaire, il faisait oraison devant le Saint-Sacrement, exposé pour les prières des quarante heures, le Seigneur lui fit entendre par une inspiration claire qu'il l'appelait ailleurs. En conséquence, il quitta l'armée et s'en retourna chez lui. En passant dans un village du Piémont, appelé Novello, il reçut l'hospitalité chez deux excellentes personnes, mari et femme, qui, épris des belles qualités et des rares vertus de leur hôte, conçurent tant d'estime et d'affection pour lui, qu'à défaut d'enfant, ils songeaient à le faire héritier de toute leur fortune. Mais Paul, qui ne se souciait pas des richesses de la terre, renonça volontiers à tout pour vivre plus librement à Jésus-Christ; et de retour dans sa famille, il y continua cette vie si austère, dont nous avons parlé plus haut.   

Pour se soutenir dans un tel genre de vie, Paul allait puiser de la force dans le fréquent usage des sacrements, surtout dans la communion. Une communion lui servait de préparation à une autre plus fervente, et laissait dans son âme innocente un vif désir de s'unir bientôt à Jésus dans l'Eucharistie. De là vient qu'il put dire dans la suite à son confesseur: «Dans ces premières années, le Seigneur m'avait donné faim de deux choses : de la sainte communion et des souffrances».

Jusqu'ici nous avons toujours vu Paul occupé d'œuvres de piété et d'autres exercices étrangers aux lettres et à l'étude. Il ne faut pas croire pourtant qu'il ait passé sa jeunesse sans s'appliquer à cultiver son esprit. Il avait reçu de Dieu une intelligence vaste, d'une grande pénétration, et susceptible d'acquérir toutes les sciences. Étant encore enfant, son père l'envoya dans un lieu nommé Crémolino qui était peu distant de sa patrie. Là, sous la direction de l'instituteur de l'endroit, il fit autant de progrès qu'on pouvait en attendre de son âge et de cette école. Depuis, il continua toujours à étudier et à réfléchir sérieusement, et grâces à la sérénité d'un esprit, à la paix d'un cœur exempt du tumulte des passions, il acquit cette manière heureuse de s'énoncer avec netteté, avec charme, en un mot, avec cette éloquence naturelle et persuasive qui accompagnait tous ses discours.

   

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