LA VIE DE DOROTHÉE QUONIAM
Sœur Marie-Aimée de Jésus

 

par Paulette Leblanc

 

Sœur Marie-Aimée de Jésus
(1839-1874)

 

Dorothée Quoniam naquit le 14 janvier 1839 au Rozel, dans le Cotentin. Son père était jardinier-journalier et gagnait tout juste de quoi faire vivre sa famille. Il était profondément croyant, tout comme son épouse qui eut une très grande influence sur ses enfants. La vie était difficile: aussi, espérant des conditions de vie meilleures, la famille décida-t-elle, sur les instances du frère de Monsieur Quoniam, de s’installer à Paris. À l'âge de six ans, Dorothée fut confiée comme externe, aux Filles de la Charité de saint Vincent de Paul, de la paroisse saint Roch. Véritable apôtre, Dorothée parle de Jésus à ses petites camarades qui l'écoutent sans se lasser. Par ailleurs, malgré sa pauvreté, la petite fille donne déjà une partie de ses goûters à de plus pauvres qu'elle... Mais bientôt la misère devient extrême et la famille doit accepter l'aide d'amis charitables et de l'Assistance publique.

Toutes les aides accordées sont cependant insuffisantes pour nourrir la famille, et la maman épuisée, voit mourir, dès leur naissance, ses deux derniers petits bébés. Un frère aîné de Dorothée meurt ensuite, comme un saint. Puis la maman tombe malade. Dorothée n'a que neuf ans et demi quand elle doit quitter l'école pour prendre en main la maison et soigner sa mère. Enfin, le papa épuisé lui aussi doit être emmené à l'hôpital. Dorothée reste seule avec sa maman qui décède le 9 janvier 1850. Bientôt les derniers frères et sœurs de Dorothée meurent ainsi que le papa. Dorothée reste seule au monde. Le Seigneur avait tout pris à sa petite fiancée, Dorothée, qui n'avait que onze ans. La fillette fut recueillie dans un orphelinat des Filles de la Charité.

Dorothée semble avoir été comblée par Dieu, de grâces insignes, dès son jeune âge. En effet, la divinité de Jésus lui était apparue très tôt. Édith Stein raconte qu'à l'âge de quatre ans, Dorothée fut impressionnée par l'expression "le Très-Haut"  que sa maman venait de prononcer. L'enfant répétait ce mot inlassablement quand, brusquement, elle constata sa petitesse. Plus tard Dorothée racontera: "Soudain, l'Esprit de mon Bien-aimé m'éleva dans des hauteurs inaccessibles... jusqu'au Très-Haut, seul Dieu en Trois Personnes. L'Esprit-Saint, comme l'aigle maternel, me tenait, petit aiglon, dans les serres de sa charité, afin que je soutinsse les feux du Soleil de justice et que je restasse en présence du Père, dans  lequel m'apparaissait son Fils..." C'est à ce moment que Dorothée comprit qu'elle était destinée à devenir l'Épouse de Jésus.

La petite fiancée de Jésus ne cesse de prier pour obtenir la grâce de mourir d'amour, comme la Vierge Marie. Déjà elle discerne ce qui se passe dans le cœur des gens, et "un sentiment d'effroi l'avertit lorsqu'elle rencontre des personnes vivant dans le péché." Mais l'ennemi de Dieu veille et il visite Dorothée... Par des sévices corporels ou des visions nocturnes effrayantes, il veut l'amener à blasphémer Dieu. Enfin, le 8 septembre 1851, un grand bonheur attendait Dorothée: elle put enfin faire sa première communion.

Au catéchisme, et plus tard dans ses lectures, Dorothée apprit la sublimité du mystère de la sainte Trinité. De temps en temps le Seigneur se manifestait à elle sous une forme humaine, à un âge qui correspondait au sien. Quand elle eut dix-neuf ans, sa famille voulut la marier, mais elle savait qu'elle était faite pour le carmel. Et le Seigneur la préparait pour cela. Les deux orphelinats des Filles de la Charité, de Paris, durent fusionner, et l'on demanda à Dorothée de venir travailler dans la nouvelle maison afin d'apaiser les esprits qui avaient été très éprouvés lors de la dissolution générale des deux établissements précédents. Dorothée accepta et travailla sous la direction d'une jeune sœur, Louise Rousseille; mais la jeune sœur mourut au bout d'un an, et Dorothée dut mener seule à son achèvement, l'œuvre de réconciliation.

Bientôt Dorothée eut connaissance de la vie de Thérèse d'Avila. Comme Thérèse l'avait vécu auparavant, Dorothée craignit d'être la victime d'illusions, mais la rencontre d'un religieux venu prêcher une retraite à l'orphelinat, la délivra de toutes ses angoisses, et la confirma dans son appel pour le carmel. La tâche de Dorothée à l'orphelinat s'achevait; elle allait donc pouvoir, enfin, entrer au carmel. Mais elle dut attendre encore un peu en raison de sa mauvaise santé. Le 27 août 1959, à la date que le Seigneur lui avait révélée un an plus tôt, Dorothée était accueillie au carmel de l'avenue de Saxe, à Paris. Elle reçut le nom de Marie-Aimée de Jésus. Dorothée avait vingt ans.

La vie intime d'union de Dorothée avec son Seigneur bien-aimé se poursuivait, mais elle ne pouvait s'en ouvrir à personne jusqu'au jour où le Seigneur mit sur son chemin le Père Gamard, jésuite, confesseur extraordinaire du carmel. Ce religieux, comprenant la richesse des grâces que cette jeune religieuse recevait, l'assista fidèlement dans toutes ses épreuves.

Dorothée aimait la vie carmélitaine, et spécialement la vie de prière et son silence. Un jour, une de ses compagnes la vit debout dans sa cellule dont la porte était restée ouverte: Sœur Marie-Aimée semblait écouter attentivement quelque chose, ou quelqu'un. Plus tard, à la demande de la religieuse, Marie-Aimée mit par écrit ce qui lui avait été révélé: "Les douze degrés du silence[1]". Sa prise d'habit eut lieu le 15 février 1860. Elle put faire profession le 18 avril 1861. Pendant sa retraite préparatoire, le 10 avril 1861, Jésus lui montra la beauté de son âme, et, le matin de sa profession, Il l'enseigna sur la façon dont il désirait qu'elle L'aimât. Pendant qu'elle prononçait ses vœux, elle "vit" la Sainte Trinité; le Fils de Dieu se pencha sur elle et la reçut comme épouse. Pourtant les grandes épreuves de Dorothée se poursuivirent: maladies, nuits de l'esprit, et parfois, le sentiment d'être abandonnée de Dieu. Malgré cela, son union intime avec le Christ augmentait sans cesse. "La simple page du grand livre de la Miséricorde de Dieu", -c'est ainsi que Sœur Marie-Aimée de Jésus qualifiait sa vie-, continuait à s'écrire.

En 1863, Ernest Renan, célèbre écrivain athée, philosophe et historien, fit paraître sa "Vie de Jésus". Mère Sophie, la supérieure du carmel fit part à ses sœurs de l'influence particulièrement nocive de ce livre sur ses lecteurs. Profondément bouleversée par ce livre, la jeune carmélite, Sœur Marie-Aimée de Jésus, qui ne disposait pourtant d’aucune formation théologique, mais qui, depuis son enfance vivait en intime union avec Jésus-Christ, se sentit inspirée et comme poussée à écrire pour réfuter les affirmations de cet "Arius" des temps modernes: "Quoi! Je suis épouse, s'écrie-t-elle, et je garderais le silence! Je ne puis parler... eh bien, j'écrirai!" Ainsi naquit le livre intitulé: "Jésus-Christ est le Fils de Dieu".

Presque malgré elle, et curieusement inspirée: les phrases venant spontanément en elle, Marie-Aimée de Jésus se mit au travail. Elle s'en ouvrit au Père Gamard qui, d'abord inquiet car il savait que Marie-Aimée n'avait aucune formation théologique, lui donna la permission, à condition que personne, dans son carmel n'en sache rien. Le Père Gamard avait, par ailleurs, compris que Marie-Aimée était comme immergée dans une immense lumière, que sa main écrivait presque toute seule, et qu'il lui était matériellement impossible de brûler les feuilles qu'elle avait déjà écrites. Marie-Aimée n'eut, dès lors, plus un seul instant de repos. L'Esprit Saint venait sur elle dès qu'elle se mettait à écrire. Le Seigneur l'enseignait Lui-même et ne voulait pas qu'elle consultât le moindre ouvrage. Toutes les citations de l'Écriture, Ancien et Nouveau testaments, avec leurs références, se présentaient à elle aussitôt qu'elle en avait besoin. Il en était de même pour les citations des œuvres patristiques ou des saints.

Marie-Aimée ne fit aucun plan préalable; son ouvrage se déroulait comme hors d'elle-même. La structure ne se révéla que plus tard. Ainsi, furent successivement traités :
 

– Le Verbe éternel, le Verbe fait chair,

– La vie cachée de Jésus,

– L'activité publique de Jésus,

– La souffrance, la mort et la vie glorieuse de Jésus.
 

Autre chose remarquable: le Seigneur introduisit Marie-Aimée dans tous les mystères de sa vie terrestre pendant qu'elle rédigeait ce livre, lui faisant vivre tout ce qu'elle devait écrire.

Le 4 juillet 1865, le premier jet de l'ouvrage était achevé; le Père Gamard demanda alors de procéder à une remise en ordre de ce travail. Marie-Aimée se mit au travail, mais le Père renonça bientôt à cette demande; par contre, il insista pour qu'elle mette par écrit le récit des grâces que le Seigneur lui avait accordées. Le 15 octobre 1869, tout était terminé. Dorénavant Marie-Aimée n'écrira plus.

Le livre de Marie-Aimée de Jésus, "Jésus-Christ est le Fils de Dieu", réalisé à partir de l'Évangile et d'autres textes de l'Écriture, connut un succès assez considérable. Cette étude, véritable somme théologique, contient une doctrine sûre et des pensées profondes. Les autorités de l’Église approuvèrent ces écrits profonds et précis.

Pendant la guerre de 1870, Marie-Aimée de Jésus soutint ses sœurs par sa tranquille confiance et son inaltérable paix intérieure. À sa demande, son couvent fit un vœu afin d'obtenir la protection du Seigneur lors des nombreux bombardements que Paris eut à subir. Durant les dernières années de sa vie, de 1871 à 1874, malgré sa très faible santé, Marie-Aimée fut nommée Maîtresse des novices. Durant cet office, elle bénéficia de grâces tout à fait particulières pour mieux guider les âmes qui lui étaient confiées.

Les épreuves de Marie-Aimée n'étaient pas terminées. Tandis que son union à Dieu devenait de plus en plus profonde, les souffrances physiques et morales se multipliaient. Ainsi, des rumeurs contradictoires et calomnieuses, dont certains milieux ecclésiastiques se firent l'écho, se répandaient sur l'œuvre de la carmélite. Ces attaques furent telles que le nonce apostolique dut intervenir... Ces attaques contre Marie-Aimée de Jésus et ces épreuves durèrent jusqu'à la veille de sa mort, le 4 mai 1874.

De quoi mourut Marie-Aimée? D'une pleurésie, de tuberculose, ou d'une grippe? Peu importe: elle avait donné sa vie tout entière à son divin Époux qui la combla de ses grâces, grâces pas toujours bien comprises par nous, les chrétiens de tous les jours, surtout lorsque Jésus permet que l'âme qu'Il aime d'un amour de prédilection, ait l'impression d'être abandonnée de Lui. Ce qui est évident, par contre, c'est que, pendant sa dernière maladie et à deux reprises, les personnes qui la soignaient virent sa tête baignée d'une lumière éclatante tandis que son visage ressemblait à celui d'un petit enfant. Tout était accompli.

Dans la Préface de la 4e édition du livre consacré à la Vie de Jésus, Fils de Dieu, Mgr Chollet, archevêque de Cambrai écrivit en 1936: "Dieu  s'est penché sur Sœur Marie-Aimée; il lui a fait sentir ses touches divines, il lui a parlé au cœur et donné ses lumières; il a guidé et modéré sa sensibilité, formé son jugement; nous nous trouvons en face d'une âme que Dieu a favorisée de grâces de choix."


[1] Dont nous parlerons un peu plus loin.

    

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