Léon Dupont
Le “saint homme” de Tours
1797-1876

 « simple laïc », déclaré « vénérable » par l’Église
 

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Portrait de M. Dupont

 

5-1-Les vertus

        5-1-1-Le chrétien

Monsieur Dupont fut un homme du monde, mais un  chrétien exemplaire. Il a été un fils attentif, un époux dévoué, et un père soucieux de l'avenir éternel de son enfant. Monsieur Dupont n'était pas un consacré, il vivait seulement de la grâce de son baptême, mais cette grâce ne fut pas vaine en lui; elle fut même extraordinairement féconde. Outre ses nombreuses activités, il avait le souci des mourants qu'il recommandait aux prières  de ses amis. Grâce à ses prières, il obtint de nombreuses conversions in extremis, et cela le réjouissait beaucoup. Parfois il suffisait d'une goutte de l'huile de la lampe brûlant près de la sainte Face pour que la personne concernée se confesse et reçoive les sacrements avant de mourir.

        5-1-2-L'humilité

M. Dupont a pratiqué brillamment, jusqu'à sa mort, toutes les vertus cardinales: prudence, justice, force et tempérance. Cependant, pour lui, la vertu essentielle, c'était l'humilité qui est le "fondement de toutes les vertus... le fondement de tout édifice qu'on veut élever vers le ciel... On ne saurait trop l'estimer, ni trop la rechercher." Être humble, c'est s'effacer pour approcher Dieu, pour n'être plus que Lui et quà Lui. "Je ne veux plus être moi, je veux être Vous!"

Sainte Gertrude d'Helfta, que M. Dupont aimait beaucoup.

M. Dupont, ancien magistrat, ne craignait pas de rencontrer les déshérités. À quelqu'un qui lui demandait des conseils, il écrivit: "Des conseils! Hélas! Mon cher ami, celui qui écrit ce mot devrait, lui, se cacher dans quelque fumier inconnu et s'y tenir coi au lieu de s'entretenir avec les âmes bien portantes." Et souvent il ressentait beaucoup de confusion en constatant que Dieu se servait de sa maison pour manifester sa bonté envers tous ceux qui venaient implorer ses grâces. Pourtant M. Dupont savait reconnaître les dons que le Seigneur lui avait donnés. Il avait un jour noté: "Je sais qu'il y en a quelques-uns qui, malgré ce qu'ils en reconnaissent, veulent ignorer les dons que Dieu leur a faits... Pour moi, il me semble que je dois connaître ce que j'ai reçu, afin que je sache ce qui me manque. Il me semble que, selon l'apôtre, nous devons savoir ce que Dieu nous a donné, pour ne point ignorer ce que nous avons à demander par des gémissements."

Dans une lettre à un ami prêtre, M. Dupont écrit en 1843:

– Toujours j'ai vu devant moi la petite route des petites âmes, et je m'y suis engagé...

Il espérait ainsi sauver des âmes sans s'expatrier. Il ne sera pas un des "conquérants d'Outre-Mer", mais en restant à Tours, au sein de sa famille et dans la vie séculière, il deviendra un des "convertisseurs d'âmes" que le Seigneur désire, et contribuera ainsi à propager le Royaume de Dieu. L'apostolat auquel Dieu le réservait, était celui de la réparation.

Se faire petit et rechercher les petites choses était un des principes de sa spiritualité; car pour sauver le monde, Jésus s'est fait petit; nous devons donc nous faire petits. Fréquemment M. Dupont parlait de "l'esprit d'anéantissement", de la nécessité de connaître son propre néant: "Cette rentrée dans le néant est difficile, puisqu'il a fallu que Celui qui avait fait sortir le monde du néant vînt se mêler lui-même aux choses du néant pour nous prêcher d'exemple. Et voici que, dans l'obligation où nous sommes de suivre Jésus pour arriver au ciel, nous ne pouvons pas marcher autrement que dans le sentier de la plus extrême humilité..."

Enfin, pour conclure ce paragraphe sur l'humilité de M. Dupont, il faut signaler que pour avancer dans les voies de la contemplation mystique, il s'appuyait humblement sur sainte Mechtilde, sainte Gertrude d'Helfta ou sainte Thérèse d'Avila. Il méditait souvent ce passage de la vie de sainte Mechtilde: "En l'oraison elle ne cherchait pas de hautes pensées, mais elle se contentait de se préparer et d'être simplement devant Dieu, sans rechercher élévation d'esprit, simplement regardant les faiblesses de son corps et les diversités de son esprit, et les spiritualisant en Dieu, elle trouvait TOUT... Elle pensait à ses péchés en l'amertume et douleur de son cœur..."

        5-1-3-La foi

M. Dupont était une âme de foi, une foi qu'il vivait avec la simplicité d'un enfant. Il n'hésita pas à écrire: "je commence à ne plus comprendre autre chose que cette vie de Jésus en nous. Le reste passe." Cette science de la foi, c'est dans l'Eucharistie et l'adoration du Saint-Sacrement qu'il l'apprenait. Il adhérait aussi, et fortement, à la parole de Dieu conservée dans la Bible. Il avait un éminent respect pour l'Église et ses chefs: d'abord le pape, puis les évêques. Et il se soumettait aux enseignements de l'Église.

Grand mystique, M. Dupont croyait aussi aux révélations de Sainte Gertrude d'Helfta et reconnaissait l'authenticité des apparitions de la Salette, de Lourdes et de Pontmain. Et il adhérait avec joie aux révélations de Sœur Marie de Saint-Pierre du Carmel de Tours. C'est grâce à cette sainte carmélite qu'il développera en lui l'esprit d'enfance. En un mot on peut dire que la foi de M. Dupont éclatait dans toutes ses paroles et ses actions: "Il vivait avec Dieu et lui parlait comme à un ami."  Pour lui, les miracles étaient comme naturels.

Monsieur Dupont croyait aussi aux vertus de la médaille de saint Benoît, et il en distribua beaucoup. En effet, M. Dupont fit frapper cette médaille, et en fit venir de grandes quantités. Le chanoine Janvier se plaît à citer de nombreux miracles obtenus grâce à ces médailles distribuées par M. Dupont: arrêt de la puissance d'un magnétiseur, sauvegarde de la chapelle Notre-Dame des Ardilliers sauvée d'une destruction partielle, conversion des mourants impies, retour de la paix dans des ménages, préservation d'une maison d'un incendie, etc...

L'abbé Botrel qui avait bien connu M. Dupont disait de lui: "Cet ami de Dieu était vraiment l'homme de foi, d'une foi forte, simple et constante, laquelle se révélait en lui plutôt par des actes parfaitement soutenus et uniformes dans la conduite et l'ordinaire de la vie, que par les signes et les pratiques exceptionnelles d'une vie intérieure et mystique. Je me sers à dessein du mot "mystique", non certes pour le déprécier à la manière du monde, qui, dans son ignorance, n'use de ce mot que pour vouer au mépris ce qu'il y a de plus avancé dans la vie spirituelle, mais voulant dire que ce qui se remarquait davantage en M. Dupont, et ce qui je crois, était une suite de son rôle providentiel ici-bas, c'était l'œuvre visible de la foi, comme la présence sensible de cette vertu qui faisait de lui un instrument docile et prêt à tout bien."

Lorsque les miracles se multiplieront autour de la sainte Face, M. Dupont se fera un devoir de rappeler qu'il n'était pas médecin et que seuls ceux qui avaient la foi étaient guéris. Et il ajoutait: "Ce n'est ni moi ni mes prières qui vous obtiendront la guérison: ce sera votre foi."

         5-1-4-L'espérance

La confiance en Dieu de M. Dupont était sans limite. Il avait d'abord confiance pour sa vie personnelle, certain d'être "aimé par le Bon Dieu et d'être traité par Lui comme un enfant à qui le Père qui est dans les cieux ne refuse ni sa tendresse habituelle, ni son pardon après les fautes..." Il était certain aussi du bonheur infini qui attendait les hommes après les épreuves de cette vie. Il était absolument certain de la pérennité de l'Église et de son triomphe définitif, mais il se montrait prudent envers les nombreuses prophéties qui courent le monde dans les périodes de crise. Et il conseillait: "Frappez au Cœur de Jésus par la confiance et par l'amour: il vous sera ouvert, et il en découlera sur vous une abondance de grâces."

L'espérance soutint M. Dupont durant toutes les douloureuses épreuves de sa vie, notamment la mort de sa fille en 1847 et durant ses longues années de quasi immobilité. Il n'hésitait pas à affirmer: "Pour peu que l'espérance augmente en nous, la foi grandit, la charité s'enflamme et prête l'oreille pour entendre les pas du divin époux." Monsieur Dupont avait, à l'égard du Bon Dieu l'attitude d'un enfant plein d'amour et de confiance. C'est cette même espérance qui lui faisait vivre intensément le moment présent, car, "moins on voit loin devant soi, plus on est à la chose qu'il faut faire présentement..." Dans la foi, l'espérance et l'amour, car "la vie de l'homme n'est que d'un instant." Et il ne "voulait point remettre à demain, ce lendemain qui ne nous appartient pas."

Malgré l'incrédulité qui croissait en France à cette époque, l'espérance de M. Dupont ne fut jamais entamée, et il avait toujours confiance en l'avenir. Il écrivait en 1853: "Il est bien certain que l'on correspond fort peu aux sentiments si formels de la bonté de Dieu! Une seule chose me rassure, c'est la pensée que la très sainte et immaculée Mère de Jésus n'aurait pas accepté le message, si ses pauvres enfants de la terre n'avaient dû le recevoir que pour s'enfoncer de plus en plus dans le crime, et s'attirer une masse de fléaux destructeurs. Je me prends, en conséquence, à espérer encore et beaucoup... Non, il est impossible que les dix justes ne se trouvent pas en France..."

Il est bien certain, disait aussi M. Dupont, "que notre confiance acquiert un degré de mérite dans la proportion des difficultés qui se présentent et dont nous constatons l'évidence." Aussi, "Prions pour la France!... Prions avec confiance. Rougissons de n'avoir pas la confiance qui obtient tout... Il faut employer une sorte d'importunité. Notre Seigneur lui-même nous y invite, quand il nous donne une comparaison ravissante qui ne distingue pas celle d'un ami survenant au milieu de la nuit et frappant à coups redoublés à la porte de son ami jusqu'à ce que celui-ci lui ouvre, vaincu par l'importunité plutôt que poussé par l'amitié". D'ailleurs Jésus n'a-t-il pas dit: "Quand vous demanderez quelque chose en mon nom n'hésitez pas; croyez fermement que vous l'obtiendrez, et il en sera ainsi." Et encore: "Dieu qui nous inspire de le prier, ne peut pas ne pas écouter nos prières." M. Dupont ne doutait jamais de l'efficacité de la prière; si elle n'obtenait pas son effet, c'est qu'il y avait un véritable manque de confiance.

À propos de la confiance et de la situation mauvaise de la France, M. Dupont prenait l'exemple de Ninive et de Sodome. "Toute la grande ville de Ninive, qui était païenne, dut se couvrir de cendres pour éviter la ruine. Dix justes auraient sauvé Sodome." Et il conseillait de prendre exemple sur saint Paul lorsqu'il s'écriait: "Je puis tout en celui qui me fortifie."

5-2-L'homme de prière

        5-2-1-L'homme de prière et de pénitence, d'amour et de foi

Nous avons vu que M. Dupont était un homme de prière, car il savait pertinemment que "le démon s'applique à détourner de l'oraison celui qu'il tente." Les Écritures, objets de ses méditations, l'Évangile et surtout les psaumes, et la prière, étaient la source de sa force quotidienne, même au milieu des épreuves que toute vie humaine est appelée à connaître. M. Dupont priait sans cesse, seul, partout. Curieusement il affectionnait les prières vocales et n'hésitait pas à répéter une même prière, jusqu'à 150, 250 voire mille fois dans la même journée. Il passait beaucoup de temps dans les nuits d'adoration. Il priait et il invitait les autres à prier. Ainsi, en avril 1871, à propos de la commune qui ensanglantait Paris, il écrivit: "Ma pensée s'est portée vers vous au milieu des effroyables évènements qui, depuis près d'un an ont écrasé notre pauvre France, ravalée au-dessous de tous les pays! Vous savez la catastrophe; mais il vous reste à prier pour que l'abîme ne se referme pas sur nous, c'est-à-dire que la révolution, qui est Satan déchaîné, ne nous absorbe pas comme elle le fit il y a quatre-vingts ans." (donc en 1789)

À l'une de ses filleules, il n'hésitait pas à conseiller, en 1866:

"La chose essentielle, c'est de faire chaque jour un pas de plus dans les voies de l'amour, et de se souvenir dans les circonstances qui semblent épineuses que tout coopère au bien des élus."

Homme de prière Léon Dupont était aussi un homme de pénitence, dont les mortifications, courantes à son époque, et qui pouvaient aller jusqu'à des flagellations sanglantes, peuvent nous paraître excessives. Mais "dans la communion, Jésus fait plus que nous parler, nous exciter à l'amour et nous enseigner le chemin du salut, il nous donne son sang en breuvage.... Eh bien! y a-t-il réciprocité... si nous ne lui donnons pas notre sang?"

Comme tous les saints, M. Dupont fut abondamment critiqué; on lui reprochait d'être exalté, d'exagérer... Mais de quelle exagération s'agit-il? Toute sa vie il aida son prochain et participa à des œuvres multiples. Il fut toujours docile aux décisions, -ou aux non-décisions- de la sainte Église. Il acceptait sans mot dire tous ses avis. Mais il avait la foi, la foi qui déplace les montagnes: est-ce exalté que d'avoir cette foi que Jésus nous recommande? Il priait et il savait se mortifier pour lutter contre le démon et sauver les âmes: est-ce exagéré d'agir ainsi? N'est-ce pas plutôt ceux qui se baignent dans leur tiédeur qui exagèrent? Et les saints, ceux que l'Église a reconnus et glorifiés, ne furent-ils pas des exaltés? N'exagéraient-ils pas dans leurs excès d'amour envers Dieu et leur prochain?

         5-2-2-La dévotion à la Vierge Marie et à saint Joseph

M. Dupont professait une dévotion filiale pour la très sainte Vierge Marie. Il avait soutenu les apparitions de la Salette; et celles de Lourdes, à la fin de sa vie le réjouirent. Il connaissait aussi les apparitions de la rue du Bac, à Paris et les miracles liés à la médaille miraculeuse, et il s'en félicitait. Tant qu'il pu disposer d'un peu de temps, avant le culte qu'il dut rendre à la sainte Face, il fréquenta de nombreux lieux de pèlerinages mariaux. Il priait régulièrement et faisait prier la Sainte Vierge; il récitait tous les jours l'Angélus. Mais il vénérait également saint Joseph, chef de la sainte Famille qu'il n'hésitait pas à qualifier de "Trinité de la terre".

Il implorait saint Joseph: "Saint Joseph, chef de la sainte Famille, faites par votre puissante intercession, qu'un jour dans le ciel le doux nom de Jésus soit inscrit sur nos fronts. Mais en attendant, père tendre et miséricordieux, daignez nous conduire et nous diriger dans les embarras de ce monde comme vous avez conduit Jésus et Marie en Égypte, et comme vous leur avez donné des soins à Nazareth..." Il demandait fréquemment à saint Joseph pour lui-même et pour d'autres, la grâce d'une sainte mort.

Le 7 septembre 1852, veille de la Nativité de Marie, il écrivait: "Vive Marie! Si les siècles précédents le disaient avec amour, aujourd'hui combien plus encore devons-nous élever la voix pour chanter les louanges et raconter les bienfaits de notre bonne Mère! Elle en a tant fait pour nous! Ses caresses ne les multiplie-t-elle pas pour se soumettre les cœurs?..."

        5-2-3-Autres dévotions de M. Dupont

M. Dupont vénérait de nombreux saints. Il faut citer spécialement:

        – Sainte Thérèse d'Avila,

        – Sainte Gertrude d'Helfta, confidente du Cœur de Jésus, et interlocutrice de saint Jean l'Évangéliste,

        – Le pape saint Léon le Grand, son saint patron,

        – Saint Antoine de Padoue qu'il invoquait comme tout le monde pour rechercher des objets perdus, avec des succès étonnants, dont voici un exemple: M. Dupont conduisait jusqu'au Mans une religieuse qui devait s'embarquer au Hâvre pour l'Amérique. Arrivée à sa communauté, la religieuse cherche sa malle: elle n'était nulle part. M. Dupont s'informe auprès des diligences: rien. Il rassure la religieuse qui devait partir le lendemain matin, de bonne heure, et lui demande de prier saint Antoine. Le lendemain matin la malle était dans la cour de l'établissement. Comment était-elle arrivée, toutes les portes étant fermées? Mystère!

Enfin, M. Dupont avait une spéciale affection pour Saint François d'Assise,

Sainte Monique, Sainte Philomène, la petite sainte chérie du curé d'Ars, et bien sûr, saint Martin.

Et puis, M. Dupont n'oubliait pas les anges. Il commençait souvent ses lettres par des expressions du style: "Je salue votre bon ange!" Ou bien: "Salut à nos bons anges!" À un ami il écrit: "Je salue votre cher ange, mon cher ami, et je le prie de s'entendre avec le mien pour nous faire tous les deux accomplir en toutes choses la sainte volonté de Dieu..."

Il priait aussi son ange gardien. Voici un exemple de prière à son ange: "Bon ange, cher objet de mon affection, ne me refusez point le secours de votre puissante intervention; mais au contraire, aidez-moi à me transporter en corps et en âme dans le monde entier, au pied des autels, à l'heure où se consomme le saint Sacrifice..."

M. Dupont professait une autre dévotion: celle des âmes du Purgatoire. Les funérailles des pauvres ou des gens sans condition l'attiraient particulièrement: il se faisait un devoir de prier pour les âmes oubliées, les âmes que personne ne pensait à soulager.

5-3-L'amour de Dieu et du prochain

        5-3-1-L'union à Dieu

Léon Dupont, brûlant d'amour pour son divin Maître, vivait dans une intime union avec Jésus, et parfois il s'écriait: "Mon  Dieu, se peut-il que nous demeurions si peu reconnaissants envers vous? Votre Cœur s'ouvre pour nous inonder de grâces, ô Jésus, et le nôtre se ferme!... Régnez dans nos cœurs, ô Jésus, et rendez-nous libres malgré nous-mêmes et notre lâcheté, en nous assujettissant à votre saint empire... Il est certain qu'on ne peut pas penser à la continuation de la Passion sans ressentir l'envie de porter quelque consolation à Notre-Seigneur."

M. Dupont avait compris la nécessité de l'Eucharistie et de la communion fréquente. Il disait: "Le chrétien sans la sainte communion est un poisson hors de l'eau." Aussi son sacrifice fut-il grand, quand, brisé par les infirmités, il ne put plus entendre la messe, ni communier. Ce sacrifice dura plus de deux ans... 

        5-3-2-L'amour de Dieu

L'amour de Dieu fut la cause et le principe des œuvres qu'il créa ou accompagna tout au long de sa vie. Ayant une très haute idée des droits de Dieu il multipliait ses charités, il encourageait les uns, soutenait les autres; et surtout il priait et il adorait. Les œuvres de piété qu'il mit en œuvre: adoration nocturne, culte envers la Sainte Face et dévotion envers l'Eucharistie n'avaient qu'un but: rendre gloire à Dieu et à son Amour, et s'efforcer de l'aimer toujours plus et mieux. On a retrouvé parmi ses écrits ces lignes brûlantes: "Seigneur! Quand est-ce que je vous aimerai?... Je veux trouver, même dans le sentiment de mon indignité, des motifs d'amour; je veux que le souvenir même de mes indignités pardonnées me pousse à l'amour... Je veux enfin, avec le secours de votre grâce toute puissante, trouver en tout, partout et toujours, des motifs impérieux d'amour: dans la prospérité, les douceurs de l'amour, dans mes peines, les consolations de l'amour; dans les souffrances, l'amour en esprit d'immolation et de sacrifice. D'ailleurs l'amour est un feu qui purifie. Il faut donc beaucoup aimer, surtout quand on a beaucoup péché."

Dieu seul faisait l'objet habituel de ses conversations, même à table ou en visite, dans son salon ou en voyage. Et il affirmait: "Il n'y a jamais d'ennui dans les conversations qui nous portent au ciel." D'ailleurs, "manger sans parler de Dieu nous fait ressemble à la brute sans raison." En écrivant ces choses, M. Dupont se souvenait-il de la sévère remarque de la sainte Vierge, parlant de leurs contemporains qui ne remerciaient pas Dieu avant de se mettre à table, aux deux enfants de la Salette: "Vous vous mettez à table comme des chiens!"

Dans un petit opuscule qu'il voulut anonyme M. Dupont écrit, entre autres: "Ô mon Dieu, quand pourrai-je lire, écrit par vos mains dans mon cœur, le précepte de vous aimer?... Quand me sera-t-il donné, ô mon Dieu, de vous aimer sans distraction, au milieu des ennuis et des traverses du monde?... Ô mon Dieu, à l'exemple de l'Épouse des Cantiques, je veux aller dire partout que je vous aime, que je vous ai trouvé dans mon cœur, que chacun peut vous découvrir au fond de son être, et ce qu'il y a de bonheur inexprimable à vous aimer! Mon Dieu, que ne vous dois-je point? Combien je devrais vous aimer!... Mourir dans l'amour habituel, mourir dans l'acte du pur amour, voilà une fin bienheureuse; mais mourir par amour, ce serait le comble de mes désirs, s'il était permis à un misérable pécheur de les porter si loin.

Mon Dieu, vous êtes tout amour, car vos ouvrages respirent l'amour; vos commandements sont amour; notre vocation n'est qu'amour. Mais qu'il est petit le nombre de ceux qui comprennent le langage de l'amour!

        5-3-3-L'amour du prochain

C'est une chose bien connue: quand on aime Dieu, on aime forcément son prochain puisque Dieu est amour. L'amour de Jésus conduisait M. Dupont à l'amour du prochain et au zèle pour le salut des âmes. Monsieur Dupont ayant aimé Dieu de toute son âme et de tout son cœur, il était normal qu'il aimât aussi son prochain. Il soutenait les œuvres vouées à la prière et à l'adoration, et son soutien aux œuvres charitables était bien connu: Petites Sœurs des Pauvres, Vestiaire saint Martin, Conférences saint Vincent de Paul notamment. Il disait: "Aimons nos frères, commençons par les moins aimables, afin d'aimer à la façon du bon Maître... Les pauvres! Soyons toujours exacts à les servir, ne différons jamais, car ce sont des rois... Il faut leur faire l'aumône avec respect: c'est Jésus que l'on honore en leur personne..." Et il estimait que seule la charité chrétienne peut rapprocher les hommes.

Aussi la charité de M. Dupont était-elle sans borne, à travers ses générosités en argent et en nature, à l'exemple de Saint Martin. Il recherchait tous les moyens pour faire le plus de bien possible. Quand il était à bout de ressources, il vendait quelques objets: ainsi une pauvre femme n'ayant plus d'argent pour payer son loyer, et M. Dupont étant à court d'argent, ce dernier donna, après l'avoir vidée du tabac qu'elle contenait, une luxueuse tabatière en disant: "Vous la vendrez et vous pourrez payer votre loyer." Dès lors, M. Dupont cessa de priser...

M. Dupont savait aussi payer de sa personne comme le prouve l'anecdote suivante: voyant un jour un cheval attelé à une charrette, arriver au galop, sans conducteur, il l'arrêta et le tint fermement jusqu'au moment où le charretier essoufflé arriva enfin.

M. Dupont se souciait également des âmes, et il visitait régulièrement les prisonniers et leur laissait toujours avec une aumône, des paroles de foi et de réconfort. Il visitait aussi les malades nécessiteux et, au besoin, les soignait de ses propres mains... Il se fit aussi le professeur de nombreux illettrés. Dans les cas de grandes catastrophes, comme les débordements de la Loire, en 1846, 1856 et 1866, M. Dupont était toujours présent, prêt à apporter son concours. Et à tous ceux qu'il aidait, il laissait une médaille de saint Benoît.

La soudaine et grande inondation de juin 1856, dont la ville de Tours fut victime, fut particulièrement désastreuse, car dans la nuit du 3 au 4 juin, les digues se rompirent. M. Dupont écrit: "Dans la nuit du 3 au 4, la ville entière, et en moins d'une heure, devait être emportée comme une paille par les grandes eaux qui nous menaçaient depuis plusieurs jours. Il est à remarquer, d'ailleurs, que malgré la rupture d'une digue qui servit de déversoir à la masse d'eau qui baignait la vallée jusqu'au Cher, le danger n'a cessé que dans la matinée du samedi. Jusque-là nous étions sous la menace d'un engloutissement sans pareil..."

Pour la première fois depuis 1848, l'adoration dans la nuit du 3 au 4 juin ne put avoir lieu. Mais, le dimanche 1er juin, il avait été inscrit sur le registre de l'adoration nocturne: "Vives instances au sujet de l'intempérie de la saison et prière pour que Dieu épargne la France et la ramène à son amour par une autre voie que celle de l'inondation." M. Dupont écrit encore: "À minuit les digues se rompaient, mais se rompaient de manière à ne pas écraser la ville."

Le 11 juin, M. Dupont écrit à son ami de Paris, M. d'Avrainville: "Les désastres sont grands, mais à la pensée de ce qui pouvait avoir lieu, on est saisi d'effroi. En moins d'une heure, tous les habitants allaient, à l'improviste, paraître au jugement de Dieu, s'il ne se faisait pas, en dehors de la ville, une rupture de digue; et alors l'eau est arrivée sur nous après avoir fait un immense détour à la campagne, perdant, de pas en pas, une partie de sa fougue et de son élévation. La digue rompue, le fleuve, pendant près de quarante huit heures, n'a pas cessé de battre en brèche, avec une grande furie, les lèvres d'une levée aux trois quarts détruite du premier coup; et pendant ces quarante huit heures nous nous sommes trouvés exposés à un danger presque aussi formidable qu'à la rupture de la digue d'où nous est venue l'inondation amoindrie".

Les dégâts furent considérables. "Nous avons échappé à une affreuse catastrophe. La ville de Tours ne devrait plus être qu'une plaine ravinée... L'incrédule ne s'explique rien. Le chrétien remercie le Bon Dieu," car les victimes furent peu nombreuses.

Plus tard, à ses amis, dont M. d'Avrainville de Paris, qui demandaient de ses nouvelles, il écrit: "Nous ne nous convertissons pas! Priez!..." Et encore: "Il faut espérer aussi que le siècle rachètera ses iniquité par de belles aumônes..." Et des aumônes, il y en eut beaucoup...

La dernière nuit fut affreuse et M. Dupont, dès quatre heures du matin, fut le premier, dans un bateau, à rendre visite aux naufragés, apportant des vivres et des secours de toute nature. Mgr Morlot le suivit bientôt pour secourir tous les infortunés: dignes émules de saint Martin!

Pour conclure, nous n'oublions pas que M. Dupont ne critiquait jamais qui que ce soit. Il était, au contraire, toujours prêt à excuser les fautes d'autrui et à solliciter pour lui le pardon de Dieu. Et pour exprimer la sainteté de M. Dupont, le chanoine Janvier, son biographe, n'hésite pas à écrire qu'il en était de M. Dupont comme de la plupart des grands saints: "Ils ont passé, eux aussi, aux yeux de leurs contemporains pour des hommes exaltés ou exagérés. Que n'a-t-on pas dit, par exemple, du pauvre d'Assise, le séraphique saint François? Et jadis, que ne disait-on pas du grand évêque de Tours, saint Martin, même parmi ses propres disciples. Les saints transports qui élevaient ces âmes d'élite au-dessus de la nature et d'elles-mêmes, ont pu étonner ou être mal compris; mais en réalité, ils n'en étaient pas moins sérieux et conformes au vrai, ils n'en méritaient pas moins l'approbation de Dieu et l'admiration des hommes."

5-4-Monsieur Dupont et Satan

M. Dupont professait contre Satan une haine profonde. Il savait que le diable est le plus grand ennemi de Dieu et des hommes, et il parlera souvent de Satan comme de la "plus méchante des bêtes". Il avait une conscience aigüe de sa perversité et avait compris ce qu'il fallait faire pour résister aux tentations. "Il avait au plus haut point le sens du péché et des périls qui l'accompagnent... et il estimait que l'esprit du mal peut entrer dans l'homme par le trou d'une aiguille comme il peut soudain fracasser une âme..." Il n'hésitait pas à dire qu'il y avait le péché, et que Satan était toujours à l'affût. "Le découragement, l'ennui, la tristesse n'ont jamais fait de bien à l'âme, et c'est en soi-même qu'on trouve le remède. Jésus donne les armes pour combattre ces trois grands ennemis que Satan tient à ses gages."[1] Des œuvres de Voltaire et de Rousseau, il disait "qu'elles ne pouvaient être bonnes qu'à la nourriture des cochons".

 M. Dupont avait en effet compris que Satan était présent dans la libre-pensée et les fausses philosophies, le rationalisme et "le pullulement des sectes irréligieuses ou immorales." Déjà!...

M. Dupont écrivait aussi ces lignes d'une actualité toujours brûlante: "La nécessité de nous rendre les amis de Notre-Seigneur devient de plus en plus vive, parce que les efforts de Satan sont visiblement plus actifs. Le misérable comprend que l'Église doit remporter une victoire sur la mer d'iniquités composée de toutes les hérésies modernes, et dès lors sa convoitise ne connaît plus de bornes; il voudrait d'une gueulée (sic) avaler les générations actuelles, si bien disciplinées à s'avancer en aveugles sous l'infernale inspiration!"

Pour vaincre Satan, M. Dupont conseillait avant tout la foi et la prière. Pour combattre Satan, M. Dupont aida la presse qui s'était engagée au service de l'Église. Il mit également en garde, à partir de 1847, contre les "Congrès de la Paix" nés d'initiatives maçonniques et protestantes et très hostiles à Rome. Il écrivit: "Il y aurait bien des choses à dire sur le congrès de la paix (1847), nouveau traquenard pour prendre les niais et détruire la foi. Cela pue son Satan... Multipliez le nombre des chrétiens, et vous aurez la paix" Le style est rude, mais quelle sagesse! "Ne craignons pas de mal penser et de mal parler du diable: la raison d'abord, c'est qu'il est le père de tous les maux... Il y a plus, c'est que pour ne pas mal penser ou mal parler de lui, il faut nier son existence, et c'est ce que font très sérieusement toutes ses dupes." Et nous, gens du XXIème siècle, nous en savons quelque chose!...

Mais peu de gens savent que M. Dupont eut parfois maille à partir avec "le vieux". Il témoigna un jour qu'à "deux reprises, une fois chez lui, une autre fois dans le petit dortoir de l'Adoration nocturne, il fut jeté à bas de son lit par une force mystérieuse qui lui parut être celle de Satan." La personne qui le logeait en 1858 ou 1859, à Bourbon l'Archambault où il devait se soigner, a rapporté aussi ce que le curé de Néronde, près de Nevers, qui occupait la chambre voisine de celle de M. Dupont, avait vécu: "Pendant la nuit celui-ci entendit comme le bruit d'une lutte violente qui se prolongea et qui finit par l'inquiéter si fortement qu'il crut qu'un voleur avait pénétré chez le voisin, qu'ils se battaient ensemble et, dans sa frayeur, il verrouilla sa porte. Ce bruit se produisit encore la nuit suivante et le curé de Néronde dénonça le fait à la propriétaire... Durant deux nuits, le vacarme fut épouvantable." Monsieur Dupont, à qui l'on demandait s'il avait besoin d'aide déclara: "Non, je n'ai pas besoin de secours humains: ils sont inutiles..."

Pour exprimer le mépris qu'il avait pour Satan, M. Dupont lui donnait des noms particulièrement humiliants: "l'antique serpent, le vieux, le chien furieux, enragé ou enchaîné, le vieux menteur, la bête, l'animal ou le monstre amphibie, le pourceau..."

M. Dupont estimait qu'il était important que Satan soit connu et qu'il aurait moins de serviteurs si on le connaissait mieux. Mais disait-il aussi, parlant des dégâts commis dans le monde qui était le sien, celui du XIXème siècle: "Le mal est si grand que Dieu seul peut donner le triomphe à son Église, et d'une manière assez éclatante pour que ses ennemis soient manifestement confondus. Il est visible que nous n'avons pas à combattre la chair et le sang, mais l'esprit infernal, c'est-à-dire celui-là que l'on nomme "la bête", la mauvaise bête qui n'a perdu dans son ignoble chute que sa sainteté: sa puissance est toujours fort grande..." Monsieur Dupont aurait-il écrit aussi pour nous du XXIème siècle?


[1] Cité par le chanoine Janvier.

   

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