Née
à Reims le 18 janvier 1742, Carmélite à Compiègne, martyrisée avec
ses compagnes,
à Paris, le 17 juillet 1794.
Dans le Bulletin
du diocèse de Reims, année 1873, nous avons raconté la noble
conduite du
clergé
rémois pendant la Révolution. Nous avons signalé les nombreuses
victimes qui souffrirent et moururent alors. L’ignorant, nous avons
omis un des faits les plus glorieux de cette époque, le martyre
d'une religieuse carmélite de Compiègne, née à Reims. Nous sommes
heureux de réparer aujourd'hui celle omission bien involontaire et
d'enrichir de cette page glorieuse les annales du diocèse, d’autant
plus que l'on parle de la canonisation des Carmélites et des deux
tourières qui furent mises à mort avec Marie-Anne Hannisset... Les
historiens
parlent presque tous de ce martyre avec plus ou moins de détails,
mais ne donnent pas les noms des victimes. C'est pour nous une
raison de signaler celui, peu ou pas connu, de la religieuse qui
honore tant la cité rémoise.
Sainte Thérèse, qui
avait tant désiré, dans son enfance, de répandre son sang pour
Jésus-Christ, vit seize de ses filles de France monter à l’échafaud,
à Paris, le 17 juillet 1794.
Lorsque, en 1792, l'on
chassa les religieuses carmélites de Compiègne, quatorze d'entre
elles et deux de leurs tourières restèrent dans la ville. Elles
choisirent des maisons qui leur servaient de cloître, virent peu de
personnes du monde, mais se visitèrent entre elles, priant en commun
et ne cessant d'édifier par leurs vertus. Depuis un an elles
priaient pour les détenus de leur patrie, dit Bérault-Bercastel.
Accusées de
conspiration, elles furent arrêtées dans les premiers jours de mai
1794, transférées à Paris vers le milieu de juin et enfermées à la
Conciergerie.
La mère Prieure Lidoine,
appelée en religion Thérèse de Saint-Augustin, avait été élevée dans
la maison de Saint-Denis avec sœur Louise de France, qui obtint pour
elle de la reine Marie Lecsinska la dot qui lui était nécessaire
pour entrer au couvent. Par reconnaissance, elle prit le nom de
cette religieuse, Thérèse de Saint-Augustin.
Dans, la prison de la
capitale, les Carmélites récitaient ensemble leur office, à deux
heures du matin. Mme
de Chamboran, religieuse carmélite de Saint-Denis, venait de
consommer son sacrifice sur l'échafaud ; la Prieure de Compiègne dit
à ses compagnes : « Mes filles, nous avons plus de sujet de nous en
réjouir que de nous en affliger. Ah ! si le Seigneur nous réservait
un sort aussi beau, souvenons-nous de ce que nous lisons dans notre
règle, que nous sommes en spectacle au monde et aux anges : il
serait en effet trop heureux qu'une épouse d'un Dieu crucifié ne sût
pas souffrir et mourir. »
Le 17 juillet, elles
furent appelées devant le tribunal révolutionnaire et accusées : 1°
d'avoir renfermé des armes dans leur monastère, pour les émigrés ;
2° d'exposer le Saint-Sacrement, les jours de fête, sous un pavillon
qui avait à peu prés la forme d'un manteau royal ; 3° d'avoir des
correspondances avec les émigrés et de leur faire passer de
l'argent.
La Prieure, pour
répondre au premier chef, montra le crucifix que les Carmélites
portent toujours sur elles, et dit au juge : Voilà les seules armes
que nous avions dans notre monastère ; il serait impossible d'en
montrer d'autres. »
Au second chef elle
répondit : Que le pavillon du Saint-Sacrement était un ancien
ornement de leur autel ; que sa forme n'avait rien qui ne fut commun
aux ornements de cette espèce ; qu'il n'avait aucun rapport avec le
projet de contre-révolution dans lequel on voulait les impliquer à
cause de ce pavillon ; qu'elle ne concevait pas qu'on voulut
sérieusement leur en faire un Crime. »
La Prieure répondit au
troisième chef ; « Si j'ai reçu quelques lettres de l'ancien
confesseur du couvent (prêtre déporté), elles sont des lettres
purement spirituelles. Quant à mes filles, elles n'ont reçu aucune
lettre : la règle le leur, leur défend formellement ; elles ne
peuvent même pas correspondre avec leurs parents sans permission.
S’il vous faut une victime, me voici ; frappez-moi, mais épargnez
mes filles : elles sont innocentes. »
« Elles sont les
complices », dit le président du tribunal.
La Sous-Prieure voulut
parler ; les juges refusèrent de l'entendre. La Prieure tenta alors
de sauver les deux tourières. « De quoi pouvez-vous les accuser ?
Elles ne pouvaient qu'obéir. »
« — Tais-toi, reprit le
président ; leur devoir était de prévenir la nation. »
Et les quatorze
religieuses, avec les deux tourières, furent condamnées à mort comme
royalistes et fanatiques. Ce dernier mot, alors synonyme de
chrétien, leur indiqua la véritable cause de leur mort et les
remplit de joie.
Un séculier, nommé
Mulot de la Ménardière, parent de l'une des religieuses, fut arrêté
avec les Carmélites, comme étant leur aumônier. En vain il prouva
qu'il était marié, que son épouse était détenue à Chantilly ; en
vain il appela en témoignage un de ses juges, frère du maire de
Compiègne, qui lui dit : « Je ne te connais pas. » Il fut donc
condamné et mis à mort comme prêtre réfractaire.
Après avoir pris
ensemble une dernière collation, les religieuses Carmélites
récitèrent l’office
des
morts, montèrent ensuite, vêtues de blanc, sur la charrette qui
devait les traîner à l’échafaud. Le plus profond silence régnait sur
leur passage, malgré la foule immense qui les environnait. Dans la
traversée de la prison au lieu du supplice, elles dirent les
prières des agonisants.
Arrivées sur la place
de la Barrière-du-Trône, elles chantèrent le Te Deum, et au
pied même de l'échafaud, elles récitèrent le Veni Creator,
qu'on leur laissa achever ; puis toutes ensemble, à haute voix,
elles renouvelèrent leurs vœux de religion. L’une d’elles ajouta :
« Mon Dieu, trop heureuse, si ce léger sacrifice peut apaiser votre
colère et diminuer le nombre des victimes ! » Chose remarquable et
remarquée, la Terreur cessa aussitôt après leur mort, observe
Bérault-Bercastel.
La Prieure, semblable à
la mère des Maccabées, demanda comme une d'être exécutée la
dernière.
La première appelée fut
la sœur Constance, novice. Elle se mit aux genoux de la mère
Prieure, demanda sa bénédiction et la permission de mourir et se
livra aux bourreaux. La même scène émouvante se répéta pour les
autres. Le peintre d’Leindre en a fait le sujet d'un magnifique
tableau.
Le procès de
béatification s’instruit à Paris pour ces religieuses, dont voici
les noms et les lieux de naissance :
Madeleine Claudine
Lidoine, sœur Marie Thérèse de Saint-Augustin, Prieure, Paris ; –
Marie Anne Françoise Brideau, sœur Saint-Louis, Belfort ; – Marie
Anne Piedcourt, sœur de Jésus Crucifié, Paris ; – Anne Marie
Madeleine Charlotte Thouret, sœur de la Résurrection, Mouy (Oise) ;
– Marie Claude Cyprienne Brard, sœur Euphrasie de l’Immaculée
Conception, Bourth (Eure) ; – Marie Françoise Gabrielle de Croissy,
sœur Henriette de Jésus, Paris ; –
Marie Anne Hannisset, sœur Thérèse du Cœur de Marie, REIMS ;
– Marie Gabrielle Trézel, sœur Thérèse de Saint-Ignace, Compiègne ;
– Rose Chrétien, sœur Julie Louise de Jésus, Loréau (Eure-et-Loire) ;
– Annette Pebras, sœur Marie Henriette de la Providence, Cajac
(Lot) ; – Marie Jeanne Meunier, sœur Constance, Saint-Denis ; –
Angélique Roussel, sœur Marie du Saint-Esprit, Fresne ; – Marie
Dufour, sœur Sainte-Marthe, Beaune ; – Élisabeth Julie Vérolot, sœur
Saint François-Xavier ; – Louise Catherine Soiron, tourière,
Compiègne ; – Thérèse Soiron, tourière, Compiègne.
Parmi ces nobles
victimes, nous l’avons déjà observé, se trouvait une religieuse du
nom de Marie Anne Hannisset, sur laquelle nous pouvons donner
quelques détails, grâce aux renseignements qui nous furent
gracieusement envoyés par la mère Prieure de Compiègne, qui possède
entre ses mains une lettre de M. l’abbé Bida, chanoine de Reims,
supérieur du Carmel de Reims pendant trente années.
« Sœur
Marie-Antoinette (appelée Anne par les historiens) Hannisset, née à
Rheims le 18 janvier 1742, du Cœur de Marie, a été envoyée à
Compiègne par Mgr Henri Hachette des Portes, évêque de Sydon,
suffragant de Rheims, depuis visiteur général des Carmélites de
France et évêque de Glandèves, mort à Bologne, en Italie, en 1799. »
(Lettre de M. Bida).
C'est sans doute M.
l'abbé Bida qui s’occupa de la vocation de Marie Anne Hannisset, car
dans la même lettre il nous apprend que Mme de Sainte-Agnès du
Saint-Sépulchre, de Charleville, à l'occasion de son ordination, lui
ayant donné un réliquaire, sœur Marie-Anne eut la complaisance de
tricoter une petite bourse violette, qu'il conservait à tous ces
titres ». Nous tâcherons de retrouver cette relique, si c'est
possible.
« Marie-Anne,
nous écrit la Prieure de Compiègne, entra au Carmel de Compiègne
le 10 janvier 1762, prit le saint habit le 15 juin de la même année,
et fit profession le 28 juin 1764. » Elle s’appelait en religion
sœur Thérèse du Cœur de Marie.
« Elle était d’une
rare prudence, d’une discrétion qui lui ont attiré plus d’une fois
des éloges des grands de la cour. Elle se distingua dans la place de
sous-dépositaire et de première tourière, au grand contentement des
personnes du dehors aussi bien que de ses supérieurs et de ses
compagnes, dont elle partagea la gloire le 17 juillet 1794. »
Une note inexacte,
déposée au dossier de cette religieuse, semble mettre en doute
qu’elle soit née dans notre ville. Son acte de baptême, que nous
donnons textuellement, avec l'orthographe, enlève absolument ce
doute.
L’an de grâce
1742, le dix-huitième jour de janvier, je soussigné Jean Le Bas,
prêtre, docteur en théologie, chappelain de cette paroisse, ay
baptisé la fille de Jean-Baptiste Hannisset, sellier, et de Jeanne
Audry, son épouse, de cette paroisse, la marraine, Marie-Jeanne
Hannisset, fille, qui ont signez.
Pierre Audry. – J.-B. Hannisset
Marie-Jeanne Hannisset. – Le Bas
– Paroisse
de Saint-Symphorien de Reims, registre de 1742.
(Archives
communales de Reims ?)
Cet acte qui ne laisse
aucun doute sur le lieu de naissance de Marie-Anne Hannisset,
carmélite de Compiègne, est confirmé par le suivant, relatif au
décès de son frère :
Décès
de Pierre Jean-Baptiste Hannisset, 1808, n° 307.– Cejourd’hui
treizième jour du mois de mars 1808, acte de décès du sieur Pierre
Jean-Baptiste Hannisset, décédé le jour d’hier à cinq heures du
soir, âgé de soixante et onze ans, ancien sellier, natif de Rheims,
demeurant rue Trudaine, fils des déffunts Jean-Baptiste Hannisset et
Jeanne Audry et époux de madame Anne-Marguerite Perrier, sur la
déclaration à moi faite par le sieur Pierre Louis Auguste Hannisset,
âgé de trente-trois ans, propriétaire demeurant à Epernay,
département de la Marne, et par le sieur Nicolas Jean-Marie
Hannisset, âgé de trente-sept ans, aubergiste, demeurant à Pierry,
même département, qui ont dit être tous deux fils du déffunt et on
signé après lecture faire.
Hannisset Hannisset
Fait et constaté par moi Charles Rémy Leleu, adjoint au maire
de la ville de Rheims, faisant les fonctions d’officier public de
l’état civil, par délégation de Monsieur le Maire de cette ville,
soussigné.
Leleu, adjoint
(Archives de l’état civil de Reims, année 1808)
Cette pièce a pour nous
une certaine importance, c'est pourquoi nous l’avons copiée en
entier. Elle nous fait connaître la famille de la religieuse
carmélite, et elle explique pourquoi, dans le dossier qui la
concerne, il y a un fragment de lettre avec ces mots : Ma chère
sœur, ce qui a fait supposer que la Carmélite avait une sœur, ce
dont nous n'avons pas trouvé la preuve dans les archives. Mais, pour
sûr, elle avait un frère, dont l’acte mortuaire accuse l'existence,
et qui a pu très bien lui écrire ; Ma chère sœur.
Ce Pierre
Jean-Baptiste Hannisset avait deux fils, comme le prouve cet acte
mortuaire. Nous chercherons ce qu'ils sont devenus : peut-être
retrouverons-nous quelque souvenir de la sœur. Un ouvrage historique
sur le martyre des religieuses de Compiègne affirme qu’« un parent
de sœur du Cœur-de-Marie, nommé Pierre Jean-Baptiste Hannisset,
sellier carrossier, demeurant à Rheims (rue Trudaine), seul et
unique héritier de la citoyenne Hannisset, ex-religieuse Carmélite,
condamnée, « avait fait une pétition pour obtenir que ce qui
avait appartenu à cette religieuse lui fut remis, et que l'on y a
fait droit. » (Lettre de la Prieure de Compiègne, du 7 juin
1897.)
Charles Cerf
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