Paulette Leblanc

LUCIE-CHRISTINE
1844-1908

SA VIE ET SA SPIRITUALITÉ

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La vie  de Lucie-Christine

Mathilde Bertrand naquit à Paris, dans une famille très cultivée, catholique et pratiquante, le 12 février 1844. Bien que toute jeune elle ait déjà eu une grande attirance vers la prière et que sept de ses huit cousins soient entrés en religion, il semble qu'elle n'ait jamais envisagé une vocation religieuse. Seule sa vie de prière s'approfondit à mesure que sa maturité se développait.

Quoique d’une intelligence supérieure, Mathilde, n’était, aux yeux des hommes, qu’une femme du monde douce et dévouée, pieuse, mère attentive à l’éducation de ses enfants, et excellente pianiste. Très jeune elle montra des dons exceptionnels pour organiser toutes sortes de jeux. Plus tard, considérant que le devoir d’état passait avant tout, et soucieuse de l'éducation de ses enfants, elle n’hésitait pas à organiser pour ses jeunes et leurs amis, de nombreuses activités: sorties et excursions, réceptions, représentations théâtrales, etc.

En 1865, elle épousa un notaire, Thomas Boutle, dont les parents étaient nés en Angleterre. Le couple, très uni, eut  cinq enfants. La famille vivait à Paris pendant l’année et passait l’été à Vernon, en Normandie.

Thomas Boutle avait des crises fréquentes. Son arrière petit-fils pense qu'il devait être intoxiqué par l'absinthe, cette boisson que les hommes consommaient beaucoup à cette époque. Ce vrai poison provoquait des cauchemars, des hallucinations et des délires. Souvent Mathilde devait rester toute la nuit auprès de son mari, essayant de le calmer et de le rassurer.

En 1887, Thomas devint de plus en plus psychotique. Mathilde se désespérait en voyant la détérioration progressive de l'intelligence et des aptitudes de son époux, qu'elle aimait toujours profondément. Elle s'efforçait de maintenir un semblant de vie de famille normale pour ses enfants malgré son anxiété et ses soucis financiers. La veille de Noël 1887, Thomas entra en agonie. Mathilde resta constamment près de lui, excepté pour la messe basse du jour de Noël. Thomas Boutle décéda le 27 décembre 1887.

Le 8 décembre 1882, Lucie-Christine s'était consacrée à Dieu dans la Fraternité laïque de l’Adoration Réparatrice, sous le nom de Marie-Aimée de Jésus; elle s'était grandement réjouie parce que sa profession religieuse s'était faite le jour de l’Immaculée Conception, grande fête mariale. Jésus, de son côté, l’avait appelée son épouse, mais tout en lui faisant comprendre «que cette sainte union ne serait parfaitement consommée que par la mort. »

Vers l’âge de 46 ans, elle devint presque aveugle à cause d’une douloureuse inflammation des yeux, que l'on considéra être une conjonctivite. Lucie-Christine mourut vingt deux ans après le décès de son mari, le Vendredi-Saint 17 avril 1908. Elle avait 65 ans.

 

La vie religieuse de Lucie Christine

 

Affiliée comme membre de la Fraternité laïque de l’Adoration Réparatrice depuis le 8 décembre 1882, Lucie-Christine pouvait écrire, peu de temps après la mort de son mari, le 29 mars 1888, un Jeudi-Saint : « Je viens de faire mon vœu de chasteté perpétuelle. J’ignore à quel point Dieu peut vouloir tirer de ce vœu des conséquences de grâce pour mon âme et celle des autres ; mais ce que je sais bien, c’est que l’enfer a fait autour de ce vœu un tapage inusité… En écoutant les paroles de mon directeur qui m’en donnait l’autorisation, mon âme s’embrasait d’amour et de reconnaissance pour mon Dieu. Mais à peine fus-je sortie du confessionnal qu’une tempête indescriptible de désolation, de frayeur de mon indignité, de paniques, de faux raisonnements, enfin de ces ténèbres infernales où l’on ne discerne plus rien, fondit sur mon âme et dura jusqu’à hier, à peu près à la même heure. Le soir, Notre-Seigneur rasséréna soudain mon âme, et je sentis se lever comme l’aube intérieure de ce beau jour du Jeudi-Saint où Jésus nous a aimés jusqu’à la fin, et où j’allais lui consacrer tout mon être… " 

Le bonheur de Lucie-Christine est immense, et le 14 avril suivant elle écrit : «… Non, non mes yeux n’avaient pas vu, ni mon oreille entendu, ni mon cœur n’avait compris ! Mon âme reconnut Dieu, car, s’il y a une vérité incontestable dans la vie surnaturelle, c’est que Dieu et la plus petite âme se reconnaissent parce que cette petite âme, cet atome vient de lui. Que vous êtes bon, Seigneur ! »

En 1896 Lucie-Christine n’a que cinquante deux ans. Elle a encore douze ans à vivre. Ces années, qui seront très douloureuses pour elle, nous en parlerons plus tard. Il est temps pour nous, maintenant, de découvrir comment le Seigneur conduisit et éduqua cette simple mère de famille pour la mener à des sommets spirituels rarement atteints, même par des spécialistes religieux en marche vers la sainteté. « On peut se sanctifier dans tous les états de vie, » affirme souvent la  sainte Vierge lorsqu’elle se manifeste à des voyants. Lucie-Christine en est un exemple frappant.

 

Informations utiles

 

C’est à la demande de son Directeur, le Père Eugène Grieux, curé de Vernon, que Lucie-Christine rédigea son journal spirituel rapportant, notamment, ses expériences mystiques. Personne, sauf son directeur et une amie intime du monastère, sa secrétaire, ne connaissait la richesse de sa vie spirituelle[1]. Personne ne la connaîtrait aujourd’hui si elle n’avait pas légué à l’Adoration Réparatrice, les cahiers de son Journal.

Ce journal se compose de seize cahiers (soit 2600 pages) couvrant environ 38 années de la vie de Lucie-Christine.

Les documents publiés, connus de l’auteur de la présente étude ne donnent pas d’autres renseignements. Le Père Auguste Poulain, n’indique dans ses notes, rares et volontairement succinctes, que le minimum indispensable pour comprendre certaines expressions de Lucie-Christine dans son journal. Cette discrétion fut impérativement voulue par la famille de Lucie-Christine, encore trop connue dans le monde.

Nous nous trouvons donc tout simplement en présence d’une maman de cinq enfants, une maman tout à fait normale, pleinement engagée dans le monde. C'est pour son directeur qu'elle relate ce qui se passe dans son âme intimement unie à Dieu. De sa vie de tous les jours, nous ne savons à peu près rien, sinon que la famille était très aisée, disposait d’au moins deux lieux de résidence, et se faisait aider par plusieurs domestiques. Nous savons aussi que sa santé était très fragile, qu’elle était souvent malade, mais de quoi ? Mystère … Nous savons également, et ce fut pour elle une très grande souffrance, qu’elle fut souvent en butte à l’incompréhension et aux moqueries de son entourage violemment anticlérical, mais nous en ignorons les modalités spécifiques  particulièrement douloureuses pour la victime.

Pour résumer, ce dont nous devons avoir sans cesse à l’esprit, c’est que le Seigneur s’est servi d’une chrétienne mariée, mère de famille et plongée dans le monde, afin de nous montrer que les grâces mystiques peuvent être données à tout le monde, et que l’on peut se sanctifier dans tous les milieux de vie.


[1] Lucie-Christine, presque aveugle, griffonnait ses pensées sur des feuilles volantes qu’elle confiait à une religieuse, son amie, laquelle les recopiait sur un cahier. Cela dura 19 ans. Le premier cahier part de 1870. Les souffrances de Lucie-Christine n’y sont pas mentionnées parce que son directeur les connaissait.

   

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