3-Le siècle de Frédéric Ozanam

1-La restauration

– La Première Restauration et les Cent-Jours : 1814-1815.

– Le règne de Charles X (1824-1830).

2-La monarchie de Juillet (1830-1848)

– Du ministère Thiers au ministère Guizot.

– Abdication de Louis-Philippe (24 février 1848)

1-La Restauration

1-1-La Première Restauration et les Cent-Jours 1814-1815

6 avril 1814

Abdication de Napoléon 1er à Fontainebleau.

Le Sénat appelle au trône Louis Stanislas Xavier, frère de Louis XVI, pour devenir Louis XVIII .

4 juin 1814

Une "Charte Constitutionnelle" est promulguée. C’est un compromis entre l'Ancien Régime et les acquis de la Révolution et de l'Empire. Ce nouveau régime politique veut s'inspirer du régime anglais:

– Pouvoir législatif appartenant à deux Chambres: la Chambre des Pairs et la Chambre des Députés. Les lois seront adoptées par les 2 Assemblées. Le budget devra d’abord être présenté aux députés.

La Chambre des députés est dominée par les grands propiétaires fonciers aristocrates (il faut payer 300 F d'impôts directs pour pouvoir voter).

– Pouvoir exécutif: le roi nomme les ministres responsables, et a l'initiative des lois et de la dissolution de l’Assemblée. En cas de nécessité, l'article 14 permet au gouvernement de légiférer par ordonnances.

Le catholicisme est religion d'État. Ce nouveau régime, qui favorise les émigrés et l'Église, provoque le mécontentement de l'opinion.

1er mars 1815 Les Cent jours

Napoléon a quitté l’Ile d’Elbe; son retour en France est triomphal.

18 juin 1815

Waterloo. Napoléon abdique quelques jours plus tard (22 juin)

8 juillet 1815

Louis XVIII, qui s'était réfugié à Gand, est de retour à Paris. 

14-22 août 1815

Election de la "Chambre Introuvable"

1-2-La Seconde Restauration

1815-1830

1-2-1-Première période: 1815-1824

Louis XVIII et les trois courants

Trois grands courants dominent la scène politique:

– les ultras, partisans de l'Ancien Régime.

– les Constitutionnels, partisans de la Charte (Decazes, Cousin, Guizot etc), veulent conjuguer royauté et libertés.

– les libéraux, bonapartistes et héritiers de la Révolution rejettent l'Ancien Régime. Leurs théoriciens sont Benjamin Constant, Daunou et de Tracy. Ils demandent un gouvernement représentatif bourgeois.

Il existe d’autres courants politiques, minoritaires:

– les Bonapartistes, vétérans des guerres impériales réduits à la demi-solde, et une partie de la bourgeoisie qui doit la consolidation de son pouvoir à Napoléon. 

– Les Républicains, peu nombreux, qui se disent patriotes et se retrouvent dans des sociétés secrètes où la police a ses indicateurs.

1-2-2-Quelques grandes dates

24 septembre 1815: Premier Ministère Richelieu.

"Richelieu n'aime pas la Révolution, a horreur de Bonaparte, craint la liberté de la presse (...) mais il a des qualités de bon sens et de modération, et surtout des qualités morales..."[1] Il veut une politique modérée, s'appuyant sur le parti constitutionnel. 

5 septembre 1816: La dissolution de la Chambre Introuvable satisfait Richelieu. Une nouvelle Chambre est élue: sur 238 députés élus il n’y a plus que 90 ultras. 

Février 1817

La Loi électorale Lainé loi favorise la bourgeoisie urbaine.

Mars 1818

Loi Gouvion-Saint Cyr organise le recrutement militaire.

Octobre 1818  

Après le Congrès d'Aix-la-Chapelle, un accord décide le retrait des troupes étrangères du territoire français.

29 décembre 1818: Minitère Decazes

Le ministère de Decazes est modéré, et se veut ministère d'union.

L'influence des libéraux se fait plus grande à la Chambre, ce qui inquiète les ultras, lesquels aimeraient se débarrasser de Decazes partisan d'une monarchie tempérée.

13 février 1820 Assassinat du duc de Berry et chute de Decazes.

21 février 1820-14 décembre 1821: Deuxième Ministère Richelieu et dernier gouvernement modéré. Richelieu s'entoure de royalistes constitutionnels. Une nouvelle loi électorale avantage les ruraux, par conséquent les ultras.

Novembre 1820

Aux élections partielles à la Chambre, les ultras remportent des sièges. Cette poussée ultra va contraindre Richelieu à la démission: les libéraux n'avaient plus que 80 représentants sur 430 membres.

14 décembre 1821-janvier 1828  Ministère Villèle et retour des ultras

Louis XVIII n'a plus aucun pouvoir. Il laisse Villèle mener une politique ultra. Celui-ci cherche à s'assurer d'une majorité à la Chambre. La "Chambre retrouvée" de 1824 dépasse ses espérances.

Avril 1823

Début de l'intervention française en Espagne : la France soutient Ferdinand VII contre les Libéraux espagnols.

1824 Mort de Louis XVIII

1-3-le règne de Charles X (1824-1830)

26 février-6 mars 1824

Élection de la "Chambre retrouvée": 19 opposants libéraux sur 430 membres. Les ultras au pouvoir musèlent toute opposition: les cours d'histoire de Guizot et celui de philosophie de Cousin sont supprimés, l’École de médecine et l’École de Droit sont placées sous surveillance, le corps professoral est épuré.

Mgr Frayssinous, grand-maître de l'Université, place le plus grand nombre possible d'ecclésiastiques dans les collèges, et on multiplie les écoles religieuses. Mais certaines lois, jugées réactionnaires, notamment celle du "milliard" des émigrés (en dédommagement de la vente des biens nationaux, 700 000 francs seront versés aux anciens propriétaires) exaspèrent les mécontentements et l’opposition s’en trouve même renforcée.

Novembre 1827

5 novembre: dissolution de la Chambre et nouvelles élections. Les libéraux obtiennent 250 sièges contre 200 pour les ultras. Mais à Lyon la misère est telle que les canuts se révoltent.

Janvier 1828-août 1829 Ministère Martignac

Martignac fit voter deux ordonnances dont une loi sur la presse (24 juin 1828, plus libérale) et sur l'école qui exclut les jésuites des collèges (juin 1828). Pourtant les libéraux trouvent la politique Martignac trop timorée... Martignac est remplacé.

Août 1829-juillet 1830  Ministère Polignac.

Les ultras reviennent au pouvoir. Ce gouvernement est attaqué par la presse libérale, et le 16 mars 1830 la Chambre demande au roi l'instauration d'un régime parlementaire. Charles X refuse et renvoie la Chambre. Les élections de juillet 1830 sont favorables à l'opposition.

Juillet 1830, ce sont les Trois Glorieuses et la chute de Charles X

2-La Monarchie de Juillet (1830-1848)

2-1-D’août 1830 à mars 1831

Louis-Philippe est au pouvoir. La France entre dans une période d'instabilité politique. Le premier gouvernement veut poursuivre les réformes et aller aussi loin que possible. Ce courant représente la moyenne bourgeoisie.

Février 1831

Vague anticléricale. On saccage St-Germain-l'Auxerrois pendant la  célébration d’un office funèbre à la mémoire du duc de Berry. Le climat social est explosif. Les graves problèmes économiques ajoutés  au mécontentement populaire obligent Louis-Philippe à appeler Casimir Périer au gouvernement.

2-2-Du 18 mars 1831 à février 1848

2-2-1-Mars 1831-mars 1832: Ministère Périer

Août 1831

Intervention des Français en Belgique envahie par l'armée des Pays-Bas.

21-22 novembre 1831

Insurrection à Lyon des canuts. Périer rétablit l'ordre au moyen d'une armée de 20 000 hommes. Il y a eu à Lyon plus de 600 tués ou blessés.

26 mars 1832 :

Le choléra fait son apparition à Paris.:plus de 18000 morts dont 12733 en avril. Casimir Périer en meurt le 16 mai.

5 juin 1832 :

A l'occasion des obsèques du général Lamarque (mort du choléra), les Républicains provoquent une émeute. Plusieurs quartiers sont en état d'insurrection.

27-28 août  procès des saint-simoniens.

2-2-2-Octobre 1832-14 janvier 1836: Ministère de Broglie

Mars 1833: Début de la conquête d'Algérie.

28 juin 1833 :

Loi sur l'instruction primaire (Loi Guizot) dont le but est de moraliser les classes populaires qui, plus instruites ne songeront plus à se révolter.

Avril 1834

A Lyon nouvelles émeutes. L'armée intervient. 300 victimes de part et d'autre. A Paris, des barricades se forment. En province des troubles éclatent à Marseille, Clermont-Ferrand, Grenoble.

21 juin 1834 

Élections: écrasement de la "gauche"

Année 1835

"A partir de 1835 le régime va vivre ses plus belles années, au point d'apparaître même à ceux qui ne l'aiment pas comme installé pour l'éternité." (François Furet - La Révolution t II p.165 Hachette - coll Pluriel).Mais, en réalité, le temps des complots n’est pas loin:

– 12-13 mai 1835, insurrection et emprisonnement de Barbès.

– 28 juillet 1835, attentat contre Louis-Philippe. L'attentat fait 18 victimes. Le pouvoir se sent à la merci de n'importe quelle bombe, républicaine, légitimiste ou bonapartiste.

Le 28 juin 1835, Abd el-Kader attaque avec succès les troupes françaises dans le défilé de la Macta.

2-2-3-Du ministère Thiers au ministère Guizot

Février 1836-août 1836 Ministère Thiers de centre gauche

Thiers est membre du parti de la Résistance. Mais à la différence d'un Guizot ou d'un Molé qui souhaitent donner les coudées franches au roi, Thiers souhaite limiter les prérogatives du roi  ("le roi règne mais ne gouverne pas"). 

25 juin 1836

Nouvel attentat contre le roi. L'auteur, Alibaud sera condamné à mort et exécuté.

Août 1836

Thiers souhaite intervenir militairement en Espagne contre les Carlistes (ennemi des libéraux).

Louis-Philippe refuse d'intervenir. Thiers démissionne. D’août 1836  au 8 mars 1839, c’est le Ministère Molé qui laisse le roi gouverner.

6 novembre 1836  Mort de Charles X à Goritz

27 décembre 1836   

Nouvel attentat contre Louis-Philippe.

Avril 1837

La bonne situation économique encourage l'Etat à réaliser des travaux d'intérêt général: routes et canaux. Le 24 août 1837, c’est  l’inauguration de la ligne de chemin de fer Paris-St Germain.

Pendant ce temps les interventions extérieures continuent: le 13 octobre 1837, prise de Constantine par le général Valée, et en novembre 1838 la France  envoie une escadre au Mexique.

2 mars 1839

Elections législatives. Les candidats gouvernementaux sont minoritaires. Pour la première fois, le chef de gouvernement est choisi par le parti majoritaire à la Chambre, en l'occurence Thiers.

Avril-mai 1839

Nouvelles émeutes républicaines à Paris.

12 mai 1839 - 20 février 1840  Ministère Soult

Louis-Philippe forme un gouvernement énergique pour tenir la rue.

Insurrection de la Société des Saisons (Blanqui, Barbès).

1er mars 1840 - 18 octobre 1840  Nouveau Ministère Thiers.

Tensions en Orient. Traité de Londres sans la France sur la question d'Egypte. La France va t-elle entrer en guerre contre des puissances européennes pour sauver son influence en Méditerranée ? Thiers, qui désire la guerre contre l'Angleterre, doit quitter le pouvoir.

Septembre 1840

Rassemblement d'ouvriers grévistes à Paris.

15 octobre 1840

Nouvel attentat contre le roi Louis-Philippe.

2-2-4-Du 26 octobre 1840 au 23 février 1848

Ministère Guizot

Le nouveau gouvernement inspire confiance. C'est un gouvernement bourgeois par excellence. Cet ancien professeur d'histoire à la Sorbonne, Nîmois calviniste, veut le progrès dans l'ordre. Sa politique est très favorable à la bourgeoisie possédante et aux grands intérêts privés. Guizot ne veut pas modifier le système électoral. Celui-ci reste donc favorable à une petite élite sociale. Louis-Philippe s'entend bien avec lui: "C'est ma bouche!" dira t-il de son chef de gouvernement. L'opposition le juge oppressif, démodé, conformiste. Ce mouvement d'opposition gagne progressivement la société: Musset, Hugo, Dumas, Delacroix, Courbet, Daumier, Michelet, Saint-Simon, Fourier sont les animateurs de cette résistance à Guizot.

15 décembre 1840

Retour des cendres de Napoléon aux Invalides.

12 mars 1841

Vote de la première loi sociale par la Chambre sur le travail des enfants.

15 juillet 1841   

Règlement de la question d'Égypte

Septembre 1842

Ledru-Rollin, chef du parti radical, défend avec Lamartine, le suffrage universel.

18 mai 1843 

Prise de la smala d'Abd-el-Kader.

27 janvier 1844   

A la Chambre des Pairs, Montalembert se bat pour la liberté de l'enseignement.

Mai-août 1844  

Tensions très vives avec l'Angleterre (affaire Pritchard).

Juillet 1845   

Dispersion des jésuites en France.

23 octobre 1847   

Reddition d'Abd-El-Kader.

22 février 1848  

Nouvelles manifestations populaires à Paris. 23 février 1848, Guizot doit démissionner. 

2-3-Abdication de Louis-Philippe

24 février 1848   

Abdication de Louis-Philippe.

3-Les contemporains d’Ozanam

3-1-Comment ils jugent Ozanam

Auguste Cochin (1823-1872), homme politique

"Ce n'était pas seulement l'amitié ni l'admiration, c'était un enthousiasme. Il n'y avait pas seulement dans cet homme des vertus, il y avait un charme... Il n'exerçait pas seulement son action sur ses amis mais également sur des protestants comme Guizot, des philosophes comme Cousin et Villemain, de complets incrédules comme Fauriel, Renan, Havet. C'était, sans doute, sa surhumaine bonté qui les courbait tous devant sa foi...Ozanam était un être inspiré."

Alphonse de Lamartine (1790-1869), poète et homme politique

"Il ressemblait, par la physionomie, par l'âme, par la sérénité du regard, par le timbre monotone, affectueux de sa voix, à un brahme chrétien venu des Indes pour prêcher l'évangile de la science calme, de la contemplation mystique et de l'adoration extatique à notre monde de discorde et de contention. Il croyait, comme nous, que la Vérité était à plus forte dose dans le cœur que dans l'esprit... Son orthodoxie parfaite pour lui-même était une charité d'esprit parfaite aussi pour les autres... Sa tolérance n'était pas une concession, c'était un respect."

Léonce Curnier (1813-1894)

Le fondateur de la première Conférence à Nîmes (1834), déclare:  "J'ai vu de près cette nature d'élite qu'on n’approchait pas sans devenir meilleur."

François Guizot (1787-1874), homme politique et historien

"Ozanam fut le modèle de l'homme de lettres chrétien."

Jean-Jacques Ampère (1800-1864) écrivain et historien, fils d'André-Marie Ampère (1775-1836), physicien

"Ceux qui n'ont pas entendu professer Ozanam ne connaissaient pas ce qu'il y avait de plus personnel dans son talent: préparations laborieuses, recherches opiniâtres dans les textes et science accumulée avec de grands efforts, et puis, improvisation brillante, parole entraînante et colorée, tel était l'enseignement d'Ozanam. Il est rare de réunir au même degré les deux mérites du professeur: le fond et la forme, le savoir et l'éloquence. Il préparait ses leçons comme un bénédictin et les prononçait comme un orateur."

Henri Lacordaire[2]  (1802-1861)

Restaurateur de l'ordre dominicain en France

"Vous fûtes le maître de beaucoup, le consolateur de tous... Le pauvre vous vit à son chevet, la tribune littéraire debout devant une génération, et la presse, cet autre instrument du bien et du mal, eut en votre personne un honnête et religieux artisan. Vous n'avez laissé de blessure à aucun, si ce n'est cette blessure qui guérit de la mort, parce que c'est la charité qui la fait."

Victor Pavie, président des Conférences d'Angers en 1883

"A cette distance de nous... la figure de nos devanciers revêt un prestige d'idéal qui les rehausse et les consacre. C'est Ozanam, électrique et vibrant!..." 

Mgr Marie-Dominique Sibour, archevêque de Paris de 1848 à 1857

"Comme père de la grande famille que l'Eglise m'a donnée, j'ai eu le coeur déchiré. Ma douleur a été comme celle d'un père qui perd son fils le plus tendrement chéri..." (tiré du Dossier de Presse réalisé par le Conseil National de la Société de St Vincent de Paul)

3-2-Ceux qui ont travaillé avec lui ou comme lui

3-2-1-Lamennais

Félicité, Robert de La Mennais ou Lamennais fut un ultramontain décidé à libérer l'Eglise du pouvoir temporel. Ennemi de l'Université, il exposa ses idées dans ses  Réflexions sur l'état de l'Eglise de France... en 1808. Prêtre en  1816, il devient célèbre en publiant son Essai sur l'indifférence en matière de religion (1817-1823). Son traité De la religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et social (1825) lui valut des poursuites.

En 1830, Lammenais fonda le journal l'Avenir et l'Agence générale pour la défense de la liberté religieuse. Sa propriété de La Chesnaye devint le lieu de rendez-vous de la jeunesse libérale catholique (Lacordaire, Montalembert, etc.)

Les idées de Lammenais parurent trop d’avant-garde. Aussi, dans l'encyclique Mirari vos, en 1832, le pape Grégoire XVI les condamna-t-il. Au lieu de se soumettre momentanément comme tant de grands  esprits ont su le faire, Lamennais se révolta. Sa rupture avec l’Église, il la traduisit par son ouvrage Paroles d'un croyant, en 1834. Ce livre fut condamné par l'encyclique Singulari nos la même année. Lamennais versa alors dans un socialisme humanitaire, une philosophie mystique et démocratique (les Affaires de Rome, 1836-1837; le Livre du peuple, 1838 ; l'Esclavage moderne, 1839). Elu député en 1848, il rentra bientôt dans la retraite.

3-2-2-Henri Lacordaire

Fils d'un médecin rallié aux idées de 1789, Lacordaire étudie au lycée de Dijon (1812-1819) puis à l'École de droit (1819-1822). Au cours d'un stage d'avocat à Paris (1822-1824), il retrouve la foi chrétienne et entre au séminaire d'Issy (mai 1824), où il surprend ses supérieurs par sa franchise, sa liberté et son attention au monde. Après son ordination en 1827, il est nommé chapelain du monastère de la Visitation à Paris (1828), et, un an plus tard, on lui confie la charge de second aumônier du Lycée Henri IV.

Le tournant de 1830

De 1815 à 1830, la France est déchirée par des affrontements entre tenants de la Restauration et libéraux. Les premiers, à qui l'Église accorde son soutien, n'ayant «rien appris ni oublié» de tous les événements de la Révolution aspirent au retour à l'Ancien Régime; les autres se sont ralliés à la religion nouvelle des droits de l'homme, droits plus politiques que sociaux. Aussi, après les journées révolutionnaires de 1830, qui prennent parfois la forme d'une agitation anticléricale (sac de séminaires, d'églises), Lacordaire comprend la nécessité d'une réconciliation de l'Église avec le monde post-révolutionnaire.

Il crée alors une école libre (1831) et rejoint un groupe de catholiques réunis autour de Lamennais où il rencontre Gerbet, Salinis puis Montalembert. Ceux-ci fondent en 1830 l'Avenir, un quotidien qui défend les libertés religieuses d'enseignement, de presse, d'association et de suffrage. Dans le domaine de la politique extérieure, ils réclament la liberté des peuples, l'union de l'Europe et le désarmement général.

Mais ce nouveau courant, le catholicisme libéral, est désavoué par le Vatican qui publie, le 15 août 1832, Mirari Vos. Cette encyclique qui condamne explicitement les thèses de l'Avenir. Lacordaire s'y soumet, sans renoncer pour autant au libéralisme, contrairement à Lamennais, qui, malheureusement, après de longues hésitations, se sépare de l'Église. (Lettre sur le Saint-Siège, 1837).

Le prédicateur de Notre-Dame

En décembre 1833, Lacordaire inaugure une série de conférences pour les étudiants du collège Stanislas. Son rapide succès lui ouvre la chaire de Notre-Dame, où il prêche les carêmes de 1835 et 1836 puis de 1843 à 1851. Il se rend également en province, dans les cathédrales de Metz, Bordeaux, Nancy, Grenoble, Lyon et Toulouse. L'amour de son temps et la rencontre avec Jésus-Christ sont les deux pôles de ses prédications qui suscitent un engouement considérable.

À une époque où l'utilité sociale du christianisme était conçue comme le contrôle de la moralité, où la grande affaire était le salut individuel, le prédicateur ouvre un nouvel horizon. Il écrira plus tard: «Ne dites pas: je veux me sauver. Dites-vous: je veux sauver le monde. C'est là le seul horizon de la charité». (Lettre à un jeune homme sur la vie chrétienne).

Restauration de l'ordre des Frères prêcheurs

Au cours d'un séjour à Rome (1836-1838) naît en lui le projet de restaurer en France l'ordre dominicain. Il revêt l'habit à Rome (1839), prenant le nom, en religion, de frère Henri-Dominique et prononce ses vœux le 12 avril 1840. Le Mémoire et la Vie de Saint Dominique qu'il écrit durant son noviciat lui rallient des disciples. Dès mai 1840, il regroupe à Sainte-Sabine des postulants, dont plusieurs buchéziens (mouvement animé par l'utopie d'un socialisme chrétien). En 1848, il devint député de Marseille à la Constituante, mais ne s'attarde guère à la politique, préférant se consacrer à la province dominicaine et à l'enseignement (fondation du tiers ordre enseignant et reprise du collège de Sorèze). En 1854, lorsqu'il achève son premier mandat de provincial, quatre-vingt-deux frères auront fait profession et cinq couvents seront érigés.

Lacordaire est élu à l'Académie française en 1860 puis rédige une autobiographie que Montalembert publiera après sa mort sous le titre Testament.

3-2-3-Sœur Rosalie

Quand Soeur Rosalie rencontra Frédéric Ozanam, elle était Fille de la Charité; elle avait 47 ans (1786-1856). Supérieure de sa petite communauté depuis une quinzaine d'années, elle était déjà renommée pour sa charité exemplaire. 

Jeanne-Marie Rendu, future Sœur Rosalie, est née le 9 septembre 1786 dans le pays de Gex (Ain). Ses parents sont des cultivateurs aisés. Armand de Melun, confident et biographe de la religieuse brossera de la jeune Jeanne-Marie le portrait suivant: "Vive, espiègle, toujours en mouvement, au regard spirituel et fin, à la malicieuse physionomie; capricieuse, volontaire, comme on l'est à cet âge, se dépêchant, disait-elle (plus tard) de faire toutes les méchancetés possibles afin de n'avoir plus de fautes à commettre dès qu'elle aurait atteint l'âge de raison; taquinant ses sœurs, aimant à jeter leurs poupées dans le jardin du voisin, plus occupée de papillons que de livres, n'étant au jeu ni la dernière ni la plus modérée ..." (d’après Armand de Melun cité dans les pièces du procès de béatification, Positio, Rome 193, p.3).

Le père de Jeanne décède à l'âge de 33 ans le 12 mai 1796 laissant à sa femme le soin de finir d'élever leurs quatre filles : Jeanne-Marie (née en 1786) future Sœur Rosalie, Marie-Claudine (née en 1788), Jeanne-Antoinette (née en 1793) et Jeanne-Françoise (née 1796) qui mourra quelques mois plus tard.

Jeanne-Marie quitte la demeure familiale dès l’âge de 13 ans. Son éducation est assurée par divers pensionnats de religieuses. Pendant quatre années (1799-1802) elle apprendra surtout les arts ménagers. Une note de l'enquête (Positio p.14) précise: "c'est plus tard ce genre d'éducation qu'elle donna elle-même aux filles de son quartier. A la fin de sa vie, elle écrivit elle-même à l'impératrice pour se plaindre de l'éducation, selon elle non adaptée, qu'on donnait dans les écoles publiques aux filles du peuple à Paris; elle craignait que cela puisse nuire à ces filles et les rendre malheureuses en leur donnant ce qui ne sert pas aux habitants des quartiers pauvres et démunis.” (Positio p. 5)

La jeune Jeanne-Marie se sentit appelée à la vie religieuse très tôt. "Une visite qu'elle fit avec sa mère à la supérieure de l'hôpital de Gex (une Fille de la Charité) ne fit que la confirmer dans sa résolution..." (Positio p.14) Jeanne-Marie entra au noviciat des Filles de la Charité le 25 mai 1802, au séminaire de la rue du Vieux-Colombier, dans une maison destinée à l'éducation des orphelines.

Après quelques mois, la petite Rendu (16-17 ans) est envoyée dans la communauté de la rue des Francs-Bourgeois-Saint-Marcel (1802), quartier St Médard, à la maison de secours. Elle instruit les enfants des milieux défavorisés. "Dans ses heures de loisir, pendant les vacances scolaires surtout, sœur Rosalie était invitée à visiter les pauvres. Elle portait dans ces visites des bons de pain et de viande, vêtements de lainage, secours de toutes sortes mais là aussi son âme compatissante et bienveillante, son doux regard, son visage souriant, faisait que sa visite était attendue et aimée.” (Positio p.23) Copyright Yahoo

4-Le catholicisme social

Initié par Frédéric Ozanam, le catholicisme social est l'application des principes moraux du catholicisme aux problèmes économiques et sociaux. Il est né en pleine révolution industrielle au XIXe siècle, d'une réaction humanitaire devant la misère ouvrière, alors que les théories économiques libérales déclaraient irrémédiables les conditions de vie des pauvres et prêchaient la résignation, et que les pouvoirs publics, sous prétexte de la liberté de l'industrie et du commerce, et en vertu du respect absolu de la propriété, proscrivaient les associations de travailleurs supprimées par la Révolution, et refusaient de réglementer les conditions de travail.    

4-1-Que faire pour atténuer les misères? Origine du catholicisme social

Sous la monarchie de Juillet, l'expansion industrielle et la  paupérisation qui s'ensuivit furent telles que la charité privée était devenue largement insuffisante. Devant l’ampleur du désastre, elle ne pouvait plus jouer qu’un rôle marginal. Qui savait qu’une femme qui travaillait douze heures par jour avait juste de quoi se nourrir, et encore? Qui savait que de très jeunes enfants, en France, à partir de sept ans, travaillaient, eux aussi douze heures par jours pour des salaires de misère?

La masse catholique semblait indifférente, car elle ne savait pas. Qui le lui apprendrait? Les évêques et le clergé semblaient très réservés car peu renseignés, ou peu curieux...

Cependant, entre 1830 et 1848, un courant catholique commença à se dessiner et dès 1833 Frédéric Ozanam créait les conférences de Saint-Vincent-de-Paul. Certains catholiques, dits «progressistes», souvent issus de la noblesse campagnarde, s'épouvantaient des progrès du machinisme industriel et de ses conséquences humaines. Ils prêchaient le retour à une société agricole. D'autres, issus de milieux bourgeois ou populaires, rêvaient à une sorte de socialisme chrétien. Ils eurent fort peu d'influence car, après la révolution de 1848, l'Église catholique française s'absorba dans des dissensions internes et des discussions politiques.

4-2-Évolution dans le temps. L’œuvre de Frédéric Ozanam continuera

Après Ozanam, l'importance de la question sociale resta, malheureusement, encore longtemps inaperçue. Mais après la guerre de 1870, et la Commune en 1871, les efforts de deux aristocrates, anciens officiers, Albert de Mun (1841-1914) et René de La Tour du Pin (1834-1924), réussirent à intéresser une minorité active.

Albert de Mun donna une nouvelle impulsion au mouvement du catholicisme social en fondant, en 1871, l'œuvre des cercles catholiques ouvriers qui associaient patrons et ouvriers dans des réunions, et s'occupaient d'instruction et d'assistance. Ainsi se répandit dans la bourgeoisie industrielle, redevenue catholique, le souci des intérêts ouvriers. Un patronat chrétien se constitua, très important dans le nord de la France. Des allocations familiales, véritable salaire familial, furent créées.

De son côté, René de La Tour du Pin souhaitait reconstituer les corporations qui avaient pendant longtemps protégé les travailleurs, mais que la Révolution avait supprimées: l’idée des futurs syndicats était en train de naître. Ces corporations professionnelles réuniraient patrons et ouvriers dans la gestion de leurs intérêts communs et limiteraient les droits de la propriété. Cette doctrine ne s'est pas développé, mais l'idée d'une entente entre le capital et le travail trouve ici son origine.

4-3-Les prolongements de l'action des laïcs

Le mouvement français a rayonné en établissant des liens avec les catholiques d'autres pays (Belgique, Allemagne, Italie). Après l'échec des Cercles, Albert de Mun participa activement aux débats parlementaires sur les syndicats, les accidents et la durée du travail. Le catholicisme social trouva, après la Première Guerre mondiale, un second souffle dans l'encadrement des jeunesses catholiques. En 1880, Albert de Mun  fonda l'ACJF (Action catholique de la jeunesse française).

4-4-Rerum Novarum

En 1891, le pape Léon XIII, dans un document solennel, l'encyclique Rerum novarum, exposa l'ensemble de la doctrine sociale de l'Église, approuvant officiellement les idées des catholiques sociaux: Ozanam, Lacordaire, Montalembert, etc...

Léon XIII condamnait la théorie marxiste de la lutte des classes, contraire à la fraternité religieuse des croyants et à la fraternité naturelle des hommes. Il demandait de respecter la propriété privée, garantie de l'indépendance réelle de l'homme dans la société; il préconisait l'institution de corporations et de syndicats chrétiens.


[1] La France des notables  t.1 par A. Jardin/A.-J. Tudesq (Seuil,1973 p.37)

[2] Voir ci-dessous, paragraphe 3-2-2

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