SERMON SUR LE JEUNE DU DIXIEME MOIS
ET LES COLLECTES

Si nous faisions de sages et pieuses réflexions sur le principe de notre création, nous reconnaîtrions, mes frères, que l'homme été créé à l'image de Dieu, afin qu'il s'efforçât d'imiter les perfections de son Créateur, et que la dignité naturelle de notre condition consiste à représenter comme un miroir les traits de la bonté divine. La Grâce du Sauveur nous donne chaque jour de nouvelles forces pour y parvenir ; le second Adam a réparé le mal que nous avait causé la chute du premier. C'est à la seule Miséricorde de Dieu que nous devons le bienfait de notre rédemption ; nous ne L'aimerions pas s'Il ne nous avait aimé le premier et s'Il n'avait, par la lumière de sa Vérité, dissipé les ténèbres de notre ignorance. Le Seigneur nous l'apprend Lui-même par ces paroles d'Isaïe son prophète  : " Je ferai marcher les aveugles sur un chemin qu'ils ne connaissent pas, Je les conduirai par des sentiers qu'ils ignorent ; Je changerai devant eux les ténèbres en lumière, et les endroits tortueux en plaine  : voilà ce que Je ferai, et Je ne les abandonnerai point " (Is 42,16), et celles-ci  : " J'ai exaucé ceux qui ne demandaient rien, Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas " (Is 65,1). L'apôtre Jean nous explique ainsi comment ces choses s'accomplirent  : " Nous savons aussi que le Fils de Dieu est venu, et qu'Il nous a donné l'intelligence pour connaître le Véritable ; et nous sommes dans le Véritable, en son Fils Jésus Christ. " (Jn 5, 21) Aimons donc Dieu, nous autres, puisque Dieu Lui-même nous a aimés le premier. Dieu, dans son Amour, nous a reformés à son Image, et afin de retrouver en nous les traits de sa Bonté, nous donne les secours nécessaires pour que nous puissions faire ce qu'Il fait Lui-même ; Il répand dans nos coeurs les lumières de sa Vérité ; Il les enflamme du feu de sa Charité, afin que nous L'aimions, non seulement Lui-même, mais encore tout ce qu'Il aime. Si la similitude des moeurs et des inclinations établit entre les hommes les liens d'une amitié solide, quoique leurs affections soient souvent dépravées, ne devons-nous pas tendre de tous nos voeux et de tous nos efforts à régler nos volontés sur la volonté de Dieu  ? Car, disait le Prophète, " si on L'irrite, on encourt sa Colère, et dans sa Volonté est la vie " (Ps 29,6). Nous ne pouvons représenter autrement la Majesté divine qu'en nous conformant à sa sainte Volonté.

Puisque le Seigneur a dit  : " Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, et de toute ta pensée " et  : " Tu aimeras ton prochain comme toi-même " (Mt 22, 37-39), il faut que l'âme fidèle se laisse enflammer de l'Amour de son Créateur et qu'elle se soumette toute entière à la volonté de cet auguste Maître dont les actes et les jugements portent partout l'empreinte de la vérité, de la justice, de la douceur et de la clémence. Celui qui est la proie de grands chagrins et qui éprouve de grandes disgrâces, peut, dans son malheur, espérer une récompense s'il accepte ses souffrances comme des châtiments de ses fautes ou comme une épreuve de sa vertu ; mais sa charité ne peut être parfaite, s'il ne l'étend jusqu'à son prochain. L'on n'entend pas seulement par ce mot ceux avec qui le sang et l'amitié nous lie, mais tous les hommes en général, puisqu'ils sont tous de la même nature que nous ; tous les hommes, dis-je, nos amis comme nos ennemis, ceux qui sont libres comme ceux qui sont esclaves. nos âmes et nos corps sont tous sortis des Mains du même Créateur, nous jouissons du même ciel, nous respirons le même air, les jours et les nuits sont également partagés pour tous. quoique parmi les hommes, les uns soient bons et les autres méchants, qu'il y ait dans le monde des hommes justes et des impies, cependant les Bienfaits de Dieu se répandent sur tous ; on voit partout des marques de sa Bonté, comme les apôtres Paul et Barnabé le disaient aux peuples de la Lycaonie, en leur parlant de la Providence  : " Ce Dieu, dans les âges passés, a laissé toutes les nations suivre leurs propres voies, quoiqu'Il n'ait cessé de rendre témoignage de ce qu'Il est, en faisant du bien, en vous dispensant du ciel les pluies et les saisons fertiles, en vous donnant la nourriture avec abondance et en remplissant vos coeurs de joie " (Ac 14,16-17). La loi nouvelle, qui est répandue dans toutes les contrées de l'univers, nous a donné de plus grands motifs pour aimer notre prochain ; elle ne veut pas qu'on néglige qui que ce soit, car elle ne méprise personne ; elle nous ordonne même d'aimer nos ennemis et de prier pour ceux qui nous persécutent. L'Église, qui chaque jour reçoit dans son sein des hommes de toutes les nations, permet qu'on ente l'olivier sauvage sur l'olivier franc ; elle se réconcilie avec ses ennemis, elle adopte les étrangers et sanctifie les pécheurs, " afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur, à la Gloire de Dieu le Père " (Ph 2,10-11).

Puisque Dieu veut que nous soyons bons, parce qu'Il est bon, nous devons Lui obéir. Refuser de Lui rendre grâces de toutes choses, n'est-ce pas Le reprendre en quelque chose  ? La folie des hommes est si grande qu'elle ose s'élever contre le Créateur, et murmurer non seulement de la disette, mais aussi de l'abondance  : si quelque chose leur manque, ils se plaignent, quand ils ont tout à souhait, ils sont ingrats. Ce riche qui avait fait une si grande récolte, loin de se réjouir de l'encombrement de ses greniers, se plaignit de l'embarras que lui causait une moisson abondante, et au lieu de remercier le Seigneur de la multiplicité de ses présents, il les méprisa comme inutiles. Mais si la terre est avare, si les grains qu'on a semés ne se multiplient pas avec excès, si les vignes et les oliviers ne sont point chargés de fruits, on se plaint de la stérilité de l'année, on accuse les éléments, on murmure contre la malignité de l'air, contre les mauvaises influences du ciel ; quoique les fidèles qui sont les disciples de la vérité doivent faire preuve de soumission et rendre au Seigneur de continuelles actions de grâces  " Soyez toujours joyeux. Priez sans cesse. Rendez grâces en toutes choses, car c'est à votre égard la volonté de Dieu en Jésus Christ " (1 Th 16-17.) Comment pourrions-nous avoir cette soumission d'esprit si l'inconstance des choses humaines n'éprouvait notre constance  ? Nous devons placer en Dieu toutes nos affections, de telle sorte que les malheurs n'abattent point notre courage, et que les prospérités ne nous inspirent point d'orgueil. Tout ce qui plaît à Dieu doit nous plaire, et nous devons nous réjouir de ses Dons, quels qu'ils soient ; recevoir avec reconnaissance les petits comme les grands, car on peut en faire aussi bon usage, et Il veille sur nous dans la disette comme dans l'abondance. Dans notre pauvreté des biens de la terre, ne craignons point de manquer des bénéfices spirituels si notre âme est généreuse ; car on peut trouver dans la fécondité de son coeur ce que la terre refuse, et l'homme libéral et de bonne volonté trouve toujours de quoi donner. Quelque récolte que l'on fasse, il faut que les oeuvres de piété se pratiquent avec le même zèle, et que la disette des choses temporelles ne tarisse point la source de la charité chrétienne. Dieu sut bien remplir les vases vides de la veuve pour la récompenser de son hospitalité (1 R 17,16), Il sut bien changer l'eau en vin (Jn 2,1-11), et nourrir avec quelques pains cinq mille hommes qui mouraient de faim (Mt 14,16-21 ; Mc 6,37-44 ; Lc 9,13-17 ; Jn 6,5-13) ; Il pourra sans peine, Lui qu'on nourrit en nourrissant les pauvres, et qui a multiplié ce qu'Il avait donné, multiplier vos biens quand vous Lui en donnerez une partie.

Les principaux actes de la religion sont au nombre de trois, la prière, le jeûne et l'aumône ; tous les temps sont propres à la pratique de ces vertus, mais il faut redoubler de zèle à l'époque que leur a consacrée la tradition apostolique. Selon cette loi antique, le mois du dixième mois est cette époque où nous devons exercer avec le plus de piété ces trois vertus dont je viens de vous parler. La prière nous rend la Divinité propice, le jeûne amortit la concupiscence de la chair, les aumônes effacent nos péchés, et ces trois vertus réunies nous rendent à nouveau semblables à Dieu, pourvu que nous soyons toujours prêts à chanter ses louanges, et que nous veillions sans cesse à être purs de tout péché, et à secourir notre prochain dans son infortune. Ces trois vertus, bien observées, renferment tous les mérites et toute l'efficacité des autres vertus. Elles impriment en nous les traits de la Divinité et nous unissent inséparablement au saint Esprit. La prière conserve la rectitude de la foi, le jeûne contribue à rendre notre vie pure et l'aumône accoutume notre coeur à la bienfaisance. Nous jeûnerons aussi le mercredi et le vendredi, et le samedi nous célébrerons les vigiles dans l'église du bienheureux apôtre Pierre, afin qu'il daigne intercéder pour nos prières, nos jeûnes et nos aumônes, par la Grâce de notre Seigneur Jésus Christ qui vit et règne avec le Père et le saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.

SERMON DU JEUNE DU DIXIEME MOIS
ET DES AUMONES

Je vous exhorte avec confiance, mes frères, à la pratique de la piété, parce que je sais par expérience que vous recevez avec plaisir les conseils que je vous donne. Vous savez, et Dieu vous le révèle, que la fidélité que vous aurez mise à observer ses divins commandements vous procurera d'éternelles récompenses. Comme la fragilité humaine succombe très souvent sous le poids de ses devoirs, et que la faiblesse de notre nature nous fit commettre une foule de péchés, Dieu, qui est plein de miséricorde et de bonté, nous a donné des remèdes à nos maux et des moyens pour obtenir le pardon de nos fautes. Qui pourrait se garantir des charmes et des illusions du monde, des artifices du démon et des nombreux dangers auxquels l'inconstance de notre nature nous expose, si la clémence du Roi éternel n'aimait mieux notre salut que notre perte  ? Ceux qui déjà ont été rachetés, qui déjà sont les enfants régénérés de la lumière, sont exposés à toutes sortes de tentations tant qu'ils vivent dans ce monde "  qui est tout plongé dans le mal ", tant que, sujets aux faiblesses de la chair, leurs sens peuvent être émus par les charmes des choses mondaines et périssables. Personne ne peut aisément triompher sans effusion de sang et au milieu de tant d'ennemis, sous leurs coups multipliés, échapper à la mort et même ne recevoir aucune blessure. Ceux qui combattent contre l'ennemi invisible peuvent se servir de trois médicaments pour guérir les nombreuses blessures qu'ils reçoivent. La ferveur de la prière, la mortification du jeûne et la libéralité de l'aumône. Ces trois vertus, réunies en nous, nous rendent Dieu propice, effacent nos péchés et terrassent le tentateur. Une âme fidèle doit toujours être munie de ces secours, et redoubler de ferveur, surtout en ces temps qui sont particulièrement consacrés à la pratique des oeuvres pieuses. Le jeûne du dixième mois est à l'une de ces époques, et il ne faut point le négliger sous prétexte que c'est une pratique tirée de l'ancienne loi, comme s'il prescrivait aussi certaines coutumes que l'on n'observe plus, comme la défense de manger de certaines viandes, les anciennes purifications et le sacrifice de certains oiseaux et de certains quadrupèdes. Toutes ces choses, qui n'étaient que des figures, ont cessé quand les vérités qu'elles signifiaient ont été accomplies. La grâce du nouveau Testament n'a point aboli le jeûne ; elle a maintenu sa religieuse observation, parce qu'il est d'un grand secours pour conserver la pureté de l'âme et du corps. Comme les commandements tels que   : " Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu Le serviras Lui seul " (Mt 4,10), et " Tu aimeras ton prochain comme toi-même " (Mt 22,39), sont toujours observés par les chrétiens, ainsi les préceptes de l'ancienne loi qui concernaient le jeûne n'ont point été abolis par la nouvelle. Chaque jour, et pendant toute notre vie sur cette terre, le jeûne nous fortifie contre le péché, le jeûne amortit le feu de la concupiscence, délivre de la tentation, humilie l'orgueil, réprime la colère et forme une vertu consommée de bons désirs que le coeur enfante. Il faut cependant pour cela qu'il soit secondé par le mérite de la charité et l'usage prudent de l'aumône. Le jeûne, dénué du secours de cette vertu, ne contribue tant à purifier l'âme qu'à mortifier le corps   : c'est plutôt souvent un effet de l'avarice que d'une véritable pénitence, quand on se contente simplement de s'abstenir de nourriture sans montrer sa piété par de bonnes oeuvres. Il faut, mes frères, que l'aumône augmente les mérites de nos jeûnes, et qu'ils deviennent féconds en quelque sorte, par les largesses que nous ferons aux pauvres de Jésus Christ. Que ceux qui ne sont pas riches ne se rebutent point parce qu'ils ne peuvent retrancher que peu de choses de leur bien. Le Seigneur connaît parfaitement leurs ressources, et, juge équitable, Il sait les bornes que chacun est forcé d'imposer à sa générosité. Puisque le partage des biens est si inégal, tous ne peuvent donner également ; mais le mérite de l'intention supplée à l'inégalité du présent ; la bonne volonté remplace ce qui lui manque. Pour nous disposer à ces bonnes oeuvres, avec la Grâce de Dieu, nous jeûnerons le mercredi et le vendredi, et le samedi nous célébrerons les vigiles dans l'église du bienheureux apôtre Pierre, afin qu'avec son intercession nous puissions mériter la Miséricorde de Dieu.

SERMON DU JEUNE DU DIXIEME MOIS
ET DES AUMONES

Lorsque le Sauveur annonçait à ses disciples l'avènement du règne de Dieu et la fin du monde, pour qu'ils en instruisissent toute l'Église, Il leur dit  : " Prenez garde à vous-mêmes, de crainte que vos coeurs ne s'appesantissent par les excès du manger et du boire, et par les soucis de la vie " (Luc 21,34). Nous savons que cet avis nous regarde, mes frères ; ce jour du jugement qu'Il nous annonce n'est pas fort éloigné, quoiqu'il nous soit inconnu ; il faut que tous les hommes se préparent à comparaître en ce jour terrible, de crainte qu'il ne les surprenne au milieu des débauches et dans les embarras du siècle. L'expérience nous les montre tous les jours  : l'excès de boisson appesantit l'intelligence, l'excès des viandes engourdit le coeur ; et le plaisir qu'on éprouve à table devient préjudiciable à la santé du corps, si l'on ne sait pas soumettre sa gourmandise aux lois de la tempérance, et se modérer de manière à ne pas s'exposer à se faire mal. Quoique la chair ne désire rien que l'âme n'y consente, et que les sensations et les mouvements du corps dépendent de l'âme, il faut cependant que celle-ci sache imposer des privations à cette partie d'elle-même, et qu'elle ait assez jugement pour lui refuser l'usage de certaines choses nuisibles, afin que, délivrée des entraves de la concupiscence de la chair, elle puisse appliquer son esprit à l'étude de la divine sagesse, sans être interrompue par le bruit et le tumulte des affaires de ce monde, qui troubleraient le repos de ses saintes méditations et la douceur des joies éternelles qu'on y trouve. S'il est difficile d'observer cette règle de conduite pendant toute la vie, on peut du moins s'y soumettre fréquemment, afin de donner plus de temps aux travaux de l'esprit qu'aux pensées terrestres, et que nos occupations, même temporelles, nous procurent des richesses incorruptibles, en nous occupant avec ferveur de ce qui réclame avec justice tous nos soins.

L'utilité de cette pratique paraît principalement dans les jeûnes que l'Église nous prescrit ; par l'inspiration du saint Esprit, elle les a distribués dans toutes les saisons, afin que les fidèles se souvinssent qu'ils devaient pratiquer l'abstinence en tout temps. Le jeûne du printemps s'observe pendant le Carême ; celui d'été à la Pentecôte ; le jeûne de l'automne est dans le septième mois et enfin celui d'hiver s'observe dans ce dixième mois où nous sommes ; cette distribution nous fait comprendre qu'il faut observer les préceptes de Dieu dans toutes les saisons, et ces quatre jeûnes sont comme quatre évangiles qui nous apprennent sans cesse ce que nous devons dire et ce que nous devons faire.

" Les cieux, dit le Prophète, racontent la Gloire de Dieu, et le firmament manifeste l'oeuvre de ses Mains ; le jour au jour proclame la parole, la nuit à la nuit en transmet la connaissance " (Ps 18,2&endash;3). Y a-t-il quelque chose dans la nature qui ne nous révèle point la vérité éternelle  ? Les jours et les nuits nous font entendre sa voix. La beauté des créatures qui sont sorties des Mains de Dieu ne cesse de rappeler à nos coeurs le souvenir du Créateur ; sa Puissance éternelle, ses Grandeurs invisibles se présentent à notre intelligence dans ses oeuvres admirables et nous montrent que ce n'est point à la créature, mais au Maître de l'univers que nous devons adresser nos hommages.

Lorsqu'on sait que l'abstinence détruit tous les vices, qu'elle apaise la soif de l'avarice, disperse les fumées de l'ambition et éteint le feu de la luxure, qui ne comprend alors toute l'utilité du jeûne  ? Elle ne nous interdit pas seulement l'usage des viandes, elle nous prescrit encore d'étouffer tous les désirs charnels. Il est inutile de jeûner si l'on ne renonce à ses mauvaises passions, et de se mortifier en se refusant l'usage des viandes sans se défaire de l'habitude du péché. Le jeûne est purement corporel et non spirituel, lorsqu'on mortifie seulement son corps et qu'on persiste dans des vices qui sont plus nuisibles que les délices de la nourriture. De quoi sert à l'âme d'être maîtresse au-dehors et d'être esclave au-dedans  ? d'avoir un empire absolu sur tous les membres, et de perdre sa propre liberté  ? Et souvent c'est avec justice qu'elle perd sa puissance, parce qu'elle ne rend point à Dieu l'hommage qui Lui est dû. Tandis que le corps fait abstinence, il faut que l'âme se débarrasse de ses vices et qu'elle soumette à la loi de son Maître ses passions terrestres. Qu'elle se souvienne que Dieu doit tenir la première place dans ses affections, et que la seconde appartient au prochain ; et qu'elle tienne pour règle de tous ses mouvements et de toutes ses inclinations, que jamais elle ne doit rien faire de contraire au service de Dieu et aux intérêts du prochain. Comment pourrons-nous honorer Dieu si sa Volonté n'est point la règle de la nôtre  ? si nous n'obéissons avec une docilité parfaite à tous ses commandements  ? Si notre volonté est conforme à la Sienne en toutes choses, Il fortifiera notre faiblesse et Il nous confirmera par sa Grâce dans le désir que nous avons de bien faire, que déjà nous tenons de Lui. " Car c'est Dieu, dit l'Apôtre, qui produit en vous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir " (Ph 2,13). L'homme, dans cet état, ne se laissera point emporter par la vanité, ni abattre par le désespoir ; il se servira, à la gloire de son Bienfaiteur, des présents qu'il en aura reçus, et il s'abstiendra de former des désirs qui pourrait lui être nuisibles. S'il sait fuir la malignité de l'envie, la corruption de la luxure, l'impétuosité de la colère et les désirs de la vengeance, alors le jeûne achèvera de purifier son âme et il goûtera les douceurs des voluptés éternelles ; il se procurera des trésors impérissables par le bon usage qu'il fera des richesses que Dieu lui aura données, non pas en les tenant cachées pour son propre usage, mais en les distribuant aux pauvres pour les multiplier à l'infini. Je vous exhorte, mes frères, avec toute la tendresse paternelle que j'ai pour vous, à joindre l'aumône au jeûne du dixième mois, pour le rendre plus méritoire, vous réjouissant de ce que le Seigneur veut bien se servir de vous pour nourrir et vêtir ses pauvres, à qui Il pourrait donner les richesses qu'Il vous a accordées, si sa divine Providence ne voulait que vous vous justifiassiez tous, eux par leur patience dans leurs travaux, et vous, par votre charité envers eux. Nous jeûnerons le mercredi et le vendredi, et le samedi nous célébrerons les vigiles dans l'église du bienheureux apôtre Pierre qui obtiendra, par son intercession, que nos jeûnes, nos prières et nos aumônes soient agréables à Dieu, par la grâce de notre Seigneur Jésus Christ qui vit et règne avec le Père et le saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.

PREMIER SERMON SUR LE GRAND CAREME

Bien-aimés, dans l'intention où je suis de vous parler du saint jeûne du carême, puis-je mieux commencer ce sermon que par les paroles de l'Apôtre qui était l'interprète de Jésus Christ, et qu'en répétant ces paroles que nous venons de lire  : "  Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut " (2 Co 6,2)  ? Quoique le Seigneur nous comble de ses Grâces en tout temps et que sa divine Miséricorde vienne sans cesse à notre secours, il faut cependant que l'âme se livre avec plus de zèle à la pratique de la vertu et qu'elle conçoive de plus grandes espérances dans ces temps où l'accomplissement des mystères de notre rédemption nous invite spécialement à exercer de nombreux actes de piété, afin que nous puissions célébrer avec une grande pureté de coeur et d'esprit le saint et incomparable mystère de la Passion de notre Seigneur. Nous devrions toujours adorer ces divins mystères avec la même piété, avec le même amour, et rester toujours devant Dieu aussi purs que nous devons l'être pendant la fête de Pâques. Mais peu de personnes possèdent assez de ferveur pour cela ; la fragilité de la chair nous empêche de persister dans la stricte observance des divins préceptes ; et les embarras et les inquiétudes de cette vie causent de si grandes distractions que les âmes les plus vertueuses elles-mêmes ne peuvent se garder d'être souillées par la poussière du monde ; aussi Dieu dans sa Sagesse nous a donné le carême pour purifier nos âmes, pour racheter par de bonnes oeuvres et le jeûne de la piété les fautes que nous avons pu commettre dans le cours de l'année. Puisque nous sommes sur le point d'entrer dans ces saints jours où les lois divines nous prescrivent de purifier notre âme et notre corps, ayons soin d'obéir à ces préceptes de l'Apôtre  : " Purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit, en achevant notre sanctification dans la crainte de Dieu " (2 Co 7,1). Faisons cesser toute espèce de lutte entre notre âme et notre corps ; que l'âme conserve son autorité et que le corps soit soumis à l'âme qui doit le gouverner d'après les lois du Seigneur ; gardons-nous d'offenser personne et de donner à qui que ce soit l'occasion de nous blâmer. Les infidèles auraient raison de nous mépriser, et par notre faute, leurs langues impies se déchaîneraient contre la religion, si nous ne jeûnions point avec toute la perfection d'une sainte continence.

Ce n'est point seulement dans la privation de viandes que consiste la sainteté du jeûne ; il est inutile de retrancher au corps sa nourriture ordinaire, si l'esprit n'abandonne pas les voies de l'iniquité, si la langue ne s'abstient de médire ou de calomnier. Nous devons imposer à nos passions le même frein que nous imposons à notre intempérance. Voici le temps où il nous faut devenir doux et patients, pacifiques et tranquilles, où il faut bannir le vice de notre coeur, et nous efforcer de l'enrichir de vertus éternelles. Voici le temps où les âmes pieuses doivent pardonner les offenses, mépriser les injures et oublier les insultes. Voici le temps où l'âme fidèle, revêtue des armes de la justice, doit combattre à droite et à gauche, de telle sorte que, pure dans sa conscience et constante dans sa probité, soit dans la gloire ou l'ignominie, soit dans l'honneur ou l'infamie, elle ne s'enorgueillisse des éloges qu'on pourrait lui donner, ou ne se décourage à cause des affronts qu'on pourrait lui faire subir. Que l'humilité de l'homme religieux ne soit ni sauvage, ni chagrine, mais qu'elle respire la sainteté ; que sa bouche ne murmure point de vaines plaintes, puisque les saintes consolations des joies célestes ne lui manquent jamais. Que personne ne craigne de diminuer ses richesses ou de se rendre pauvre en faisant de nombreuses aumônes ; la pauvreté chrétienne est toujours riche, et ce qu'elle possède est plus précieux que ce qui lui manque. Pourquoi redouter la pauvreté en ce monde, puisqu'on possède tout en Dieu  ? Ceux qui aiment à faire de bonnes oeuvres ne doivent jamais craindre d'en perdre les moyens, puisqu'une pauvre veuve est louée dans l'évangile pour avoir donné deux oboles, et que Dieu récompense ceux qui donnent un verre d'eau froide en son nom. Le mérite d'une bonne action se mesure par l'intention ; celui dont le coeur est plein de miséricorde trouve toujours occasion de l'exercer. La veuve de Sarepta nous en fournit l'exemple  : la famine désolait la terre au temps du bienheureux Elie ; elle ne possédait plus de nourriture que pour un seul jour, et elle donna tout au prophète pour apaiser sa faim, elle lui offrit le peu d'huile et de farine qui lui restait, sans songer à elle-même. Mais elle ne fût pas privée de ce qu'elle donna de si bon coeur  : ses vases qu'elle avait vidées par pitié devinrent des sources intarissables ; et parce qu'elle n'avait point redouté dans son zèle de manquer de nourriture, elle y retrouva sans cesse ce qu'elle avait donné.

Nous ne doutons point, bien-aimés, que le démon, qui est l'ennemi de toutes les vertus, ne s'oppose de toutes ses forces à l'accomplissement des actes de piété auxquels vous vous êtes préparés de bonne volonté, n'emploie toute sa perfidie pour vous faire rencontrer dans la piété elle-même des obstacles à la piété et ne s'efforce de perdre par l'orgueil ceux dont il n'a pu détruire les saintes croyances. Il est bien difficile à l'homme qui vit saintement de ne point se laisser éblouir par les louanges qu'on lui donne, à moins, comme dit l'Apôtre, " que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur " (2 Co 10,1-17). Est-il quelqu'un dont le malin esprit ne tâche de troubler les saintes résolutions et d'interrompre le jeûne  ? Qui pourrait-il épargner, lui qui n'a pas craint de s'adresser au Sauveur Lui-même et de Lui tendre des embûches  ? Le jeûne de quarante jours et de quarante nuits épouvanta le démon, et il voulut savoir par ruse si le don d'abstinence était naturel à Jésus Christ ou s'Il le tenait de Dieu, afin de n'avoir point à redouter d'être déçu dans ses espérances, si le Christ était soumis à toutes les conditions de sa nature humaine. Il chercha donc premièrement, avec adresse, à connaître s'Il était réellement le Créateur du monde, en Lui demandant s'Il avait le pouvoir de changer les substances en d'autres substances, et ensuite à savoir si la Divinité était cachée sous les voiles de son Corps mortel, en Lui proposant de Se lancer dans les airs et de soutenir son Corps dans l'espace. Mais le Seigneur ne voulut point lui manifester la puissance de sa Divinité, Il préféra lui opposer la justice d'un homme soumis à Dieu. C'est pourquoi le démon eut recours à une nouvelle ruse contre Celui qui avait caché sa Toute-Puissance ; il Le tenta par l'ambition et Lui promit tous les royaumes du monde, s'Il consentait à l'adorer. Mais la Sagesse de Dieu rendit vaine la prudence du démon, et cet ennemi superbe, voyant un homme semblable à celui qu'il avait séduit jadis, ne craignit point de persécuter cet Être divin dont la mort devait assurer le salut du monde. Nous avons à redouter les ruses du démon, non seulement dans les plaisirs de la gourmandise, mais encore dans les austérités du jeûne. Celui qui sut faire mourir le genre humain avec une pomme, sait aussi le perdre par le jeûne. Pour l'aider dans cette ruse si différente, il emploie ses serviteurs les manichéens ; et, de même qu'il se servit du serpent pour faire manger le fruit défendu, il persuade par leur bouche de s'abstenir des viandes permises. Cette abstinence qui nous habitue à nous contenter de peu et nous apprend à mépriser l'intempérance est certainement utile ; mais malheur aux hommes qui professent les doctrines impies de Manichée et dont le jeûne même est un crime. Pour faire injure au Créateur, ils ont horreur de la chair, et ils prétendent qu'on se souille en mangeant des viandes qui, disent-ils, n'ont point été créées par Dieu, mais par le démon. Dieu est la Créateur de toutes choses et tout ce qu'Il a créé est bon ; c'est Lui " qui a fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce qui s'y trouve " (Ac 14,15). Tout ce qui a été destiné à la nourriture de l'homme est pur et sain selon la qualité de son espèce. Si l'on en fait abus, c'est l'abus seul qui déshonore les gourmands et les ivrognes ; et il ne faut point s'en prendre à la qualité de la viande ou de la boisson. " Tout est pur pour ceux qui sont purs ; mais rien n'est pur pour ceux qui sont souillés et incrédules, leur intelligence et leur conscience sont souillées " (Tit 1,15).

Vous, bien-aimés, qui êtes les enfants de l'Église catholique, vous que le saint Esprit a instruits de la vérité, soumettez votre liberté aux lois de la raison ; et restez persuadés que si c'est une chose louable de s'abstenir même des choses qui sont permises et de se priver de certains aliments pour vivre plus chastement, on ne doit pas pour autant condamner la nature de ces aliments. Aussi n'ayez rien de commun avec les manichéens ni avec leur doctrines ; leur abstinence ne sert qu'à les rendre plus impurs ; ils adorent la créature et lui rendent le culte souverain, au lieu de le rendre au Créateur. Dans leur folie, ils jeûnent en l'honneur des astres ; tous ceux que l'on verra jeûner le dimanche et le lundi en l'honneur du soleil et de la lune, qu'on les mette sans hésiter au nombre des manichéens ; cette superstition criminelle les rend doublement impies, doublement profanes, ces hommes qui jeûnent en l'honneur des astres et au mépris de la Résurrection de notre Seigneur Jésus Christ. Ils rejettent les bienfaits du mystère de la rédemption du genre humain ; ils nient l'incarnation de notre Seigneur Jésus Christ, et n'ajoutent pas plus de foi à sa mort qu'à sa Résurrection. Aussi tâchent-ils de condamner, par la tristesse de leur jeûne, la joie que nous éprouvons d'un mystère si glorieux. Ils assistent à nos cérémonies pour cacher leur infidélité et pour mieux se dérober à nos regards ; ils participent avec nous à la communion des sacrements ; ils présentent une bouche indigne pour recevoir le Corps du Christ ; cependant ils refusent de boire son Sang précieux. Je veux en avertir votre sainteté, afin qu'à l'aide de ces indices vous puissiez reconnaître ces hommes, et que l'autorité épiscopale puisse chasser de la société des hommes ceux dont vous aurez découvert l'hypocrisie sacrilège. C'est de cette sorte de gens dont le bienheureux apôtre Paul avertit l'Église de Dieu de se garder, lorsqu'il dit  : " Je vous exhorte, frères, à prendre garde à ceux qui causent des divisions et des scandales, au préjudice de l'enseignement que vous avez reçu. Éloignez-vous d'eux. Car de tels hommes ne servent point Christ notre Seigneur, mais leur propre ventre ; et, par des paroles douces et flatteuses, ils séduisent les coeurs des simples " (Rm 16, 17-18).

Je vous ai donné d'assez fréquents avis, bien-aimés, afin de vous prévenir contre cette secte exécrable, pour vous croire suffisamment avertis. Disposez-vous à passer dans une pieuse dévotion les saints jours du Carême ; et préparez-vous par des oeuvres de miséricorde à recevoir les fruits de la Miséricorde divine. Sachez dompter votre colère ; ne nourrissez plus de haines dans vos coeurs ; aimez-vous et honorez-vous les uns les autres avec une humilité sincère. Commandez avec justice à vos esclaves et à ceux qui vous sont soumis ; ne les faites pas jeter en prison ; ne les chargez pas de chaînes ; que les injures soient oubliées ; que les offenses soient pardonnées ; que la bonté succède à la sévérité, la douceur à la colère, la paix à la discorde. Que tout le monde nous trouve doux, modestes et bienveillants, si nous voulons que nos jeûnes soient agréables à Dieu. C'est Lui offrir le sacrifice d'une véritable abstinence et d'une piété sincère, que de s'abstenir de tout péché. Gardons-nous aussi d'avoir rien de commun avec les ennemis de la Croix de Jésus, de peur que la sainteté des fidèles ne soit souillée par le contact des impies. Que la lumière soit séparée d'avec les ténèbres, et que les fils de la vérité s'éloignent des enfants du démon. Il ne faut apporter rien d'impur, ni introduire rien de profane dans le Temple du Seigneur qui est l'Église de Jésus Christ. Après avoir purifié notre coeur de toutes ses souillures, il faut nous sanctifier par le jeûne et servir de demeure éternelle au saint Esprit, qui daigne toujours nous posséder et nous diriger quand nous avons fait pénitence de nos fautes, et qu'elles nous ont été remises. Nous jeûnerons ainsi le lundi, le mercredi et le vendredi, et le samedi nous célébrerons les vigiles dans l'église du bienheureux apôtre Pierre, qui ne cesse de veiller sur le troupeau qui lui a été confié, et qui obtiendra notre salut par la Grâce de Dieu tout-puissant, qui est un seul Dieu et une seule Puissance avec le fils et le saint Esprit et qui règne dans les siècles des siècles. Amen.

DEUXIÈME SERMON SUR LE GRAND CAREME

Le saint Apôtre nous avertit, bien-aimés, de nous dépouiller, " eu égard à notre vie passée, du vieil homme qui se corrompt par les convoitises trompeuses " (Ep 4,22), afin de nous sanctifier de plus en plus chaque jour par la pureté de nos moeurs. Si Dieu demeure en nous, si le saint Esprit habite en nous, selon ces paroles de l'Apôtre  : " nous sommes le temple du Dieu vivant " (2 Co 6,16), il faut employer tout le zèle que nous possédons à purifier notre coeur, afin que ce ne soit pas un séjour indigne d'un hôte si illustre. De même qu'on veille avec une louable sollicitude à réparer avec soin les maisons construites par les mains des hommes, lorsque les pluies, les tempêtes ou le temps les ont dégradées, de même il nous faut mettre la plus scrupuleuse attention à ce que nos coeurs ne soient point corrompus par quelque défaut ou quelque impureté. Quoique ce temple construit par Dieu ne puisse subsister sans son Secours, ni rester dans son entier sans sa divine Protection, cependant, comme nous sommes des pierres vives et une matière animée, il faut que nous coopérions aux soins que le Créateur prend de nous ; il faut que notre obéissance seconde la grâce, et que nous travaillions toujours en accord avec Celui sans Lequel nous ne pouvons rien faire de méritoire. Si nous trouvons quelque chose de difficile ou d'impossible dans la pratique des commandements de Dieu, pour fortifier nos faiblesses, il nous faut recourir à la Grâce de Celui qui a fait ces commandements. Il nous donne ces préceptes, afin que nous ayons le désir de les suivre, et Il nous donne la force nécessaire pour y parvenir. " Jette ton souci sur le Seigneur, a dit le Prophète, et Lui te nourrira. " (Ps 54,23). Y a-t-il quelqu'un qui ait assez d'orgueil, qui se trouve assez pur et innocent pour se flatter de ne jamais avoir besoin de la grâce qui nous purifie  ? C'est une folle pensée, c'est la marque d'une grande vanité, que de se croire inaccessible à toutes les tentations qui nous assiègent en cette vie. A chaque pas, on rencontre des dangers et des embûches. Les passions nous émeuvent, les attraits des plaisirs nous tentent, le gain nous séduit, les pertes nous désespèrent, la calomnie nous déchire et les louanges de ceux qui nous flattent ne sont pas toujours sincères. Ici la haine nous attaque, là ce sont de fausses louanges qui nous trompent, et il est plus facile de se soustraire aux coups de la première, que de ne point se laisser séduire par les mensonges des secondes. Il y a tant d'incertitude dans le choix des moyens à employer pour devenir vertueux et les nuances qui les séparent du mal sont si difficiles à saisir, que si quelqu'un a le talent de rester dans un sage juste-milieu, et de ne point tomber soit dans l'excès du mal, soit dans la fausse exagération du bien, il est bien rare que sa consciencieuse probité reste à l'abri des morsures de la calomnie, et que sa justice échappe aux coups des méchants. Quand la pensée humaine considère l'incertitude des choses de ce monde, que de nuages s'élèvent dans l'esprit, que d'erreurs s'enfantent dans la dépravation de la pensée  ! Cette multitude d'événements contraires qui traversent la vie sont des sujets éternels de plaintes et de murmures. Quoique tous les fidèles soient convaincus que les soins de la Providence s'étendent sans cesse sur toutes les parties de l'univers, que les choses de ce monde ne sont point placées sous l'influence des astres qui est nulle, et que tout est soumis à la Volonté du souverain Maître du monde, dont la Clémence est égale à l'Équité, comme le dit le Prophète, " toutes les Voies du Seigneur sont miséricorde et vérité " (Ps 24,10), cependant, lorsque certains événements ne tournent pas selon nos souhaits, et que nous voyons en ce monde l'impie triompher de l'homme juste, il arrive ordinairement que les plus grandes âmes elles-mêmes sont frappées de découragement, et qu'elles se permettent de murmurer comme s'il y avait quelque injustice dans le principe de ces événements. Le grand Prophète avoue lui-même qu'il a été troublé par cette inconstance des choses humaines, et qu'elle a mis sa foi en péril. " Pour moi, dit-il, mes pieds ont presque chancelé, mes pas ont failli glisser, parce que j'ai envié les impies, en voyant la paix des pécheurs"  (Ps 72,2-3). comme il est peu de gens qui aient assez de force et de courage pour rester impassibles et vertueux devant tous les événements divers qui pourront leur arriver, et que la prospérité ne contribue pas moins que l'adversité à corrompre la vertu des fidèles, il est nécessaire de veiller avec le plus grand soin à guérir les blessures qui déchirent sans cesse notre faible humanité. J'ai exposé en peu de mots quelques-uns de ces périls qui nous menacent dans la vie, et qui nous menacent toujours, comme l'enseigne l'Écriture par ces paroles  : " Qui dira  : J'ai purifié mon coeur, je suis net de mon péché  ? " (Pr 20,9). Que tous les fidèles soient donc bien persuadés que la pénitence leur est nécessaire, et qu'ils ont besoin tous d'obtenir la rémission de leurs péchés.

Pouvons-nous, bien-aimés, trouver un temps plus favorable pour recourir aux remèdes divins, qu'à l'époque de ces fêtes où nous célébrons les divins mystères de notre rédemption  ? Préparons-nous par le jeûne du carême à nous bien acquitter de ce devoir. Non seulement ceux qui doivent être régénérés à une vie nouvelle dans le baptême par le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, mais encore tous les régénérés peuvent se servir utilement de ce divin remède pour se sanctifier  : les premiers afin de se rendre dignes de la grâce qu'ils n'ont point encore reçue, les seconds afin de conserver celle qu'ils ont déjà reçue. Car l'Apôtre dit  : " Ainsi donc, que celui qui croit être debout prenne garde de tomber  ! " (1 Co 10,12). Personne n'est si solide dans sa vertu qu'il puisse être sûr de sa persévérance. Profitons donc, bien-aimés, des avantages que peut nous procurer un temps si salutaire, et employons tous nos efforts à purifier notre conscience. Quelque pure et quelque régulière que soit la vie que nous menons dans ce monde, elle se ressent toujours des imperfections de notre nature, et quelque belle que soit l'âme que Dieu a créée à son Image, la fumée de la vanité obscurcit sa beauté et il faut la repolir sans cesse pour lui rendre son éclat. Si cela est nécessaire aux âmes les plus pures, combien n'est-ce point plus nécessaire à celles qui passent toute l'année dans une nonchalance ou dans une sécurité qu'on ne saurait comprendre  ? Notre charité nous fait un devoir de les avertir de ne point se tant complaire dans leurs vertus, quoique nous ne puissions lire dans leur conscience. Dieu seul voit tout ; les lieux les plus obscurs, les murailles les plus épaisses ne dérobent rien à ses Regards ; Il ne connaît pas seulement nos pensées et nos actions, Il sait encore ce que nous penserons et ce que nous ferons à l'avenir. Telle est la Science de ce souverain Juge ; nous devons redouter ses Regards pénétrants ; Il pénètre la matière et aucun secret ne Lui est inconnu. Il voit avec clarté les choses les plus obscures, celles qui sont muettes Lui répondent, le silence Lui parle, l'esprit dénué du secours de la voix s'entretient avec Lui. Que personne ne méprise la Bonté patiente du Seigneur, parce que ces crimes sont encore impunis, et qu'il ne croie point qu'Il n'est pas irrité, parce qu'Il n'a point encore ressenti les effets de sa Colère. La vie est courte et la jouissance des voluptés de ce monde ne dure guère  : vains plaisirs qui seront suivis de douleurs et de peines éternelles si l'on n'a recours à la pénitence tandis que l'arrêt de la justice divine est encore suspendu.

Ayons donc recours à la Miséricorde du Seigneur, qui nous tend les Bras, et que tous les fidèles purifient leurs coeurs afin de célébrer dignement la fête de Pâques. Que la méchanceté s'adoucisse, que les colères s'apaisent, que l'on se pardonne réciproquement, et que celui qui demande pardon de ses offenses oublie de se venger des autres. Car si nous disons à Dieu  : " Pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés " (Mt 6,12), nous nous imposons de lourdes chaînes, si nos actions ne répondent point à nos paroles. Si jusqu'ici nous n'avons point exactement observé toutes les conditions que renferme cette prière, maintenant rentrons en nous-mêmes, examinons notre conscience, et sachons obtenir l'oubli de nos fautes en oubliant celle des autres. Puisque le Sauveur du monde a dit  : " Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi " (Mt 6,14 ; Lc 6,4), il est aisé d'obtenir ce que l'on demande, Dieu devant régler son jugement sur l'indulgence de celui qui le prie. Il écoute une prière avec justice et miséricorde, et Il a soumis sa Justice à notre bonté afin, pour ainsi dire, de n'avoir point le droit d'être sévère envers ceux qui seraient cléments.

La libéralité convient aussi aux âmes douces et bienveillantes. Rien n'est plus digne de l'homme que d'imiter son Créateur, et, à son exemple, de secourir les frères, selon l'étendue de ses ressources. Lorsqu'on nourrit ceux qui ont faim, que l'on prend soin de ceux qui sont nus, et que l'on porte secours aux infirmes, n'est-ce point remplacer le Seigneur  ? La bonté du serviteur n'est-elle point un effet de la Bonté du Maître  ? Quoiqu'Il n'ait besoin d'intervention pour répandre sur nous les dons de sa Miséricorde, Il a ainsi tempéré sa Toute-Puissance, qu'Il subvient aux hommes par le ministère des hommes eux-mêmes, et c'est avec justice qu'on Le remercie des oeuvres de charité qu'Il exerce par les mains de ces créatures. Voilà pourquoi le Sauveur du monde dit à ses disciples  : " Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux " (Mt 5,16), le Sauveur à jamais béni qui vit et règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles.

SOURCE : http://www.jesusmarie.com

    

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