TROISIÈME SERMON SUR LE GRAND CAREME

Bien-aimés, la vertu et la sagesse de la foi chrétienne consistent dans l'amour de Dieu et du prochain ; celui qui aime à servir Dieu et à secourir son prochain possède toutes les vertus. Il nous est toujours nécessaire de faire croître dans nos coeurs et d'exercer cette double charité ; mais il faut redoubler de ferveur pendant le carême, afin que ce jeûne de quarante jours, qui nous prépare à célébrer la fête de Pâques, produise le même effet sur notre coeur que ces paroles du prophète Isaïe, dont se servit Jean le Baptiste  : " Préparez au désert le chemin de l'Éternel, aplanissez dans les lieux arides une route pour notre Dieu " (Is 40,3). Si l'on considère, soit cette partie du peuple qui depuis longtemps est entrée dans la lice des combats évangéliques, et qui fournit cette carrière spirituelle avec courage pour mériter les récompenses qui nous attendent, soit ceux qui, coupables de péchés mortels dont ils connaissent l'énormité, se mettent en devoir de faire pénitence, pour en obtenir l'absolution, soit ceux qui doivent être régénérés dans le baptême par la Grâce du saint Esprit et dépouiller le vieil Adam pour revêtir le nouveau, qui est Jésus Christ ; on verra qu'on peut adresser convenablement et utilement à tous ces paroles  : " Préparez au désert le chemin de l'Éternel, aplanissez dans les lieux arides une route pour notre Dieu " (Is 40,3). Mais quelles sont les Voies du Seigneur, quels sont ses Sentiers  ? Nous en sommes instruits par ce même prophète qui, nous promettant les secours et les dons de la Grâce divine, nous révélait la régénération future, et nous disait pour compléter sa prophétie  : " Toutes les vallées seront relevées, toutes les montagnes et les collines seront abaissées ; les chemins tortus seront redressés " (Is 40,4). Les vallées sont le symbole de la mansuétude des humbles, et les collines et les montagnes, celui de l'arrogance des orgueilleux. Comme la Vérité nous apprend que " quiconque s'élève sera abaissé et quiconque s'abaisse sera élevé " (Lc 14,11), ce n'est pas sans raison que le prophète nous prédit que les vallées seraient relevées et les montagnes aplanies, afin que, celles-là présentant une surface plane et celles-ci une ligne droite, le voyageur n'ait à redouter aucun danger, aucun obstacle. Quoique le chemin qui mène à la vie soit étroit et difficile, cependant celui que la vérité et la piété soutiennent, y marche sans difficulté, et il aime à parcourir cette voie construite avec la pierre solide des vertus, et non point avec le sable mouvant du vice.

Mais, afin de connaître plus parfaitement par quels chemins il faut marcher pour mériter les récompenses que Dieu nous a promises, écoutons ces paroles du prophète David  : " Toutes les Voies du Seigneur sont miséricorde et vérité " (Ps 24,10). Les fidèles doivent régler leurs actions sur les modèles que Dieu leur propose. Et c'est avec justice qu'Il exige de nous que nous L'imitions, puisqu'Il nous a créés à son Image et à sa Ressemblance. Nous ne participerons point à sa Gloire, si la miséricorde et la vérité ne règnent dans nos coeurs. Ceux qui veulent être sauvés doivent, pour mériter leur salut, se conduire de la même manière que le Sauveur S'est conduit pour nous racheter ; de telle sorte qu'ils soient miséricordieux et sincères, comme la Miséricorde divine et la Vérité éternelle. Un esprit juste suit la voie de la vérité, comme un esprit bienveillant suit celle de la miséricorde. Ce n'est pas que ces sentiers soient différents et qu'on parvienne aux vertus par des voies différentes, comme si c'était autre chose de devenir miséricordieux et de parvenir à être juste. On n'est pas miséricordieux sans être juste ; on n'est pas juste sans être miséricordieux. Celui qui ne possède pas ces deux vertus, ne possède ni l'une ni l'autre. La charité soutient la foi, la foi fortifie la charité. Et ce sont toutes deux de véritables vertus qui portent de véritables fruits, lorsqu'elles sont unies l'une à l'autre par des liens indissolubles. Là où elles ne sont point réunies, elles manquent toutes les deux. Elles s'éclairent et se fortifient mutuellement, jusqu'à ce que le désir alimenté par notre foi soit récompensé par la vision et que nous puissions voir et aimer de façon ininterrompue ce que maintenant nous ne pouvons ni aimer sans la foi, et ni croire sans l'amour. Puisque, comme dit l'Apôtre, " en Jésus-Christ, ni la circoncision ni l'incirconcision n'a de valeur, mais la foi qui est agissante par la charité " (Ga 5,6), appliquons-nous à posséder de la même manière la charité et la foi en même temps. Ce sont deux ailes qui servent à l'âme pieuse de l'élever jusqu'aux pieds du Très-Haut, et qui l'empêchent de succomber sous le fardeau des choses temporelles. Celui qui a dit  : " Or sans la foi il est impossible de Lui être agréable " (He 11,6), a dit aussi  : " quand j'aurais même toute la foi jusqu'à transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien " (1 Co 13,2). Si nous voulons célébrer dignement la fête de Pâques, tâchons de nous perfectionner dans les deux vertus, qui renferment tous les préceptes divins. C'est par le moyen de la foi et de la charité que les fidèles deviennent le temple et le sacrifice de Dieu. Que la foi nous fasse espérer ce que nous croyons, que la charité nous rende propice ce que nous aimons. L'un et l'autre est le propre de ceux qui croient et de ceux qui aiment. Si nous forçons notre intelligence à reconnaître l'autorité du Seigneur, il faut aussi que nous nous unissions à Lui par la pratique de ces vertus. Dieu a dit  : " Soyez saints parce que Je suis saint " (Lv 19,2), et le Seigneur dit  : " Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux " (Lc 6,36). Et, pour que nous ne doutions point que Dieu ne nous tienne compte de tout ce que nous donnons aux pauvres, comme si nous le donnions à Lui-même, voyons ce que pense le Seigneur de ceux qui font l'aumône, et de quelle manière ils seront traités au jour du jugement, dans ces paroles qu'Il adresse à ceux qui seront placés à sa droite  : " Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde ; car J'ai eu faim, et vous M'avez donné à manger ; J'ai eu soif, et vous M'avez donné à boire ; J'étais étranger, et vous M'avez recueilli ; J'étais nu, et vous M'avez vêtu ; J'étais malade, et vous M'avez visité ; J'étais en prison, et vous êtes venus vers Moi. Les justes Lui répondront  : Seigneur, quand T'avons-nous vu avoir faim, et T'avons-nous donné à manger ; ou avoir soif, et T'avons-nous donné à boire  ? Quand T'avons-nous vu étranger, et T'avons-nous recueilli ; ou nu, et T'avons-nous vêtu  ? Quand T'avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous allés vers Toi  ? Et le Roi leur répondra  : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à Moi que vous les avez faites. " (Mt 25,34-40). Quoi de plus utile et quoi de plus facile que la pratique de cette vertu  ? Elle mériterait des louanges, quand même elle ne serait fondé que sur un sentiment naturel, et que l'homme qui se porterait à secourir son semblable n'y serait excité que par la seule compassion qu'il aurait de sa misère. Mais comme cette charité n'est point inspirée par la foi, elle n'obtiendra pas à son auteur les éternelles récompenses ; car il y a une grande différence entre les oeuvres faites en vue du ciel et celles qui se rapportent uniquement à la terre. La bienfaisance mondaine finit avec ceux qui en ont profité ; mais la charité chrétienne subsiste en Dieu Lui-même, c'est par sa Grâce que nous l'exerçons, et nos oeuvres tournent à sa Gloire ; car le Seigneur a dit Lui-même  : " Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux " (Mt 25,16).

Réjouissez-vous, âmes fidèles, reconnaissez que votre gloire est la Gloire de Celui qui vous inspire. Que l'approche de la fête de Pâques redouble votre ferveur. Il est de votre devoir de vous préparer à compatir aux douleurs de Celui qui a souffert pour tous. La vie des personnes pieuses a toujours quelque ressemblance avec le supplice du Sauveur ; elles mutilent la concupiscence de la chair avec le fer de la continence, et la vertu du saint Esprit qui habite en elles étouffe leurs passions. Il est facile de trouver en soi des sujets de mortification. Il faut éteindre le feu de la colère, humilier l'orgueil et bannir la luxure. Il faut aussi arracher tout entière la racine de l'avarice afin d'extirper tous les maux dans leur principe, si cela est possible. Il faut sans cesse, à l'époque où nous sommes, purifier son âme, lui soumettre le corps, dont elle est naturellement le maître, imposer à la chair le frein de la continence, et repousser loin de soi tout ce qui s'oppose à nos pieux désirs. Lorsque l'âme et le corps se purifient, pour se préparer à célébrer dignement la Pâque du Seigneur, on contracte une habitude louable, dont on retire de grands avantages pendant toute la vie. Ne traitons point avec trop de hauteur les personnes qui nous sont soumises ; oublions de nous venger des offenses que nous avons reçues, et que les criminels se réjouissent d'avoir atteint ces saints jours, où les saints et pieux empereurs se relâchent de la sévérité dans la punition publique des crimes. Que la haine et l'envie soient bannies, que l'union et la bienveillance resserrent leurs liens, et que l'âme souillée par la méchanceté s'efforce de se purifier et de reprendre des sentiments de bonté. Autant le jugement de Dieu sera sévère contre les âmes dures et insensibles, autant il sera indulgent pour les âmes miséricordieuses.

Les réprouvés, placés à la gauche du Juge seront précipités dans les flammes éternelles, en punition de leur inhumanité ; mais les élus, qui seront à sa droite, après avoir été loués de leurs bonnes oeuvres et de leurs pieuses aumônes, jouiront dans le royaume des cieux de la béatitude éternelle par la Grâce de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et qui règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.

QUATRIÈME SERMON SUR LE GRAND CAREME

En tout temps, bien-aimés, il est en notre devoir de nous conduire avec justice et équité et de soumettre nos pensées et nos actions aux lois du Seigneur, si nous voulons Lui plaire. Mais à l'approche de ces grands jours, pendant lesquels se sont accomplis les mystères de notre salut, il nous faut purifier nos coeurs avec plus de sollicitude que jamais, et nous appliquer à la pratique de la vertu avec plus de ferveur et plus de zèle que de coutume. Comme les mystères sont par eux-mêmes nos plus grandes solennités, nous devons les célébrer avec une plus grande exactitude. Il faut que dans nos plus grandes fêtes nous donnions les plus grandes preuves de notre amour pour la religion. Si l'on trouve qu'il soit d'un homme raisonnable et religieux de se parer les jours de fête et de témoigner par le luxe de ses vêtements de la joie qu'il éprouve dans son coeur, si l'on apporte un plus grand soin et un plus grand zèle à embellir, en ce jour, la maison de prière de ses plus beaux ornements, n'est-il pas convenable qu'une âme chrétienne, qui est le temple véritable, le temple vivant de Dieu, se couvre de ses plus riches parures, et que, pour célébrer le sacrement de sa rédemption, elle évite avec soin d'être souillée par aucune tache d'iniquité, ni flétrie d'aucune ride de mensonge  ? A quoi bon cette beauté extérieure qui est la marque apparente d'une âme pure, si l'intérieur est souillé par les ordures du vice  ? Il faut donc éviter avec un soin extrême tout ce qui peut ternir la pureté de l'âme et nuire à sa beauté. Que chaque homme examine sa conscience ; qu'il censure lui-même, en juge sévère, ses propres défauts ; qu'il voie si cette paix que nous donne Jésus Christ règne dans le fond de son coeur ; si les désirs de l'esprit ne sont point combattus par la concupiscence de la chair ; s'il ne méprise point ce qui est humble ; s'il n'a point de pensées d'orgueil, s'il ne désire point des gains illégitimes ; s'il ne complaît pas dans l'accroissement immodéré de ses richesses ; si enfin il ne regarde point avec envie la prospérité de son prochain, et s'il ne se fait point une maligne joie des infortunes de ses ennemis. Et, s'il n'a trouvé dans son coeur aucune trace de ces passions, qu'il procède avec soin à l'examen des pensées qui frappent le plus ordinairement son esprit ; et, s'il remarque qu'il aime à considérer les vaines images de l'ambition, qu'il se hâte d'expulser de son coeur ces choses qui, en nous plaisant, nous rendent criminels. Les hommes, tant qu'ils sont sur cette terre, ne peuvent espérer d'être insensibles aux passions et aux attraits du plaisir ; cette vie n'est qu'une suite de tentations, et ceux qui ne craignent point d'y succomber y succombent trop souvent. Il y a de la présomption à croire qu'on puisse facilement se garder du péché, et cette présomption même est un péché, selon cette maxime du bienheureux apôtre Jean  : " Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous " (1 Jn 1,7).

Que personne ne s'abuse, mes frères ; que personne ne s'aveugle soi-même. Qu'aucun fidèle n'ait tellement de confiance dans la pureté de son coeur qu'il se croie capable de braver les dangers de la tentation, car le tentateur qui veille sans cesse dresse ses plus secrètes et plus dangereuses embûches contre ceux qui commettent le moins de péchés. Qui pourra donc être à l'abri des artifices du démon, puisqu'il n'a même pas respecté la Majesté de notre Seigneur  ? Il avait vu fouler aux pieds son orgueil par l'humilité de Jésus Christ lorsqu'Il se fit baptiser ; il avait compris que le jeûne de quarante jours était une preuve évidente que son corps n'était point soumis à la concupiscence, et cependant il ne désespéra point de Le séduire par ses plus dangereux artifices  : il fonda son espérance sur la fragilité de la nature humaine ; et comme il savait que Jésus Christ était véritablement un homme, il crut qu'il pourrait Le faire succomber à la tentation. Si le démon n'a point cru devoir tendre inutilement des embûches à notre Seigneur, à notre Sauveur, quelle ne doit pas être son espérance lorsqu'il attaque des créatures aussi fragiles que nous, nous qu'il attaque avec d'autant plus de haine et d'envie que nous avons renoncé à lui par le baptême, et qui, purifiés du péché originel qui nous soumettait à sa puissance, sommes devenus de nouvelles créatures par la régénération divine  ? Aussi, tant que nous sommes revêtus d'une chair mortelle, notre antique ennemi ne cesse de nous tendre des pièges pour nous faire tomber dans le péché ; et sa fureur est plus ardente contre les membres de Jésus Christ lorsqu'ils sont sur le point de célébrer les plus augustes mystères. Le saint Esprit a eu soin de nous enseigner cette vérité, afin que nous nous préparions par un jeûne de quarante jours à la fête de Pâques. Voici le temps de nous purifier par cette sainte abstinence et de nous imposer une pénitence si utile ; nous serons plus en état d'honorer la Pâque du Seigneur et de la célébrer dignement si nous vivons saintement pendant le carême et si nous observons avec fidélité le jeûne qui nous est prescrit.

Dans ces jours de jeûne, livrons-nous avec plus de zèle que jamais à la pratique des bonnes oeuvres, à laquelle nous devons nous appliquer en tout temps  : " Pratiquons le bien envers tous, et surtout envers les frères en la foi " (Ga 6,10) ; et dans la distribution de nos aumônes, efforçons-nous d'imiter la bonté du Père céleste qui " fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes " (Mt 5,45). Quoiqu'il faille principalement secourir les fidèles dans leur infortune, il ne faut pas non plus abandonner à leurs malheurs ceux qui n'ont point encore reçu l'évangile. Il n'est pas juste de se dépouiller des sentiments de la nature qui nous prescrivent d'être bienveillants à l'égard de tous ceux qui sont d'un rang inférieur au nôtre, quels qu'ils soient, et surtout s'ils ont été régénérés par la grâce et rachetés par le sang de Jésus Christ. Nous avons de commun avec eux que nous sommes tous faits à l'image de Dieu, et que nous avons tous la même origine selon la chair et selon l'esprit ; nous sommes sanctifiés par le même saint Esprit ; nous vivons dans les mêmes croyances ; nous participons aux mêmes sacrements. Ces liens qui nous unissent méritent d'être considérés ; nous devons avoir égard à ce que tant et de si grandes choses nous sont communes avec eux, et montrer plus de douceur envers ceux qui sont nos esclaves, car nous sommes comme eux et avec eux les esclaves du Seigneur tout-puissant. Si donc quelque serviteur a commis de grandes fautes envers ses maîtres, le temps où nous sommes demande qu'on les oublie et qu'on lui pardonne. Que la compassion remplace la sévérité, et le pardon le châtiment. Que les prisons s'ouvrent ; que les fers soient brisés, car c'est à cette condition que le Seigneur nous a promis sa Miséricorde  : Il nous pardonnera nos fautes si nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Que tous les sujets de troubles disparaissent ; qu'on étouffe les haines et les rivalités, et que tous les membres de Jésus Christ soient réunies par les liens de la charité. " Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu  ! " (Mt 5,9) ; et ils sont non seulement ses fils, mais encore ses héritiers et cohéritiers du Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.

CINQUIÈME SERMON SUR LE GRAND CAREME

Le Tout-Puissant a fait paraître, bien-aimés, dans tous les temps et chaque jour des marques de sa Bonté divine, et il n'y a point de saison dans l'année qui ne soit sanctifiée par quelque mystère. Il veut ainsi que notre confiance en sa Miséricorde redouble toujours à mesure qu'Il nous donne de nouveaux secours pour notre salut. Mais il semble que dans ces grandes solennités où les coeurs se réunissent pour prier le Seigneur, toutes les grâces, tous les bienfaits qui nous sont accordés en divers temps, afin de nous sanctifier, se réunissent alors en une seule grâce, en un seul bienfait, dont l'abondance et les effets sont incomparables. Le grand mystère de la Pâque approche ; pour le célébrer dignement, nous nous purifions par un jeûne solennel auquel tous les fidèles sans exception doivent se soumettre ; car quel est le saint dont la sainteté ne puisse devenir plus grande, quelle est l'âme pieuse dont la piété ne doive augmenter  ? Existe-t-il quelqu'un qui à travers les périls de cette vie n'ait point succombé à la tentation, n'ait point commis de péché  ? Est-il quelqu'un qui n'ait à souhaiter de voir croître sa vertu, ou à désirer d'être débarrassé d'un vice quelconque, lorsque les adversités sont pour nous autant d'écueils et que les prospérités nous corrompent ; lorsqu'il n'y a pas moins de périls pour nous dans les déceptions que dans les triomphes  ? Les grandes richesses sont des pièges dangereux et la pauvreté elle-même peut nous faire tomber en tentation ; les unes inspirent l'orgueil, l'autre excite à murmurer contre la Providence. La santé nous tente, la maladie nous tente ; celle-là nous fait oublier le Créateur, celle-ci nous donne un coupable chagrin. La crainte et la sécurité nous donnent aussi des pièges ; et peu importe que l'esprit, soumis aux passions de la terre, se livre à la joie ou à la douleur, s'endorme au sein du plaisir, ou veille en proie à l'anxiété et à toutes sortes d'inquiétudes   : dans les deux cas il pèche. Ainsi, tout nous prouve la vérité de cette sentence  : Le chemin qui conduit à la vie est étroit et difficile (Mt 7,14); et, tandis que le chemin qui conduit à la mort est couvert d'une foule de malheureux, on ne voit que de rares vestiges de ceux qui entrent dans le chemin du salut. Mais d'où vient que le chemin de la gauche est plus fréquenté que que celui de la droite, sinon que la multitude aime trop ses joies mondaines et les biens matériels, et bien que l'objet de nos désirs soit aussi incertain et périssable, l'attrait de la volupté nous entraîne à de plus grands travaux que l'amour de la vertu. Ainsi, tandis que le nombre de ceux qui désirent les joies de ce monde est innombrable, on trouve à peine quelques âmes pieuses qui préfèrent les voluptés éternelles à celles de la terre. Et, comme le bienheureux apôtre Paul dit  : "  les choses visibles sont passagères, et les invisibles sont éternelles " (2 Co 4,18). La voie de la vertu est pour ainsi dire cachée et difficile à trouver ; car nous ne sommes sauvés qu'en espérance, et la vraie foi nous apprend à aimer par-dessus tout les choses invisibles.

C'est un travail long et difficile d'empêcher notre coeur inconstant de se livrer au péché et de le garantir de la contagion du vice dans cette vie, où sans cesse nous sommes exposés de tous côtés aux séductions des plaisirs mondains. Peut-on toucher à la poix sans que les mains en soient salies  ? Peut-on être exempt de maladies dans un corps si débile  ? peut-on se rouler dans la poussière sans être souillé  ? Enfin, qui peut se flatter d'une si grande pureté qu'il reste à l'abri de toutes les tentations qui nous entourent en cette vie et que nous ne saurions éviter  ? Dieu nous a fait entendre par son Apôtre " que désormais ceux qui ont des femmes soient comme n'en ayant pas, ceux qui pleurent comme ne pleurant pas, ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas, ceux qui achètent comme ne possédant pas, et ceux qui usent du monde comme n'en usant pas, car la figure de ce monde passe " (1 Co 7,29&endash;31). Bienheureux sont ceux qui fournissent leur carrière avec une chaste continence, qui ne s'attachent point aux choses matérielles que nous devons laisser, qui se considèrent comme des pèlerins sur la terre, plutôt que comme les maîtres de ce qu'ils possèdent, et qui bornent toutes leurs espérances aux Promesses divines sans s'abandonner aux désirs et aux passions de la chair.

Le temps où nous sommes, mes frères, exige de nous, plus que tout autre, ce détachement des choses humaines et cette vertu, et il nous est d'un grand secours pour les acquérir. La pratique de la vertu fait qu'on en contracte l'habitude et qu'on y persévère. Vous n'ignorez point que nous sommes arrivés à l'époque où le démon exerce sa fureur contre le monde avec plus de violence que jamais et que la vertu chrétienne doit se tenir prête à le combattre. Si quelques-uns se sont endormis dans leur paresse, si d'autres se sont trop adonnés aux affaires de ce monde, il faut à cette heure qu'ils se couvrent des armes spirituelles et que la trompette céleste les enflamme d'une sainte ardeur pour commencer le combat. Parce que cet ennemi, dont l'envie a introduit la mort sur la terre, est en proie à la plus furieuse jalousie, et une douleur plus vive que jamais le déchire à cette heure ; car il voit de nouveaux peuples, des hommes de toutes les races devenir des enfants d'adoption, et la virginale fécondité de l'Église donner au Seigneur une foule de régénérés. Il se voit privé de sa puissance et chassé des coeurs de ceux qui étaient ses esclaves  ; il se voit enlever des milliers de vieillards, de jeunes gens et d'enfants de l'un et l'autre sexe. Il voit que le péché originel et les péchés personnels ne sont point des obstacles à la justification qui ne se donne point au mérite, mais est un pur effet de la grâce. Il voit ceux qui sont tombés et qui se sont laissés tromper par ses artifices, se purifier dans les larmes de la pénitence et se faire ouvrir les portes de la miséricorde par les clefs apostoliques, en se réconciliant avec Dieu. Il sent que le jour de la Passion approche et que son empire va être détruit par la puissance de la croix, de cette croix divine, qui, loin d'être un instrument de supplice pour notre Seigneur Jésus Christ qui n'était point soumis à la mort, fut l'instrument dont Il se servit pour racheter le monde. Aussi, pour empêcher que cet ennemi qui frémit de rage ne puisse satisfaire l'envie qui le dévore, mettons plus de zèle et de ferveur que jamais pour accomplir les commandements de Dieu. Et dans ce temps où tous les sacrements de la divine Miséricorde concourent à notre salut, faisons tous nos efforts pour préparer notre âme et notre corps à ces divins Mystères ; et, afin de remplir tous nos devoirs, implorons la Grâce et le Secours de Dieu, sans lesquels nous ne pouvons rien faire. Il nous a donné des préceptes qui nous obligent à recourir à Lui ; et que personne ne s'excuse sur sa faiblesse, car Celui qui nous a donné la volonté d'accomplir sa sainte Loi nous en donnera aussi le pouvoir, comme nous l'enseigne le bienheureux apôtre Jacques  : " Si quelqu'un d'entre vous manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu, qui donne à tous simplement et sans reproche, et elle lui sera donnée " (Jc 1,5).

Quel est celui des fidèles qui peut ignorer à quelles vertus il doit s'appliquer et quels sont les vices qu'il doit combattre  ? Quel est l'homme assez rempli d'amour-propre ou assez ignorant pour ne point savoir lire dans sa conscience, et voir les vertus qu'il doit acquérir et les vices dont il doit se corriger  ? Personne n'est assez insensé pour ne point savoir apprécier sa conduite et ne point connaître ce qui se passe dans son coeur. Il ne faut point se flatter d'être parfait, ni se juger par la raison de la chair et du sang, mais se guider dans l'examen de ses actions sur les commandements de Dieu ; les uns ordonnent ce qu'on doit faire, les autres défendent ce qui n'est pas permis ; il est ainsi facile de se juger à l'aide des uns et des autres. Par un effet de la Miséricorde de Dieu, les commandements sont comme autant de miroirs qui représentent à l'homme l'image exacte de son âme, et lui montrent s'il est semblable à son Créateur. Dégageons-nous donc des affections et des tumultes de ce monde, et du moins dans ces jours où se sont accomplis les mystères de notre rédemption et de notre régénération, oublions la terre et portons toutes nos pensées vers le ciel.

Et parce qu'il est écrit que " nous bronchons tous de plusieurs manières " (Jc 3,2), notre premier devoir est de devenir miséricordieux et d'oublier les offenses des autres, afin que l'amour de la vengeance ne nous fasse point rompre ce pacte des plus pieux entre Dieu et nous par l'oraison dominicale. Puisque nous disons  : " Pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés " (Mt 6,12), soyons toujours prompts à oublier les injures, car Dieu nous tiendra compte de notre miséricorde, et nos vengeances nous retomberont sur nos têtes. L'homme qui est continuellement exposé aux dangers de la tentation doit préférer de beaucoup le pardon de ses crimes à la satisfaction de punir ceux des autres. Est-il rien de plus digne de la religion chrétienne que ce pardon général de toutes les offenses, non seulement dans l'Église, mais encore dans chaque famille  ? Que les menaces cessent et qu'on brise les chaînes de ceux qu'on a mis en prison ; car c'est se charger de chaînes bien pesantes que de ne point vouloir rompre celles des autres. On sera soumis dans l'éternité aux mêmes lois qu'on a imposées aux autres sur cette terre. Aussi " heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde  ! " (Mt 5,7). Celui dont les jugements sont doux et équitables sera traité avec la même clémence qu'il aura traité les autres ; on ne doit pas refuser de pardonner à ses frères quand chaque jour on désire obtenir de la Miséricorde de Dieu le pardon de ses fautes.

Puisque le Seigneur a dit Lui-même  : " Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu  ! " (Mt 5,9), il faut bannir loin de son coeur la haine et la jalousie. Personne ne doit se flatter de participer aux grâces du mystère de Pâques s'il ne se réconcilie avec ses frères. Car celui qui n'aura pas eu de charité pour ses frères ne sera point mis au nombre des enfants de Dieu. Il est aussi nécessaire, pour rendre le jeûne plus méritoire, d'y ajouter l'aumône et le soin des pauvres, et de retrancher à ses plaisirs pour secourir les infortunés et les malades. Ces bonnes actions feront bénir Dieu par toutes les bouches  : celui qui distribue une partie de son bien en aumône, étant le ministre de la Miséricorde divine, qui a confié aux riches la portion des pauvres. Il faut achever de détruire par l'aumône les péchés qui ont été effacés par les eaux du baptême et les larmes de la pénitence  : " Comme l'eau éteint le feu, dit l'Écriture, ainsi l'aumône éteint le péché " (Si 3,30), par la Grâce de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et qui règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.

SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR

Nous célébrons, bien-aimés, cette fête tant désirée, que l'univers entier voit toujours venir avec joie, la fête de la Passion du Seigneur. Dans les transports de notre allégresse, il ne nous est pas permis de garder le silence, et quoiqu'il soit difficile de parler souvent et d'une manière convenable de la même solennité, il est du devoir d'un pontife, dans cette grande circonstance, de faire entendre à son peuple les accents de sa voix paternelle. Cet admirable sacrement de la Miséricorde divine est un sujet intarissable, et on ne saurait jamais l'épuiser, parce qu'on ne saurait jamais en dire assez. Que notre faiblesse succombe donc sous le poids de la Gloire du Seigneur, et que les paroles nous manquent pour expliquer les oeuvres de sa Miséricorde. Que notre intelligence soit trop faible, notre esprit trop borné, notre éloquence insuffisante, il est avantageux pour nous de ne pouvoir comprendre dans toute sa grandeur la majesté de Dieu. Le Prophète a dit  : " Cherchez le Seigneur et Il vous fortifiera, cherchez continuellement sa Face " (Ps 104,4), car personne ne doit avoir la présomption de croire qu'il a parfaitement approfondi ce qu'il tâche de connaître, de peur qu'il ne cesse d'approcher de la vérité en cessant de la chercher. Mais entre tous les actes de la divinité qui sont l'objet de notre admiration, en est-il un qui soit plus au-dessus des forces de notre intelligence que le mystère de la Passion et qui mérite davantage nos réflexions  ? Toutes les fois que nous pensons, selon notre faiblesse, à la Puissance de Jésus Christ, qui est égale à celle de son Père, puisque son essence est la même, son Humilité nous paraît bien plus admirable que sa Toute-Puissance elle-même, et il est bien plus difficile de comprendre l'abaissement de la Majesté divine, que l'élévation de la Nature humaine. Mais ce qui nous facilite l'intelligence de ce mystère, c'est que, bien que le Créateur soit bien différent de la créature, et la Divinité impassible de la chair soumise à la souffrance, cependant les propriétés des deux natures sont réunies en une seule Personne, et les faiblesses et la toute-puissance, les humiliations et la gloire sont le propre de cette personne.

Telle est, bien-aimés, la règle de notre foi que nous avons tirée du Symbole et qui est fondée sur l'autorité de l'institution apostolique  : nous confessons que notre Seigneur Jésus Christ, Fils unique de Dieu, le Père tout-puissant, est né de la vierge Marie et du saint Esprit ; et nous n'avons point de sentiments contraires à sa Majesté, lorsque nous disons qu'Il a été crucifié, qu'Il est mort sur la croix et qu'Il est ressuscité le troisième jour. L'humanité et la divinité, unies ensemble, ont agi toutes deux d'une manière propre à leur nature ; le passible est joint à l'impassible, sans que la faiblesse de l'une fasse tort à la puissance de l'autre, et sans que cette même faiblesse de la nature humaine soit indigne de la Majesté divine. C'est avec justice que saint Pierre a été loué d'avoir compris et confessé cette unité  : lorsque le Sauveur du monde demanda ce que les disciples pensent de sa Personne, il répondit aussitôt sans hésiter  : " Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant " (Mt 16,16). Ce n'est point la chair et le sang qui lui ont révélé cette vérité ; au contraire, ils ne pouvaient que mettre obstacle aux connaissances intérieures ; c'est l'Esprit de Dieu qui agissait dans le coeur de saint Pierre,Š pour qu'il apprenne d'abord ce qu'il devra enseigner et qu'il entende, pour la confirmation de la foi qu'il devra prêcher  : " Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle " (Mt 16,18). La foi chrétienne qui est fondée sur une pierre inébranlable et qui ne redoute point les portes de la mort, confesse dans sa puissance que Jésus Christ est vrai Dieu et vrai homme ; qu'Il est fils de la vierge Marie et qu'Il est le Créateur de sa mère ; que Lui, Maître du temps, est né dans le temps, que Lui, le Seigneur de toutes les Vertus célestes, est cependant de la race des mortels et que Lui-même ignorant le péché, a été immolé pour les pécheurs dans une chair semblable à celle du péché.

Pour briser les fers du genre humain, qui était esclave depuis sa prévarication fatale, Jésus Christ a caché sa Puissance et sa Majesté au démon, et ne S'est présenté à lui qu'avec nos faiblesses et nos imperfections. Si cet ennemi cruel et superbe eût pu pénétrer la Sagesse de la divine Miséricorde, il se serait plutôt appliqué à adoucir et à calmer l'esprit des Juifs, qu'à leur inspirer une haine injuste, de crainte de perdre ses nombreux esclaves en voulant attaquer la liberté de Celui qui ne lui devait rien. Sa propre ruse l'a trompé  : il a fait condamner le Fils de Dieu au supplice qui a régénéré tous les enfants des hommes ; il a versé le sang innocent, qui a été le prix de la réconciliation du monde et qui a servi de breuvage salutaire à l'humanité. Le Sauveur a souffert le genre de mort qu'Il avait choisi Lui-même. Il a permis que des hommes furieux portassent sur Lui leurs mains impies et concourussent ainsi par leur crime même à l'accomplissement de ses projets. Et sa Bonté pour ses bourreaux fut si grande, que du haut de la croix Il priait son Père de ne point Le venger et de leur pardonner sa mort. Il disait  : " Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font " (Lc 23,34). L'efficacité de cette prière fut telle qu'un seul sermon de saint Pierre convertit à la pénitence un grand nombre de ces mêmes hommes qui venaient de crier  : " Que son Sang retombe sur nous et sur nos enfants  ! " (Mt 27,25), et on baptisa dans un seul jour près de trois mille Juifs (Ac 2,41), et ils n'avaient tous qu'un même coeur et qu'une même âme (Ac 4,32) ; ils étaient tous prêts à mourir pour Celui dont ils avaient demandé le supplice à grands cris. Le traître Judas ne put participer à cette grâce, parce qu'il était le Þls de la perdition et que le démon s'était emparé de lui ; il s'abandonna à son désespoir avant que le Sauveur eût accompli le sacrement de la rédemption de tous les hommes. Comme le Seigneur est mort pour tous les impies, Il aurait peut-être trouvé remède à ses crimes s'il ne s'était hâté à s'étrangler lui-même. Ce coeur rempli de fiel, adonné au vol et au mensonge et rempli de l'idée de son parricide, n'avait jamais réfléchi aux maximes de son Maître ni à la Grâce dont Il parlait si souvent ; il ne se souvenait plus de ces paroles du Sauveur  : " Car Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs " (Mt 9,13), et " le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu " (Lc 19,10). Judas ne s'était point fait une idée véritable de la Clémence de Jésus Christ, qui, non content de guérir les infirmités du corps, cicatrisait aussi les blessures des âmes faibles, comme on peut le voir par les paroles qu'Il adressa au paralytique  : " Prends courage, mon enfant, tes péchés te sont pardonnés " (Mt 9,2), ou par ce qu'Il dit à la femme adultère qu'on Lui amena  : " Je ne te condamne pas non plus  : va, et ne pèche plus " (Jn 8,11). Jésus Christ prouvait par toutes ses actions qu'Il était venu sur la terre pour être le Sauveur du monde et non son Juge. Le traître Judas ne comprit point ces vérités ; il porta sur lui-même ses mains criminelles, et ce ne fut point par un sentiment de repentir, mais avec la fureur d'un homme qui veut mourir  : après avoir vendu l'Auteur de la vie à ses meurtriers, il mit le comble à sa damnation en terminant sa vie par un crime.

Ce que les faux témoins, ce que les cruels princes du peuple, ce que les prêtres impies de Jérusalem ont osé faire contre la Personne de Jésus Christ, grâce à la lâcheté du juge et avec le secours d'une populace ignorante, doit être détesté dans tous les siècles et pourtant il fallait qu'il en fût ainsi. Autant le supplice de Jésus Christ était cruel dans l'esprit des Juifs, autant il est admirable par la vertu du Crucifié. Le peuple déploie sa fureur contre un seul Homme, et Jésus Christ a compassion de tous les hommes. Il permet à la cruauté de Le faire souffrir, et cette licence du crime sert à l'accomplissement de la Volonté éternelle. Ainsi, les fidèles doivent considérer les choses qui se sont passées à la mort du Fils de Dieu et que l'Évangile nous a apprises, non seulement comme des mystères opérés pour la rédemption des pécheurs, mais encore comme des exemples de justice qui nous sont proposés. Pour examiner cette proposition avec soin, nous la développerons mercredi  : j'espère que nous serons secondé par la Grâce de Dieu et que nous pourrons nous acquitter de nos promesses par le secours de vos prières et par la protection de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.

SERMON SUR LA FETE DES APOTRES
SAINTS PIERRE ET PAUL

Tout l'univers, bien-aimés, prend part aux fêtes de l'Église ; l'unité de la foi exige que l'on célèbre de tous côtés avec une joie commune les mystères qui ont été accomplis pour le salut de tous. Mais la fête de ce jour, outre la vénération générale qui lui est due par toute la terre, demande de nous et de notre cité des hommages tout particuliers. Dans ces lieux où les premiers des apôtres ont souffert une mort si glorieuse, nous devons, le jour de leur martyre, faire éclater notre allégresse et notre amour d'une manière plus grande que dans toutes les autres villes du monde. O Rome  ! Ce sont ces hommes illustres qui ont fait briller pour toi les lumières de l'évangile ; tu étais le centre de l'erreur, et par eux tu es devenue l'école de la vérité. Ils sont tes pères et tes véritables pasteurs ; ils ont jeté sur ton sein les bases éternelles d'un royaume qui ne périra jamais ; tu leur dois plus qu'aux hommes qui ont creusé les fondements de tes premières murailles, qu'à ces hommes dont l'un, celui qui t'a donné ton nom, rougit ton sol du sang de son frère. Ce sont ces glorieux apôtres qui t'ont donné cette gloire dont tu brilles maintenant, pour que, nation sainte, peuple élu, ville sacerdotale et impériale,... tu présides plus largement par la religion divine que par la domination terrestre. Quoique des victoires sans nombre aient porté au loin les limites de ta puissance, que la terre et la mer aient subi ton joug, cependant tu as fait moins de conquêtes les armes à la main que par la paix chrétienne.

Dieu dont la puissance est infinie, qui est également juste et bon, qui n'a jamais refusé sa Miséricorde aux hommes, qui les a toujours comblés de bienfaits et qui les a assistés de ses Grâces, afin qu'ils Le connussent, a envoyé au monde son Verbe, qui Lui est égal et coéternel, par compassion pour leur aveuglement et le penchant qu'ils ont à faire le mal. Le Verbe S'est fait chair et Il a uni la nature divine à la nature humaine de telle sorte que l'abaissement de la Divinité faisait la gloire de l'humanité. La divine Providence a étendu les limites de l'Empire romain, afin que les effets de sa Grâce ineffable se répandissent parmi tout l'univers. Dieu a réuni ainsi en une seule toutes les nations de la terre; cette unité convenait à ses Desseins ; il devait être plus facile de prêcher l'évangile à l'univers quand tous les empires, n'en formant plus qu'un seul, seraient soumis aux lois d'une seule ville. Mais cette ville, qui ne connaissait point l'Auteur de sa puissance, tandis qu'elle commandait à tous les peuples du monde, pliait sous le joug de l'erreur de toutes les nations, et elle croyait être très religieuse parce qu'elle accueillait avec avidité toutes les folies qui désolaient le monde ; aussi, plus les liens avec lesquels le démon la tenait enchaînée étaient solides, plus la liberté que Jésus Christ lui a donnée doit paraître admirable.

Lorsque les douze apôtres eurent reçu du saint Esprit le don des langues et qu'ils se partagèrent l'univers pour y propager la parole divine, Pierre, le prince des apôtres, eut en partage la capitale de l'Empire romain, afin que cette lumière de la vérité, qui devait éclairer tout le genre humain, étant placée au centre de l'univers, répandît plus aisément ses rayons de tous côtés. Y avait-il quelque nation au monde dont il n'y eût alors des hommes dans cette ville, ou qui ignorât ce que Rome avait appris  ? C'était donc là qu'il fallait terrasser la philosophie  ! C'était là qu'il fallait détruire les vains mensonges de la sagesse humaine, là qu'il fallait renverser le culte des démons, là enfin qu'il fallait anéantir l'impiété de toutes les erreurs sacrilèges, puisque dans cette ville toutes les superstitions et toutes les erreurs étaient réunies  !

Bienheureux apôtre Pierre, tu ne crains pas de venir dans cette grande cité, tandis que l'apôtre Paul, ton compagnon de gloire et de travaux, est occupé à l'organisation d'autres églises ; tu entres dans cette forêt remplie de bêtes féroces ; tu marches sur cet océan tumultueux avec plus de constance que sur la mer ; tu ne trembles point à l'aspect de cette maîtresse du monde, toi qui fus saisi de crainte, dans la maison de Caïphe, à la voix d'une simple servante. Est-ce que la tyrannie de Claude et la férocité de Néron étaient moins à craindre que le jugement de Pilate ou que la méchanceté des Juifs  ? Mais ton amour vainquit tes craintes ; tu ne pensas point devoir céder à la terreur alors que tu travaillais au salut de ceux que tu avais pris en affection. Tu pris le sentiment de cette charité intrépide, lorsque tu donnas des témoignages d'un amour sincère à ton Maître, qui t'interrogea par trois fois et qui te confia la garde de son troupeau, en te recommandant de lui faire part de la même nourriture dont tu avais été nourri toi-même.

Les miracles que tu avais opérés, la grâce dont tu étais comblé et l'épreuve que tu avais faite de tes vertus, augmentaient ta confiance. Tu avais déjà instruit les Juifs, qui avaient cru ; tu avais déjà fondé l'Église d'Antioche, où le nom de chrétiens fut donné aux premiers fidèles ; tu avais déjà prêché l'évangile dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie et la Bythinie et tu ne doutais plus du succès de ton ouvrage et du temps qui te restait pour l'accomplir, lorsque tu faisais entrer l'étendard de la croix du Christ dans les murs de la cité romaine, où la gloire de ton martyre et l'honneur de ta dignité t'attendaient, selon les décrets de la Providence.

Paul, ton collègue à l'apostolat, ce vase d'élection, cet illustre docteur des Gentils, accourut alors et vint partager tes travaux dans cette ville où la pudeur, l'innocence et la liberté étaient aux abois sous la tyrannie du cruel Néron, dont la rage, excitée par toutes les mauvaises passions, en vint à cet excès de folie de soulever le premier contre le nom chrétien les fureurs d'une persécution générale, comme s'il eût prétendu anéantir la Grâce de Dieu en massacrant les saints. L'un des plus grands bienfaits de cette grâce est que le mépris de cette vie temporelle nous ouvre la porte des félicités éternelles. La mort des saints du Seigneur est précieuse devant ses Yeux. La religion fondée sur la Croix du Christ et cimentée de son Sang ne peut être ébranlée par les supplices les plus cruels. Les persécutions, loin d'abattre l'Église, la font briller d'une nouvelle splendeur   : le champ du Seigneur produit alors au contraire une plus riche moisson, tous les grains qui tombent renaissent multipliés. Les milliers de martyrs qui reçurent les palmes du triomphe prouvent d'une glorieuse manière combien se multiplièrent ces deux illustres grains de la Semence divine ; ces dignes émules des glorieux apôtres entourèrent notre cité d'une vaste ceinture de tombeaux qui couronnent son front comme un diadème composé de perles précieuses.

Nous devons nous réjouir, bien-aimés, d'une si puissante protection, nous fortifier dans la foi et nous encourager à la patience par leur exemple ; mais la fête des bienheureux apôtres doit encore exciter notre joie ; Dieu les a choisis entre tous les membres de son Église, et Il en a fait les yeux mystiques du Corps dont la tête est le Christ. Nous ne devons établir aucune différence entre leurs mérites et leurs vertus qui sont inénarrables. Leur élection, leurs travaux et leur mort les rendent tous deux parfaitement égaux. Notre propre expérience nous l'a appris et nos aînés nous l'ont confirmé  : les prières de ces deux illustres patrons nous sera d'un grand secours pour obtenir la Miséricorde de Dieu dans les travaux de cette vie ; car, si nous sommes accablés par le poids de nos propres péchés, les mérites des apôtres nous soutiennent par notre Seigneur Jésus Christ, qui forme, avec le Père et le saint Esprit, une seule Puissance et une seule Divinité dans les siècles des siècles. Amen.

SOURCE : http://www.jesusmarie.com

    

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