Paulette Leblanc

LUCIE-CHRISTINE
1844-1908

SA VIE ET SA SPIRITUALITÉ

6
L'humanité de Jésus

6-1-Le visage de Jésus

 

        6-1-1-Le regard de Jésus

 

Le 12 août 1881, Lucie-Christine revit le regard de Jésus qu’elle avait déjà vu, l’espace d’un éclair, en mai 1881.  Cette fois, elle put le contempler : « Je ne voyais pas distinctement la forme des yeux adorables de Notre-Seigneur, mais je voyais la toute puissance d’expression et de charme qui rayonnait de ce regard divin. J’ai  senti cette toute puissance, ce charme divin, mais je ne puis les dire… Le propre de ces approchements divins est de pénétrer l’âme d’un sentiment de sa misère égal au sentiment de l’existence. Et comment dire l’amour qu’elle en éprouve pour le Dieu si grand qui vient la chercher, elle si petite ? »

En janvier 1882 le regard de Jésus apparut encore à Lucie-Christine. Elle raconte : « Ce regard adorable, si peu qu’il se laisse apercevoir, porte dans l’âme la lumière, l’onction et la paix, il la fortifie et la console, la calme et la relève... Quel malheur pour une âme si Jésus ne la regardait plus !… Jésus regarde avec prédilection ce qui est petit, infime, inconnu au monde. Ô miséricorde !... De ce regard divin, le Bon Maître me dit de ne rien craindre et que son regard était à mon âme un voile, un rempart et un bouclier. »

Le 24 novembre, Lucie-Christine vit encore le regard de son Bien-Aimé : "Je vis le regard de Jésus sur les pécheurs, et ses yeux divins jetaient à la fois des larmes et des flammes d’amour… Cette vue dura peu et je demeurai dans la contemplation de ce regard divin qui enveloppe mon âme comme un voile, un rempart, un bouclier… »

Le 25 juillet 1888, Lucie-Christine constate: « Comment l’âme voit-elle intérieurement ce regard adorable, comment le voit-elle si spirituellement et d’une manière si précise ? C’est ce qu’il est impossible d’expliquer, du moins et surtout pour moi. »

 

        6-1-2-La face de Jésus

 

Un jour, alors qu’elle était en voyage et qu’elle priait Jésus présent dans toutes les églises, Lucie-Christine vit soudain, en approchant de Paris, « la tête bien-aimée s’élevant bien au-dessus de la grande ville qui était couverte des vapeurs du péché. » Elle vit aussi « le visage de Jésus faisant détourner les traits de la justice divine irritée... » Elle vit également « le visage du Sauveur s’élevant de toutes parts au-dessus du globe, et elle comprit que cette tête adorable était l’égide du monde. »

 

6-2-Les souffrances de Jésus

 

Le 25 février 1887, 1er vendredi de carême, les douleurs de Jésus dans sa Passion apparurent à Lucie-Christine sous un jour nouveau.  Elle cherchait alors le secret douloureux du Cœur de Jésus, et, soudain, « devant elle se dressa cette douleur inconnue, effrayante, immense, profonde comme le Cœur d’un Dieu, sans autre mesure que la volonté divine et la puissance de souffrir de l’Homme-Dieu… Rien d’humain ne peut nous donner l’idée de ce vouloir tout-puissant qui sacrifiait Jésus. » Lucie-Christine s’écrie alors : « Tombe à genoux, humanité ! Ta méchanceté n’avait d’égale que ta faiblesse ; jamais ton Dieu n’eût souffert par toi s’il n’eût voulu souffrir pour toi. Et toute ta cruauté n’a pu mesurer, n’a pu soupçonner la douleur à laquelle se livra l’Homme-Dieu, parce que tu n’as pas mesuré la volonté divine. Ô mon Dieu ! je confesse que jusqu’à ce jour je n’avais jamais rien su de vos souffrances !... et je sens que cette vue a fait dans mon cœur une blessure qui n’est pas fermée et ne fermera pas, parce que je vois toujours ce que j’ai vu… »

Les souffrances de Jésus continuent, soit dans la chair et le cœur de ses saints, soit à cause des péchés qui continuent à se commettre sur la terre. Le 8 décembre 1891, Lucie-Christine raconte : « Dans la nuit, Jésus appela mon âme à lui dans une loge maçonnique où se renouvelaient les douleurs de sa Passion. Il me révélait sa souffrance, je le voyais persécuté par l’impiété et la haine, et l’influence d’une sorte d’esprits immondes. Mon âme ignorait et pressentait à la fois des horreurs dont Jésus, caché sous l’apparence de l’hostie, était victime entre les mains de ces misérables. Jésus souffrant s'appuyait sur mon âme qui avait besoin de son amour pour pouvoir porter le poids de cette toute-puissance humiliée…"

 

6-4-Des visions étonnantes

 

Le 22 août 1881, Lucie-Christine était en oraison devant le Saint-Sacrement. Tout à coup elle vit de ses yeux intérieurs « le vêtement de ce Maître adorable. J’en voyais l’ensemble et quelques draperies qui m’apparaissaient plus distinctes. Ce vêtement était d’une éclatante blancheur ; il n’était pas seulement lumineux, mais c’était une lumière même, et quant à sa consistance, ce n’était pas un nuage, ni un tissu, ni une flamme, c’était quelque chose autre que tout cela, que je n’avais jamais vu et que j’admirais sans pouvoir le définir… »

Le 9 mars 1882, dès qu’elle eut reçu la sainte communion, Lucie-Christine vit soudain Jésus lui apparaître en grande majesté, vêtu de lumière : "Ce vêtement était un peu soulevé sur le bras gauche par un geste qui avait quelque chose de surhumain. Le regard de Notre-Seigneur me parut avec un éclat au-dessus de tout ce qui est naturel… Autour de Notre-Seigneur rayonnait une clarté qui n’est pas notre jour ni la lumière des astres de la nuit. Cette clarté m’était inconnue. » Le corps de Lucie-Christine, après cette expérience, demeura « dans un état singulier, comme moins matériel, moins terrestre, et un peu enlevé à lui-même, mais sans souffrance ni empêchement d’agir. »

Ce jour-là, le 5 mai 1882, après la sainte communion, l’âme de Lucie-Christine fut comme « éblouie et ravie par la beauté de l’humanité sainte de Notre-Seigneur ; elle la vit comme le type de la beauté créée et visible. »

Le 18 septembre 1882, après la communion, l’âme de Lucie-Christine fut encore éclairée, et elle vit, une fois encore, comment toutes les choses étaient en Dieu. « Et elle vit ensuite une source très pure et abondante qui jaillissait du sein d’une montagne et se répandait ensuite sur la terre où elle se divisait en une infinité de filets d’eau très minces, et plus ou moins limpides ou boueux selon le terrain qu’ils parcouraient. Et beaucoup de personnes couraient à la recherche de ces filets d’eau, mais peu allaient puiser à la hauteur de la source. Je vis cela en une seconde, il me semble, et Notre Seigneur me dit :’Vois comment les hommes, au lieu de remonter au principe pur et incréé de toutes choses, vont à ces ruisseaux fangeux ou insuffisants pour étancher leur soif…’ »

Le soir de ce même jour le démon mit dans l’esprit de Lucie-Christine des tentations très abominables qui  « ne la tentaient même pas, mais qui ennuient l’âme et la gênent, et la troublent… » Jésus déposa comme un lingot d’or dans son âme, et lui fit comprendre que « c’était la paix dans la croix, la paix au-dessus de toutes choses ». Et Lucie-Christine explique : « Ces images apparaissent dans l’âme très soudainement, dans le temps que l’esprit n’agit pas et que les puissances sont suspendues. C’est ce qui les distingue premièrement des images rappelées par la mémoire ou formées par l’imagination. » 

Le 8 octobre de la même année, pendant qu’elle adorait Notre-Seigneur sur l’autel, pendant le salut : « Je vis, écrit-elle, intérieurement un grand fleuve de feu qui sortait de son Cœur adorable, et courait en se répandant vers les âmes de tous ceux qui étaient là. Et de plusieurs âmes il sortait un courant d’amour qui remontait jusqu’au Cœur de Jésus… »

Le  17 février 1883, Lucie-Christine reçut une nouvelle lumière : « Je vis l’univers reposant dans la main de Jésus : ‘Je suis, et vous n’êtes pas.’ Et mon âme était remplie d’admiration et de joie à la vue de cette magnifique simplicité de Celui qui est par lui-même. »

Le 1er mai 1883, Jésus parut à l’âme de Lucie-Christine qui raconte : « Il paraît aux yeux de l’âme comme une personne que nous verrions dans le demi-jour, et comme nous disons dans le langage familier, à contre-jour… L’âme ne voit de Jésus que sa présence pure et simple, et cependant le Bien-Aimé se fait tellement reconnaître qu’elle ne peut douter que ce soit lui, ni pendant, ni après cette grâce… Notre Seigneur m’a fait cette grâce sept ou huit fois depuis à peu près un an… »

Plus tard, le 12 octobre 1883, Jésus se « montra » de nouveau à Lucie-Christine, mais « elle ne le voyait, lui et ses anges, que par la vue de la simple présence. » Et à trois reprises différentes, elle entendit ces paroles : « Les cœurs purs voient Dieu. »

Le 17 octobre 1883, l’âme de Lucie-Christine fut attirée par Jésus « sous la figure d’une colombe blanche qui voletait sur sa personne adorable et reposait sur les épaules de son divin maître…» Et Lucie-Christine fit les remarques suivantes : « Ainsi, de même que les paroles de Dieu opèrent toujours ce qu’elles disent, les vues imaginatives produisent toujours un résultat positif de ce qu’elles expriment, et l’effet constant qu’elles produisent TOUTES, est un accroissement de la paix et de la charité. Pour ma part je regarderais comme fort douteuse une vue intérieure, soit imaginaire, soit même intellectuelle, qui ne porterait pas cette marque de vérité... »

Le 27 novembre 1883, Lucie-Christine reçut cette lumière : « Je vis très clairement cette vérité : l’éternité n’est pas un temps qui se prolonge indéfiniment dans le passé et dans l’avenir. Elle n’a ni passé, ni présent, ni futur. C’est la simple existence sans aucune idée de temps. » Le 23 janvier 1884, elle ajoutera : « Dieu ne change point ; c’est nous et toutes choses qui changeons autour de lui, et qui varions par rapport à son unité  immuable. »

Hélas ! assure-t-elle le 8 décembre, « les hommes disent tant de paroles oiseuses et s’occupent de tant de choses inutiles… Mais, (et là on devine les propres souffrances de Lucie-Christine), rechercher habituellement la société et l’entretien du Seigneur du ciel, voilà ce qui n‘est pas tolérable, ce qui paraît au moins inutile !... Qu’on ait le goût de Dieu, en un mot, et qu’on se permette de le préférer aux hommes, voilà ce que l’esprit du monde n’admet pas, ce qu’il ne veut pas, ce qui fera une guerre éternelle entre lui et l’esprit de piété. Aussi comme il se venge !...  Avec quels sourires à demi contenus, quelle commisération discrète, le monde comme il faut prononce cet adjectif : ‘dévot, dévote ‘. Et comme sa pitié nous habille ! »

Il est un point sur lequel il est important d’insister et que Lucie-Christine rapporte le 12 mars 1884, alors qu’elle était déjà couchée : « Soudainement le bon maître se montra à moi, m’inondant de sa lumière. Je le vis, non pas des yeux du corps (par eux je n’ai jamais rien vu de surnaturel[1]), non pas de ceux de l‘âme, mais par une vue intellectuelle, très claire et pénétrante, cette vue dont la certitude s’impose plus que le témoignage des sens. Je voyais sans le moindre doute que la personne adorable de Jésus, Fils de Dieu, Fils de Marie, était là, présente, à droite de ma couche. Mon âme était unie à Jésus sans vue d’aucune image, mais dans une clarté et une grâce inénarrables. Il y avait union et présence, union et vue. J’ose le dire, la lumière surnaturelle se greffe sur la vue de la foi ; nous voyons ce que nous avons cru. »

Le 14 juin 1895, Jésus montra à Lucie-Christine dans le ciel, la fête de son humanité glorifiée… Corpus Christi. « Ce corps divinisé me parut d’une splendeur incomparable, d’un éclat particulier qui ressort de son immolation accomplie au calvaire et continuée sur nos autels… »

 

6-5-Le Cœur de Jésus

 

Lucie-Christine avait compris que lorsqu’elle souffrait, c’était sur le « Cœur adorable de Notre-Seigneur. Et ce bon Maître lui donnait son Cœur de telle manière que ce Cœur divin entourait et pénétrait le sien, le faisant sien. » Et de rappeler un étonnant souvenir d’enfance dont nous avons déjà parlé plus haut[2]. Elle devait avoir environ six ans; elle était éveillée et, ses pensées se portèrent sur la Passion du Sauveur. Elle se représentait Jésus sur la Croix, et le soldat transperçant le cœur du crucifié ; elle fut d'abord très en colère contre ce soldat, mais, soudain, elle se dit que ses péchés « avaient peut-être contristé et offensé le cœur de Notre-Seigneur… » Cela dura un certain temps, et elle prit alors la résolution de ne plus jamais faire de peine au Cœur du bon Jésus.

Le lundi de la Passion, 12 mars 1883, Jésus étendit sur Lucie-Christine son manteau blanc et l’entoura tout entière, lui faisant sentir sa tendresse et sa protection. Elle fut environnée de cette blancheur extraordinaire qui n’a rien de commun avec ce qui est blanc et lumineux ici-bas. Elle raconte : « Jésus attira pendant quelques instants ma tête sur son Cœur, par cet attrait qui fait croire que l’âme quitte le corps ; et là j’entendis le frémissement de deux sources qui tombent constamment de ce Cœur adorable sur le monde : et ces deux sources sont l’amour et la douleur, la souffrance rédemptrice. »

Lucie-Christine, pendant ce temps voyait Notre Seigneur, mais, écrit-elle, « quand l’âme voit ainsi Notre seigneur, elle ne peut pas le regarder… L’âme se trouve en présence de Notre Seigneur Jésus-Christ comme nos yeux devant le soleil. Elle ne peut pas regarder Notre Seigneur, mais c’est lui qui imprime sa vue en elle, autant qu’il lui convient de le faire, et c’est par ce mode que l’âme le voit, et cependant elle ne le voit point comme une image, mais comme une personne vivante… L’imagination est morte passagèrement, aussi bien que les autres puissances ; l’âme n’agit plus, elle reçoit ; elle ne peut donc même pas regarder, et elle voit, comme je l’ai dit, par ce mode passif, ce que Notre Seigneur daigne lui faire apparaître. »

Le 14 mars, alors que Lucie-Christine, priait à l’église, occupée de mille pensées et préoccupations, le Seigneur « pacifia soudain tout ce tumulte et recueillit en lui toutes ses puissance par une union complète et très suave. » Lucie-Christine ajoute : « Ce fut une vue intellectuelle, c’est-à-dire une connaissance intime et pénétrante qui s’impose à l’âme avec une autorité au-dessus de toute certitude, et qu’elle sent ne pouvoir lui être imposée que par Dieu seul. »

 

Pourquoi toutes ces grâces ? Pour les partager à nos frères.

 

Un matin, après la communion, Jésus lui dit : « Je te confie mon Cœur ; porte-le à travers le monde ! Souviens-toi désormais que tu es possesseur et maîtresse de mon Cœur, et obligée de le manifester…Tu pourras aussi le tourner vers ceux pour qui tu me prieras. »


[1] Le Père Auguste Poulain insiste sur ce fait et il fait remarquer qu’au contraire les hallucinés des hôpitaux croient toujours voir avec les yeux du corps.
[2] Voir paragraphe 5-7-Retours sur le passé.

   

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