

Frédéric Ozanam assistait
régulièrement aux conférences de la Société des Bonnes Études
animées par Mr Bailly, un érudit qui recueillait les manuscrits de Saint
Vincent de Paul. Ces conférences étaient ouvertes à tous, mais la
présence d’orateurs athées n’était pas sans danger pour les étudiants
catholiques insuffisamment armés pour être capables de réfuter les
philosophies athées.
Ozanam consulta Mr Bailly
qui était depuis longtemps le confident de Sœur Rosalie, la Fille de la
charité, apôtre du XIIè arrondissement de Paris. Il fut décidé qu’Ozanam
n’abandonnerait pas la Conférence, mais, qu’à côté, serait créée une
œuvre de charité, car, disait-il: “La bénédiction du pauvre est celle
de Dieu; allons aux pauvres.”
La Conférence de Saint
Vincent de Paul était née. Les jeunes intéressés se réunirent, pour la
première fois, en mai 1833, sous la présidence de Mr Bailly: ce fut
l’acte de naissance des conférences de Saint Vincent de Paul. Les
fondateurs se nommaient: Bailly, Ozanam, Lallier, Le Taillandier,
Lamache, Devaux et Clavé.
Cette association
charitable de laïcs catholiques fut placée sous le patronage de saint
Vincent de Paul, car elle se destinait à la pratique des bonnes œuvres
et à la diffusion de la foi.
Les débuts furent
difficiles. Frédéric Ozanam écrivit plus tard: “La Société a
rencontré des défiances partout... Les plus estimables ont été
entraînées par la foule, et nous avons dû souffrir beaucoup de ceux
mêmes qui nous aimaient. Au reste, nous n’avons pas à nous plaindre
quand nous avons affaire à un monde où M. Lacordaire est anathématisé,
M. de Ravignan déclaré inintelligible et l’abbé Cœur, suspect.”
En 1861, le gouvernement
impérial la fit poursuivre, alors qu'elle avait été jusque-là entourée
de la bienveillance officielle, parce qu'une partie de ses membres avait
publiquement désapprouvé la politique de Napoléon III en Italie.
Depuis son adolescence,
Ozanam avait éprouvé de la compassion pour les pauvres et s’était
insurgé contre les excès du libéralisme économique. Devenu avocat puis
responsable d'une chaire d'histoire à la Sorbonne, cet intellectuel et
homme de foi s'impliqua totalement dans la société et l'Église de son
temps, marquant de son influence les milieux religieux, universitaires
et politiques.
Porte-parole des plus
déshérités, Ozanam dénonçait les inégalités sociales, tout en exhortant
la jeunesse chrétienne à soigner les2-2- plaies de la société par la
pratique de la charité. Car, pour lui, la foi n'a de sens que dans
l'action caritative apte à faire éclore les germes de sainteté logés en
chacun de nous. La création, par six amis, de la société
Saint-Vincent-de-Paul, avait pour véritable but la formation d’une
génération nouvelle “désireuse de faire évoluer les structures
sociales, et cela, en s'impliquant directement dans la pratique de la
charité.”
“Le premier moyen de
réaliser ce dessein, dira Ozanam, fut de nous rassembler toutes
les semaines, d'apprendre ainsi à nous connaître et à nous aimer, et de
faire vivre cette assemblée par la visite des pauvres à domicile”
Cette charité devait être à la fois matérielle et spirituelle car, pour
Ozanam, c'est le contact humain qui est le véritable antidote de la
solitude et de l'exclusion. Une Fille de la Charité, fille de Saint
Vincent de Paul, Sœur Rosalie Rendu, guidera et formera ces équipes
naissantes au service des plus pauvres.
Dans le règlement de la
conférence de St Vincent de Paul, chaque réunion commence par une prière
au Saint Esprit et à St Vincent de Paul, mais le but de la conférence
n'est pas moins d'entretenir la piété des membres que de soulager les
pauvres.
Frédéric Ozanam écrivait en
1838: "Cette pauvre Société a bien aussi ses tribulations. Elle en a
de la part de ses membres dont l'inexactitude la fait souvent languir;
elle en a de la part de ses chefs que leur devoir d'État ou leur inertie
personnelle rendent incapables de lui donner l'impulsion nécessaire...
Toutefois nous avons eu des consolations de plus d'un genre. Quatre
réunions joyeuses ont réuni cet hiver des membres de la Société autour
d'une table fraternelle, où les liens de la charité se sont resserrés,
tandis que se relâchaient ceux des bourses..." (Lettre à F. Lallier.
9 avril 1838)
Par ailleurs, Frédéric suit
attentivement le développement de la Société de St-Vincent de Paul et,
dès juillet 1839, il se réjouit de son développement:"L'accroissement
du nombre est vraiment merveilleux. Trois conférences nouvelles se sont
formées en quelques mois sur les paroisses de Saint-Séverin, de
Saint-Louis d'Antin et de Saint-Médard. Cette dernière est destinée aux
élèves de l'École Polytechnique et de l'École Normale qui y compte 18
membres, près du tiers de son personnel. Ajoute que c'est peut-être la
conférence la plus pieuse, et qu'ils ont demandé, comme une faveur, de
joindre, à la prière d'usage, une oraison spéciale pour la conversion de
leurs camarades...
Le nombre de nos frères
à Paris, est d'environ 450. Le même mouvement se fait dans les
provinces. Bordeaux s'organise, et plusieurs autres points commencent à
s'ébranler. On espère voir, l'an prochain, une vingtaine de Sociétés au
dehors. Alger même nous répond et, sous les auspices de son saint
Évêque, Mgr Dupuch (1808-1856)], une association s'y forme, dont Clavé
et plusieurs de nos anciens amis forment le noyau..." (Lettre du 9
juillet 1839 à Joseph Artaud)
Le 28 février 1841,
Ozanam évoque la Société de Saint-Vincent de Paul et du rôle qu'elle
doit jouer au coeur de la vie sociale:
"C'était une des quatre
assemblées annuelles de la Société de St Vincent de Paul. Nous étions là
six cents jeunes gens, autant qu'en pouvait contenir un vaste
amphithéâtre, rassemblés pour nous entretenir d'un peu de bien déjà
accompli, et de beaucoup de bien qui restait à faire. On nous a parlé
des deux mille frères que nous avons à Paris et dans les provinces: dans
tous les rangs, à tous les degrés de la hiérarchie sociale, mais
principalement dans cette classe intermédiaire qui, donnant la main aux
riches et la tendant aux pauvres, peut espérer de réconcilier ces
éternels ennemis.
On nous a énuméré les
quinze cents familles, secourues ici seulement, le pain de chaque jour
porté sous le toit de l'indigence, le bois assuré à tant de tristes
foyers. Et puis aussi, vingt enfants élevés gratuitement dans une
paternelle maison, un très grand nombre surveillés par un patronage
encourageant, placés en apprentissage dans des ateliers sûrs, réunis le
dimanche pour le service divin, le repas et les jeux de leur âge... On
ne disait pas cette communauté de croyance et d'oeuvres effaçant peu à
peu les anciennes divisions des partis politiques et préparant, pour un
prochain avenir, une génération nouvelle qui dans la science, les arts
et l'industrie, dans l'administration, l'université, la magistrature, le
barreau portera la résolution unanime de moraliser le pays et de devenir
elle-même meilleure pour rendre les autres plus heureux..."
Nous avons une autre lettre
très intéressante de Frédéric à son frère cadet Charles, qui entre dans
la Société de St-Vincent de Paul. Les conseils qu'il lui donne sont
toujours d'actualité:
"... La Société de saint
Vincent de Paul te prépare sans doute ces jouissances de pieuse
fraternité que j'y ai trouvées nombreuses et si douces. Il me semble, je
ne sais pourquoi, que je suis tout heureux et tout fier de t'y voir
entrer. C'est un lien de plus entre nous: cela nous rapproche en te
mettant pour ainsi dire plus à ma portée ; c'est un point sur lequel
nous serons toujours sûrs de nous entendre. Cependant ton extrême
jeunesse a besoin de certains ménagements: je pense bien par exemple
qu'on ne t'envoie pas seul visiter les familles pauvres. Il ne faudrait
pas non plus que le service des Militaires prît sur tes devoirs ou sur
le repos dont tu as besoin. Ces restrictions faites, tu dois porter un
joyeux dévouement à des oeuvres placées sous le patronage d'un si bon
saint et qui ont reçu de la Providence de si incroyables bénédictions.
Voici huit ans que se
forma la première Conférence à Paris: nous étions huit. Aujourd'hui nos
rangs comptent plus de deux mille jeunes gens. Nous envahissons toutes
les écoles, toutes les classes de la société, toutes les villes de
quelque importance. Trois nouvelles sections viennent de se former à
Besançon, Amiens et Douai..." (Lettre du 19 mai 1841 à Charles
Ozanam)
En septembre 1845
Ozanam rappelle à la Société de St-Vincent de Paul de Mexico, les
fondements de cette oeuvre de charité:
"...Notre premier objet
fut d'affermir la foi et de ranimer la charité dans la jeunesse
catholique, d'en resserrer les rangs par des amitiés édifiantes et
solides, et de former ainsi une génération nouvelle, capable de réparer,
s'il se peut, le mal que l'impiété a fait dans notre pays.
Le premier moyen de
réaliser ce dessein fut de nous rassembler toutes les semaines,
d'apprendre ainsi à nous connaître et à nous aimer; et afin de donner un
intérêt à nos assemblées, nous entreprîmes la visite des pauvres à
domicile: nous leur portâmes du pain, des secours temporels de plusieurs
genres, et surtout de bons livres et de bons conseils... Cette sociéé,
fondée il y a douze ans par huit jeunes gens très obscurs, compte
aujourd'hui près de dix mille membres, dans cent trente trois villes ;
et elle s'est établie en Angleterre, en Ecosse, en Irlande, en Belgique,
en Italie..." (Lettre du 19 septembre 1845)
Février 1851
A Paris, la Société de St
Vincent de Paul poursuit son essor :
"...Ici nous avons deux
grandes besognes: une organisation plus vigoureuse de la Société en
France, et son établissement en Allemagne. Les progrès ne sont que trop
rapides et toute notre peine est de les régler. A Paris les cinq
conférences du quartier latin viennent de se réunir pour soutenir en
commun plusieurs bonnes oeuvres, et elles ont eu l'heureuse idée
d'occuper la maison qui fut le berceau de notre association, place de
l'Estrapade n°11. On y a fait un cercle catholique, des Écoles, un
patronage. Il serait souhaitable que les conférences des autres
quartiers se réunissent de même: à mesure qu'on multiplie le nombre, il
faudrait aussi multiplier les liens..." (Lettre du 21 février 1851
au docteur Edouard Dufresne)
En novembre 1834, les
confrères sont plus de 100. Le 31 décembre 1834, trois rameaux se
détachent du tronc initial: la Conférence de Saint-Étienne-du-Mont,
pour aller constituer les conférences de Saint Sulpice, de
Saint-Philippe-du-Roule, et de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle.
Une conférence se crée également à Nîmes. Ozanam créa aussi deux
conférences à Lyon, fonda une bibliothèque, un cercle pour les soldats
et des cours du soir.
La société s'établit à
l'étranger à partir de 1842, en Europe et dans le monde entier.
Les conférences ne sont pas
que des œuvres charitables; ce sont aussi des œuvres religieuses placées
sous le contrôle de la hiérarchie. Bientôt elles seront composées de
personnes de tous les âges et de tous les milieux.
Qui aurait pu croire au
développement et au rayonnement de cette petite association (on parlait
alors de "société") fondée un soir d'avril 1833, 18 rue du
Petit-Bourbon-Saint-Sulpice (devenue la rue St Sulpice à Paris) par six
étudiants conduits par Frédéric Ozanam? Frédéric et ses cinq compagnons
voulaient oeuvrer ensemble pour approfondir l'évangile, servir les plus
pauvres par une charité de proximité, et contribuer, par l'engagement
dans la société, à plus de justice sociale.
La société de Saint-Vincent
de Paul compte aujourd’hui 45 000 conférences (communautés de base du
mouvement) dans 120 pays, réunissant près de 900 000 membres. Les
vincentiens s'attachent à la défense des droits de l'homme, à
l'évolution des institutions, afin de réconcilier justice et charité.
Soucieux de subvenir aux besoins essentiels, ils créent des garderies,
des centres de formation ou des foyers de transit pour familles en
difficulté, visitent les détenus, soutiennent les populations déplacées
ou accompagnent les chômeurs.
L’oeuvre des fondateurs se
poursuit...
Les “Conférences”, cellules
de base de la Société, appelées aussi “équipes” ou “fraternités”, sont
regroupées dans chaque pays en conseils supérieurs ou nationaux, et,
dans les villes importantes, en conseils particuliers ou locaux.
L'ensemble est dirigé par un Président Général élu et assisté par un
Conseil général, qui siège à Paris.
La mission première
assignée par les fondateurs aux membres des conférences était la visite
des pauvres à domicile. Mais depuis, les formes d'action charitable de
la Société se sont diversifiées: visite des détenus dans les prisons,
des malades dans les hôpitaux, aide aux réfugiés, aux sans-logis, aux
handicapés, aux vieillards, aux marginaux, aux pays en voie de
développement, aide internationale d'urgence.
La Société, uniquement
masculine à l'origine, a vu en 1856 la création d'une filiale féminine,
avec un Conseil général siégeant à Bologne en Italie. Les deux branches
ont fusionné en 1967.


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